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Copyright Board
Canada

Canada Coat of Arms/Armoiries du Canada

Commission du droit d’auteur
Canada

 

Date

2014-07-18

Référence

Dossier : Exécution publique d’œuvres musicales

Régime

Gestion collective du droit d’exécution et du droit de communication

Loi sur le droit d’auteur, paragraphe 68(3)

Commissaires

L’honorable William J. Vancise

Me Claude Majeau

Me J. Nelson Landry

Projet(s) de tarif examiné(s)

Tarifs 22.D.1 – Diffusions Web audiovisuelles et 22.D.2 – Contenu audiovisuel généré par les utilisateurs pour les années 2007 à 2013

tarif des redevances à percevoir pour l’exécution en public ou la communication au public par télécommunication, au canada, d’œuvres musicales

Motifs de la décision

I. INTRODUCTION

[1] Conformément au paragraphe 67.1(2) de la Loi sur le droit d’auteur (la « Loi »), la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN) a déposé à chacun des mois de mars de 2006 à 2012, pour les années 2007-2013, des projets de tarif des redevances à percevoir pour les diffusions Web audiovisuelles (tarifs 22.4 et 22.D, ci-après tarif 22.D.1 de la SOCAN) et pour le contenu audiovisuel généré par les utilisateurs (tarifs 22.7 et 22.G, ci-après tarif 22.D.2). Les projets de tarif ont été publiés dans la Gazette du Canada les 20 mai 2006, 23 juin 2007, 14 juin 2008, 4 juillet 2009, 31 juillet 2010, 28 mai 2011 et 2 juin 2012.

[2] Les parties suivantes se sont opposées à l’un des tarifs ou au deux : Apple Canada et Apple Inc. (Apple), Bell Canada, Yahoo! Canada, Rogers Communications et Québecor Média Inc. (désignés collectivement par les Services), l’Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR), la Société Radio-Canada (SRC), YouTube LLC (YouTube), Cineplex Entertainment LP (Cineplex), la Computer and Communications Industry Association (CCIA), [1] Shaw Communications Inc. (Shaw) [2] et Pandora Media (Pandora). En outre, Pandora a déposé une requête en intervention à l’égard du tarif 22 de la SOCAN, spécifiquement pour l’année 2011.

[3] Le 29 avril 2011, la Commission a décidé que ces deux projets de tarif feraient conjointement l’objet d’une audience pour les années 2007-2011. Le processus a été amorcé et l’audience a été fixée au 19 juin 2012. Avant que quelque preuve ne soit déposée, la CCIA, Shaw et Pandora ont retiré leurs oppositions. La SOCAN a déposé son énoncé de cause le 5 mars 2012.

[4] Le 25 mai 2012, date limite à laquelle les opposants devaient déposer leur preuve, tous les opposants ont demandé conjointement de reporter indéfiniment cette date limite en invoquant les négociations en cours avec la SOCAN. Cette dernière a accepté la demande de report. Le 28 novembre 2012, la SOCAN a écrit à la Commission, en joignant des ententes de règlement pour le tarif 22.D.1 et pour le tarif 22.E, [3] un tarif visant la SRC pour des utilisations similaires. Les deux ententes étaient pour les années 2007 à 2013. Au même moment, la SOCAN a indiqué que les négociations en vue d’une entente pour le tarif 22.D.2 étaient en cours et que cette entente serait déposée en temps opportun. La SOCAN a aussi demandé d’avoir la possibilité de faire des observations sur les ententes.

[5] Le 5 décembre 2012, au lieu de poser des questions spécifiques visant à déterminer si les tarifs annexés aux ententes étaient justes et équitables, la Commission a invité les parties à présenter des observations « sur les ententes ». La SOCAN a déposé des observations le 11 janvier 2013. Les opposants n’ont pas présenté d’observations, mais se sont réservé le droit de répondre aux observations de la SOCAN. Les observations de la SOCAN sont analysées plus en détail plus loin dans cette décision.

[6] Le 11 janvier 2013, Netflix a commenté les observations de la SOCAN à l’égard de l’entente sur le tarif 22.D.1 et a demandé l’autorisation d’intervenir. Le 25 janvier 2013, Facebook a aussi demandé la même autorisation à la Commission. Le 1er février 2013, la Commission a autorisé Netflix et Facebook à intervenir.

[7] Le 20 mars 2013, la SOCAN a déposé l’entente sur le tarif 22.D.2 pour les années 2007 à 2013.

[8] La Commission a alors procédé comme suit. Le 26 mars 2013, elle a communiqué avec les parties suivantes qui se sont opposées à un moment ou un autre au tarif 22 de la SOCAN pour les années 2007 à 2013, mais qui ne sont pas parties aux ententes relatives aux tarifs 22.D.1 et 22.D.2 de la SOCAN, c’est-à-dire : Shaw, l’ACR, Pandora, Stingray Digital Group, l’Entertainment Software Association et l’Association canadienne du logiciel de divertissement (ESA), Music Canada (auparavant la CRIA) et Pelmorex Media Inc. Elle a aussi contacté Netflix et Facebook. Elle a formulé les deux questions suivantes à ces neuf opposants :

[TRADUCTION] 1. Diffusez-vous en continu des programmes audiovisuels qui contiennent une ou plusieurs œuvres musicales pour lesquelles une licence de la SOCAN est nécessaire? Si c’est le cas, que pensez-vous de la demande faite à la Commission d’homologuer un tarif qui témoigne de l’entente ci-jointe entre la SOCAN, d’une part, et Apple Inc., Apple Canada Inc., Cineplex Entertainment LP, BCE Inc., Rogers Communications Partnership, Vidéotron S.E.N.C. et Yahoo! Canada Co., d’autre part?

2. Diffusez-vous en continu du contenu généré par les utilisateurs qui contient une ou plusieurs œuvres musicales pour lesquelles une licence de la SOCAN est nécessaire? Si c’est le cas, que pensez-vous de la demande faite à la Commission d’homologuer un tarif qui témoigne de l’entente ci-jointe entre la SOCAN, d’une part, et YouTube LLC et Vidéotron S.E.N.C., d’autre part?

[9] Les parties qui ont répondu par l’affirmative à au moins l’une ou l’autre de ces questions avaient le droit de faire des observations, et SOCAN et les signataires des ententes avaient un droit de réplique. Aucune autre observation n’était permise, sauf avec l’autorisation de la Commission.

[10] ESA et Music Canada se sont désistées. Le 16 avril 2013, Facebook, Netflix et l’ACR ont transmis leurs observations à l’égard des ententes sur les tarifs 22.D.1 et 22.D.2. La SOCAN et YouTube ont répliqué le 21 mai 2013.

[11] Le 10 juin 2013, Netflix a demandé l’autorisation de répliquer à la SOCAN et de présenter des éléments additionnels de preuve. Le 2 juillet 2013, la Commission a accordé son autorisation, sauf en ce qui concerne l’utilisation équitable.

II. POSITION DES PARTIES

A. SOCAN

[12] La proposition initiale de la SOCAN, telle que publiée dans la Gazette du Canada était de 15 pour cent du plus élevés des revenus bruts ou des dépenses brutes pour le tarif 22.D.1 et de 10 pour cent du plus élevé des revenus bruts ou des dépenses brutes pour le tarif 22.D.2, avec des redevances minimales de 200 $ par mois pour chacun des tarifs.

[13] Dans son énoncé de cause, sans en donner les motifs, la SOCAN a fait passer l’assiette tarifaire des revenus bruts aux revenus générés en ligne et a proposé 2,1 pour cent pour les téléchargements permanents, 2,3 pour cent pour les téléchargements limités et 3,5 pour cent pour les diffusions en continu dans le cas du tarif 22.D.1 et un taux fixe de 7 pour cent dans le cas du tarif 22.D.2. Dans le cas des deux tarifs, l’expert de la SOCAN a calculé ces taux à l’aide du tarif 22.A (Services de musique en ligne) comme point de référence.

[14] Par suite de l’arrêt ESA c. SOCAN [4] de la Cour suprême du Canada, la SOCAN n’a plus le droit de percevoir des redevances pour les téléchargements permanents et limités, ce dont la Commission a tenu compte dans sa récente décision sur les services de musique en ligne, [5] dont la structure était la même. Ainsi, aucune des ententes déposées par la SOCAN ne fait référence aux téléchargements. [6]

[15] L’entente sur le tarif 22.D.1 répartit les revenus générés par les services de diffusion en continu en trois sources : 1) frais par programme exigés des utilisateurs finaux, 2) frais d’abonnement des utilisateurs finaux et 3) recettes publicitaires. La forme de base du tarif de l’entente [7] est de 1,7 pour cent de l’assiette tarifaire pour 2007-2010 et de 1,9 pour cent de l’assiette tarifaire pour 2011-2013.

[16] Pour la première source de revenus, l’assiette tarifaire est la somme payée par les utilisateurs finaux, sous réserve d’une redevance minimale de 0,013 $ par programme. Pour la deuxième source de revenus, l’assiette tarifaire est la somme payée par les abonnés, sous réserve d’une redevance minimale de 0,068 $ par abonné en 2007-2010 et de 0,075 $ en 2011-2013. Pour la troisième source de revenus, l’assiette tarifaire est le produit des recettes publicitaires liées à l’Internet et d’un coefficient d’ajustement approprié.

[17] Il y a quatre coefficients d’ajustement dans l’entente 22.D.1, chacun ayant l’effet de diminuer les redevances qu’il faudrait autrement verser. Dans le cas des services de vidéoclips au Canada, le coefficient est de 95 pour cent. Dans celui des services au Canada autres que ceux de vidéoclips, le facteur est de 75 pour cent. Pour les services de vidéoclips à l’étranger, le coefficient est de 9,5 pour cent. Quant aux services à l’étranger autres que ceux de vidéoclips, le coefficient est de 7,5 pour cent. Chacun de ces quatre facteurs peut être ajusté si un rapport approprié entre les consultations de pages audiovisuelles et toutes les consultations de pages peut être fourni par le service à la SOCAN. Les coefficients précisés ci-dessus sont utilisés par défaut si ce rapport n’est pas fourni.

[18] En plus de ces frais pour les services qui génèrent des revenus, l’entente 22.D.1 prévoit que les services qui ne génèrent aucun revenu paieront une redevance minimale de 15 $ par année.

[19] L’entente à l’égard de 22.D.2 est très similaire à celle à l’égard de 22.D.1. Elle prévoit des taux de 1,7 et de 1,9 pour cent des revenus pertinents pour les années 2007 à 2010 et 2011 à 2013, respectivement, et une redevance minimale annuelle de 15 $.

[20] La SOCAN a expliqué en quoi consiste l’entente 22.D.1 de la manière suivante. Premièrement, le tarif devrait s’appliquer non seulement aux opposants, mais aussi à tous les fournisseurs en ligne d’œuvres audiovisuelles contenant de la musique faisant partie du répertoire de la SOCAN et à tous les services qui fournissent du contenu audiovisuel généré par les utilisateurs, comme Facebook, MySpace et Vimeo, qui contient de la musique faisant partie du répertoire de la SOCAN. Deuxièmement, il n’est pas nécessaire d’attendre le résultat du processus distinct de la Commission sur le droit de mise à disposition du public pour homologuer ce tarif. Troisièmement, la Commission doit homologuer le tarif pour les années 2007-2013. Même si l’audience devait porter sur l’examen de ce tarif pour les années 2007-2011, l’entente déposée par la SOCAN porte sur les années 2007 à 2013.

[21] De plus, la SOCAN a présenté des arguments concernant les critères du « tarif 5 de Ré:Sonne » pour l’homologation d’un tarif découlant d’une entente. Ces critères ont d’abord été énoncés au paragraphe 10 de la décision sur le tarif 5 de Ré:Sonne (Utilisation de musique pour accompagner des événements en direct) : [8]

Avant d’homologuer un tarif qui reflète des ententes, il est habituellement préférable d’examiner : a) la mesure dans laquelle les parties aux ententes peuvent s’exprimer au nom de tous les utilisateurs et b) si les prétentions mises de l’avant par d’anciennes parties ou des tiers utilisateurs ont été prises en compte.

[22] Premièrement, les opposants signataires (Apple, Cineplex et les Services) figurent parmi les plus importants fournisseurs de contenu audiovisuel du Canada autre que YouTube. En ce sens, les signataires sont représentatifs.

[23] Deuxièmement, les autres fournisseurs de contenu audiovisuel ont eu tout le temps voulu pour faire part de leur opposition ou pour intervenir en l’espèce et ont décidé de n’en rien faire.

[24] Troisièmement, l’entente est le résultat de longues négociations entre des avocats expérimentés. Cela implique que le tarif de l’entente provient d’un marché libre et sans restriction, entre deux personnes disposées à faire des transactions, informées et prudentes, et qui agissent de façon indépendante.

[25] Quatrièmement, ce tarif n’est pas sans précédent car il se fonde sur l’ancien tarif 22.D (Télévision commerciale, autres services de télévision, services sonores payants, radio par satellite) et le tarif 22.A homologué récemment (Services de musique en ligne). Lorsqu’un tarif sans précédent est examiné (comme dans le cas du tarif 5 de Ré:Sonne), il incombe à la Commission de bien s’assurer que l’entente est le fondement approprié pour le tarif. Lorsque le tarif est renouvelé, cette responsabilité est moindre, car les utilisateurs potentiels sont plus nombreux à être au courant d’un tarif homologué que d’un projet de tarif.

B. Facebook

[26] Facebook a expliqué qu’une technologie de filtrage d’Audible Magic est utilisée pour bloquer les vidéos qui contiennent des pistes sonores protégées par le droit d’auteur. Ce filtre scanne les vidéos pour y détecter la présence de pistes sonores protégées par le droit d’auteur et si c’est le cas, Facebook empêche le téléchargement de la vidéo. Si le filtre ne fonctionne pas, [9] les œuvres sont exemptées en vertu de l’article 29.21 de la Loi. Cet article qui traite du contenu généré par l’utilisateur a été ajouté par la Loi sur la modernisation du droit d’auteur [10] et est entré en vigueur en novembre 2012. Toute vidéo contenant de la musique provient d’un site tiers à l’origine de la diffusion en direct. Facebook ne fait que pointer vers ces sites tiers. Dans sa présentation, Facebook soutient que les tarifs ne s’appliquent pas à elle.

[27] En outre, Facebook a proposé plusieurs changements aux tarifs :

  • Dans le cas du tarif 22.D.1, la définition de « consultation de page audiovisuelle » devrait être changée pour désigner la consultation d’une page qui « a lieu lorsqu’un utilisateur voit une œuvre audiovisuelle » plutôt que la consultation d’une page qui « permet » à l’utilisateur d’entendre une œuvre audiovisuelle.

  • De plus, la définition de « consultation de page » dans le tarif 22.D.1 devrait être clarifiée en y ajoutant ce qui suit : « Si un service affiche du contenu et mesure le nombre de “consultations” des utilisateurs selon des unités autres qu’une page Web, il est acceptable de considérer les consultations de ces unités comme des “consultations de pages” à condition que la même unité de mesure soit utilisée dans le numérateur et le dénominateur de la partie “B” de la formule de calcul des redevances figurant à l’alinéa 3c). »

  • Les rapports par défaut figurant dans le tarif 22.D.1 devraient être éliminés.

  • Dans le cas du tarif 22.D.2, plutôt que d’essayer d’isoler et de calculer les revenus qui « auraient été générés » directement par la consultation de pages où des vidéos étaient proposées ou regardées, les services devraient avoir la possibilité, comme dans le cas du tarif 22.D.1, de calculer proportionnellement les revenus générés par l’utilisation générale des pages (où les vidéos sont des éléments parmi d’autres) en effectuant le rapport entre le nombre total de vidéos regardées sur la page et le nombre total de consultations de toute sorte à partir de cet endroit. (Dans le cas de la page d’accueil de Facebook, il s’agirait des vidéos consultées à partir du fil d’actualités par rapport au nombre total de vidéos proposées dans le fil d’actualités.)

  • Dans le cas des deux tarifs, les services qui calculent les redevances et en rendent compte devraient être en mesure d’utiliser des points de référence raisonnables sur l’utilisation au cours des périodes actuelles (en accord avec les changements proposés ci-dessus aux définitions figurant dans les deux tarifs) pour calculer les redevances dues pour les périodes antérieures.

C. Netflix

[28] La disposition suivante de l’entente sur le tarif 22.D.1 s’applique à Netflix, comme l’a fait remarquer cette dernière :

[TRADUCTION] « Pour un service qui offre des abonnements à ses utilisateurs finaux : 1,7 pour cent pour les années 2007-2010 et 1,9 pour cent pour les années 2011-2013 pour les sommes payées par les abonnés. Dans le cas des essais gratuits, une redevance mensuelle minimale de 6,8 ¢ pour les années 2007-2010 et de 7,5 ¢ pour les années 2011-2013 par abonné gratuit s’applique. »

[29] Netflix fait valoir que les essais gratuits sont une utilisation équitable aux fins de recherche, d’une manière analogue aux écoutes préalables gratuites d’Apple.

[30] Netflix a analysé comme suit l’utilisation équitable. Les essais proposés par Netflix servent à des fins de recherche en ce sens qu’ils :

[TRADUCTION] « permettent aux consommateurs de déterminer si l’offre de Netflix “convient à leur goût” et les aident à “s’assurer de la qualité du produit avant de se le procurer.” Les essais sont pour le modèle d’abonnement ce que sont les écoutes préalables pour le modèle de transmission individuelle, c’est-à-dire une chance pour le consommateur d’avoir un aperçu de l’offre proposée pour déterminer s’il souhaite conclure une entente commerciale pour l’obtenir. » [11]

[31] Les objectifs de l’utilisation sont les suivants :

[TRADUCTION] « i) aider les consommateurs à explorer le service et le catalogue proposés par Netflix, ii) permettre aux consommateurs d’avoir un aperçu de l’offre et du système de recommandations de Netflix pour déterminer s’ils conviennent à leurs goûts et à leurs besoins et iii) convaincre les consommateurs que le contenu et la diffusion du répertoire de Netflix ainsi que l’analyse de leurs préférences par cette dernière leur plaisent assez pour justifier un abonnement. » [12]

[32] L’utilisation a un caractère équitable parce qu’une seule copie est diffusée en continu : les fichiers ne sont pas téléchargés ni conservés sur les appareils de l’utilisateur. L’ampleur de l’utilisation dans un contexte d’abonnement est l’unité de temps. Dans ce cas-ci, un abonnement d’un mois est équitable en comparaison d’un abonnement devant durer des mois, voire des années. Comme pour les écoutes préalables, il n’existe aucune autre solution de rechange véritable à l’utilisation. La nature même des films et des émissions de télévision les destine à une très large diffusion. L’essai gratuit ne nuit pas à la diffusion en continu d’œuvres aux abonnés payants.

[33] Netflix a aussi avancé que la perception de redevances sur les essais gratuits va à l’encontre du principe de la neutralité technologique, comme l’a confirmé la Cour suprême dans l’arrêt ESA. Les tarifs ne devraient pas permettre la double rémunération ou imposer un coût injustifié.

[34] Enfin, Netflix a affirmé que presque tous les abonnés sont devenus membres de Netflix après l’avoir essayé gratuitement pendant la période d’essai d’un mois.

D. ACR

[35] L’ACR a informé la Commission qu’elle poursuivait des négociations avec la SOCAN sur le tarif 22.D.3, [13] qui devrait soustraire les membres de l’ACR à l’application du tarif 22.D.1. L’association souhaite maintenir son opposition pour le moment.

E. YouTube

[36] Voici la position de YouTube :

[TRADUCTION] « Il importe que tout changement soit présenté sous forme de dispositions supplémentaires ou accessoires à celles qui figurent déjà dans le projet de tarif. En d’autres termes, les dispositions actuelles ne devraient pas être supprimées ou modifiées pour tenir compte de quelque révision que ce soit. Les dispositions actuelles ont fait l’objet de négociations approfondies et prolongées entre YouTube et la SOCAN et témoignent des grands efforts consentis par ces parties pour mettre au point un tarif qui leur convient de part et d’autre. » [14]

F. Réplique de la SOCAN

[37] Bien que Facebook eut fait valoir que le tarif ne n’applique pas à elle et que Netflix eut avancé que ses abonnements d’essai ne sont pas assujettis au tarif, la SOCAN a répliqué que la Commission n’a pas besoin de définir qui est tenu de payer les redevances au titre des tarifs, car ils sont d’application générale. Quiconque fait une utilisation particulière de la musique est tenu de payer les redevances au titre des tarifs.

[38] Une consultation de page audiovisuelle est définie comme suit dans le tarif faisant l’objet de l’entente : « consultation de page audiovisuelle » Consultation de page permettant d’entendre une œuvre audiovisuelle. Il s’agit d’une définition tout à fait analogue à celle d’une consultation de page audio qui figure dans les tarifs 22.B à 22.G de la SOCAN homologués : « consultation de page audio » Consultation de page permettant d’entendre un son.

[39] La SOCAN a mentionné plusieurs questions concernant la preuve, nécessaires selon elle pour évaluer l’allégation de Netflix au sujet de l’utilisation équitable. La SOCAN soutient qu’il n’est pas équitable que la Commission traite d’une question importante comme celle portant sur l’utilisation équitable en disposant d’un dossier si mince.

[40] La SOCAN a contesté l’affirmation de Netflix selon laquelle la perception de redevances sur les abonnements gratuits constitue une double rémunération. Ceux qui profitent d’un essai gratuit ne décident pas tous ensuite de s’abonner à la fin de la période d’un mois. Si aucune redevance n’était perçue pour les essais gratuits, ces consommateurs écouteraient la musique du répertoire de la SOCAN gratuitement.

[41] La SOCAN a fait remarquer que l’analogie avec les écoutes préalables est inappropriée. Dans le cas d’un essai gratuit, le spectateur peut écouter les œuvres faisant partie du répertoire de la SOCAN du début à la fin, ces œuvres étant de la même qualité que s’ils avaient acheté le film ou l’émission de télévision en question.

G. Réplique de Netflix

[42] La réplique de Netflix a porté sur trois points. Tout d’abord, la SOCAN n’a pas défendu sa proposition d’avoir des redevances minimales pour les essais gratuits. Ensuite, bien que les signataires de l’entente se soient dits d’accord, ils n’offrent pas d’essais gratuits. Enfin, les redevances minimales pour les essais gratuits créent une distorsion car elles encouragent les abonnements à faible coût au détriment des abonnements coûteux assortis d’un essai gratuit.

III. ANALYSE

A. Analyse du « tarif 5 de Ré:Sonne »

[43] Dans sa décision sur le tarif 5 de Ré:Sonne, la Commission a établi un cadre permettant de déterminer si elle doit homologuer un tarif basé sur des ententes. La Commission n’a reçu aucune observation des tiers utilisateurs sur le tarif 22.D.1 ou 22.D.2, mais de nombreuses observations ont été faites sur le tarif 22 de manière générale, toutes étant liées à la diffusion en ligne d’œuvres musicales et non d’œuvres audiovisuelles.

[44] Trois parties se sont opposées aux tarifs et ont retiré leurs objections avant de signer les ententes de règlement, à savoir la CCIA, Shaw et Pandora.

[45] La CCIA s’est désistée parce que son membre Yahoo! Canada a préféré demeurer partie à la procédure pour son propre compte. Comme la CCIA a fait valoir que ses intérêts étaient les mêmes que ceux de Yahoo! Canada, nous acceptons cette décision et n’avons pas besoin de nous pencher de manière distincte sur les objections formulées par la CCIA.

[46] Ni la demande d’intervention de Pandora ni son désistement n’indiquent clairement pourquoi elle s’est opposée aux tarifs 22.D.1 et 22.D.2. En effet, la demande d’intervention porte sur le contenu sonore, pas sur le contenu audiovisuel. Ce n’est pas surprenant. Pandora a comparu devant la Commission dans d’autres affaires et n’a jamais mentionné qu’elle diffusait du contenu audiovisuel. Ainsi, aucune observation de Pandora ne nécessite l’attention de la Commission.

[47] La seule objection de Shaw qui n’a pas été autrement examinée concernait les obligations de rapport du tarif. Le désistement de Music Canada et de ESA ne soulève pas de questions d’équité étant donné que ni l’une ni l’autre de ces parties ne sont visées par le tarif.

[48] En bref, aucun motif au titre du « tarif 5 de Ré:Sonne » n’empêche d’homologuer les tarifs établis dans les ententes.

B. Analyse des observations de Facebook

[49] Nous rejetons la plupart des arguments de Facebook pour les raisons suivantes. La Commission soutient depuis longtemps que lorsqu’elle homologue des tarifs visant la SOCAN, ces tarifs sont d’application générale. [15] Si Facebook ne fait pas d’actes protégés dont le prix est établi par le tarif, elle n’a pas à verser de redevances au titre du tarif. Facebook voudrait que la Commission tire la conclusion de fait que cette société ne fait pas ces actes protégés. La Commission n’en fera rien parce que cette question est d’un autre ressort.

[50] De même, l’affirmation de Facebook selon laquelle les rapports par défaut devraient être éliminés est rejetée. Les rapports par défaut se veulent pratiques pour les titulaires de licences qui ne souhaitent pas ou ne peuvent pas calculer leurs rapports de consultations de pages. Tout titulaire de licence qui ne veut pas utiliser les rapports par défaut n’a qu’à calculer ses propres rapports de consultations de pages.

[51] Nous convenons avec la SOCAN qu’une consultation de page audiovisuelle se produit lorsqu’il est possible de regarder une œuvre audiovisuelle et non lorsqu’une œuvre audiovisuelle est regardée en tant que telle. Comme l’a fait remarquer la SOCAN, cela correspond à la définition d’une consultation de page audio figurant ailleurs dans le tarif 22.

[52] La façon de compter une page, toutefois, est une autre question. Pour ce qui est de compter le nombre de consultations de pages, tant pour le numérateur que le dénominateur du rapport de consultations de pages, Facebook a fait valoir que s’il existe une façon uniforme de le faire autre que celle utilisée actuellement (dénombrement des pages entières), elle devrait être privilégiée.

[53] La position de Facebook est dans le droit fil de la preuve entendue par la Commission dans l’affaire portant sur le tarif 8 de Ré:Sonne (Webdiffusions non interactive et semi-interactive). Un rapport de M. Michael Murphy, professeur en génie à l’École des arts de la radio et de la télévision de l’Université Ryerson, et déposé par Ré:Sonne dans ce dossier indiquait que :

[TRADUCTION] « Le rapport examine aussi le concept de “consultations de pages” et explique, à l’aide d’un exemple, en quoi il ne constitue plus une substitution fiable ou significative pour témoigner du niveau d’utilisation ou d’interaction des auditeurs lorsqu’il est question de contenu Web dynamique utilisant les technologies actuelles. » [16]

[54] Comme M. Murphy a expliqué par la suite, le contenu d’une page Web dynamique change plusieurs fois sans que la page entière soit rafraîchie. Ainsi, une seule consultation de page pourrait comprendre plusieurs « pages » de contenu. Selon notre compréhension, Facebook compte les pages de façon à tenir compte de ses pages Web dynamiques.

[55] Nous acceptons la position de YouTube voulant qu’on puisse respecter le texte des ententes tout en donnant le choix de compter le nombre de consultations de page comme Facebook le fait. Ce faisant, nous donnons essentiellement le choix aux utilisateurs. Ils peuvent compter le nombre de pages Web statiques comme il est prévu dans les ententes ou le nombre de pages dans un contexte de pages Web dynamiques. Dans la mesure où ils s’y prennent de la même façon pour obtenir le numérateur et le dénominateur, ils respecteront le tarif.

[56] Cette décision se répercutera sans doute sur nombre de tarifs portant sur les tarifs d’Internet au cours des prochaines années. Si les pages Web dynamiques sont en train de devenir la norme, ou si elles le sont déjà pour la diffusion de contenu en ligne, une méthode appropriée de les compter pourrait bien faire partie d’autres tarifs aussi.

C. Analyse des observations de Netflix

[57] Netflix a fait valoir que la perception de redevances sur les essais gratuits va à l’encontre du principe de la neutralité technologique, comme l’a confirmé la Cour suprême dans l’arrêt ESA. Nous ne sommes pas d’accord.

[58] Selon le principe de la neutralité technologique, comme seul le droit de reproduction s’applique lorsqu’un CD est vendu dans un magasin, seul le droit de reproduction doit s’appliquer lorsqu’un album numérique est vendu en ligne. Le CD est une technologie de rechange au téléchargement numérique. Il n’existe aucune technologie de rechange équivalente à un essai gratuit de Netflix. Les clubs vidéo n’ont jamais offert d’abonnements gratuits pendant un mois permettant à un consommateur de louer autant de vidéos qu’il le souhaite sans frais supplémentaires. Par conséquent, aucune question ne se pose à l’égard de la neutralité technologique.

[59] Netflix voulait aussi que la Commission conclue, comme elle l’a fait pour les écoutes préalables gratuites, que les essais gratuits sont une utilisation équitable. Nous refusons de le faire pour plusieurs motifs.

[60] Premièrement, l’analogie entre les écoutes préalables gratuites et les essais gratuits est faible. Dans le cas d’une écoute préalable gratuite, le consommateur peut écouter une partie d’une œuvre musicale dont la qualité sonore est inférieure. Dans le cas d’un essai gratuit, le consommateur peut écouter des œuvres musicales dans leur intégralité pour autant qu’elles soient intégrées dans les œuvres audiovisuelles regardées.

[61] Deuxièmement, il n’est pas clair que Netflix est le seul qui offre des essais gratuits. Quand la Commission a examiné les écoutes préalables offertes par iTunes, il était possible de croire qu’iTunes était le fournisseur dominant de téléchargements permanents. Ainsi, en examinant les pratiques d’iTunes, la Commission examinait essentiellement les pratiques de l’industrie des téléchargements permanents. Il n’est toutefois pas clair que Netflix domine le marché des vidéos. Sans cette dominance, l’analyse de la politique de Netflix sur les essais gratuits serait nécessairement incomplète à l’égard de l’ensemble de l’industrie des vidéos.

[62] Troisièmement, et tout aussi important, aucun fondement probatoire ne nous permet de rendre cette décision. Nous pourrions reporter cette décision pendant quelques mois encore et, au cours de cette période, recueillir des éléments de preuve des parties sur la question, mais le fait que Netflix ait refusé de participer au processus pendant de nombreux mois est un motif suffisant pour refuser de le faire. Si Netflix veut maintenant faire valoir qu’elle ne doit rien pour ses essais gratuits, l’autorité pour entendre ses arguments n’est pas la Commission.

[63] Nous rejetons aussi les trois arguments présentés par Netflix dans sa réplique et exposés au paragraphe 42 ci-dessus.

[64] Premièrement, la SOCAN n’est pas tenue de fournir une justification pour l’existence d’une redevance minimale. La justification est évidente : s’il n’y avait pas de redevance minimale, les titulaires de droits ne seraient aucunement rémunérés pour les essais gratuits, peu importe leur durée.

[65] Deuxièmement, bien qu’il soit possible, comme le prétend Netflix, qu’aucun des opposants signataires n’offre d’essais gratuits, il ne s’agit pas d’un fait déterminant. Ni la SOCAN ni Netflix n’ont soumis de preuve sur la question de l’équité de la redevance minimale. En l’absence d’une telle preuve, la Commission ne peut que présumer que la redevance minimale qui provient des négociations entre des parties expérimentées fait l’objet d’une entente au même titre que n’importe quel autre élément de cette entente. De plus, bien que nous n’ayons pas de preuve dans le dossier à l’égard du coût d’un abonnement mensuel à Netflix, les redevances minimales de l’entente semblent être cohérentes avec la pratique usuelle de la Commission à l’égard des redevances minimales.

[66] Troisièmement, il est toujours vrai qu’un tarif habituel avec une redevance minimale affiche une certaine distorsion et favorise des modèles d’affaires où chaque transaction (qu’elle soit mesurée par un abonnement mensuel ou un téléchargement) coûte quelque chose plutôt que certaines d’entre elles offertes gratuitement. Mais la distorsion des redevances minimales n’est pas exagérée. En fait, lorsque Netflix mentionne son prix mensuel de 8 $, elle ne mentionne pas toutefois qu’en utilisant la formule habituelle de la Commission des deux tiers des redevances au coût moyen, la valeur des redevances minimales serait plus élevée que celle figurant dans l’entente. Ainsi, bien qu’il y ait sans aucun doute une certaine distorsion, elle est assez minime et n’aura vraisemblablement pas d’effet sur les modèles d’affaires.

IV. TARIFS

[67] Nous homologuons les tarifs figurant dans les ententes, sauf la disposition de Facebook sur la mesure du nombre de consultations de pages.

Le secrétaire général,

Signature

Gilles McDougall



[1] Yahoo! Canada a remplacé la CCIA en l’espèce.

[2] Shaw faisait aussi partie des Services.

[3] Ce tarif fera l’objet d’une décision distincte.

[4] Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 34, [2012] 2 R.C.S. 231. [ESA]

[5] Décision de la Commission du 5 octobre 2012. Il s’agit de la première décision sur les services de musique en ligne rendue après l’arrêt ESA. La décision et les tarifs homologués visant les téléchargements étaient prêts à être rendus publics lorsque l’arrêt ESA a été rendu.

[6] Exception faite de la disposition no 9 de l’entente sur le tarif 22.D.1 où il est précisé que si l’arrêt ESA sous-entendait que la SOCAN n’avait aucun droit de percevoir des redevances pour les téléchargements, toute redevance payée au titre de l’entente pour des téléchargements devrait être remboursée.

[7] Le tarif de l’entente est le tarif annexé à l’entente. Si la Commission homologue le tarif de l’entente tel quel, tous les signataires de l’entente conviennent de ne plus s’opposer à ce tarif.

[8] Décision de la Commission, 25 mai 2012.

[9] C’est à dire si Facebook autorise le téléchargement d’une vidéo contenant une piste sonore protégée par le droit d’auteur.

[10] L.C. 2012, ch. 20 (auparavant projet de loi C-11).

[11] Prétentions de Netflix, 16 avril 2013, pp. 5-6.

[12] Ibid., p. 6.

[13] Ce tarif n’a pas encore d’intitulé.

[14] Prétentions de YouTube, 21 mai 2013, p. 1.

[15] Voir, par exemple, la décision d’arbitrage entre la SODRAC et la SRC/Astral, 2 novembre 2012, au para. 63.

[16] Pièce Ré:Sonne-2, au paragraphe 14, « Report on Contemporary Music Webcasting Technology » (preuve du tarif 8 de Ré:Sonne).

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