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Canada

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Commission du droit d’auteur
Canada

 

Date des motifs

1999-01-27

Date de la décision

1998-12-24

Référence

DOSSIER : 76(1)-1998-1

Régime

Loi sur le droit d’auteur, paragraphe 76(1)

Réclamations des non-membres dans les cas de retransmission

Commissaires

Michel Hétu, c.r.

Mme Adrian Burns

M. Andrew E. Fenus

Requête de la société des auteurs, recherchistes, documentalistes et compositeurs (SARDeC)

Motifs de la décision

I. INTRODUCTION

Le 15 décembre 1998, la Société des Auteurs, Recherchistes, Documentalistes et Compositeurs (SARDeC) demandait à la Commission d’exercer les pouvoirs qu’elle détient en vertu du paragraphe 76(1) de la Loi sur le droit d’auteur (la Loi) et de désigner l’Association du droit de retransmission canadien (ADRC) comme étant la société de gestion à laquelle les titulaires de droits sur les textes destinés à la production d’émissions de télévision et de radio par la Société Radio-Canada (SRC) ou par la Société de télédiffusion du Québec (STQ) devraient s’adresser pour recevoir une part des redevances versées pour la retransmission de signaux éloignés entre le 1er janvier 1990 et le 31 décembre 1997.

La SARDeC soutient représenter tous les auteurs des textes visés dans la requête et détenir le mandat de représenter les titulaires des droits sur ces textes qui sont ses membres. Elle soutient par ailleurs que ces personnes ne sont pas représentées au titre du droit de retransmission pour ces œuvres par l’une ou l’autre des sociétés de gestion autorisées à percevoir des redevances en vertu des tarifs adoptés par la Commission et n’ont pas fait de réclamations auprès de ces mêmes sociétés. Elle dit enfin avoir conclu avec la SRC et la STQ des ententes prévoyant que les auteurs de ces textes sont les premiers titulaires des droits sur ceux-ci.

Le 23 décembre 1998, l’ADRC s’opposait à la requête pour cinq motifs. Premièrement, le dossier ne permet pas d’établir si la SARDeC détient les droits pertinents sur les textes visés. Deuxièmement, si elle les détient, cela fait d’elle une société de gestion assujettie aux exigences des articles 71 et suivants de la Loi, et la requête cherche à contourner ces exigences, y compris celle de procéder par dépôt de tarif. Troisièmement, la requête ne précise pas les œuvres qui en font l’objet et constitue une réclamation hypothétique à l’égard d’un répertoire non déterminé. Quatrièmement, les documents constitutifs de l’ADRC lui interdisent de représenter d’autres titulaires que des radiodiffuseurs; elle n’a jamais cherché à percevoir la quote-part de droits revenant à d’autres titulaires. Cinquièmement, toutes les redevances perçues pour la période visée dans la requête ont déjà été distribuées conformément aux politiques de distribution de l’ADRC. Les recours de la SARDeC, si tant est qu’elle en ait, sont à l’égard des radiodiffuseurs eux-mêmes, que ce soit en vertu des ententes qu’ils ont conclues avec la SARDeC ou autrement.

Le 24 décembre 1998, la Commission rendait la décision qui suit.

Par les présentes, et conformément au paragraphe 76(1) de la Loi sur le droit d’auteur, la Commission désigne l’Association du droit de retransmission canadien (ADRC) comme étant la société de gestion auprès de laquelle les titulaires de droits visés au paragraphe suivant, et les personnes se réclamant d’eux, pourront s’adresser pour le paiement de redevances aux fins du régime de la retransmission, le tout aux mêmes conditions qu’une personne ayant habilité l’ADRC à cette fin.

Titulaires visés : les titulaires de droits sur des textes, écrits dans le cadre des conventions gérées par la SARDeC, ayant servi à la production d’émissions de télévision ou de radio par la Société Radio-Canada ou la Société de télédiffusion du Québec retransmises sur des signaux éloignés entre le 1er janvier 1990 et le 31 décembre 1997, dans la mesure où ces titulaires ne sont pas représentés, à l’égard des textes en question, par une société de gestion énumérée à l’Annexe A des tarifs sur la retransmission de signaux éloignés de radio et de télévision que la Commission a homologués pour les années 1990 à 1997.

Motifs à suivre.

Voici les motifs de cette décision.

II. DISPOSITIONS LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTAIRES PERTINENTES

Les dispositions pertinentes de la Loi sur le droit d’auteur sont les suivantes :

31(2) Ne constitue pas une violation du droit d’auteur la communication, au public, par télécommunication, d’une œuvre, lorsqu’elle consiste en la retransmission d’un signal local ou éloigné, selon le cas, celle-ci étant licite en vertu de la Loi sur la radiodiffusion, que le signal est retransmis, sauf obligation ou permission légale ou réglementaire, intégralement et simultanément et que, dans le cas de la retransmission d’un signal éloigné, le retransmetteur a acquitté les redevances et respecté les modalités fixées sous le régime de la présente loi.

...

71(1) Seule une société de gestion qui se livre à la perception des redevances visées aux paragraphes ... 31(2) peut déposer auprès de la Commission un projet de tarif de ces redevances.

...

73(1) Au terme de son examen, la Commission :

a) établit la formule tarifaire qui permet de déterminer les redevances à payer par les retransmetteurs ...

...

b) détermine la quote-part de chaque société de gestion dans ces redevances;

...

76(1) Tout titulaire d’un droit d’auteur qui n’a pas habilité une société de gestion à agir à son profit peut, si son œuvre a été communiquée dans le cadre du paragraphe 31(2) alors qu’un tarif homologué s’appliquait en l’occurrence à ce type d’œuvres, réclamer auprès de la société de gestion désignée, d’office ou sur demande, par la Commission le paiement de ces redevances aux mêmes conditions qu’une personne qui a habilité la société de gestion à cette fin.

...

(3) Les recours visés aux paragraphes (1) ... sont les seuls dont dispose le titulaire pour obtenir le paiement des redevances relatives à la communication ...

(4) Pour l’application du présent article, la Commission peut :

b) fixer par règlement les délais de déchéance pour les réclamations, qui ne sauraient être de moins de douze mois à compter :

...

(v) dans le cas du paragraphe 31(2), de la communication au public par télécommunication.

Par ailleurs, la Commission a pris, en application de l’alinéa 76(4)b) de la Loi, le règlement suivant.

RÈGLEMENT FIXANT LES DÉLAIS DE DÉCHÉANCE POUR LES RÉCLAMATIONS DES DROITS DES TITULAIRES NON MEMBRES DE SOCIÉTÉS DE PERCEPTION [1]

1. Tout titulaire du droit de communiquer une œuvre au public par télécommunication aux termes de l’alinéa 3(1)f) de la Loi sur le droit d’auteur, ou toute personne se réclamant de lui, qui n’a pas habilité une société de perception à agir à son profit peut, si l’œuvre a été communiquée dans le cadre du paragraphe 28.01(2) [2] de cette loi, réclamer auprès de la société de perception désignée, d’office ou sur demande, à cette fin par la Commission, le paiement des droits relatifs à cette communication :

a) au plus tard le 31 décembre 1998, dans le cas d’une œuvre retransmise avant le 1er janvier 1997;

b) dans les deux ans suivant la fin de l’année civile au cours de laquelle l’œuvre est retransmise, dans le cas d’une œuvre retransmise le 1er janvier 1997 ou après cette date.

2. Le présent règlement entre en vigueur le 19 mars 1997.

III. ANALYSE

Le régime de retransmission est un régime de licence légale de portée universelle. Le retransmetteur qui remplit les conditions énumérées au paragraphe 31(2) de la Loi acquiert le droit de retransmission pour toutes les œuvres incorporées dans les signaux qu’il retransmet. Pour les signaux locaux, la licence est gratuite; pour les signaux éloignés, le retransmetteur est tenu de verser les redevances établies par la Commission. La Commission en établit le montant de façon à rémunérer tous les droits contenus dans les signaux éloignés.

Pour leur part, tous les titulaires de droits d’auteur sur des œuvres retransmises sur un signal éloigné ont droit à une part de la rémunération s’ils se conforment aux dispositions de la Loi. Ils peuvent obtenir cette rémunération de deux façons. La très grande majorité des titulaires se sont regroupés au sein de sociétés de gestion qui ont déposé des projets de tarifs, obtenant ainsi le droit de recevoir des retransmetteurs une quote-part des redevances, qu’elles distribuent ensuite à leurs membres. Ceux qui ne sont pas dans cette situation (qu’on désigne couramment comme «orphelins») peuvent néanmoins, comme le prévoit le paragraphe 76(1) de la Loi, s’adresser à l’une ou l’autre des sociétés visées aux tarifs pour recevoir ce à quoi ils ont droit.

C’est dans ce cadre que s’exerce la compétence que l’article 76 de la Loi confie à la Commission : elle désigne la société auprès de laquelle le titulaire orphelin devra faire sa réclamation. Il faut donc bien comprendre la nature des rapports que la Loi établit entre les titulaires orphelins et les sociétés que la Commission désigne. D’une part, il ne saurait être question pour un titulaire orphelin de présenter une réclamation qui ne soit pas appuyée sur une désignation [3] : sans désignation, le recours de l’orphelin n’existe pas. D’autre part, les titulaires pouvant se réclamer d’une désignation n’ont pas à demander de permission avant de présenter une réclamation.

De ce qui précède, on peut conclure ce qui suit.

Premièrement, la réclamation est nécessairement formée auprès de la société désignée et donc, après que la Commission ait procédé à la désignation. La désignation peut d’ailleurs intervenir en l’absence de toute réclamation, sur demande ou d’office. Il ne revient donc pas à la Commission de trancher le bien-fondé de la réclamation. [4] La désignation permet tout simplement à celui qui prétend détenir des droits de formuler une demande. La question de savoir si le réclamant est véritablement titulaire d’un droit reste à déterminer entre cette personne et la société désignée et, éventuellement, par les tribunaux de droit commun.

Deuxièmement, les renseignements nécessaires pour procéder à la désignation ne sont pas toujours les mêmes. Dans l’espèce, comme la désignation se fait en fonction du type d’œuvre, il n’est pas nécessaire de savoir qui détient les droits sur celle-ci ou même, d’établir s’il s’agit bien d’un titulaire orphelin. Par ailleurs, comme il ressort clairement des décisions de la Commission homologuant les tarifs pertinents que toutes les redevances afférentes aux émissions produites par la SRC ou par la STQ [5] ont été versées à l’ADRC, il n’est pas déraisonnable de désigner celle-ci comme étant la société avec laquelle devront traiter les personnes qui prétendent détenir des droits incorporés à ces émissions.

Troisièmement, ce n’est pas parce que les statuts d’une société de gestion lui interdisent d’agir pour le bénéfice de certains titulaires qu’elle ne peut être désignée pour traiter avec ces derniers : le pouvoir de désignation de la Commission, ainsi que le recours des orphelins, ne sauraient dépendre de telles considérations.

Quatrièmement, le fait que la Commission puisse procéder d’office à la désignation ne vient que renforcer l’argument portant que la Commission peut procéder à une désignation sans connaître l’ampleur du répertoire faisant l’objet de la désignation, ou même, l’identité des œuvres vises ou de leurs titulaires. Il suffit que la désignation fournisse les paramètres permettant aux orphelins de savoir à qui présenter leurs réclamations éventuelles.

Il y a deux autres prétentions de l’ADRC qu’il faut rejeter.

La première veut que les recours de la SARDeC, pour autant qu’ils existent, soient ailleurs. Cet argument semble ignorer le libellé du paragraphe 76(3), qui fait de la réclamation auprès d’une société désignée le seul recours dont le titulaire orphelin dispose en matière de retransmission. Il doit être rejeté.

La seconde veut que la requête de la SARDeC constitue un abus de procédure. Selon l’ADRC, si la SARDeC détient bel et bien les droits qu’elle prétend détenir, c’est par voie de dépôt de tarifs qu’elle aurait dû procéder, en temps utile, pour réclamer une quote-part des redevances, à l’instar des autres sociétés de gestion visées aux tarifs; en ne le faisant pas, elle ne peut aujourd’hui invoquer le recours des orphelins. La Commission ne partage pas ce point de vue. Le droit de présenter une réclamation aux termes de l’article 76 est nécessairement lié aux tarifs homologués par la Commission. C’est à l’égard des sociétés qui reçoivent une quote-part des redevances qu’il faut apprécier la condition d’orphelin, et non à l’égard des sociétés qui auraient pu déposer des projets de tarifs mais ne l’ont pas fait. Le paragraphe 76(1) renvoie au paragraphe 32(1). La société de gestion qui fait défaut de déposer un tarif perd le droit de percevoir des redevances des retransmetteurs. Il n’y a pas de raison de croire que cela prive les titulaires, membres de la société en question, de réclamer leur dû des sociétés qui touchent les redevances pour la retransmission de leurs œuvres. Le caractère universel du régime ne fait que renforcer cette conclusion. De toute façon, la désignation de la Commission faite en faveur des titulaires des droits, et non de la SARDeC nommément demeure nécessaire même si sa conclusion sur ce point est incorrecte. La refuser aurait nécessairement entraîné un déni de justice.

Il subsiste, certes, une incertitude qu’il n’est pas nécessaire de traiter et que les tribunaux de droit commun sont davantage en mesure de trancher. Elle porte sur la façon de concilier certains passages du paragraphe 76(1) et de l’alinéa 76(4)b). Le premier établit que la réclamation du titulaire orphelin est assujettie «aux mêmes conditions qu’une personne qui a habilité la société de gestion» : si ces conditions comprennent les délais de distribution prévus par les règles des sociétés de gestion, il se peut que certains des recours des titulaires visés par la présente décision soient déjà expirés. Le second permet à la Commission d’établir, par règlement, des délais de déchéance des recours des titulaires orphelins. Si, comme la Commission le croit, un tel règlement prévaut sur les règles de distribution d’une société, alors ces recours n’étaient pas encore échus au moment où la présente décision a été rendue. Le fait que l’ADRC ait procédé à une distribution avant que les délais de formation d’une réclamation soient expirés ne changera rien à l’affaire.

IV. CONCLUSION

La décision de la Commission ne crée pas de recours en faveur de ceux qui prétendent détenir des droits sur les œuvres qu’elle vise; elle fait en sorte que les recours que la Loi prévoit, si tant est qu’ils existent, puissent s’exercer. Les titulaires visés, et toute personne se réclamant d’eux, sont maintenant en mesure de présenter une réclamation. Il reviendra par la suite aux intéressés, et éventuellement aux tribunaux de droit commun, d’en disposer.

Le secrétaire de la Commission,

Signature

Claude Majeau



[1] DORS/97-164.

[2] Devenu le paragraphe 31(2) de la Loi.

[3] Le titulaire couvert par une décision de désignation intervenue avant que sa réclamation prenne forme n'a pas à s'adresser à la Commission pour obtenir une nouvelle désignation.

[4] Évidemment, si une demande de désignation se fonde sur des prétentions qui sont clairement invalides, la Commission n’a pas d’obligation de procéder à la désignation.

[5] À l’exception des redevances sur les œuvres musicales.

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