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Copyright Board
Canada

Canada Coat of Arms/Armoiries du Canada

Commission du droit d’auteur
Canada

 

Date

2003-12-12

Référence

DOSSIER : Copie privée 2003-2004

Régime

Copie pour usage privé

Loi sur le droit d’auteur, paragraphe 83(8)

Commissaires

M. le juge John H. Gomery

Me Sylvie Charron

Me Brigitte Doucet

M. Stephen J. Callary

Tarif des redevances à percevoir par la scpcp en 2003 et 2004 sur la vente de supports audio vierges, au Canada, pour la copie pour usage privé d’enregistrements sonores ou d’œuvres musicales ou de prestations d’œuvres musicales qui les constituent

Motifs de la décision

I. INTRODUCTION - 3 -

A. Le processus ayant mené à la présente audience - 3 -

B. La position des participants - 4 -

C. Les faits : la preuve et l’évolution récente - 6 -

i. Évolution de la technologie - 7 -

ii. Habitudes en matière de copie privée - 10 -

iii. Le marché des supports vierges - 12 -

iv. Le programme élargi d’exonération de la SCPCP - 13 -

D. La légalité de la copie privée - 14 -

E. Programme d’exonération de la redevance : questions juridictionnelles - 16 -

II. QUESTIONS D’ORDRE CONSTITUTIONNEL - 21 -

A. La partie VIII relève-t-elle du droit d’auteur? - 21 -

B. La redevance sur la copie privée constitue-t-elle une taxe? - 22 -

III. DÉFINITION DE SUPPORT AUDIO - 24 -

A. Interprétation juridique - 24 -

i. «Habituellement utilisé par les consommateurs pour reproduire des enregistrements sonores» - 24 -

ii. Support ou appareil - 26 -

iii. Supports «vierges» - 28 -

B. Analyse - 28 -

IV. ÉTABLISSEMENT DES TAUX DE REDEVANCES - 32 -

A. Le modèle d’évaluation - 32 -

i. Rémunération tirée des ventes de CD préenregistrés - 33 -

ii. Répertoire non admissible - 34 -

iii. Le caractère accessoire de la copie privée - 34 -

iv. Téléchargements payants et échantillons gratuits - 35 -

v. Supports visés - 35 -

a. Cassettes audio - 35 -

b. CD-R et CD-RW - 35 -

c. CD-R Audio, CD-RW Audio et MiniDisc - 37 -

d. Mémoire non amovible intégrée en permanence aux enregistreurs audionumériques - 37 -

B. Considérations relatives au marché et à la politique publique - 38 -

i. Marché gris et marché noir - 38 -

ii. Capacité de payer et intérêt public - 40 -

iii. Considérations relatives aux redevances versées à l’étranger et à la répartition des redevances - 41 -

iv. Systèmes électroniques de gestion du droit d’auteur (SEGDA) et mesures de protection technologiques (MPT) - 42 -

C. Tarif homologué - 42 -

V. MODALITÉS AFFÉRENTES AU TARIF - 43 -

A. Répartition de la redevance entre les sociétés de gestion - 43 -

B. Rétroactivité - 43 -

C. Dispositions administratives - 44 -

VI. CONCLUSION - 44 -

DISSIDENCE DU VICE-PRÉSIDENT CALLARY - 45 -

I. INTRODUCTION - 45 -

II. LE MODÈLE D’ÉVALUATION DE LA SCPCP ET LES TAUX DE REDEVANCES - 45 -

A. Rémunération des auteurs - 46 -

B. Rémunération des artistes-interprètes et des producteurs - 46 -

C. Rajustement relatif au répertoire admissible - 47 -

D. La nature accessoire de la copie privée - 47 -

E. Taux de redevance applicable aux cassettes audio - 47 -

F. Taux de redevance applicable aux CD-R et aux CD-RW - 47 -

G. Taux de redevance applicable aux CD-R Audio, aux CD-RW Audio et aux MiniDisc - 48 -

H. Taux de redevance applicable à la mémoire non amovible intégrée en permanence aux enregistreurs audionumériques - 48 -

I. Montant total des redevances générées et capacité de payer - 48 -

III. ÉVITEMENT ET ÉVASION DE LA REDEVANCE - 49 -

IV. LE PROGRAMME D’EXONÉRATION DE LA REDEVANCE - 49 -

I. INTRODUCTION

Les présents motifs expliquent la décision de la Commission portant sur les redevances proposées par la Société canadienne de perception pour la copie privée («SCPCP») à l’égard de la reproduction pour usage privé d’enregistrements sonores constitués d’œuvres musicales («copie privée») pour les années 2003 et 2004.

A. Le processus ayant mené à la présente audience

La présente décision est la plus récente d’une série portant sur le même sujet. La Commission a rendu sa première décision [1] concernant le tarif des redevances pour la copie privée en 1999 et sa deuxième, en 2001. [2] En 2002, elle a reconsidéré sa deuxième décision après qu’on le lui eut demandé, au motif que le marché des supports audio vierges avait connu une évolution importante, et a modifié le tarif en conséquence. [3]

Bien que les premières décisions de la Commission soient utiles pour comprendre le contexte de la présente instance, il n’est pas nécessaire d’en exposer le contenu en détail. Pour nos fins, il suffit de rappeler que, pour les années 1999 et 2000, la Commission a fixé le taux de la redevance à 23,3¢ pour les cassettes audio, à 5,2¢ pour les CD-R et CD-RW, et à 60,8¢ pour les CD-R Audio et CD-RW Audio et les MiniDisc. Pour les années 2001 et 2002, le taux est passé à 29¢ pour les cassettes audio, à 21¢ pour les CD-R et les CD-RW, et à 77¢ pour les CD-R et CD-RW Audio et les MiniDisc.

Le 9 mars 2002, conformément à l’article 83 de la Loi sur le droit d’auteur (la «Loi»), la Commission publiait dans la Gazette du Canada un projet de tarif de la SCPCP des redevances à percevoir pour les années 2003 et 2004 ainsi qu’un avis concernant le droit de s’y opposer. En raison de retards inévitables et à la demande de la SCPCP, la Commission n’a pas entendu l’affaire avant le début de 2003. Elle a donc établi un tarif provisoire, encore une fois à la demande de la SCPCP. Ce tarif est, pour l’essentiel, identique au tarif modifié de 2002. Il est demeuré en vigueur jusqu’à la publication du présent document, qui constitue la troisième décision de fond de la Commission.

B. La position des participants

La Commission a reçu plus de 1500 commentaires au sujet des redevances que propose la SCPCP; tous ont été pris en compte durant le déroulement de l’instance. Au départ, il y avait plus de cent opposants. Pour divers motifs ayant surtout trait à la procédure, nombre d’entre eux se sont désistés avant l’audience. Les opposants des milieux de la radiodiffusion et de l’éducation se sont retirés après avoir reçu l’assurance de la part de la SCPCP que son programme du taux zéro («programme d’exonération») allait être élargi, ce dont il est question plus loin. Les utilisateurs de supports vierges ayant pris part à la première instance n’ont pas participé à celle-ci, probablement à cause du programme actuel d’exonération. Les participants qui ont présenté un exposé formel de leur point de vue ont adopté les positions suivantes.

Dans l’ensemble, la SCPCP se fonde sur une version mise à jour de la démarche que la Commission a utilisée par le passé. Elle demande également d’assujettir à une redevance certains produits qui n’étaient pas encore visés par un tarif, à savoir les DVD (disques numériques polyvalents) vierges et divers types de mémoire, amovible ou non, utilisée dans les lecteurs MP3 et dans des appareils comparables. Elle propose une augmentation significative des taux applicables aux supports actuellement assujettis à la redevance, en plus d’élaborer un taux semblable pour les DVD vierges et de proposer une grille de taux variant selon la capacité de l’unité de mémoire, amovible ou non.

En fin de compte, la SCPCP demande 51¢ par cassette audio, 59¢ par CD-R de 100 mégaoctets (Mo) ou plus, 49¢ par CD-RW de 100 Mo ou plus, 1,15 $ par CD-R Audio, CD-RW Audio ou MiniDisc, et 65¢ par DVD vierge. Pour les cartes de mémoire électronique amovibles et disques durs amovibles, la SCPCP demande entre 0,221¢ et 0,55¢ par Mo. Pour les cartes de mémoire électronique amovibles ou les disques amovibles et vendus avec un appareil de musique, tout comme pour la mémoire ou le disque non amovibles et intégrés à un tel appareil, elle propose des taux variant entre 0,193¢ et 1,08¢ par Mo, selon la capacité de mémoire.

La Canadian Storage Media Alliance (CSMA) s’oppose à cette proposition, tout comme elle l’avait fait lors des deux instances précédentes. Ses prétentions concernent avant tout la portée de la redevance, les taux et le programme d’exonération. Elle s’oppose à ce qu’on assujettisse à une redevance autre chose que les cassettes audio, les CD enregistrables ou réinscriptibles et les MiniDisc. Quoi qu’il en soit, elle soutient que tous les taux proposés sont trop élevés. Elle prétend également que le programme d’exonération est défaillant et illégal, et invite fermement la Commission à ne pas en tenir compte aux fins de l’établissement du taux de redevances.

Pour la première fois, la Commission a entendu le point de vue d’une coalition de détaillants de supports audio vierges comptant dans ses rangs Costco Wholesale Canada Ltd., Future Shop Ltd., InterTan Inc. (RadioShack Canada), London Drugs Limited, The Business Depot Ltd. (STAPLES Business Depot), Wal-Mart Canada et le Conseil canadien du commerce de détail (collectivement, les «détaillants»). Les détaillants soutiennent que le régime de copie privée est inconstitutionnel en tout ou en partie parce qu’il outrepasse la compétence fédérale ou constitue une taxe adoptée de façon irrégulière. À titre subsidiaire, ils avancent que le tarif proposé comporte des lacunes et n’est pas équitable. Selon eux, aucune redevance ne devrait s’appliquer à la plupart des produits énumérés dans la proposition de la SCPCP; dans le cas contraire, le taux de la redevance devrait être fonction du prix de vente (ad valorem).

Les détaillants s’opposent aussi au programme d’exonération de la SCPCP et demandent à la Commission de l’interdire carrément ou d’y substituer son propre mécanisme, incorporé dans le tarif.

D’autres participants ont présenté divers arguments. Presque tous contestent l’application proposée de la redevance à certains produits ou affirment généralement que la méthodologie de la SCPCP est problématique, que les taux proposés sont excessifs et qu’ils ne sont pas justifiés vu la preuve produite.

De nombreux utilisateurs des produits que l’on propose d’assujettir à une redevance ont exprimé leurs préoccupations à la Commission. Ce groupe comprend des entreprises telles Cognos Inc., Vencon Technologies Inc., représentée par M. Mark Venis, et Hydraulic Design, représentée par M. James Carruthers, ainsi que diverses personnes, dont MM. Tom Trottier, Richard Pitt, Jeremy Hellstrom, Martin Hemmings, Brian Hunt et V. Kuz.

La plupart des utilisateurs ont des réserves au sujet de l’administration et de l’application du programme d’exonération de la SCPCP. En principe, ils appuient une certaine forme d’exemption; cela dit, ils favorisent dans l’ensemble un programme non assorti de restrictions relatives à l’inscription ou de frais de participation et permettant à l’utilisateur d’acheter des supports vierges exonérés là où bon lui semble.

La portée de la redevance semble aussi préoccuper l’ensemble des opposants. Presque tous estiment que la proposition de la SCPCP et la définition des produits assujettis à la redevance sont ambiguës et arbitraires. Ainsi, certains avancent qu’il n’existe pas de distinction d’ordre technique entre les produits que l’on veut assujettir à la redevance et ceux que l’on aimerait exempter. D’autres affirment qu’aucune distinction valable n’a été établie entre la mémoire amovible et non amovible. En général, ils soulignent l’existence d’une tendance vers des produits multifonctions qui sont difficiles à classer.

L’inquiétude relative au champ d’application potentiel de la redevance est partagée par les participants représentant les fabricants, les spécialistes du marketing et d’autres dans les secteurs concernés par la redevance proposée. Par exemple, l’Association canadienne des télécommunications sans fil («ACTS») soutient que tout élargissement de la définition de support audio vierge doit s’effectuer de façon très circonspecte, et ne devrait pas viser les téléphones cellulaires. L’ACTS a mis fin à sa participation lorsqu’il est devenu évident que la SCPCP ne cherchait pas à imposer une redevance sur la mémoire des téléphones cellulaires.

La Consumer Electronics Marketers of Canada (CEMC), représentée par M. Ken Elsey, soutient avec d’autres que la redevance nuirait au marché de l’électronique grand public en détournant les affaires vers les États-Unis et en freinant la mise au point de nouvelles technologies au Canada. La plupart des opposants laissent entendre que la redevance constituerait une menace pour les industries canadiennes de l’innovation et de la technologie, et qu’il est injuste que les industries et les utilisateurs de la technologie subventionnent l’industrie musicale.

Les opposants exhortent la Commission à ne pas présumer que tous les supports vierges servent à reproduire de la musique. Ils signalent par ailleurs que certaines reproductions sont en fait des échantillons autorisés par voie de licence, du matériel du domaine public, implique du répertoire non admissible, ou constituent des utilisations équitables. Ils demandent à la Commission de tenir compte de ces faits. Quelques-uns laissent entendre que certaines activités de reproduction telles que la constitution de copies de sauvegarde de collections ou les transferts d’enregistrements d’un support à un autre ne devraient pas donner lieu à une redevance.

De nombreuses personnes doutent que les téléchargements à partir d’Internet nuisent vraiment à l’industrie musicale. D’autres ont fait part à la Commission de leurs inquiétudes en ce qui concerne la répartition des fonds perçus et les avantages qu’en tirent (ou non) les nouveaux talents et les artistes indépendants d’ici.

C. Les faits : la preuve et l’évolution récente

La Commission a pris connaissance de nombreux volumes d’éléments de preuve et entendu de nombreux témoins pendant presque douze journées complètes. Les sujets abordés étaient pour l’essentiel les mêmes que par le passé et se rapportaient, entre autres, aux activités de perception et de répartition de la SCPCP; aux caractéristiques des technologies nouvelles et émergentes; aux habitudes en matière de copie privée et aux perceptions des Canadiens; à tous les aspects du modèle sur lequel se fonde la proposition de la SCPCP; à la nature et à la structure des marchés et industries concernés; à l’influence actuelle et potentielle des redevances sur ces industries et sur l’économie en général; et aux régimes de copie privée étrangers.

Le point de vue de la Commission concernant les habitudes des Canadiens en matière de copie privée se fonde en bonne partie sur le sondage du spécialiste de la SCPCP, M. Benoît Gauthier de Réseau Circum. [4] La CSMA et les détaillants ont, quant à eux, engagé Léger Marketing pour mener leur propre sondage.

Les technologies de reproduction pour usage privé ont été décrites par M. Basskin pour la SCPCP, par un groupe de représentants de l’industrie (MM. Bourrier, Manenc, Ballinger et Ng) pour la CSMA et par d’autres participants dont M. Carruthers. Les témoins des opposants, MM. Lawrence, Burger et Van der Vorm ont expliqué en quoi consistaient les systèmes électroniques de gestion du droit d’auteur (SEGDA) et les mesures de protection technologiques (MPT).

La Commission a colligé de l’information sur les marchés des supports vierges auprès de Mme Smith et de M. Ciric (pour la SCPCP), d’un groupe témoignant pour la CSMA, de Mme Goddard et de M. Kubas (pour la CSMA et les détaillants) et de M. Levy et de Mme Brisebois (pour les détaillants). Des utilisateurs tels que MM. Elsey, Pitt, Trottier et d’autres ont également présenté leurs points de vue à la Commission.

MM. Stohn et Audley, concepteurs du modèle d’évaluation de la SCPCP, et M. Michael Rushton ont donné un aperçu des aspects économiques et théoriques des redevances. La Commission a aussi examiné de nombreux éléments de preuve écrite préparés par des économistes, des universitaires, des gouvernements d’ici et de l’étranger, et autres spécialistes de questions pertinentes.

Les quatre domaines abordés ci-après méritent un examen détaillé. La Commission sait que ce secteur est en constante évolution et que d’autres avancées seront intervenues au moment de la publication des présents motifs.

i. Évolution de la technologie

Les produits utilisés à des fins de copie privée changent continuellement et de nouvelles technologies de copie privée sont constamment mises au point.

En 1999, année de la première décision en copie privéeCopie privée I»), plus de 90 pour cent des copies étaient faites sur une cassette audio. La preuve démontre qu’aujourd’hui, moins du cinquième des copies sont faites sur une cassette audio, et plus des trois-quarts le sont sur un CD enregistrable ou réinscriptible. Il est donc évident que la grande majorité des copies sont maintenant réalisées à l’aide de CD vierges. Tous les autres produits sont utilisés dans des proportions beaucoup moindres. Ces chiffres ne tiennent pas compte des copies faites sur les ordinateurs personnels.

Ces tendances sont attribuables, du moins en partie, au fait qu’un nombre croissant d’ordinateurs personnels livrés au Canada sont munis d’un graveur de CD. De plus, on continue de créer du matériel et des logiciels qui facilitent la reproduction de musique. Alors qu’avant, faire une copie privée voulait dire synchroniser des cassettes dans une platine double, il existe maintenant des programmes qui permettent de trouver, d’acquérir, de gérer et de copier des discothèques complètes sans complication et sans effort dans un ordinateur personnel.

De même, de nouveaux supports pouvant servir à des fins de copie privée continuent d’être mis sur le marché, dont les DVD enregistrables et réinscriptibles. Les DVD vierges ressemblent à des CD vierges et fonctionnent essentiellement de la même façon. Ce qui les distingue avant tout, c’est la capacité de stockage. Un DVD vierge typique peut stocker 4,7 Go, comparativement à 650 ou 700 Mo pour la plupart des CD vierges.

À l’heure actuelle, on cherche à imposer divers types de DVD vierges dans un marché émergent. Certains ne peuvent être gravés qu’une seule fois, dont le DVD+R, conçu par Phillips et Sony, et le DVD-R, créé par Panasonic, Hitachi, Pioneer et Phillips. Le DVD-R(A) («authoring») et le DVD-R(G) («général») sont deux sous-types de DVD-R incompatibles entre eux. D’autres types peuvent être gravés à plusieurs reprises. Le DVD-RAM, mis au point par Hitachi, Toshiba et Panasonic et conçu pour sauvegarder des données informatiques, peut être réenregistré environ 100 000 fois. Le DVD-RW, attribuable à Pioneer, et le DVD+RW, mis au point par HP, Phillips et Sony, sont eux aussi réinscriptibles.

Pour l’instant, à cause des différences d’ordre technique entre ces divers types, chacun d’entre eux n’est compatible qu’avec certains graveurs et lecteurs. Cette concurrence ressemble à celle qu’on a connue entre les vidéocassettes VHS et BETA. On s’attend à ce que cette guerre prenne fin éventuellement, mais on ne saurait dire quand, ni le type qui deviendra la norme.

Contrairement au marché du DVD vierge, celui du DVD préenregistré progresse à pas de géant. Les consommateurs semblent adopter cette technologie pour les films, et les ventes de lecteurs de DVD sont en croissance rapide. Toutefois, la plupart des lecteurs achetés jusqu’ici par les consommateurs ne peuvent lire les DVD enregistrables ou réinscriptibles.

Certains s’attendent à ce que l’enregistreur de DVD autonome remplace le magnétoscope VHS, mais nous n’en sommes pas encore là. À ce stade, la plupart des graveurs de DVD se présentent sous la forme d’un périphérique optionnel offert dans les ordinateurs haut de gamme. La plupart ne sont compatibles qu’avec certains types de disques. Par conséquent, il est probable qu’on grave et joue les DVD enregistrables ou réinscriptibles à l’aide du même appareil. La preuve démontre aussi qu’aucun lecteur de DVD portatif ne peut, en ce moment, lire des fichiers audio comprimés sur un DVD enregistrable.

En ce qui concerne les fichiers audio comprimés, la Commission avait fait allusion dans ses décisions antérieures à la popularité croissante des fichiers MP3 [5] et à leur usage de plus en plus répandu. La norme MP3 continue de dominer le marché de la compression musicale numérique, en plus d’être la mieux connue. Mais il en existe d’autres, dont ATRAC3 (Sony), Windows Media Audio (WMA) et Advanced Audio Coding (AAC). En ce qui a trait aux fichiers MP3, il est généralement reconnu que la compression d’une minute de musique requiert 1 Mo de mémoire, alors qu’un contenu musical non comprimé de même durée en consomme 10.

La SCPCP appelle «lecteurs MP3» les appareils d’abord conçus pour enregistrer et faire jouer de la musique. Tel qu’expliqué plus loin, la Commission vise dans les présents motifs les produits dotés de mémoire non amovible, pouvant servir à enregistrer numériquement tout type de musique et habituellement utilisés à cette fin, qu’elle appelle tout simplement des «enregistreurs audionumériques».

Certains produits n’ont pas de mémoire interne et ne sont dotés que de fentes pouvant accueillir certains types de mémoire amovible. [6] Il s’agit de lecteurs. D’autres sont dotés de mémoire interne et peuvent comporter ou non des fentes pouvant accueillir de la mémoire amovible. On parlera alors d’enregistreurs. À l’audience, on a soutenu que la tendance était à la fabrication d’enregistreurs audionumériques exclusivement munis de mémoire interne non amovible; cela dit, on offre encore des produits qui sont compatibles avec de la mémoire amovible.

À l’heure actuelle, il existe deux types d’enregistreurs audionumériques. Le premier est muni d’un disque dur rotatif qui, d’un point de vue technique, est semblable à celui que l’on retrouve dans un ordinateur personnel. La capacité de la mémoire de tels appareils va de 5 à 225 Go. Ils existent sous la forme d’appareils portatifs, d’appareils pour l’auto ou de serveurs centraux. Le iPod d’Apple est l’un des plus connus.

Les enregistreurs audionumériques du second type sont dotés de mémoire à semiconducteurs ne contenant pas de pièces mobiles. La plupart des appareils de ce genre qu’on retrouve en ce moment sur le marché peuvent stocker de 32 à 128 Mo (parfois jusqu’à 256 Mo). Ils sont souvent équipés de fentes d’expansion pouvant accueillir de la mémoire amovible supplémentaire.

Des témoins, dont MM. Basskin et Ciric, ont prédit que les appareils fonctionnant à l’aide d’un disque dur connaîtront un succès croissant par rapport aux produits à semiconducteurs à cause de leur plus grande capacité et vitesse, et ce même si la mémoire de ces produits à semiconducteurs ne contient pas de pièces mobiles, consomme moins d’énergie et est généralement plus compacte.

La mémoire électronique amovible est offerte sous plusieurs formes et peut servir à diverses fins. Les produits de marque SmartMedia, CompactFlash, Secure Digital Memory (SDM), MultiMediaCards, MagicGate et MemoryStick, vendus sous forme de cartes, sont parmi les plus populaires. Ces produits, qui mettent à contribution une mémoire à semiconducteurs et sont parfois appelés cartes de mémoire flash, ont une capacité variant habituellement de 32 à 512 Mo.

Étant de dimensions physiques différentes, la plupart des cartes de mémoire électronique amovibles ne sont pas compatibles avec l’ensemble des enregistreurs audionumériques. De fait, même si la preuve n’était pas catégorique, il appert que certains types de dispositifs ne sont compatibles qu’avec peu ou pas d’enregistreurs audionumériques. Certains semblent n’être compatibles pour l’essentiel qu’avec des appareils photo numériques, des assistants numériques personnels ou autres appareils n’ayant rien à voir avec la musique. Secure CompactFlash et Ultra CompactFlash paraissent en être des exemples.

La mémoire amovible est aussi offerte sous forme de microdisques durs tel que le MicroDrive d’IBM. Certains de ces disques sont conçus pour les systèmes de son pour l’auto; parmi ces derniers, certains ne sont compatibles avec aucun enregistreur audionumérique. Tout comme les disques durs internes, ces produits stockent habituellement davantage de données que la mémoire à semiconducteurs.

Les participants ont déposé une preuve importante au sujet d’une autre évolution technologique intéressante. Les MPT et les SEGDA commencent à être utilisés par les titulaires de droits pour gérer la distribution, l’utilisation et l’accessibilité d’œuvres musicales et d’autres contenus.

Il n’est pas nécessaire d’exposer en détail les aspects techniques des logiciels et du matériel qui permettent les MPT et les SEGDA. En règle générale, les MPT servent à prévenir la reproduction ou la distribution non autorisées de contenus, mais peuvent aussi limiter l’emploi qu’on peut faire de ce contenu. Les SEGDA mettent à contribution un ensemble comparable d’outils technologiques permettant à une personne d’employer le contenu à son gré, mais uniquement en fonction de paramètres déterminés, souvent à l’avance, par le titulaire des droits. Par exemple, l’utilisateur pourrait acquérir le droit d’écouter une pièce une seule fois ou durant un mois complet, ou de faire une, cinq ou dix copies, ou un nombre illimité de copies. Cette technologie peut donc rendre viables certains modèles commerciaux émergents.

La SCPCP compare ces technologies à la découverte du Saint-Graal. [7] La plupart des autres participants y ont également vu une méthode souhaitable pour assurer une rémunération aux titulaires de droits. Les SEGDA ont aidé à la création de «magasins» en ligne légitimes, exploités ou cautionnés par ceux de l’industrie musicale. MusicNet et Pressplay font partie des mieux connus. Certains sont souscrits par abonnement; d’autres permettent à qui le veut bien de télécharger une seule pièce ou un album complet. Chaque service offre son propre assortiment plus ou moins généreux de droits rattachés à l’abonnement souscrit ou à l’achat effectué.

Dans l’ensemble, la preuve révèle que les MPT et les SEGDA n’ont pas encore été pleinement exploités. De nombreux services de musique légitimes ne sont toujours pas disponibles au Canada. De plus, la technologie n’a pas empêché les consommateurs de reproduire la quasi-totalité des CD préenregistrés (contrairement aux DVD). Elle n’a pas non plus entraîné la fermeture de réseaux de distribution entre pairs, dont nous traiterons plus loin dans ces motifs.

ii. Habitudes en matière de copie privée

Il est difficile d’établir le nombre exact de pièces musicales qui sont copiées durant une période donnée. [8] Il est clair par contre que ce à partir de quoi on fait de la copie privée a énormément changé. Selon la preuve produite à l’audience, Internet constitue désormais une source dominante, comptant en fait pour à peine moins de la moitié de toutes les copies faites. Les CD préenregistrés représentent une importante deuxième source, alors qu’on continue de faire quelques copies à partir de la radio ou d’autres sources.

Ce changement s’explique notamment par le nombre croissant de Canadiens possédant un ordinateur personnel et la pénétration d’Internet dans les foyers canadiens. Selon des données récentes, presque la moitié des foyers ont accès à Internet. Les connexions haute vitesse, disponibles dans un nombre croissant de foyers, contribuent à accroître l’efficacité des opérations de téléchargement de musique. [9]

Le nombre croissant de ménages canadiens disposant d’un ordinateur personnel muni d’un graveur de CD, l’utilisation décroissante de cassettes audio à des fins de reproduction et la rareté des enregistreurs de CD autonomes révèlent un autre phénomène. Il semble en effet que non seulement près de la moitié de toutes les pièces copiées proviennent d’Internet, mais qu’il y en ait encore plus qui sont copiées à l’aide d’un ordinateur personnel. Même lorsque c’est un CD préenregistré qu’on copie, la preuve indique que de nombreux consommateurs le copient sur un disque dur avant d’en reproduire des pistes sur un CD vierge. Il se peut aussi que certaines copies soient faites par le truchement de la mémoire temporaire plutôt que du disque dur.

L’acheteur d’un CD préenregistré n’acquiert pas le droit de le reproduire. Cela dit, la Commission a entendu des dépositions révélant qu’une proportion croissante, quoique modeste, des pistes téléchargées à partir d’Internet sont explicitement ou implicitement assorties du droit d’en faire des copies privées. Les téléchargements musicaux sont habituellement acquis suivant l’un des trois modes suivants.

Premièrement, on peut les effectuer par l’entremise de réseaux de distribution entre pairs, tels que Napster, Kazaa, Grokster ou Morpheus. Deuxièmement, on peut télécharger des enregistrements musicaux, moyennant certains frais, par l’entremise de services de distribution légitimes tels que Pressplay ou MusicNet. Enfin, les opposants ont présenté des éléments de preuve montrant l’existence d’échantillons gratuits autorisés et autres promotions offerts par divers sites Web.

La CSMA et les détaillants soutiennent que près du tiers des Canadiens avaient copié au moins une piste promotionnelle sur un CD enregistrable. La SCPCP laisse entendre que ces échantillons gratuits sont relativement rares, comptant pour seulement 3,5 pour cent des téléchargements. Pour le moment, la Commission est d’accord avec cette évaluation. En outre, il n’est pas clair si les échantillons gratuits sont assortis du droit de copie privée.

L’utilisation que font les consommateurs des supports vierges a elle aussi évolué. Selon la recherche de Circum, 75 pour cent des répondants ont déclaré que, la dernière fois qu’ils avaient utilisé une cassette audio, c’était dans le but de copier de la musique. En ce qui concerne les CD enregistrables, on parle d’environ 66 pour cent, et d’environ 50 pour cent dans le cas des CD réinscriptibles. Selon la preuve par sondage de la SCPCP, tout comme celle de la CSMA et des détaillants, 80 à 90 pour cent des consommateurs qui achètent des CD vierges le font, dans une certaine mesure, dans le but précis de copier de la musique préenregistrée. Et il appert que plus de 40 pour cent des consommateurs se servent de CD enregistrables uniquement à cette fin. Selon des preuves moins fiables, près du tiers des gens s’étant servi de dispositifs de mémoire électronique ou de DVD vierges ont copié de la musique, par opposition à d’autres contenus, la dernière fois qu’ils s’en sont servis.

Les données qui précèdent concernent uniquement les supports achetés par les consommateurs, et ne représentent donc qu’une partie des ventes totales du marché. Pour brosser un tableau plus complet de la situation, il faudrait tenir compte d’autres aspects du marché des supports vierges.

iii. Le marché des supports vierges

Dans la présente affaire, la preuve portant sur la taille globale du marché canadien des supports audio vierges comporte des incohérences significatives. [10] Bien que les estimations concernant le marché pour tous les produits soient importantes pour la Commission, les CD vierges revêtent un intérêt particulier en raison de leur émergence comme principal support utilisé à des fins de copie privée. Par conséquent, la redevance prélevée sur ce type de CD représente la principale source de revenus de la SCPCP. Étant donné que la Commission fait face à un décalage dans la production des données, les discussions portent sur les chiffres de vente pour l’année 2001 et la première moitié de 2002.

En gros, les fabricants et importateurs ont payé la redevance à l’égard d’environ 90 millions de CD-R en 2001. Cela dit, la SCPCP signale que les données recueillies par le groupe de consultants Santa Clara [11] établissent la taille totale du marché canadien à environ 102 millions d’unités. Les membres de l’International Recording Media Association (IRMA) [12] affirment avoir fabriqué ou importé tout près de 50 millions d’unités au Canada en 2001. Si ce chiffre représente, comme les éléments de preuve le donnent à penser, 40 pour cent du marché, le total se situera dans la fourchette avancée par la SCPCP. Les membres de la CSMA font état, quant à eux, de tout juste un peu plus de 50 millions d’unités durant la même période. Ils comptent pour 63 pour cent du marché canadien total. Cela signifie que le marché serait d’environ 84 millions d’unités. Par contre, les données des détaillants indiquent que six détaillants d’envergure, représentant 75 pour cent du marché total canadien, ont acheté presque 194 millions d’unités. En rajustant pour tenir compte de l’ensemble du marché de détail, les achats auraient pu atteindre un quart de milliard d’unités en 2001.

On a aussi parlé abondamment de la taille du marché de la consommation par des individus par rapport au marché global des supports vierges. La SCPCP prétend que les consommateurs achètent 70,8 pour cent des CD vierges. À l’opposé, la CSMA prétend qu’aucun élément de preuve ne permet de conclure que ce pourcentage est plus élevé que celui de 45 pour cent utilisé dans la dernière décision de la Commission. Cette proportion est potentiellement significative pour deux raisons. Premièrement, elle peut influencer la façon dont la Commission applique la définition de «support audio». Deuxièmement, elle peut jouer un rôle dans l’établissement des taux de redevances.

Alors que la taille des marchés de supports vierges ne peut être établie avec certitude, les prix et les tendances en matière de fixation des prix suscitent peu de débats. À l’exception du prix des cassettes audio, qui est demeuré stable, celui de tous les types de supports vierges a fléchi.

Les prix de gros moyens des CD-R au Canada ont baissé de plus de 50 pour cent depuis 1999, et les consommateurs peuvent maintenant acheter un CD-R au détail pour moins de 1,50 $ ou à un coût d’environ 50¢ le CD-R dans le cas d’un paquet de 100. Les CD réinscriptibles de même que les CD-R Audio coûtent environ trois fois plus cher que les CD enregistrables. Les CD-RW Audio et les MiniDisc se vendent environ 5 $ chacun. Le prix d’un DVD vierge varie grandement en fonction de son format, allant de 10 $ à 24 $.

Le prix de la mémoire amovible et des enregistreurs audionumériques varie lui aussi grandement en fonction surtout du type de mémoire et de la capacité de stockage. Pour la mémoire amovible, le prix d’un Mo va d’environ 50¢ à presque 4 $. En règle générale, plus la capacité de stockage augmente, plus le prix par Mo diminue. Quant à la mémoire non amovible intégrée à un enregistreur audionumérique, le prix d’un Mo peut varier de 2 $ à 3 $ pour les modèles à semiconducteurs, mais peut être aussi peu que 3¢ à 4¢ dans le cas des disques durs. Le prix de détail d’un enregistreur audionumérique d’une capacité de mémoire de 32 Mo se situe donc à environ 115 $ alors qu’un enregistreur audionumérique avec disque dur d’une capacité de 10 Go ou de 20 Go se vend pour environ 350 $ ou presque 600 $, respectivement.

Le prix de la plupart des types de supports vierges varie d’un détaillant à l’autre, tant au Canada qu’ailleurs. Les opposants ont soumis des éléments de preuve faisant état de comparaisons entre les prix pratiqués aux États-Unis et au Canada, et ce afin de tenter de convaincre la Commission qu’il y a de bonnes raisons de magasiner outre-frontière. La Commission reconnaît que le consommateur futé peut toujours dénicher des aubaines, mais il n’est pas évident qu’on puisse régulièrement faire de meilleures affaires aux États-Unis, surtout quand on tient compte du taux de change, des frais d’expédition et d’autres contraintes tangibles ou non.

iv. Le programme élargi d’exonération de la SCPCP

Le programme d’exonération est un mécanisme, mis au point et géré volontairement par la SCPCP, permettant à des institutions qui se qualifient auprès d’elle, d’acheter des supports directement des fabricants, des importateurs ou des distributeurs spéciaux sans payer de redevance.

Le programme actuel a été mis en œuvre après que les opposants eurent avancé, lors de la première instance, qu’il était injuste pour ceux qui n’utilisent pas de supports pour copier de la musique de payer la redevance. Bien que seules les sociétés représentant les personnes souffrant de déficiences perceptuelles soient exemptées en vertu de la Loi, la SCPCP a décidé de tenir compte de la situation d’autres catégories d’acheteurs.

Le programme présentement en vigueur ne s’applique qu’aux cassettes audio, aux CD-R et CD-RW Audio et aux MiniDisc. La SCPCP invite certaines personnes et institutions, dont les organismes religieux, radiodiffuseurs, forces policières, tribunaux judiciaires et administratifs, sténographes judiciaires, ministres de l’éducation provinciaux, membres de l’Association des universités et collèges du Canada, et industries de la musique et de la publicité à faire une demande de numéro de certificat qui leur permettra d’acheter des supports sans payer la redevance. La SCPCP impose une norme d’achat minimum de 1000 unités par année, tout en permettant aux utilisateurs de regrouper leurs achats. Les acheteurs signent un contrat par lequel ils s’engagent à utiliser des supports vierges uniquement à certaines fins et à permettre la vérification de leurs activités. Ils n’ont pas le choix de la filière d’achat et sont tenus de s’approvisionner auprès de fournisseurs eux-mêmes accrédités et enregistrés par la SCPCP.

La SCPCP permet à certains fabricants, importateurs et distributeurs de vendre des supports à des acheteurs exonérés. Le distributeur ayant signé une entente avec la SCPCP peut vendre des supports sans exiger la redevance et demander un crédit ou remboursement au fabricant ou à l’importateur, qui pourra faire de même auprès de la SCPCP. Celle-ci peut par ailleurs désigner à titre de distributeur spécial les sociétés qui vendent régulièrement une quantité importante de supports audio vierges à des utilisateurs exonérés. Ces distributeurs sont en mesure d’acheter des supports exonérés à des fabricants ou importateurs et n’ont pas à se soumettre à la procédure de demande de crédit et de remise. Pour être admissible au programme, le vendeur doit s’engager par contrat à respecter les conditions imposées par la SCPCP, y compris celles relatives à la vérification. En décembre dernier, une cinquantaine d’organisations avaient signé un contrat en vue de vendre des supports exonérés.

Peu avant cette audience, la SCPCP a annoncé qu’elle projetait de modifier sa politique d’exonération. Elle s’est engagée à étendre le programme aux CD-R et aux CD-RW, tout en préservant les acquis du programme des cassettes audio. Elle a précisé que sa liste des groupes admissibles au programme élargi n’était pas exhaustive et qu’elle était disposée à étudier toute demande que lui soumettrait une organisation. Enfin, elle prévoit abolir l’exigence de l’achat minimum et exiger plutôt des frais d’inscription annuels de 15 $ pour les utilisateurs non commerciaux et de 60 $ pour les utilisateurs commerciaux. Même si elle avait insisté par le passé pour dire qu’elle n’envisageait pas de permettre aux détaillants de participer au programme, elle s’est montrée, à l’audience, prête à négocier ce point. Cela dit, elle a toujours soutenu que son programme doit être viable sur le plan administratif, rentable et imperméable aux abus.

Malgré cette annonce, le programme a suscité des discussions chez les participants. La majeure partie du débat n’a cependant pas porté sur des faits ou la preuve mais plutôt sur des questions juridiques et d’intérêt public qui sont discutées plus loin dans ces motifs.

En résumé, la présente décision marque un tournant pour la Commission en raison de toutes ces nouvelles questions. C’est pourquoi il convient, avant de poursuivre, d’exposer à nouveau la perception qu’a la Commission du cadre législatif qui sous-tend le régime, afin de mieux cerner les questions auxquelles tous sont confrontés.

D. La légalité de la copie privée

La partie I.A de Copie privée I décrit en détail le régime de copie privée. Récapitulons un peu. La partie VIII de la Loi («partie VIII») est entrée en vigueur le 19 mars 1998. Jusque-là, la reproduction d’un enregistrement sonore d’une œuvre musicale à une fin non permise par la Loi violait le droit de reproduction du titulaire du droit. En pratique, les titulaires étaient incapables d’empêcher la copie privée ou de délivrer une licence pour une telle opération. Le régime de copie privée a été créé en tant que solution pratique à ce problème.

L’article 80 prévoit une exception au droit exclusif de reproduction : il légalise la copie privée sur supports audio. L’article 81 donne aux auteurs, artistes-interprètes et producteurs admissibles le droit à une rémunération en contrepartie de l’expropriation de leurs droits exclusifs. [13] L’article 82 oblige ceux qui fabriquent ou importent des supports audio vierges à des fins commerciales à payer une redevance. L’article 83 permet à une société de gestion de proposer des tarifs et requiert que la Commission examine et homologue le tarif et ses modalités afférentes.

Certaines questions touchant la partie VIII ont fait surface depuis l’entrée en vigueur du régime. La Commission a été expressément invitée à commenter diverses nuances qui concernent le cadre législatif et, en particulier, l’utilité de ce cadre pour les réseaux de distribution entre pairs, l’application d’exemptions liées à des cas d’utilisation équitable et d’autres questions.

L’exemption prévue à l’article 80 s’applique uniquement lorsqu’une personne fait une copie pour son usage privé. Sont expressément exclus la vente, la location, l’étalage à des fins commerciales ou de location, la distribution, la communication au public par télécommunication ou l’exécution publique de cette copie. [14] Ainsi, la copie du dernier succès de l’interprète de l’heure faite en vue de la donner à un ami viole toujours le droit d’auteur, puisqu’il ne s’agit pas d’une copie pour usage privé. La distribution de cette même copie à des amis en ligne est elle aussi interdite.

La présente instance ne porte pas sur la question de la responsabilité des personnes qui téléchargent, distribuent ou communiquent de la musique par le biais de ces services, ni, d’ailleurs, des personnes qui fournissent des logiciels, des réseaux d’exploitation ou des services d’accès à Internet. [15] Le régime ne traite pas comme tel de distribution entre pairs. À ce titre, d’autres considérations relatives au droit d’auteur s’appliquent. Toutefois, il n’est question ici que des copies finales.

Le régime ne traite pas de la source du matériel copié. La partie VIII n’exige pas que la copie d’origine soit une copie légale. Il n’est donc pas nécessaire de savoir si la source de la pièce copiée est une piste appartenant au copiste, un CD emprunté, ou encore une piste téléchargée d’Internet.

Bien que la partie VIII ne se préoccupe pas de la source servant à faire la copie, elle traite par contre du support de destination. La Commission considère que l’article 80 établit une exemption qui s’applique dès lors que deux conditions sont remplies : la copie faite doit être pour l’usage privé du copiste, et sur un support audio tel que défini à l’article 79.

Certains voudront prétendre que l’exemption ne s’applique qu’aux supports faisant l’objet d’un tarif homologué, ou même uniquement aux supports pour lesquels une redevance a été versée, et que les supports n’ayant jamais fait l’objet d’un projet de tarif sont exclus de l’exemption. La Commission n’est pas d’accord.

Il serait en effet illogique que la portée de l’exemption dépende de la décision unilatérale des ayants droit de proposer ou non un tarif. Ainsi, il ne faut pas conclure du fait que la Commission n’est pas saisie d’une demande de tarif à l’égard des disques durs d’ordinateurs personnels que la réalisation de copies pour usage privé sur de tels supports viole le droit d’auteur. De plus, prétendre que la copie privée n’est légale que si elle est faite sur un support audio sur lequel une redevance aurait été versée serait ajouter une condition qui n’est pas prévue à l’article 80.

Par contre, un type de supports non assujetti à un tarif parce que la Commission a décidé qu’il ne s’agissait pas d’un support audio habituellement utilisé par les consommateurs pour copier de la musique est, de l’avis de la Commission, exclu de l’exemption. À titre d’exemple, dans Copie privée I, la Commission décrétait, par exemple, que les cassettes audio de moins de 40 minutes ne seraient pas sujettes à un tarif. Considérant le libellé de l’article 80, il faut conclure que la copie privée sur ces cassettes enfreint le droit d’auteur. Ce sont toutefois les tribunaux judiciaires qui ultimement détermineront s’il y a ou non violation du droit d’auteur pour une copie privée faite sur un support spécifique, à moins que le législateur n’intervienne.

L’autre point à traiter se rapporte aux autres exemptions prévues dans la Loi, en particulier aux formes d’utilisation équitables décrites dans les articles 29 ou 29.1. Les détaillants soutiennent que, dans une large mesure, la copie privée représente et a toujours représenté une forme d’utilisation équitable. Ils laissent entendre que bien des consommateurs font des copies privées à des fins de «recherche» relativement à des achats éventuels. C’est pourquoi ces activités devraient être prises en considération, selon les détaillants, aux fins de l’établissement des taux de redevances.

En l’espèce, la Commission n’a pas à se prononcer sur la portée de l’exemption relative à l’utilisation équitable. De l’avis de la Commission, il n’importe pas de savoir si certaines opérations de copie privée constituaient par le passé des formes d’utilisation équitable. Elles sont maintenant toutes exemptées, sous réserve d’un droit à une rémunération correspondant. En d’autres termes, toute copie privée qui était peut-être jadis une forme d’utilisation équitable est maintenant visée par l’exemption expresse énoncée dans l’article 80 de la Loi.

E. Programme d’exonération de la redevance : questions juridictionnelles

La Commission a expliqué dans ses décisions antérieures que le régime de copie privée, l’article 82 en particulier, est universel. La Commission entendait par cela qu’une redevance est exigible sur tout support audio vierge fabriqué ou importé au Canada à des fins commerciales. Exception faite d’une exemption limitée, [16] la Loi prévoit que tout fabricant ou importateur agissant à des fins commerciales est tenu de payer la redevance sur chaque support audio, peu importe l’identité du dernier acheteur ou l’utilisation finale qui en sera faite. Il est généralement reconnu que ce coût est passé aux utilisateurs. Mais l’on ne sait pas si le législateur souhaitait que tous ces utilisateurs assument ce fardeau ou qu’il n’incombe qu’aux consommateurs qui copient de la musique.

Certains pensent que le régime ne peut survivre dans sa forme actuelle si aucun répit n’est accordé à ceux qui ne font pas de copie privée. Comme la Loi ne prévoit aucun mécanisme formel permettant de le faire, la SCPCP avance qu’il lui revient de s’acquitter de cette tâche. En soustrayant ceux qui ne peuvent pas copier de musique aux effets du régime, la SCPCP dit agir tel Michel-Ange qui sculpte le marbre afin de révéler une forme préexistante. [17] Selon la SCPCP, le législateur souhaitait donc qu’elle soustraie ceux-ci à l’application du régime en instaurant un système d’exonération.

De l’avis de la Commission, si le législateur avait eu l’intention de soustraire aux effets du régime ceux qui ne copient pas de musique, il aurait tout simplement prévu dans la Loi les mécanismes qui s’imposent. Or, la partie VIII ne prévoit qu’une seule exception, visant les personnes ayant une déficience perceptuelle. Le gouverneur en conseil a aussi le pouvoir d’exclure du régime des supports qui seraient autrement assujettis à une redevance; il ne l’a pas fait. De manière alternative, le législateur aurait pu mettre à la disposition de la Commission des mesures lui permettant de régir les personnes qui n’utilisent pas des supports vierges pour copier de la musique, mais la Loi ne lui confère pas un tel pouvoir.

Toutes ces considérations donnent fortement à penser que, dans le cadre législatif actuel, seules les parties expressément désignées bénéficient d’une exemption. Il ne revient pas à la Commission ou à la SCPCP de se substituer au législateur en sous-entendant d’autres exemptions sous prétexte qu’elles sont implicites de par l’économie de la Loi. Dans un autre contexte, en répondant à la question de savoir si le droit de diffuser l’exécution d’une œuvre comporte celui d’effectuer des copies éphémères, la Cour suprême du Canada statuait que : «De plus, une exception implicite au sens littéral de l’al. 3(1)d) est, à mon avis, d’autant moins plausible que le par. 17(2) (maintenant par. 27(2)) de la Loi prévoit des exceptions expresses et détaillées...». Elle a aussi ajouté que : «s’il faut apporter cette modification à la Loi, il faut que ce soit fait par le législateur et non par le moyen d’une interprétation forcée.» [18] Tel que l’ont souligné les détaillants, même si la Loi prévoyait quelque forme que ce soit d’exemption sous-entendue, la responsabilité devrait nécessairement en revenir à la Commission, et non aux bénéficiaires du régime.

Tel qu’exposé ci-haut, la SCPCP a, de son propre chef, exonéré certaines transactions. Trois thèmes récurrents ressortent des arguments entendus à ce sujet.

Premièrement, certains opposants ont des préoccupations de principe ou pratiques. Ils remettent en cause le bien-fondé d’une exemption volontaire conçue et administrée directement par les bénéficiaires de la redevance. La plupart d’entre eux jugent que la Commission a compétence pour régler ce problème et qu’elle ne doit pas laisser la SCPCP s’en occuper. Ils proposent diverses solutions que la Commission pourrait mettre en application, dont l’exonération ou un programme de remboursement.

D’autres opposants ne s’opposent pas à l’idée d’une exonération en tant que telle, mais insistent pour que la Commission veille à ce que le programme soit juste et équitable. En outre, il ne doit pas être trop onéreux, bureaucratisé ou chronophage. Certains s’opposent expressément aux exigences en matière de vérification et aux frais d’inscription, et se plaignent que les supports exonérés ne peuvent être obtenus qu’auprès d’un nombre limité de sources.

Deuxièmement, les fabricants, importateurs et détaillants soutiennent tous que l’exonération est une mesure illégale et intrinsèquement interdite. Selon eux, la Commission et la SCPCP n’ont que les pouvoirs que leur a attribués le législateur; seule la Loi peut prévoir des exemptions. Ils soulignent que si le législateur avait souhaité que la Loi prévoie plus d’une exemption, il l’aurait fait. Selon cet argument, il incombe ni à la Commission ni à la SCPCP d’assumer le rôle du législateur. Les détaillants ajoutent que le programme d’exonération ne sert qu’à camoufler une Loi intrinsèquement déficiente.

À titre subsidiaire, les détaillants estiment que si ce programme est nécessaire, la Commission devrait alors se servir de son [TRADUCTION] «chèque en blanc» pour traiter de la question dans le tarif même. [19] Ils avancent que la Commission agit de façon illégale lorsqu’elle délègue les responsabilités liées au programme aux bénéficiaires de la redevance. À tout le moins, affirment-ils, la Commission doit s’acquitter de son [TRADUCTION] «mandat de surveillance» [20] et établir des lignes directrices pour le programme.

Au niveau pratique, les objections des détaillants portent sur les dérèglements de marché qu’engendre l’exonération. Ils ne veulent pas perdre des ventes au détail à des clients tenus de s’approvisionner auprès de fournisseurs autorisés à vendre des supports exonérés. Ils soutiennent donc que le programme actuel, dont ils sont exclus, est injuste et arbitraire. Les préoccupations des fabricants et des importateurs ont un aspect pratique comparable. Ces derniers ne veulent pas s’encombrer des tracasseries administratives liées à un tel programme.

Troisièmement, les titulaires de droits ont déclaré, lors de la première instance, que la Commission ne peut créer d’exemptions; la Commission ne peut décréter que les fabricants et importateurs n’ont pas à verser de redevances sur la vente de supports à certains utilisateurs. Cependant, les titulaires de droits ont reconnu que certains pourraient considérer qu’il est injuste que certaines personnes qui ne font pas de copies payent la redevance, et ils ont donc entrepris de régler le problème. Lors de la deuxième instance, leurs arguments au sujet de l’exonération de la redevance étaient d’ordre essentiellement économique. De fait, ils voulaient que la Commission augmente les taux de redevances pour compenser les effets du programme.

En l’espèce, les titulaires de droits soutiennent que la Commission n’a aucune emprise sur le programme et qu’elle ne peut les empêcher d’accorder des exonérations. Dès l’entrée en vigueur du programme, ajoutent-ils, il n’est que juste qu’ils ne soient pas lésés par sa mise en œuvre. Bref, ils estiment que l’exonération n’est significative pour la Commission qu’en tant que réalité propre au marché devant être prise en considération après sa mise en place. Ils affirment que leur programme est implicitement en accord avec l’objet du régime. De fait, parce que la Loi est muette à ce sujet, la SCPCP estime qu’elle doit s’occuper de ceux qui ne peuvent pas copier de musique.

Le dilemme qui se pose à la Commission est le suivant : si elle ajoute une exemption au tarif, on l’accusera d’avoir outrepassé sa compétence. Dans le cas contraire, on lui reprochera de ne pas exercer sa compétence et de refuser d’agir de manière juste et équitable.

Une bonne part de l’issue de cette affaire dépend de l’interprétation donnée au cadre législatif du régime. Si le législateur entendait que le fardeau de la redevance soit réparti entre tous les utilisateurs, sauf ceux expressément exemptés aux termes de la Loi, l’exonération est incompatible avec l’économie du régime. Si le législateur voulait plutôt que ce coût ne soit assumé en bout de piste que par ceux et celles s’adonnant à la copie privée, l’exonération de la redevance devient une mesure utile; il faut ensuite se demander si la Commission peut légitimement laisser cette responsabilité aux titulaires de droits.

Des arguments valables militent en faveur de l’exonération. Par définition, une entreprise ou autre institution ne peut faire de copie privée. Du point de vue politique, elles ne font pas l’objet du régime, pas plus qu’elles en tirent un bénéfice. Un mécanisme qui les soustrait à l’application de la redevance renforcera peut-être le lien entre le régime et les objectifs s’y rattachant, et dissuadera peut-être aussi les achats de supports vierges auprès de fournisseurs étrangers.

Les raisons d’accorder une exemption aux consommateurs qui ne font pas de copie privée sont moins convaincantes. Selon la preuve, par exemple, 80 à 90 pour cent des consommateurs se servent de CD vierges pour copier de la musique, et 40 pour cent n’en utilisent qu’à cette seule fin. Tous les supports achetés par des particuliers ne servent pas à copier de la musique; cela dit, il faut se rappeler que le taux est ajusté pour en tenir compte. [21] Enfin, la Loi légalise la copie privée au Canada; l’option de faire de la copie privée a une valeur, même pour ceux qui choisissent de ne pas l’exercer.

Quoi qu’il en soit, la question n’est pas de savoir s’il est désirable d’instituer un programme d’exonération, mais plutôt de déterminer si soit la Commission, soit la SCPCP sont légalement habilitées à mettre en place un tel programme. En raison de l’absence d’indications législatives contraires, la Commission croit que le législateur ne lui a pas attribué la compétence d’exempter ceux qui, aux termes de la Loi, sont tenus de payer une redevance. Sous sa forme actuelle, le programme d’exonération crée des exemptions. Pour toutes ces raisons, la Commission considère que le programme est sans fondement juridique, et donc illégal. La Commission est grandement soulagée de savoir que les ministères ont reconnu les problèmes liés à cette question dans le récent rapport sur les dispositions et l’application de la Loi. [22]

La Cour d’appel fédérale a statué récemment que la Commission possède un pouvoir discrétionnaire étendu quand vient le moment de fixer les modalités relatives aux tarifs. [23] Si l’exonération devait être une mesure intrinsèque au régime de copie privée, c’est à la Commission, et non à la SCPCP, que reviendrait de la mettre en place. Par conséquent, si l’exonération de la redevance constitue véritablement une composante nécessaire d’un régime viable, c’est à la Commission qu’il incomberait d’intégrer le programme dans le cadre des modalités afférentes aux redevances qu’elle estime indiquées. [24] La SCPCP pourrait par la suite gérer le programme comme partie intégrante d’un tarif. En vertu de la Loi telle que libellée en ce moment, l’approche la moins défendable consiste à déléguer le pouvoir ultime aux bénéficiaires du régime.

Hormis le fait que le programme d’exonération est sans fondement sur le plan juridique, la Commission a de sérieuses réserves sur l’équité du projet de mise en œuvre du programme élargi de la SCPCP. Ce programme a été mis à l’essai sur le marché des cassettes audio, et les utilisateurs se plaignent beaucoup moins de la redevance sur ce type de supports. Toutefois, ses effets potentiels sur d’autres marchés, notamment celui des CD vierges, suscitent d’importantes préoccupations.

Premièrement, les enjeux sont beaucoup plus élevés dans le cas des CD vierges en raison du nombre d’unités pouvant être exonérées. La CSMA et les détaillants ont clairement dit que l’exonération occasionne de graves problèmes de distribution parce que les ventes doivent sortir de la chaîne d’approvisionnement habituelle. Le nombre et la taille des types d’institutions potentiellement admissibles à une exonération sont beaucoup plus importants que dans le cas du marché des cassettes audio. Selon les estimations de la SCPCP (qui reconnaît qu’il s’agit d’une évaluation grossière), le nombre d’adhérents potentiels se situerait dans les milliers. Même si l’on s’en tient aux évaluations les plus conservatrices, il ne serait pas surprenant que des dizaines de millions d’unités soient détournées des circuits de distribution existants. Deuxièmement, les opposants se sont dits réticents à payer des frais d’inscription, et certains opposants, inquiets des possibilités d’arbitraire dans l’application du programme.

La compensation future éventuelle de la SCPCP pour le programme d’exonération constitue une autre préoccupation. Le rôle de la Commission consiste à établir les taux de redevances et les modalités afférentes. Une fois qu’ils sont établis, elle ne peut forcer la SCPCP à percevoir les redevances, si tel est son choix. La SCPCP a fait part de son intention de demander que le prochain tarif que la Commission homologuera soit compensé pour les CD exonérés. La Commission se préoccupe de l’impact qu’une telle requête pourrait avoir sur le niveau du taux de la redevance. Il faut cependant garder à l’esprit que dans la présente affaire, la SCPCP n’a pas demandé à la Commission d’accroître le taux de la redevance sur les CD en anticipation du programme d’exonération élargi. [25]

Les effets potentiellement graves de l’exonération sur le marché des CD expliquent à eux seuls le changement d’opinion de la Commission. Mais pour tout dire, si la Commission a reconsidéré sa position sur l’exonération de la redevance, c’est parce qu’elle ne pouvait prévoir l’impact du programme. Lors de la dernière instance, l’exonération n’était pas la question fondamentale qu’elle est maintenant devenue. La Commission avait entendu peu d’arguments à ce sujet, et on soupçonnait peu l’incidence considérable qu’elle pouvait avoir. La présente décision se fonde sur un dossier plus complet.

II. QUESTIONS D’ORDRE CONSTITUTIONNEL

Copie privée I traite de la constitutionnalité de la partie VIII de la Loi. À l’époque, le régime avait été contesté pour trois motifs principaux. Premièrement, on avait soutenu qu’il ne relève pas du droit d’auteur et qu’il outrepasse la compétence fédérale. Deuxièmement, on avait affirmé que le régime n’est qu’une taxe déguisée, qui n’a pas été adoptée selon les règles de procédure appropriées. Troisièmement, le régime, avait-on dit, contrevient à l’alinéa 2a) et à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. [26]

Dans cette instance, les détaillants reviennent uniquement avec les deux premiers motifs. La Commission n’est pas convaincue que les arguments avancés sont véritablement nouveaux et elle adopte donc le raisonnement suivi dans sa première décision. Il reste néanmoins à traiter de certaines nuances.

A. La partie VIII relève-t-elle du droit d’auteur?

On allègue à nouveau que la partie VIII ne relève pas, de par son caractère véritable, du droit d’auteur. On souligne à nouveau qu’il n’y a pas de lien entre ceux qui doivent payer la redevance (les fabricants et les importateurs) et les supports qui sont utilisés ou non à des fins de copie privée. De plus, on soutient que le régime ratisse trop large : ceux qui doivent payer la redevance n’ont aucune emprise sur l’utilisation qui sera faite du support audio vierge.

Encore une fois, la Commission doit répéter que l’élément prédominant de la partie VIII, quand on examine son caractère véritable, relève du droit d’auteur. Il importe peu que l’expression «droit d’auteur» ne figure pas explicitement dans certaines dispositions du régime de copie privée, dont les articles 81 et 82. Ce régime est à n’en pas douter lié au droit d’auteur.

M. Pitt souligne que la version anglaise de l’article 81 prévoit spécifiquement que la rémunération versée par les importateurs et fabricants de supports audio vierges l’est «in respect of the reproduction for private use of ...musical works». [27] Selon la Commission, en utilisant l’expression «in respect of», le législateur reconnaît que ceux qui payent la redevance ne s’adonnent pas eux-mêmes à la reproduction d’œuvres musicales. Cela ne suffit pas à établir que le régime est autre chose que du droit d’auteur. Cela signifie plutôt que la Commission doit s’employer à établir une corrélation entre le montant des redevances et les habitudes en matière de copie privée, la valeur des exemptions accordées aux consommateurs, la rémunération à verser aux titulaires de droits et les autres principes sous-jacents au régime.

L’article 82 établit clairement qui paye la redevance, à qui on la verse et ce pourquoi on le fait. Il se rapporte de toute évidence à l’article précédent tout comme au régime dans son ensemble. Il est tout simplement erroné de prétendre que ces articles et la notion de support «vierge» sont antithétiques au droit d’auteur. Afin de cerner le caractère véritable la partie VIII, il faut examiner deux aspects : l’objet du régime et ses effets sur le plan juridique.

L’objet du régime de copie privée est décrit plus haut. Il est évident que le régime existe parce que le droit de reproduction existe et parce que les titulaires sont incapables de le faire respecter dans un contexte de violation massive. Voilà ce qui détermine l’injustice ou problème, que le législateur a cherché de régler en adoptant la Loi. [28]

Les effets du régime sont eux aussi clairs : les titulaires de droits touchent une rémunération et les Canadiens qui s’adonnent à la copie privée le font maintenant en toute légalité. Le fait que des gens qui ne se livrent pas à cette pratique en paient une partie du prix n’est pas pertinent pour répondre à la question de savoir si le régime, de par son caractère véritable, relève du droit d’auteur. Considérée sous l’angle de son objet et de ses effets, la partie VIII est le fruit d’une incursion réussie du législateur dans le domaine du droit d’auteur. Chacune des dispositions qui forment le régime concourent clairement et avec rigueur à l’objectif du législateur, qui est de compenser les titulaires de droits pour la copie pour usage privé de musique.

B. La redevance sur la copie privée constitue-t-elle une taxe?

Encore une fois, on avance l’argument selon lequel la redevance sur la copie privée est une taxe. [29] Pour les motifs énoncés dans Copie privée I, [30] lesquels sont adoptés dans les présentes, la Commission ne croit pas que la redevance soit une taxe. Aucun argument de poids n’a été présenté depuis qui serait de nature à amener la Commission à changer de point de vue sur cette question.

Néanmoins, il faut aborder la question de la nomenclature. On a beaucoup parlé des différences ou des similitudes d’ordre sémantique entre les mots «redevance» (levy et royalty) et «taxe», tant en anglais qu’en français. Les détaillants soutiennent, pour leur part, que le seul chevauchement entre les mots «levy» et «redevance» est la notion de «taxe». La Commission rejette cet argument, car il met trop l’accent sur de simples étiquettes. Aux fins de l’analyse, il vaut mieux se demander si le régime constitue, de par sa conception ou en pratique, une taxe ou une sorte de prélèvement de nature réglementaire.

Les détaillants décrivent la redevance comme [TRADUCTION] «une contrepartie financière versée pour le droit d’utiliser un droit d’auteur ou un brevet, ou d’exercer un droit incorporel similaire...» [31] Cette description renvoie, pour l’essentiel, à un droit d’utilisation. Selon la SCPCP, un droit d’utilisation n’est qu’un type de prélèvement de nature réglementaire parmi d’autres. Par conséquent, même si la redevance n’est pas un droit d’utilisation, elle peut quand même constituer un prélèvement de nature réglementaire et donc, autre chose qu’une taxe. Dans Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority, [32] la Cour suprême a commenté un jugement précédent, Succession Eurig (Re). [33] Dans ce jugement, le juge Major avait déclaré «[i]l est un autre facteur qui permet généralement de distinguer des frais d’une taxe : il doit y avoir un rapport entre la somme exigée et le coût du service fourni». [34] Dans Westbank, la Cour affirme que cette exigence d’un «rapport» est «un autre élément possible» [35] à considérer lorsqu’on tente de distinguer une taxe d’un droit d’utilisation. Elle affirme également que les frais d’utilisation sont un simple «sous-ensemble des redevances de nature réglementaire». [36]

Selon la SCPCP, l’arrêt Westbank laisse entendre que l’exigence d’un «rapport» ne s’applique pas nécessairement en l’espèce, car personne ne suggère que la redevance est un droit d’utilisation. La SCPCP soutient que les détaillants ont mis l’accent sur le mauvais type de régime réglementaire; l’absence de rapport entre la somme demandée et le coût du service fourni ne veut pas nécessairement dire qu’il s’agit d’une taxe.

La Commission souscrit à l’interprétation que fait la SCPCP des commentaires formulés par la Cour suprême dans l’arrêt Westbank. Ainsi, même si la SCPCP reconnaît qu’elle ne fournit aucun service aux fabricants ou aux importateurs en contrepartie du paiement de la redevance (la raison même pour laquelle elle affirme ne pas percevoir la taxe sur les produits et services sur la redevance), cela ne signifie pas nécessairement que la redevance est une taxe.

Peu importe que la Commission erre ou non en tirant cette conclusion, elle continue de croire, pour les motifs exposés dans Copie privée I, qu’il existe un rapport suffisant pour que la redevance soit considérée comme un prélèvement de nature réglementaire plutôt qu’une taxe. La Commission continue également de croire que la redevance n’est pas imposée par une institution publique puisque la Commission ne peut ni mettre en marche le processus d’établissement du tarif, ni percevoir aucun montant dû. De plus, bien que la Loi, comme toute autre loi, ait été édictée du moins en partie pour le bénéfice du public canadien, il est faux de prétendre pour autant que les redevances servent une fin d’intérêt public.

III. DÉFINITION DE SUPPORT AUDIO

A. Interprétation juridique

On décrit les produits assujettis à une redevance dans la définition de «support audio», à l’article 79. Cette définition, qui ne s’applique qu’à la partie VIII, se lit comme suit :

«support audio» Tout support audio habituellement utilisé par les consommateurs pour reproduire des enregistrements sonores, à l’exception toutefois de ceux exclus par règlement.

En l’espèce, deux éléments de cette disposition intéressent la Commission. Le premier se rapporte à l’interprétation de l’expression «habituellement utilisé par les consommateurs pour reproduire des enregistrements sonores». Le deuxième concerne la pertinence des attributs physiques du support («Tout support audio»), en particulier l’effet éventuel de son intégration à un appareil. Enfin, un aspect connexe concerne la notion de support «vierge».

i. «Habituellement utilisé par les consommateurs pour reproduire des enregistrements sonores»

La Commission a traité à deux reprises du premier élément de cette définition, que la Cour d’appel fédérale a aussi abordé dans AVS Technologies Inc. c. Canadian Mechanical Reproduction Rights Agency. [37] Le juge Linden y déclare ce qui suit :

«Le point principal est de savoir si la Commission avait à décider du sens du terme «habituellement» en tenant compte de l’ensemble des produits, comme le prétendait la demanderesse, ou en tenant compte de l’emploi de ce produit par les consommateurs. À mon avis, c’est l’emploi qu’en font les consommateurs qui doit être habituel, et non pas l’usage général du produit, à cause de l’ajout du mot «consommateurs», qui doit avoir un certain sens. Si ce mot n’était pas là, la prétention des demanderesses aurait un fondement plus solide. La version anglaise est conforme à cette interprétation étant donné qu’elle fait uniquement référence à l’emploi «by individual consumers» qui sont généralement considérés comme étant des personnes, et non pas des sociétés ou des institutions.

[...]

Les demanderesses font valoir que l’interprétation du terme «habituellement» devrait suivre les définitions que donne le dictionnaire d’expressions telles que «ordinairement» ou «communément», être guidée par certaines autorités applicables à d’autres contextes qu’elles ont citées [...] qui indiquent que ce terme doit être défini comme signifiant «principalement» ou «particulièrement». Par la suite, elles ont laissé entendre qu’un chiffre approchant de 50 pour cent des produits utilisés de cette façon pourrait être considéré comme un usage habituel. À mon avis, ces définitions et ces causes ne sont pas très utiles. Pas plus d’ailleurs que la méthode procentuelle, parce qu’elle est arbitraire. Qui plus est, elle signifierait que les artistes ne recevraient aucune rémunération en cas de violation de leurs droits d’auteur jusqu’à concurrence de près de la moitié de l’utilisation de ces produits. Cela serait difficilement compatible avec l’objet de la Loi

Les opposants laissent entendre que la Commission n’est pas liée par ces commentaires. La Cour d’appel fédérale a examiné la décision de la Commission selon la norme de décision manifestement déraisonnable; il ne s’ensuit pas que la première décision rendue par la Commission était correcte. De plus, certains opposants suggèrent qu’un tribunal de révision pourrait examiner plus attentivement la présente décision de la Commission.

La Commission doit ici interpréter et appliquer les dispositions en cause. Dans ce contexte d’interprétation, les remarques de la Cour n’ont qu’un caractère incident. Cela ne signifie pas pour autant qu’il fasse en faire fi. Le point de vue de la Cour sur ces dispositions corrobore le propre point de vue de la Commission.

L’expression «habituellement utilisé» ne peut être vue comme purement quantitative. [38] Le juge Linden a confirmé qu’une approche fondée sur des pourcentages serait arbitraire, et la Commission croit que ce commentaire vaut pour d’autres modèles strictement quantitatifs. Une approche à la fois qualitative et quantitative rejoint davantage l’objet de la partie VIII, en ce qu’elle permet à la redevance de s’adapter plus facilement aux réalités du marché et aux habitudes des Canadiens en matière de copie privée. Elle est aussi conforme à l’interprétation reçue d’autres dispositions de la Loi. [39]

Certains intervenants aimeraient établir une ligne de démarcation très nette. Le libellé, le contexte et l’objet de l’article 79 ne le permettent pas. De toute évidence, le législateur a cherché avant tout la réceptivité aux réalités du marché et la souplesse nécessaire à l’adaptation à un environnement changeant.

C’est pourquoi la Commission estime que plusieurs facteurs déterminent si un type de supports est habituellement utilisé par les consommateurs pour reproduire des enregistrements sonores. Mentionnons l’objet apparent du support, qui ressort à l’évidence de sa conception et de sa promotion, de même que de son utilisation réelle, établie à l’aide de sondages, de témoignages ou d’autres éléments de preuve. La Commission pourrait aussi tenir compte du taux d’adoption actuel ou potentiel du support sur le marché.

Comme l’a confirmé la Cour d’appel fédérale, l’utilisation par les consommateurs est déterminante aux fins de cette analyse. À cet égard, la Commission porte attention entre autres à la mesure dans laquelle les consommateurs utilisent un type de supports pour copier des enregistrements sonores plutôt que pour faire autre chose, ainsi qu’à la mesure dans laquelle les consommateurs se servent du type de supports en question (plutôt que d’autres) à cette fin. De plus, la Commission se préoccupe davantage des consommateurs en tant que groupe que des habitudes individuelles. À cet égard, l’utilisation d’un grand nombre de supports d’un certain type à des fins de copie privée pourrait suffire à qualifier leur utilisation d’«habituelle», peu importe les pourcentages en cause.

C’est pourquoi la Commission a conclu dans Copie privée I, que les CD enregistrables et réinscriptibles étaient habituellement utilisés par les consommateurs, même si ces derniers achetaient une part relativement petite du nombre total de CD vierges vendus. La preuve avait clairement établi que les consommateurs qui utilisaient des CD vierges le faisaient souvent afin de copier de la musique et qu’au total, un nombre très élevé de CD étaient utilisés à cette fin. De plus, la Commission avait prédit (correctement, avec le recul) que les CD vierges allaient devenir un support dominant dans l’univers de la copie privée. En revanche, la preuve donnait à penser que certains supports, dont les bandes audionumériques (DAT), étaient utilisés presque exclusivement par les professionnels et qu’on ne s’attendait pas à un changement radical à cet égard.

ii. Support ou appareil

Un deuxième élément de la définition de «support audio» se rapporte à la forme du support. Cette question est importante parce que la Commission a été invitée à établir une redevance sur la mémoire intégrée à certains appareils mais non sur les appareils eux-mêmes. À ce stade, il convient donc de se demander si l’intégration d’un produit à un appareil peut avoir une incidence sur son statut de support audio.

La CSMA soutient que la mémoire intégrée à un enregistreur audionumérique fait partie intégrante de l’enregistreur, ne peut plus en être dissociée et perd donc son identité distincte. À l’appui de cette prétention, elle cite des décisions antidumping rendues par le ministère du commerce américain. [40] Pour leur part, les détaillants avancent que la proposition de la SCPCP ne fait pas et ne peut faire la distinction entre appareil et support. D’autres opposants relèvent l’absence de distinctions d’ordre technique entre certains produits que l’on propose d’assujettir à la redevance et certains autres qui ne sont pas visés. Ils soulignent aussi l’absence de différences significatives entre la mémoire amovible et non amovible.

Selon la CSMA, les détaillants et d’autres opposants, la partie VIII ne rend pas la Commission compétente pour assujettir les appareils à un tarif pour la copie privée. Les détaillants, s’appuyant sur l’historique législatif du régime canadien, soutiennent plus précisément que seul un support et, en fait, seulement les cassettes audio étaient destinées à être visées par la Loi. Les opposants avancent qu’ailleurs dans le monde, les appareils sont assujettis à un tarif, si tant est qu’ils le soient, uniquement en vertu de dispositions législatives claires.

Quoi qu’il en soit, la Commission s’intéresse ici à la Loi canadienne, laquelle contient ses propres indications quant aux produits assujettis à une redevance. Cela explique en partie pourquoi ni les lois étrangères ni les décisions antidumping américaines ne sont déterminantes en l’espèce. Le point de départ consiste donc à lire les termes de notre loi [TRADUCTION] «dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.» [41]

En ce qui a trait aux caractéristiques physiques du produit lui-même, la définition de «support audio» aurait difficilement pu être formulée de façon plus large. Plus spécifiquement, la version anglaise fait référence à tout support audio «regardless of its material form». Pour la Commission, le sens ordinaire de ces mots exclut la possibilité que la redevance ne devrait s’appliquer qu’aux supports «amovibles», et encore moins qu’aux seules cassettes audio.

Cette formulation démontre également qu’il n’importe pas que le support soit fixé ou autrement intégré à un appareil. L’étendue de la définition appuie la conclusion voulant que l’obligation de payer une redevance n’est pas tributaire des seules caractéristiques physiques du support. Un support intégré à un appareil demeure un support.

En plus du libellé législatif exprès qui exige une telle interprétation de cette définition, la Cour d’appel fédérale a récemment confirmé que «[l]orsque son libellé et son objet fondamental le permettent, un texte de loi devrait être interprété de manière à tenir compte des progrès technologiques.» [42] Signalons que ces commentaires, faits dans le cadre du contrôle judiciaire d’une autre décision de la Commission, se rapportaient précisément à la Loi. Limiter la redevance aux seuls supports amovibles reviendrait à restreindre la définition de «support audio» d’une façon contraire à ce principe. Le contexte et l’objet de cette disposition particulière (fournir une rémunération aux titulaires de droits dont la musique est copiée sur de tels produits) ne font que corroborer cette conclusion.

La Commission est consciente qu’au moment où le régime a été institué, le législateur n’aurait pu prévoir les récents changements technologiques.

La Commission sait aussi que la jurisprudence américaine incite à la prudence en cette matière. [43] Quoi qu’il en soit, la Commission est tenue de suivre la voie tracée par les tribunaux canadiens, surtout quand on sait que le législateur voulait manifestement rendre l’article 79 neutre du point de vue technologique.

Cela dit, la Commission est rassurée que la définition exclut les types de supports prescrits par le gouverneur en conseil. Cette disposition, qui n’a pas encore été invoquée, constitue un mécanisme interne permettant à ceux qui sont mieux placés pour régler cette controverse d’examiner et, au besoin, de modifier facilement la conclusion de la Commission.

iii. Supports «vierges»

Des participants laissent entendre que certains supports ne sont pas assujettis à une redevance parce que, techniquement, ils ne sont pas vierges. La preuve a notamment établi que certains supports, dont la mémoire intégrée au iPod d’Apple, sont soumis à des essais dans le cadre du processus de fabrication. Ces essais comprennent l’enregistrement de sons sur le support.

Les opposants soulignent que la Loi impose le versement d’une redevance sur les seuls supports audio «vierges», lesquels sont définis comme suit :

«support audio vierge» Tout support audio sur lequel aucun son n’a encore été fixé et tout autre support audio précisé par règlement.

Étant donné, ont-ils soutenu, que des sons ont été fixés sur certains supports, ceux-ci ne peuvent être assujettis à une redevance.

Une instance de la Commission pour établir un tarif n’est pas le forum approprié pour trancher ce débat. Le renvoi clé aux supports vierges figure dans l’article 82, qui impose au fabricant ou à l’importateur du support vierge l’obligation de payer la redevance. La notion de «support audio vierge» n’est mentionnée nulle part relativement à l’obligation de la Commission d’établir les redevances. La Commission a le devoir, entre autres, de déterminer le mode de calcul des redevances et ses modalités afférentes. Il ne lui appartient pas, du moins dans le présent contexte, de déterminer si un «support audio» est vierge ou non.

Il serait peut-être contraire au bon sens que quelqu’un puisse éviter de payer la redevance en exécutant des procédures d’essai conçues pour vérifier qu’un support peut servir à l’enregistrement de sons de la manière voulue. La Loi prévoit des mesures pour contrer toute absurdité potentielle. Si c’est approprié et souhaitable, le gouverneur en conseil peut, par règlement, assujettir un tel support au versement de la redevance.

B. Analyse

Les participants ne se sont pas beaucoup attardés au taux de la redevance proposé pour les cassettes audio, et la plupart ont reconnu qu’il convient de les assujettir à une redevance.

Les MiniDisc et les CD-R et CD-RW Audio sont déjà assujettis à une redevance. Cette fois-ci, la Commission s’est interrogée sur le bien-fondé d’une telle mesure. Elle supposait jusqu’ici, sans qu’un tel fait ne fût établi, que les consommateurs utilisent 95 pour cent de ces supports. Or il se trouve que les CD-R et CD-RW Audio pourraient aussi servir à des professionnels. Un certain nombre d’indices le donnent à croire, dont le manque apparent d’avantages pour le consommateur moyen quant à la qualité perceptible, le prix de vente plus élevé, la disponibilité limitée et d’autres caractéristiques spécialisées propres à ce type de supports. Cependant, en l’absence de preuve, la Commission maintient le statu quo et homologue un tarif pour ces supports. Il ne faut pas tenir pour acquis qu’elle agira toujours ainsi.

Étant donné que les CD-R et les CD-RW sont devenus le format de loin le plus utilisé par les consommateurs pour copier de la musique, ces supports doivent faire l’objet du tarif, et ce même en appliquant la norme la plus restrictive prônée par certains participants à la présente instance.

Le tarif existant s’applique à tous les CD, peu importe leur capacité de mémoire. Dans sa proposition de tarif, la SCPCP limite l’application de son tarif aux CD-R et aux CD-RW de 100 Mo ou plus de capacité de mémoire. Aucune preuve n’a toutefois été soumise à cet effet, autre que de mentionner que la SCPCP a choisi volontairement de ne pas percevoir la redevance sur ces CD de petite capacité. De plus, le tarif proposé par la SCPCP est ambigu quant à l’application de la redevance aux CD-R Audio et aux CD-RW Audio de moins de 100 Mo. En effet, les taux de redevances proposés pour les CD-R Audio et les CD-RW Audio ne prévoient pas une telle exclusion. Or, sous la définition de «support audio vierge» du tarif proposé, les CD-R Audio et les CD-RW Audio font partie de la nomenclature des disques audionumériques enregistrables pour lesquels une telle mesure s’appliquerait.

De plus, selon de nouveaux éléments de preuve produits à l’audience, il existe des «mini-CD», dont la capacité ne dépasse pas 185 Mo. [44] On a suggéré, sans preuve à l’appui, que ces CD seraient utilisés par les entreprises à des fins promotionnelles. [45] La Commission a entendu un témoignage voulant qu’ils soient utilisés avec certaines caméras. [46] Mais on a également dit à la Commission qu’ils sont bien utilisés à des fins de copie privée. [47] On a également suggéré, et la SCPCP semble être d’accord, que ces mini-CD fassent l’objet d’un taux réduit. Mais on ne sait pas si les CD de moins de 100 Mo seraient inclus ou non dans cette catégorie des mini-CD. Étant donné la preuve conflictuelle, la Commission préfère maintenir le statu quo. Elle exprime toutefois le désir d’entendre une preuve plus étoffée lors des prochaines audiences. Pour l’instant, le tarif s’appliquera à nouveau à tous les CD vierges, peu importe leur capacité de mémoire.

La SCPCP propose aussi une redevance sur tous les types de DVD enregistrables et réinscriptibles. Selon une preuve par sondage, les DVD serviraient à des fins semblables à celles auxquelles furent utilisés les CD au début de leur cycle de vie comme produit. Les sondages pertinents ne portent cependant que sur des échantillons modestes et souffrent conséquemment d’une marge d’erreur assez importante. Les réponses au sondage indiquent également que certains répondants ne comprenaient pas les technologies en cause. Plusieurs consommateurs ont indiqué qu’ils pouvaient insérer une cassette audio dans leur platine DVD. [48] Soulignons également que certaines des questions portant sur les DVD vierges ne font aucunement mention du fait que ces supports peuvent servir au consommateur à des applications de type vidéo. [49] Bien que certains éléments spécifiques de preuve révèlent que l’on fait parfois la promotion du DVD en tant, entre autres, que support musical, ils ne sont pas représentatifs de l’ensemble du marketing effectué pour ce type de supports.

La Commission est davantage convaincue par la preuve selon laquelle les DVD vierges sont utilisés à des fins différentes des CD vierges. Elle croit, en particulier, que les DVD vierges sont utilisés presque exclusivement pour faire des enregistrements vidéo et, dans une mesure très négligeable voire inexistante, pour réaliser des enregistrements audio. [50]

Il y a relativement peu de lecteurs, encore moins de lecteurs portatifs, qui peuvent lire des fichiers musicaux gravés sur DVD. La quasi-totalité des graveurs de DVD existants sont intégrés à des ordinateurs personnels. Compte tenu de la croissance constante du parc de lecteurs de DVD, il paraît peu probable qu’un grand nombre de consommateurs mettront leur appareil à niveau dans un avenir rapproché. L’enregistrement sur DVD, y compris de pistes vidéo, en est encore à ses premiers balbutiements et ne se développera vraisemblablement pas à pleine capacité avant que le problème de la concurrence entre les types de DVD soit résolu.

De plus, ce qui rend les DVD vierges attrayants par rapport aux CD vierges, c’est surtout leur capacité accrue, particulièrement utile pour copier des vidéos et sauvegarder des données. Alors que le passage de l’analogique au numérique avait assuré l’adoption rapide des CD vierges, la Commission ne s’attend pas à ce que les consommateurs adoptent massivement le DVD vierge pour copier de la musique dans un avenir immédiat. Par conséquent, la Commission n’est pas convaincue que le DVD se qualifie présentement comme un support audio habituellement utilisé par les consommateurs pour copier de la musique. Tel qu’expliqué précédemment, cette décision veut dire que de copier de la musique sur un DVD enfreint le droit d’auteur.

La SCPCP propose une redevance sur la mémoire électronique et les microdisques durs amovibles compatibles avec les lecteurs MP3 ou tout appareil semblable. Elle propose également une redevance sur la mémoire ou le disque dur intégrés à un appareil qui a été conçu au premier chef pour enregistrer et faire jouer de la musique. La SCPCP reconnaît que la redevance ne s’appliquerait pas aux téléphones cellulaires, aux assistants numériques personnels, aux ordinateurs de bureau, portatifs ou tenant dans la main ainsi qu’à toute une kyrielle d’autres appareils qui, aux yeux de la plupart des gens raisonnables, ne seraient pas considérés comme ayant été conçus principalement pour enregistrer et faire jouer de la musique.

Certains types de mémoire amovible pourraient parfois servir à copier de la musique, mais il est impossible d’en faire une généralisation. Il existe une pléthore de formats souvent incompatibles, y compris différentes marques de cartes et de microdisques durs de diverses formes, tailles et capacités. Ces produits peuvent servir à toutes sortes de tâches, de la photographie numérique au stockage de documents en passant par les applications médicales ou militaires et la reproduction de musique. En fin de compte, il n’existe pas de preuve claire établissant les formats compatibles avec un appareil donné, pour une utilisation donnée. Surtout parce que ces supports sont amovibles, il est impossible d’identifier avec précision les fins auxquelles ils seront utilisés. À cet égard, les cartes de mémoire et les microdisques durs se distinguent des CD ou des cassettes audio. Les légères variations de structure et de capacité des CD, ainsi que des cassettes, ne constituent pas un obstacle à la généralisation de leur utilisation pour fins de copie de musique.

Au vu du dossier dont est saisie la Commission, on ne peut conclure que tous les types de mémoire amovible sont habituellement utilisés par les consommateurs pour reproduire de la musique. Par conséquent, il n’est tout simplement pas opportun de les classer en vrac dans la catégorie «support audio». Qui plus est, la preuve dont dispose la Commission ne permet pas d’établir qu’un type particulier de mémoire amovible constitue un support audio au sens de la Loi.

L’application de la définition à la mémoire intégrée, qu’il s’agisse de mémoire à semiconducteurs ou de disques durs, fait intervenir des questions d’un autre ordre. La mémoire intégrée peut se présenter sous des formes dissemblables et se retrouver dans une variété d’appareils exécutant diverses fonctions. Du point de vue technique, les disques durs d’ordinateurs personnels ressemblent en tous points à ceux dont sont munis certains enregistreurs audionumériques. On pourrait juger inapproprié de faire des généralisations au sujet des fins auxquelles sert la mémoire intégrée. Toutefois, selon la Commission, le trait distinctif des supports intégrés en permanence à un appareil est qu’il devient possible de les catégoriser et d’établir l’utilisation que l’on en fait en tant que «types» particuliers de «support audio», en fonction de caractères intrinsèques des appareils dans lesquels le support a été incorporé.

Il n’est pas aussi simple de classer un support selon un «type» ou un autre en tenant compte de facteurs extrinsèques comme l’emballage. C’est pourquoi la mémoire amovible fournie avec certains produits ne devrait pas être distinguée de celle vendue séparément.

Les propriétés physiques intrinsèques de l’appareil, incluant la taille, le côté pratique et la compatibilité peuvent servir à établir si le support intégré dans l’appareil est habituellement utilisé par les consommateurs pour copier de la musique. Ainsi un support intégré à certains appareils pourra être habituellement utilisé pour copier de la musique, alors que le même support intégré à d’autres appareils pourra ne pas l’être, et ce même si les principaux attributs de ce support (mémoire à semiconducteurs, disque dur, etc.) demeurent relativement les mêmes.

Les opposants avancent que les principales lacunes de cet aspect de la proposition de la SCPCP sont le manque de clarté et de précision. La SCPCP propose que la redevance s’applique exclusivement à la mémoire des appareils destinés «principalement à enregistrer et exécuter de la musique», un critère distinct et plus exigeant que celui de l’utilisation habituelle.

La Commission n’est pas compétente pour incorporer implicitement un deuxième critère à la définition de support audio, ni exempter implicitement la mémoire de certains appareils en intégrant la suggestion de la SCPCP au tarif. Si elle ne peut créer d’exemptions de façon expresse, elle ne peut le faire implicitement non plus.

La Commission estime que, selon le critère de l’utilisation habituelle, la mémoire d’un grand nombre d’appareils ne saurait être considérée comme un «support audio». Ce groupe d’appareils comprend évidemment, mais sans s’y limiter, les moniteurs de fréquence cardiaque, les caméras numériques, les assistants numériques personnels et les téléphones.

En revanche, la mémoire non amovible, qu’il s’agisse de modèles à semiconducteurs ou de disques durs, lorsqu’intégrée à un enregistreur audionumérique au sens que donne la Commission à cette expression, est habituellement utilisée par les consommateurs pour copier de la musique. À ce titre, la Commission ne considère pas que le critère de l’utilisation habituelle est aussi «bas» que certains participants l’ont erronément cru. Il ne s’agit pas d’un critère insignifiant. Lorsque la Commission parle d’un enregistreur audionumérique, elle parle d’un appareil conçu, fabriqué et mis en marché à des fins de reproduction d’enregistrements sonores d’œuvres musicales. Par conséquent, la mémoire non amovible intégrée en permanence à un tel appareil est visée par la définition de «support audio» prévue par la Loi.

Il existe peu de produits n’offrant qu’une seule fonction. De nombreux enregistreurs audionumériques offrent des jeux, un calendrier, un planificateur personnel et d’autres fonctions accessoires. Comme la tendance est à la multifonctionnalité, il y aura des zones grises. Mais selon la Commission, du moins pendant la période de validité du tarif homologué, un nombre relativement faible de produits soulèveront la question de savoir s’ils sont avant tout un enregistreur audionumérique ou autre chose.

La principale ambiguïté concerne la mémoire des ordinateurs personnels. Plusieurs participants, notamment M. Carruthers, de Hydraulic Design, ont démontré à la Commission que cette mémoire est identique du point de vue technique à celle qu’on retrouve dans certains enregistreurs audionumériques. Comme il a été déjà indiqué, le dossier de la présente affaire confirme que les consommateurs se servent de la mémoire de leur ordinateur personnel pour copier de la musique. La proposition de la SCPCP n’englobe pas pour l’instant ce type de mémoire. Comme ces questions font intervenir des considérations importantes de politique publique, le législateur désirera peut-être étudier et régler ces questions lui-même avant que l’on ne demande formellement à la Commission de le faire.

En résumé, la Commission conclut que les cassettes audio d’une durée supérieure à 40 minutes, les CD-R, CD-RW, CD-R Audio, CD-RW Audio, MiniDisc, de même que la mémoire non amovible (à semiconducteurs et sur disque dur) intégrée en permanence à un enregistreur numérique sont tous des «supports audio» au sens de la Loi. La preuve n’établit pas la même chose à l’égard des DVD vierges ou de la mémoire amovible.

IV. ÉTABLISSEMENT DES TAUX DE REDEVANCES

Dans Copie privée II, la Commission a mis à jour le modèle d’évaluation existant afin d’établir les taux, de façon à refléter la preuve au dossier. Cette fois-ci, les incertitudes que soulève la preuve ainsi que d’autres facteurs économiques et de politique publique, font en sorte que la Commission ne peut établir les taux simplement en mettant le modèle à jour. Cependant, à des fins de clarté et d’information, la Commission analyse certains volets du modèle d’évaluation afin de souligner les endroits où elle considère que la preuve manque de clarté, n’est pas complète ou convaincante.

A. Le modèle d’évaluation

La proposition de la SCPCP se fonde sur une version mise à jour du modèle d’évaluation mis au point par MM. Stohn et Audley et que la Commission a adopté dans ses deux décisions antérieures. De manière générale, ce modèle cherche à établir la valeur de chaque copie privée d’enregistrement sonore, à évaluer le nombre moyen de copies ainsi faites sur chaque support audio et, par conséquent, à calculer la rémunération des titulaires de droits selon un taux fixe à l’unité.

Tant la CSMA que les détaillants suggèrent que la Commission adopte un taux de redevance ad valorem (une proportion du prix de vente), dans la foulée de propositions comparables présentées lors des instances antérieures. Toutefois, abstraction faite du fait que c’est ainsi qu’on procède aux États-Unis, ses défenseurs ont peu d’arguments pour en justifier la mise en œuvre. De plus, ils n’ont proposé aucune façon précise d’établir les taux de redevances.

La Commission a déjà refusé d’adopter des taux de redevances ad valorem, d’abord parce que la valeur de la propriété intellectuelle sous-jacente n’augmente ni ne diminue au gré de l’évolution du prix des supports vierges. [51] En outre, le fait de lier le taux de la redevance à la valeur des droits et avantages qui sont au centre du régime de copie privée renforce le lien qui existe entre les redevances et le régime dans son ensemble. Un taux ad valorem ne présenterait pas un tel avantage.

i. Rémunération tirée des ventes de CD préenregistrés

Le premier élément du modèle est la rémunération estimative que tirent les titulaires de droits de la vente de CD préenregistrés. Tout comme la SCPCP, la Commission croit qu’il serait préférable de se fonder sur le nombre de téléchargements autorisés de pièces musicales comme indicateur substitutif mais que pour l’instant, il serait prématuré de procéder de cette façon. À l’heure actuelle, il n’y a pas de marché établi pour les téléchargements autorisés au Canada. Même aux États-Unis, ce marché ne fait que commencer à se développer.

La SCPCP soutient que le retrait du marché de l’un des deux clubs de disques au Canada en 2000 aurait une incidence sur le calcul de la rémunération des auteurs. La SCPCP reconnaît qu’aucune preuve n’établit dans quelle mesure, le cas échéant, ce fait a influé sur le marché.

La SCPCP avance aussi que l’inflation a fait augmenter le prix des CD préenregistrés et, du coup, la rémunération que touchent les artistes-interprètes et producteurs. La CSMA souligne cependant que dans les conditions actuelles du marché, il est plus probable que le prix des CD préenregistrés demeure constant voire même qu’il baisse.

Pour sa part, la CSMA propose que l’indicateur reflète les escomptes sur la redevance qui peuvent s’appliquer dans le cas des enregistrements simples («single»). Ici, la Commission est d’accord avec la SCPCP lorsqu’elle affirme que ce marché a presque disparu au Canada.

Les changements qui auraient pu intervenir à l’égard des paramètres pertinents à cette étape de l’analyse (taux de redevance par chanson, nombre moyen de pistes sur un CD, etc.) sont négligeables. Il n’y aurait donc pas de modifications à apporter à la rémunération moyenne que tirent les auteurs, artistes-interprètes et producteurs de la vente de CD préenregistrés si l’on s’en remettait au modèle pour établir les taux de redevances.

ii. Répertoire non admissible

On copie parfois des enregistrements dont les auteurs, artistes-interprètes ou producteurs ne sont pas admissibles à une rémunération en vertu de la partie VIII. Dans le cas des auteurs, presque tous les enregistrements copiés sont admissibles. Pour ce qui est des artistes-interprètes et producteurs, la CSMA estime que la Commission ne devrait plus se fier aux statistiques de diffusion à la radio et aux ventes de disques. Elle soutient que les règles sur le contenu canadien faussent les chiffres. Pour des motifs déjà présentés dans les décisions antérieures, la Commission rejette les observations de la CSMA. Les détaillants avancent quant à eux que la SCPCP aurait dû fournir de meilleurs renseignements concernant la musique que reproduisent les Canadiens, mais ils n’ont eux-mêmes présenté aucun élément de preuve. En l’absence de preuves directes relatives au répertoire copié admissible, la Commission s’en tiendrait à la démarche utilisée dans les décisions précédentes. De plus, la Commission utiliserait les nouvelles données fournies par la SCPCP. Ces dernières n’ont d’ailleurs pas été contestées.

iii. Le caractère accessoire de la copie privée

Depuis qu’elle a rendu sa première décision, la Commission croit fermement qu’un taux de redevance juste et équitable ne peut être déterminé sans égard à la valeur qu’attribuent les consommateurs aux copies privées d’enregistrements sonores. Le consommateur n’est pas prêt à payer le même prix pour une copie privée que pour l’enregistrement original offert sur le marché. Dans certaines circonstances, il pourrait accepter de payer presqu’autant pour la copie que pour l’original. Souvent par contre, il n’est pas disposé à payer quoi que ce soit; confronté à l’obligation de payer, il s’abstiendra tout simplement.

À l’origine, la Commission estimait que les consommateurs paieraient, en moyenne, la moitié de la valeur de l’original pour une copie privée. Dans sa deuxième décision, elle était convaincue que, dans le cas de la copie privée d’une pièce dont le consommateur ne possédait pas l’enregistrement, un escompte moindre de un quart était justifié, ce qui a entraîné une hausse du taux de redevances. La SCPCP présente cette fois une grille encore plus détaillée où figurent divers escomptes (ou, plus précisément, aucun escompte) pour certains types de copies privées.

La SCPCP soutient que les consommateurs accordent autant de valeur à la copie privée faisant partie d’une compilation de pièces qu’à l’original faisant partie de l’album complet. La Commission ne partage pas ce point de vue.

Selon les gens de l’industrie, le CD préenregistré demeure le [TRADUCTION] «meilleur achat dans le domaine du divertissement». [52] Par ailleurs, de nouveaux éléments de preuve ont été présentés relativement à la qualité des copies privées. La musique comprimée est effectivement d’une fidélité moindre que la musique non comprimée. Plus important encore, les consommateurs sont convaincus que tel est le cas, et cela influe sur le prix qu’ils sont prêts à payer.

La Commission préférerait ne pas ajouter de variantes à cet exercice déjà complexe en tentant de décomposer l’escompte lié à la «valeur accessoire». Elle n’est pas convaincue qu’il est juste de procéder à une microanalyse ou de ratiociner sur des technicalités. Le calcul de la valeur accessoire ne peut être fait scientifiquement. Il doit plutôt servir à évaluer le sentiment des consommateurs de musique canadiens, tant du point de vue quantitatif que qualitatif. Plus cette analyse devient technique et nuancée, plus elle s’éloigne de son objet premier. [53]

iv. Téléchargements payants et échantillons gratuits

Les transactions englobant le droit de faire des copies privées devraient être soustraites du calcul du taux de la redevance. En principe, les redevances pourraient donc s’estomper au fur et à mesure que les téléchargements payants et les échantillons gratuits accroîtront leur part de marché. Pour l’instant cependant, la Commission n’a pas de preuve convaincante permettant d’évaluer l’importance de ces transactions.

v. Supports visés

a. Cassettes audio

La preuve spécifique aux cassettes audio n’a pas suscité beaucoup de débats. À la lumière de l’analyse qui précède, il n’y aurait aucune raison convaincante de modifier le taux applicable à ces supports.

Puisque la Commission considère que le programme d’exonération de la redevance est illégal, elle ne peut plus compenser la SCPCP pour les effets du programme sur ses revenus. Cela devrait en principe conduire à une réduction du taux de la redevance pour les cassettes audio.

Cependant, le marché de la cassette audio a atteint sa pleine maturité. Les consommateurs semblent avoir accepté que la redevance sur ce type de supports constitue une composante intrinsèque de son prix. Le taux devrait donc rester le même.

b. CD-R et CD-RW

La SCPCP soutient que, durant les 18 mois précédant l’audience, la part de CD enregistrables achetés par les consommateurs, par opposition aux institutions, est passée de 45 pour cent à 70,8 pour cent.

Dans le cadre de l’étude effectuée par Réseau Circum et présentée par la SCPCP, on a évalué le nombre brut de CD vierges achetés par les particuliers en interrogeant les consommateurs au sujet de leurs habitudes d’achat et en comparant les données obtenues au rajustement apporté par M. Audley à l’évaluation de la taille du marché total effectuée par Santa Clara. Ces chiffres furent rajustés afin d’éliminer les observations aberrantes, d’attribuer une cote moyenne à toute réponse de valeur nulle et de pondérer les surévaluations que font inévitablement les consommateurs («téléscopage») lorsqu’on les interroge sur leurs achats antérieurs. Dans cette instance, Circum a appliqué un facteur de «téléscopage», ou facteur de réduction, de 70 pour cent aux CD enregistrables. Dans Copie privée I, cet ajustement était de 78 pour cent. Dans Copie privée II, cet ajustement était de 28 pour cent. Ces chiffres sont dérivés de la différence apparente entre le nombre de CD préenregistrés que les répondants ont déclaré avoir achetés et l’évaluation du nombre réel de CD préenregistrés achetés par des Canadiens durant la même période, selon les spécialistes de la SCPCP.

La CSMA conteste la façon dont la proportion d’achats effectués par les consommateurs a été calculée. Tout d’abord, elle note que la taille du marché total utilisée comme dénominateur est loin d’avoir été établie. Elle ajoute que le nombre de supports achetés par les particuliers n’est pas un numérateur fiable. Elle soutient que les méthodes statistiques, dont certaines ne furent pas utilisées dans les études antérieures, rendent les données moins fiables. Enfin, elle dénonce le rajustement effectué pour tenir compte du téléscopage en soulignant les incohérences qu’engendre cette technique appliquée aux données concernant d’autres produits.

Il suffit d’examiner les données estimatives de Circum relativement aux marchés des CD-RW, DVD vierges et mémoire amovible pour conclure que les résultats sont improbables dans certains cas et inconcevables dans d’autres. L’évaluation des achats de divers types de supports vierges effectués par les particuliers semble toujours surévaluée d’au moins 64 pour cent; dans certains cas, on parle même de 600 pour cent. Par exemple, Circum a estimé qu’environ 22 millions de CD-RW avaient été achetés durant une période donnée alors que tous les autres indices, y compris les chiffres des détaillants, font plutôt état d’un marché total d’environ seulement 4 à 7 millions d’unités. [54]

La CSMA souligne également que les magasins de fournitures de bureau et d’ordinateurs ont récemment accru leur part du volume de ventes de CD vierges. Si l’on peut dire qu’il y a plus de chances que l’on retrouve des institutions parmi la clientèle de ces commerçants, leurs achats auraient dû augmenter. Or, si l’on se fie aux chiffres de Circum, non seulement les institutions comptent maintenant pour une proportion plus modeste des ventes mais en plus, le nombre d’unités qu’elles ont achetées a baissé.

En fin de compte, la CSMA soutient qu’aucun élément de preuve ne permet de revenir sur le taux estimatif de 45 pour cent établi antérieurement par la Commission. La Commission croit elle aussi que la proportion de tous les achats effectués par les consommateurs n’est pas aussi élevée que les données de Circum l’indiquent. Malgré tout, étant donné l’ambiguïté qui règne à ce propos, il est très difficile d’établir un chiffre exact, outil essentiel dans l’établissement du taux de la redevance.

Pour la première fois, la SCPCP et la CSMA ont demandé à la Commission d’établir des taux différents pour les CD enregistrables et les CD réinscriptibles. Diverses caractéristiques (réenregistrement possible, prix plus élevé, distribution plus limitée, etc.) donnent à penser que les seconds sont moins susceptibles que les premiers de servir à des fins de copie privée. La preuve par sondage confirme le fait qu’il existe des différences entre la part de CD-R et la part de CD-RW qu’utilisent les consommateurs à des fins autres que la reproduction d’enregistrements musicaux. La différence entre les résultats du sondage de Circum et les données de Léger Marketing en est une de degré.

Dans cette instance, la preuve justifierait des taux de redevances différents.

La CSMA propose des escomptes supplémentaires pour les CD qu’un consommateur donne lorsqu’ils sont encore vierges ou après y avoir enregistré de la musique. Les CD vierges que l’on donne finissent par être utilisés comme les autres CD vierges, et il n’y a donc pas lieu d’accorder un escompte à cet égard. Par contre, la CSMA a raison d’affirmer que le fait de distribuer un CD contenant de la musique ne constitue pas un acte de copie privée, même lorsqu’il s’agit d’un cadeau. Ce genre d’activité devrait être soustrait du calcul du taux de redevances. La preuve ne permet cependant pas à la Commission d’en faire le calcul.

Pour ce qui est des escomptes pour gaspillage, la capacité de stockage et les rajustements relatifs au taux d’utilisation, les propos de la SCPCP et de la CSMA sont les mêmes pour l’essentiel.

Étant donné les incertitudes en ce qui a trait à des valeurs importantes, la Commission ne pourrait pas établir les taux pour les CD-R et les CD-RW en mettant le modèle à jour.

c. CD-R Audio, CD-RW Audio et MiniDisc

Il y a peu d’éléments de preuve précis se rapportant à ces supports. À ce jour, la Commission s’est fondée sur des hypothèses. Cette fois-ci, elle a remis ces hypothèses en cause mais a reçu peu de renseignements en retour. Elle serait donc tentée d’assujettir les CD-R et les CD-RW Audio au même taux que les CD vierges. Toutefois, le manque de preuve solide plaide en faveur du maintien du statu quo.

d. Mémoire non amovible intégrée en permanence aux enregistreurs audionumériques

Il importe d’abord de rappeler que la Commission approuve une redevance sur la mémoire intégrée à certains appareils et non sur ces derniers. La SCPCP propose des taux de 1,08¢ pour chaque Mo de mémoire jusqu’à 1 Go, de 7,76 $ le Go pour le deuxième Go jusqu’au cinquième, de 5,81 $ pour le sixième Go jusqu’au dixième, de 3,88 $ pour le onzième jusqu’au vingtième et de 1,93 $ pour le vingt et unième et tous ceux après.

Cette grille de taux par Mo ou Go, ressemble au taux «par minute» que la Commission avait rejeté dans Copie privée I. Elle est également très complexe. De plus, presque tous les chiffres que la SCPCP avance à l’égard de ces supports se fondent sur des spéculations. [55]

La Commission note que la capacité de stockage de ce type de supports varie grandement. Tout dépend du dispositif utilisé : un disque dur peut habituellement stocker beaucoup plus de musique que la mémoire à semiconducteurs. Il est donc souhaitable d’étager le taux.

On peut raisonnablement affirmer que plus la capacité de stockage augmente, moins le consommateur est porté à utiliser tout l’espace disponible pour copier de la musique. De plus, comme la demande pour les copies privées connaît un point de saturation, il devient éventuellement inutile d’avoir plus de capacité de stockage à des fins de copie privée. Un taux par Go n’est donc pas approprié passé un certain point.

La Commission note également que certains opposants sont préoccupés par la loi dite de Moore, selon laquelle les prix chutent et la capacité augmente de façon rapide et régulière. Même si elle refuse d’établir un taux ad valorem, la Commission doit donc tenir compte de la possibilité que le prix et la capacité de ce type de supports changent radicalement dans un avenir rapproché.

La Commission n’entend pas entraver le développement du marché émergent de ces nouvelles technologies au Canada. Elle entend aussi garder à l’esprit la possibilité que les consommateurs réagissent davantage à une redevance sur ce type de supports qu’ils ne l’avaient fait relativement à d’autres, puisque le coût de ce support constitue une proportion plus importante de leur revenu total. Elle ne désire pas favoriser l’émergence de marché gris ou noir.

La redevance doit également être aussi simple que possible. Une redevance trop complexe imposerait un fardeau administratif onéreux aux fabricants et aux importateurs qui doivent établir leurs obligations de paiements.

Pour toutes ces raisons, la Commission n’est pas en mesure d’établir le taux en s’appuyant sur le modèle mis de l’avant par la SCPCP. Elle le fera plutôt en tenant compte à la fois de certains principes sous-jacents à ce modèle et d’autres observations tirées du dossier relatives à ce type de supports.

Le taux de la redevance applicable à la mémoire non amovible intégrée en permanence à un enregistreur audionumérique est établi à 2 $ par enregistreur pouvant enregistrer au plus 1 Go de données, 15 $ par enregistreur pouvant enregistrer plus d’un Go et au plus 10 Go de données, et 25 $ par enregistreur pouvant enregistrer plus de 10 Go de données.

B. Considérations relatives au marché et à la politique publique

De manière générale, le dossier de la présente affaire déconcerte la Commission. Tel qu’on vient de le mentionner lors de l’analyse du modèle, plusieurs incertitudes demeurent. De plus, d’autres considérations viennent confirmer son sentiment d’hésitation à changer les taux de redevances et le besoin de stabilité. C’est ce dont il sera question maintenant.

i. Marché gris et marché noir

Une redevance est exigible sur chaque support audio vierge fabriqué ou importé au Canada à des fins commerciales. Les supports aliénés dans un but commercial sans qu’une redevance ne soit perçue se transigent sur le marché noir, qui est illégal. Par ailleurs, n’importe qui peut importer librement des supports et les utiliser à toute fin autre que commerciale, y compris pour copier de la musique. Ce commerce est communément désigné de «marché gris». Le marché gris n’est pas illégal, mais il peut avoir des effets indésirables.

Comme nous l’avons déjà dit, on ne connaît pas la taille exacte du marché des supports vierges, en particulier des CD enregistrables. Les détaillants prétendent avoir acheté près de deux fois plus de CD vierges que les fabricants et importateurs canadiens ont déclaré en avoir vendu. Leurs chiffres ne concordent pas avec ceux de la SCPCP et de la CSMA.

La SCPCP soutient, sans preuve à l’appui toutefois, que les chiffres avancés par les détaillants sont tout simplement erronés. Ces derniers sont d’importantes entreprises; il faut donc présumer que leurs procédures comptables sont fiables. Une combinaison de facteurs pourrait expliquer ces différences. L’inventaire a peut-être connu d’importants retards; chaque détaillant a peut-être utilisé des systèmes de déclaration différents. Cela dit, personne n’a soumis de telles hypothèses à l’audience. Il se peut aussi que l’évasion tarifaire soit très importante dans le marché.

Tout marché gris s’ajouterait à cette évasion tarifaire. On ne saurait dire si les données présentées à la Commission tiennent compte des activités dans ce marché. L’évaluation de la SCPCP se fonde sur celle de Santa Clara, laquelle repose sur des renseignements fournis par les intervenants de l’industrie sur les parts de marché qu’ils détiennent. Il est cependant probable que les estimations concernant le marché canadien ne tiennent pas compte des ventes de fournisseurs étrangers faites directement à des utilisateurs canadiens. De plus, il ne faut pas s’attendre à ce que les personnes qui cherchent à éviter de payer la redevance déclarent leurs achats à la SCPCP, à Santa Clara ou aux associations industrielles.

Il y a des raisons additionnelles de soupçonner qu’il existe des marchés gris et noir. Premièrement, la SCPCP et la CSMA ont conjointement demandé à la Commission de modifier le tarif 2001-2002 afin de régler certaines questions concernant sa mise en application. À ce moment, les deux parties ont soutenu que le niveau d’évasion tarifaire constituait une «évolution importante» justifiant la réouverture du tarif. La SCPCP et la CSMA ont aussi demandé au gouvernement de modifier la Loi à deux égards. Elles souhaitent, d’une part, que les activités légales associées au marché gris soient assujetties à la redevance et que, d’autre part, ceux qui achètent des supports vierges sur le marché noir soient passibles de sanctions. On peut en déduire que les personnes directement touchées par cette situation estiment qu’il y a de sérieux problèmes à régler. Par ailleurs, les graveurs de CD sont de plus en plus faciles à acquérir, on soutient que la copie privée connaît une recrudescence et les CD vierges sont l’objet de nombreuses nouvelles formes d’utilisation. Il est donc paradoxal que la SCPCP croie néanmoins que les ventes de CD vierges n’ont que légèrement augmenté.

L’un des témoins de la CSMA, M. Bourrier, soutient qu’au sein de l’industrie, on estime la proportion des ventes faisant l’objet d’évasion tarifaire [TRADUCTION] «à 30 pour cent ou même plus». Le témoin a toutefois ajouté que ce nombre [TRADUCTION] «est basé sur la perception que nous avons des activités de nos clients et des détaillants dans le marché, et non sur des données réelles.» [56] De plus, il a été démontré que la SCPCP a déjà entrepris des démarches à l’égard des quelques marques que M. Bourrier a pu identifier.

Selon la SCPCP, il y a lieu de croire que le marché gris est à peu près, voire complètement inexistant en raison, entre autres, de la faiblesse relative de l’élasticité de la demande par rapport aux prix. Le spécialiste de la SCPCP, M. Ciric, a fondé cette hypothèse surtout sur le fait que les supports vierges représentent une faible part des dépenses des ménages. Il s’ensuit que la redevance ne peut probablement pas engendrer d’activités sur un éventuel marché gris. La Commission admet que la plupart des consommateurs ne sont pas très sensibles aux variations de prix. Cependant, les entreprises et autres institutions le sont vraisemblablement plus. Il ne faut pas oublier non plus l’incidence de l’élasticité de la demande par rapport aux prix pour les fabricants, les importateurs et les distributeurs du marché noir.

Cela dit, il reste à déterminer l’importance des marchés qui échappent à la redevance. L’absence de preuve concrète n’a rien pour surprendre : les seules personnes vraiment en mesure de renseigner la Commission sur ces activités sont celles qui participent aux marchés gris ou noir, et elles ont toutes les raisons du monde d’éviter la Commission dans la mesure du possible. En fin de compte, la Commission est convaincue que ces marchés existent pour les CD vierges.

Reste à déterminer si ce phénomène est pertinent. Les marchés gris et noir inquiètent la Commission pour divers motifs. Les activités du marché noir sont indésirables pour tous les intervenants : elles privent de revenus la SCPCP et de ventes les fabricants, importateurs, distributeurs et détaillants légitimes. Il en est de même des activités du marché gris. Les personnes engagées dans la distribution de supports vierges subissent d’importants contrecoups lorsque les entreprises s’adressent à des fournisseurs étrangers. De plus, les consommateurs qui se procurent des supports sur le marché gris pour faire de la copie privée sapent les objectifs du régime.

Les opposants soutiennent qu’un taux majoré inciterait à la contrebande et à la revente de supports vierges sur le marché noir tout en encourageant les activités du marché gris. Bref, un taux majoré pourrait déstabiliser le marché des supports vierges davantage qu’il ne l’est peut-être en ce moment. Pour l’instant, le mieux que puisse faire la Commission, c’est d’agir avec prudence. Maintenir les taux à leur niveau actuel devrait permettre d’éviter ces écueils. À l’avenir, la Commission s’attend à obtenir une évaluation plus précise de la taille des marchés concernés ainsi que des répercussions qu’a la redevance pour les titulaires de droits, l’industrie et les consommateurs.

ii. Capacité de payer et intérêt public

La capacité qu’a le marché d’assumer le fardeau lié à la redevance représente une considération importante pour la Commission. Celle-ci doit veiller à ce que la redevance soit juste et équitable pour tous, y compris pour ceux qui doivent en absorber le coût. La Commission considère que c’est le cas en ce moment. Elle est convaincue que des redevances plus élevées représenteraient un fardeau financier trop important pour les consommateurs. Maintenir les taux à leur niveau actuel permet à la Commission de s’assurer que la capacité de payer des consommateurs est maintenue.

iii. Considérations relatives aux redevances versées à l’étranger et à la répartition des redevances

Certains participants se sont plaints amèrement du fait qu’une partie des revenus de la redevance quittera le Canada afin d’être répartie à des titulaires étrangers. On a aussi prétendu que si certains traités internationaux sont ratifiés, le Canada devra remettre une partie des redevances non seulement aux auteurs étrangers mais aussi aux artistes-interprètes et producteurs étrangers. Les opposants soutiennent également qu’au Canada, les redevances sont les plus élevées au monde.

Un survol de la preuve révèle que les taux en usage au Canada ne sont pas radicalement différents de ceux pratiqués dans d’autres pays, mis à part les États-Unis. Malgré tout, si les titulaires canadiens figurent parmi les mieux rémunérés à l’échelle mondiale, cela constitue une réussite devant être applaudie, pour autant que les redevances sont justes et équitables pour tous les intervenants.

Même si une forte proportion des revenus tirés de la redevance sur la copie privée aboutit à l’étranger, il ne s’agit pas d’une décision de politique publique à débattre devant la Commission. Celle-ci n’est pas en mesure d’évaluer les compromis d’ordre économique, social ou politique dont le législateur canadien a peut-être tenu compte lorsqu’il a examiné ce dossier. Le rôle de la Commission est de veiller à ce que les redevances soient justes et équitables pour les personnes à qui la Loi confère des droits sans égard à leur nationalité, pour les payeurs de la redevance et pour les autres intervenants. Elle n’a pas à voir à ce que les redevances soient finalement versées aux Canadiens plutôt qu’aux étrangers : ces flux sont la conséquence d’un choix législatif.

Quoi qu’il en soit, il est loin d’être établi que beaucoup d’argent est versé à l’étranger en ce moment ou que cela sera le cas à l’avenir. Il serait futile de spéculer sur ce que le législateur a l’intention de faire pour s’acquitter des obligations que lui imposent les traités. La Commission interprète et applique le droit canadien dans sa forme existante, sans tenir compte de traités signés et non encore ratifiés. Il importe donc peu pour la Commission que des fonctionnaires canadiens aient laissé entendre que le Canada avait l’intention de ratifier éventuellement des traités internationaux dont l’interprétation même fait l’objet de débats. Rappelons également que la Loi habilite la Commission à reconsidérer le tarif en cas d’évolution importante. [57]

Reste la question de la répartition des redevances. Le régime existe depuis cinq ans à peine; l’homologation du premier tarif remonte à tout juste trois ans. La répartition des revenus, et c’est compréhensible, vient tout juste de commencer. On a fait preuve d’une grande diligence, surtout quand on compare à ce qui s’est produit ailleurs. La Commission croit que la SCPCP mérite des félicitations. Il ne convient donc pas, et c’est évident, d’appliquer un escompte en raison de procédés de répartition censément déficients de la SCPCP. Il est tout aussi fallacieux de prétendre que ceux qui versent la redevance devraient recevoir l’intérêt accumulé sur les redevances non réparties.

iv. Systèmes électroniques de gestion du droit d’auteur (SEGDA) et mesures de protection technologiques (MPT)

Les MPT et les SEGDA sont décrits plus haut. On se sert toujours assez peu de ces systèmes en matière de musique. Cela dit, une bonne partie des discussions relatives à ces nouvelles technologies portait sur leur incompatibilité avec la perception de redevances sur la copie privée.

On a soutenu que les redevances existent parce que les titulaires de droits ne peuvent contrôler de façon efficace les activités de copie privée, et que cette hypothèse doit être réexaminée à la lumière de l’évolution des technologies. Les détaillants soutiennent que les redevances dissuadent les titulaires d’adopter ce qu’ils jugent être des mécanismes préférables pour gérer la copie privée. Ils soutiennent par conséquent que les redevances devraient être éliminées au fur et à mesure que la technologie permet aux titulaires d’offrir des téléchargements légitimes, peu importe s’ils le font ou non.

C’est au législateur et non à la Commission qu’il convient de soumettre cet argument. De même, les audiences de la Commission n’offrent pas la tribune appropriée pour débattre des craintes que les MPT et les SEGDA ne sonnent le glas du domaine public, de l’utilisation équitable et d’autres notions liées aux «droits des utilisateurs».

La Commission refuse de modifier les taux de redevances en fonction de la seule disponibilité de ces systèmes. Elle a déjà expliqué comment elle procéderait pour prendre en compte la mesure dans laquelle on a déjà payé pour le droit de faire de la copie privée. Le niveau de déploiement des MPT et des SEGDA dans le monde de la musique influe indirectement sur ce calcul. Plus ces technologies deviennent répandues, plus les titulaires de droits sont susceptibles de rendre les contenus disponibles de façon légale, et plus on peut s’attendre à ce que les consommateurs aient payé par ailleurs les droits de copie privée.

C. Tarif homologué

Les considérations exposées dans les présents motifs amènent la Commission à maintenir les taux de redevances à leur niveau actuel pour les années 2003 et 2004. La Commission a trop de réserves importantes à l’égard de la preuve au dossier pour justifier une augmentation des taux. La Commission est convaincue que les taux établis par le passé étaient, et sont toujours justes et équitables pour tous les intéressés. Elle ne le serait pas à l’égard de taux plus élevés.

Le tarif homologué prévoit donc des taux de 29¢ par cassette audio de plus de 40 minutes, de 21¢ par CD-R ou CD-RW, et de 77¢ par CD-R ou CD-RW Audio ou MiniDisc. En ce qui a trait à la mémoire non amovible intégrée en permanence à un enregistreur audionumérique, la Commission adopte des taux de 2 $ par enregistreur pouvant enregistrer au plus 1 Go de données, 15 $ par enregistreur pouvant enregistrer plus d’un Go et au plus 10 Go de données, et 25 $ par enregistreur pouvant enregistrer plus de 10 Go de données.

La Commission sait fort bien que le taux homologué pour les enregistreurs de faible capacité dépasse celui que la SCPCP avait proposé. La décision de la Commission est inévitable étant donné sa volonté de simplifier autant que possible la structure tarifaire visant ces supports. Enfin, compte tenu du petit écart entre les taux proposé et homologué (tout au plus quelques sous ou un dollar par enregistreur), la Commission croit que les injustices entraînées par une structure tarifaire exagérément compliquée seraient bien plus grandes que l’accroissement des bénéfices pouvant découler de l’imposition d’un plafond correspondant aux redevances que la SCPCP avait demandées.

V. MODALITÉS AFFÉRENTES AU TARIF

A. Répartition de la redevance entre les sociétés de gestion

Comme la Commission n’a rien entendu à ce sujet, elle répartit la redevance de la même façon que dans la décision antérieure sur la copie privée. Les sociétés de gestion qui représentent les auteurs admissibles ont donc droit à 66 pour cent, les artistes-interprètes admissibles à 18,9 pour cent et les producteurs admissibles à 15,1 pour cent.

B. Rétroactivité

Le tarif homologué prend effet le 1er janvier 2003 et prend fin le 31 décembre 2004. Il remplace le tarif provisoire du 19 décembre 2002. Le seul changement significatif par rapport à ce dernier porte sur la mémoire non amovible intégrée en permanence aux enregistreurs audionumériques.

Certains opposants ont demandé que le nouveau tarif ne prenne effet que 30 jours ou plus après la publication des présents motifs. D’autres, s’appuyant sur le libellé de l’alinéa 83(8)c), prétendent que l’application du tarif de copie privée est nécessairement prospective.

L’alinéa 83(8)c) prévoit que le tarif devient homologué dès lors qu’il est certifié. Cela dit, l’interprétation mise de l’avant dans la présente affaire entraîne des conséquences absurdes au moins à un titre. Un projet de tarif en copie privée (comme d’ailleurs, tous les projets de tarif déposés auprès de la Commission) doit prévoir des périodes d’effet d’une ou de plusieurs années civiles. Il en découle nécessairement que le tarif homologué doit lui aussi porter sur une ou plusieurs années civiles. Une disposition empêchant l’application rétroactive du tarif de copie privée aurait pour conséquence que les titulaires perdraient leur droit à rémunération à l’égard d’une année complète si la Commission n’arrivait pas à rendre sa décision avant le premier janvier de l’année en question.

Le fait que le tarif soit homologué après sa date de prise d’effet ne soulève pas de difficultés d’ordre pratique puisque les taux de redevances des supports déjà assujettis à un tarif restent les mêmes. En outre, la SCPCP a déjà confirmé à la Commission que pour la période du 1er janvier 2003 à la date de la présente décision, elle n’entend pas percevoir toute augmentation des taux de redevances que la Commission pourrait déterminer pour les supports déjà tarifés.

Pour ce qui est de la mémoire non amovible intégrée en permanence à un enregistreur audionumérique, la SCPCP s’est aussi engagée à ne pas chercher à percevoir de redevances sur les supports assujettis au tarif pour la première fois à l’égard des ventes effectuées avant la date d’homologation du tarif. La Commission croit pouvoir s’en remettre à cet engagement. Reste la demande de repousser de 30 jours ou plus la prise d’effet à l’égard des supports nouvellement assujettis au tarif. La Commission ne croit pas opportun de le faire en raison du nombre relativement minime de supports qui feraient l’objet de la mesure. Elle laisse aux protagonistes le soin d’en arriver à un accommodement, pour autant que cela soit nécessaire.

C. Dispositions administratives

La CSMA demande à la Commission de permettre à ses membres de déduire les frais de gestion découlant de la redevance des montants payables à la SCPCP. Elle suggère aussi de porter à 90 jours suivant la période comptable applicable la date de versement des redevances.

L’économie du régime suppose que tous les participants supportent une partie des frais de transactions qui en découlent. C’est pourquoi la Commission ne juge pas approprié de permettre aux payeurs de déduire leurs frais d’administration. Comme elle n’a pas l’intention de modifier autrement le tarif existant, sauf l’ajout de la nouvelle redevance sur la mémoire non amovible intégrée en permanence aux enregistreurs audionumériques, elle rejette la demande de la CSMA touchant la modification des périodes comptables et de paiement. Par ailleurs, aucun élément de preuve n’établit qu’un tel changement est nécessaire.

Sur un autre sujet, la Commission décide de modifier le libellé de la clause pour intérêts sur paiements tardifs pour être conforme à ses plus récentes décisions. Le montant des intérêts est donc maintenant calculé quotidiennement plutôt que mensuellement.

VI. CONCLUSION

Durant la présente instance, la Commission a fait face à un défi considérable. Elle a reçu une preuve contradictoire au sujet du marché canadien des supports audio vierges et doute maintenant vraiment comprendre la situation. Elle a aussi été tenue d’interpréter et d’appliquer une définition juridique générale à de nouvelles technologies qu’on n’aurait pu envisager au moment de l’adoption du régime. On lui a présenté un modèle d’évaluation de plus en plus complexe et qui ne convient pas à la musique comprimée et à la capacité de stockage élevée. Elle a également été saisie d’un programme d’exonération controversé, sans fondement législatif, directives parlementaires ou outils lui permettant de gérer adéquatement les problèmes sous-jacents. Les participants lui ont parlé des MPT et des SEGDA, lesquels remettent en question les hypothèses fondamentales qui sous-tendent la nécessité de redevances pour la copie privée. Elle a par ailleurs essuyé diverses autres critiques et a même été saisie de contestations constitutionnelles qui visaient le régime de la copie privée dans son intégralité. Enfin, on lui a présenté un dossier de preuve déroutant qui ne justifiait pas les augmentations proposées. En conséquence, la Commission estime que la justice et l’équité exigent une stabilité relative.

Le gel des taux de redevances n’entraînera pas nécessairement un plafonnement de la rémunération des titulaires de droits. D’une part, si la copie privée est en croissance, une plus grande quantité de supports vierges sera vendue, ce qui fera augmenter les revenus de la SCPCP. D’autre part, la Commission est consciente du fait que les revenus de la SCPCP pourraient être affectés à la baisse par la portée plus grande du programme élargi d’exonération de la redevance. La Commission ne peut prévoir l’impact global sur les revenus totaux de la SCPCP.

Le secrétaire général,

Signature

Claude Majeau

DISSIDENCE DU VICE-PRÉSIDENT CALLARY

I. INTRODUCTION

Dans l’ensemble, je souscris à l’analyse que font mes collègues de certaines des questions importantes traitées dans leur décision. Je suis d’accord avec le raisonnement qu’ils exposent à l’égard des questions d’ordre constitutionnel, ainsi qu’avec la partie de leur décision consacrée à la définition de support audio. J’appuie donc entièrement leurs conclusions selon lesquelles les consommateurs n’utilisent pas habituellement les DVD ou la mémoire amovible pour faire des copies pour usage privé, du moins jusqu’à maintenant.

Je partage certaines de leurs opinions sur l’interprétation du régime de copie privée exprimées dans leur analyse du cadre législatif. Je suis d’accord avec eux lorsqu’ils soutiennent, entre autres, que le régime est censé avoir un caractère universel. Toutefois, j’estime que l’on souhaitait aussi qu’il soit viable. En d’autres mots, il est parfaitement légitime, selon moi, de miser sur le programme d’exonération de la redevance pour cibler le plus possible ceux qui copient de la musique et rendre ainsi ce régime acceptable pour un très grand nombre de Canadiens qui ne peuvent utiliser le support pour faire de la copie privée. Sans l’aval du public, le régime ne saurait être viable.

Je ne partage pas leur point de vue sur trois aspects cruciaux de leur décision. Premièrement, je ne souscris pas à leur conclusion voulant que les incertitudes soulevées par la preuve et d’autres facteurs économiques et de politique publique fassent en sorte que la Commission ne puisse établir les taux en mettant le modèle d’évaluation à jour.

Deuxièmement, le dossier et les incertitudes liées aux données sur les ventes de supports au Canada présentées à l’audience ne m’inspirent pas les mêmes inquiétudes qu’à mes collègues, et je ne partage pas leur inconfort au sujet de l’importance relative des transactions à l’égard desquelles le paiement de la redevance est évité, ou à celles pour lesquelles on l’évade (qu’on appelle aussi transactions sur les marchés gris et noir).

Troisièmement, je ne souscris pas à l’analyse que fait la majorité du pouvoir discrétionnaire qu’a la Commission de tenir compte du programme d’exonération de la redevance aux fins de l’établissement des taux de redevances.

II. LE MODÈLE D’ÉVALUATION DE LA SCPCP ET LES TAUX DE REDEVANCES

Il convient ici de décrire quelque peu en détail les éléments de preuve que j’ai utilisés dans la mise en application du modèle d’évaluation de la SCPCP. Les détails complets figurent à l’annexe I des présents motifs.

A. Rémunération des auteurs

Le premier élément de ce calcul est le taux de redevance des licences de reproduction mécanique par chanson, par CD haut de gamme. Selon la SCPCP, ce taux s’élève à 7,7¢ par chanson pour 2003. Comme aucune autre partie ne s’oppose à ce taux, j’accepte la position de la SCPCP. De plus, puisque aucune nouvelle preuve n’a été produite en ce qui concerne le nombre de plages que contient un CD préenregistré typique, je continuerais de me fonder sur le nombre de 14 pièces, d’une durée moyenne de 4 minutes 10 secondes chacune.

Comme dans les décisions antérieures, un escompte de 25 pour cent est appliqué au taux de redevance des licences de reproduction mécanique de CD haut de gamme pour tenir compte des ventes effectuées par les clubs de disques et celles des CD à prix modique qui représentent, selon les estimations antérieures, 40 pour cent des ventes de CD préenregistrés. Soulignant que l’un des deux clubs de disques du Canada s’est retiré du marché en 2000, la SCPCP estime que les ventes réalisées par ces clubs et les ventes de CD à prix modique ont vraisemblablement été ramenées à 30 pour cent au plus durant l’exercice 2001-2002. La SCPCP reconnaît toutefois qu’elle n’a pas eu accès aux données nécessaires pour établir ce pourcentage avec précision. Par conséquent, un point médian de 35 pour cent serait plus approprié.

La CSMA propose l’application de deux nouveaux escomptes dans l’évaluation de la rémunération des auteurs. Selon elle, l’indicateur substitutif devrait tenir compte des escomptes sur les redevances qui peuvent s’appliquer aux pièces individuelles ou aux téléchargements numériques. Elle suggère donc un escompte d’environ 25 pour cent pour les pièces individuelles et un escompte «technologique» de 10 pour cent. La SCPCP s’y oppose parce que le marché des pièces individuelles a pratiquement disparu au Canada, alors que le marché des téléchargements numériques reste à établir. Je suis d’accord avec la SCPCP.

Compte tenu de ce qui précède, la rémunération moyenne versée aux auteurs pour un CD préenregistré est évaluée à 98¢ (ligne F, annexe I).

B. Rémunération des artistes-interprètes et des producteurs

La rémunération moyenne des artistes-interprètes et des producteurs est calculée en fonction d’un pourcentage du prix de détail suggéré (PDS) d’un CD préenregistré haut de gamme, estimé à 19,98 $ en 2000. La SCPCP laisse entendre que l’application d’un facteur de rajustement pour l’inflation annuelle de 2,5 pour cent porterait ce prix à 20,49 $. La CSMA souligne que l’hypothèse voulant que le PDS augmente pendant que les ventes de disques régressent et que les téléchargements en ligne connaissent une croissance marquée est illogique. Je suis d’accord avec elle et je tiens donc pour acquis que le PDS des CD haut de gamme est toujours de 19,98 $.

Compte tenu de ce qui précède, la rémunération moyenne versée aux artistes-interprètes et aux producteurs est estimée à 1,96 $ (ligne M, annexe I). Ajoutée aux 98¢ versés aux auteurs, la rémunération moyenne versée à tous les titulaires de droits à l’égard d’un CD préenregistré typique s’élève à 2,94 $ (ligne N).

C. Rajustement relatif au répertoire admissible

Tel que dans l’approche retenue par la majorité, je me fonderais moi aussi autant sur les données relatives au nombre de diffusions à la radio qu’au chiffre des ventes pour déterminer le pourcentage de copies privées tirées des répertoires admissibles des artistes-interprètes et des producteurs. Selon les chiffres mis à jour par la SCPCP, le répertoire admissible compte pour 47 pour cent de toute la musique copiée en privé. La rémunération estimée des titulaires de droits admissibles à l’égard d’un CD préenregistré typique s’élève donc à 1,38 $ (ligne S).

D. La nature accessoire de la copie privée

De façon générale, je suis d’accord avec la majorité sur la nécessité de continuer à tenir compte de ce rajustement aux fins de l’établissement des taux de redevances. Je l’augmenterais légèrement pour tenir compte de nouveaux éléments de preuve relatifs à la qualité inférieure des fichiers MP3. Je fixerais donc l’escompte à 40 pour cent, comparativement à la valeur de 37,5 pour cent utilisée dans la dernière décision.

L’application de cet escompte à la rémunération estimée donne lieu à une rémunération rajustée de 82,56¢ (ligne W), ce qui est inférieur au taux de 86,5¢ utilisé par la Commission dans la dernière décision.

E. Taux de redevance applicable aux cassettes audio

J’utiliserais pour l’essentiel les mêmes chiffres que ceux de la dernière décision. Compte tenu du programme d’exonération de la redevance aux fins du calcul du taux pour les cassettes audio, j’aurais homologué un taux de redevance de 28¢ (ligne AC), soit 1¢ de moins que le taux précédent.

F. Taux de redevance applicable aux CD-R et aux CD-RW

Le premier point à propos duquel je ne suis pas d’accord avec mes collègues a trait à la détermination de la proportion des CD vierges achetés par les consommateurs. Selon l’étude de Circum présentée par la SCPCP, 70,8 pour cent de tous les CD enregistrables sont achetés par les consommateurs, alors que cette proportion était de 45 pour cent dans la dernière décision. Mes collègues en arrivent à la conclusion qu’ils ne peuvent homologuer une augmentation du taux en s’appuyant sur des preuves qu’ils jugent trop ambiguës. Le chiffre de 70,8 pour cent avancé par la SCPCP semble certainement trop élevé et est probablement en partie imputable à des problèmes d’ordre méthodologique liés à la manipulation des données du sondage. Il y a d’ailleurs lieu de noter ici que la manipulation et l’utilisation de données de sondage ne se fait jamais sans problèmes, cette fois-ci comme dans les décisions précédentes en copie privée. Quoi qu’il en soit, compte tenu de la preuve relative au taux de prévalence actuel de la copie privée de musique, il n’y a, selon moi, pas de doute que ce pourcentage a augmenté depuis que la Commission a rendu sa dernière décision. Je suis prêt à reconnaître que 60 pour cent de tous les CD-R et CD-RW sont achetés par les consommateurs.

La deuxième question qui m’oppose à mes collègues concerne les proportions dans lesquelles les consommateurs utilisent les CD-R et les CD-RW pour copier de la musique. Dans la décision précédente, la Commission avait accepté un pourcentage estimatif de 56 pour cent pour les deux types de supports. En l’espèce, Circum a établi que 66 pour cent des consommateurs avaient copié de la musique la dernière fois qu’ils avaient utilisé un CD-R, alors que selon Léger Marketing, cette proportion s’élevait plutôt à 53 pour cent. Dans le cas des CD-RW, ces proportions s’élèvent à 49 pour cent et à 31 pour cent, respectivement. Compte tenu de ces éléments de preuve relativement cohérents, j’aurais tendance à utiliser plutôt 60 pour cent pour les CD-R et 40 pour cent pour les CD-RW et à établir des taux différents pour les CD-R et les CD-RW.

La SCPCP laisse entendre qu’un escompte de 12 pour cent pour le gaspillage ne convient plus. Elle souligne que les consommateurs qui copient de la musique sur des CD vierges deviennent de plus en plus adroits, en raison, notamment, de l’évolution de la technologie et de l’apparition de logiciels de reproduction plus conviviaux. La CSMA convient que cet escompte devrait être révisé à la baisse, mais elle suggère 8,14 pour cent alors que la SCPCP propose 5 pour cent. Pour ma part, j’utiliserais 7,5 pour cent. Aucun escompte n’est nécessaire pour les CD-RW, car ce support est réinscriptible.

Comme l’indique l’annexe I et compte tenu de tous les facteurs précités, j’aurais homologué un taux de 29¢ pour les CD-R (ligne AF) et de 21¢ pour les CD-RW (ligne AI), soit 8¢ de plus que le taux précédent pour les CD-R et le même pour les CD-RW.

G. Taux de redevance applicable aux CD-R Audio, aux CD-RW Audio et aux MiniDisc

M’appuyant sur la plupart des hypothèses énoncées dans la décision précédente, je serais disposé à homologuer un taux de 72¢ pour ces types de supports (ligne AL).

H. Taux de redevance applicable à la mémoire non amovible intégrée en permanence aux enregistreurs audionumériques

Je souscris aux principes énoncés par la majorité en vue de déterminer le taux applicable à ce type de supports ainsi qu’au niveau du taux qu’elle a homologué.

I. Montant total des redevances générées et capacité de payer

Les taux de redevances que je propose impliquent en soi, une augmentation du montant total de redevances que la SCPCP serait en mesure de percevoir. Abstraction faite du programme d’exonération élargi proposé par la SCPCP, ces taux pourraient générer jusqu’à 47 millions de dollars pour l’année 2004. Toutefois, comme la SCPCP s’est publiquement engagée à mettre en œuvre ce programme élargi dès la publication de la présente décision de la Commission, il est réaliste de croire que les redevances que percevrait la SCPCP seraient plutôt de l’ordre de 30 à 35 millions de dollars.

Un taux de 29¢ sur les CD-R ne me paraît pas excessif. Premièrement, puisque plusieurs utilisateurs commerciaux pourraient bénéficier du programme d’exonération, ils n’auraient aucune redevance à payer. Les particuliers seraient tenus de payer cette redevance. Toutefois, comme les achats de CD représenteraient toujours une très petite partie du budget du consommateur moyen, la capacité de ce dernier de verser les 8¢ de plus par CD vierge ne semblerait pas être en cause.

III. ÉVITEMENT ET ÉVASION DE LA REDEVANCE

Je ne partage pas les inquiétudes de mes collègues en ce qui a trait au marché gris et à certaines données incohérentes, et je ne souscris pas non plus à la conclusion voulant que les utilisateurs dérogent à leur obligation de payer la redevance en nombre suffisant pour qu’il faille stabiliser le taux de la redevance. Pour ma part, je continue de croire à la fiabilité des données établies par la SCPCP et Santa Clara relativement aux ventes de supports, mais je reconnais que l’on pourrait faire plus pour vérifier leur validité la prochaine fois. J’estime que, même si un certain niveau d’évitement et d’évasion de la redevance existe en ce moment, ce phénomène n’a pas l’ampleur que mes collègues lui prêtent.

Il ne me semble pas que les données des détaillants devraient, à elles seules, amener à remettre en cause la taille du marché noir au Canada. Assurément, si ce marché était aussi important que les détaillants le laissent entendre, tout le monde le saurait. Des témoins seraient venus en rendre compte et les médias auraient fait amplement mention de la façon dont les acheteurs s’y prennent pour réaliser des économies en achetant leurs CD sur des marchés alternatifs. Je suis convaincu que le marché gris et noir ne compte que pour 10 à 15 pour cent au maximum de l’ensemble du marché. De plus, un grand nombre d’intervenants de ce marché auraient été admissibles à l’exonération de la redevance s’ils avaient opté pour une telle approche.

Selon moi, mes collègues ont conclu à l’existence d’importants marchés gris et noir en se fiant surtout à leur intuition et en s’appuyant sur des déductions. Personne n’a soutenu, par exemple, que les chiffres des détaillants donnaient à penser que les marchés gris et noir avaient au moins la même envergure que le marché connu. La majorité adopte néanmoins ce point de vue en dépit de preuves et de données concordantes provenant de la SCPCP, de la CSMA et de l’IRMA.

Quant aux modifications proposées par la SCPCP et la CSMA pour le tarif 2001-2002 et à leur demande conjointe visant la modification de la Loi, elles sont parfaitement justifiées par l’existence de marchés gris et noir dans des proportions de l’ordre de 10 à 15 pour cent du marché total.

Enfin, un examen attentif de la croissance des ventes de graveurs de CD révèle qu’elle suit d’assez près celle des ventes de CD vierges mentionnée par la SCPCP. De plus, étant donné que bon nombre de ces graveurs de CD sont intégrés à la plupart des modèles d’ordinateurs personnels et qu’ils sont souvent inutilisés, on ne peut s’attendre à une corrélation parfaite entre les ventes de graveurs et les ventes de CD-R.

IV. LE PROGRAMME D’EXONÉRATION DE LA REDEVANCE

À mon sens, la Commission devrait partir du principe suivant lequel le législateur a promulgué un régime de copie privée qui doit être viable et équitable et qui permet d’atteindre les objectifs s’y rattachant. Le programme d’exonération est devenu une composante intrinsèque de ce régime et, conséquemment, un taux de redevance qui n’en tient pas compte ne peut être équitable pour les titulaires de droits. Si l’établissement du taux est fondé sur l’hypothèse voulant que tous les acheteurs de supports vierges le paient, la perception de cette redevance par la SCPCP auprès d’une partie d’entre eux seulement entraîne alors une dévaluation des droits des titulaires. Dans ces circonstances, les titulaires de droits obtiennent en contrepartie de l’expropriation de leurs droits une rémunération inique et inférieure à ce qu’elle devrait être.

Si le programme d’exonération fait maintenant partie intégrante du régime de la copie privée, c’est en grande partie à cause des doléances exprimées par la Commission et des décisions qu’elle a rendues. Alors qu’elle statuait ne pas pouvoir mettre sur pied un tel programme, elle encourageait fortement la SCPCP à le faire. Celle-ci ayant obtempéré, la Commission a tenu pleinement compte du nouveau programme aux fins de l’établissement du taux de la redevance sur les cassettes audio. Ce faisant, elle a indiqué implicitement que le régime de copie privée pouvait et devait être structuré de manière à être davantage ciblé.

Ce scénario correspond à la perception que j’ai toujours eue du fonctionnement souhaité du régime. Selon moi, et en toute déférence, c’est le seul scénario qui soit en accord avec les décisions rendues antérieurement par la Commission au sujet du régime de copie privée. Dans Copie privée II (p. 16-17), la Commission déclare ce qui suit :

«La Commission continue de croire qu’elle ne peut établir d’exemptions, mais conclut, pour des motifs juridiques, pratiques et de politique publique, qu’elle est en mesure de tenir compte des cassettes audio vendues en franchise en les excluant du calcul de la redevance.

[...]

Deuxièmement, un tarif qui ne tiendrait pas compte du mécanisme serait inéquitable. Sur le plan pratique, le régime de copie privée ne peut survivre sans mécanisme d’exonération. En n’excluant pas du calcul les supports vendus en franchise, on ferait supporter aux auteurs le coût de la renonciation à la rémunération, en plus des frais d’administration d’un accessoire désormais nécessaire au régime.»

La majorité dit avoir reconsidéré la position de la Commission sur le programme d’exonération parce qu’elle n’en saisissait pas à fond l’impact dans l’affaire de Copie privée II, alors que la présente décision se fonde sur un dossier plus complet dont elle est maintenant saisie. Dans la mesure où cette nouvelle preuve existe, elle ne me convainc pas. Je continue de croire qu’il est nécessaire de prendre en compte le programme d’exonération dans l’établissement des taux de redevances.

Pour être juste et équitable envers tous, soit les consommateurs qui copient de la musique pour leur usage privé, ceux qui achètent des supports vierges à d’autres fins privées, et les titulaires dont les droits ont été expropriés par la mise en œuvre du régime, il faut que la Commission tienne compte de l’effet du programme d’exonération de la SCPCP sur la somme totale que la redevance générera.

Le dossier tend à confirmer qu’au Canada la redevance est refilée aux utilisateurs ultimes de supports vierges. Le programme d’exonération soustrait à l’application du tarif les entités qui, par définition, ne peuvent faire de copie privée (c’est-à-dire les organismes). En tenant compte des ventes exonérées aux fins de l’établissement du taux de la redevance, on accroît le fardeau de ceux qui sont le plus susceptibles de se livrer à la copie privée. Structurer le marché de façon à ce que ces derniers paient la majeure partie du prix de ces copies ne peut être injuste. Mes collègues soulignent que l’option de se livrer à la copie privée a une valeur pour tous les consommateurs, y compris ceux qui n’en font jamais. Je suis d’accord, et c’est pourquoi il n’est pas injuste d’augmenter les taux s’appliquant à tous les supports achetés par les consommateurs.

Je comprends que cela contraindrait peut-être un certain nombre d’utilisateurs ne pouvant s’adonner à la copie privée à payer la redevance selon un taux plus élevé que celui qui serait exigé par ailleurs. Cela découle de la structure même du régime et est inévitable. Le régime de copie privée a déjà été qualifié de «justice sommaire». Le mandat de la Commission ne consiste pas à assurer l’équité intégrale du régime mais à le rendre le plus équitable possible.

Je ne peux souscrire à la déclaration de mes collègues voulant que le programme d’exonération soit illégal et qu’en le mettant sur pied ou en en tenant compte aux fins de l’établissement du taux de la redevance, la SCPCP ou la Commission se substitue au législateur en sous-entendant d’autres exemptions dans la Loi. La SCPCP n’a pas miné le régime de copie privée en mettant en œuvre le programme d’exonération. Elle a donné suite à une déclaration directe de la Commission et a réagi à une dure réalité du marché. En affirmant que l’on devrait tenir compte du programme aux fins de l’établissement du taux, je ne propose pas que la Commission usurpe une fonction que le législateur s’est réservée ou qu’il a attribuée à d’autres (soit le Cabinet). Je ne fais que déclarer que la Commission devrait accepter les conséquences inévitables de ses propres actions et tenir compte de la réalité de l’application des redevances.

Je crois que la Commission a le pouvoir discrétionnaire de prendre acte des innovations introduites par la société de gestion qui représente les titulaires de droits et grâce auxquelles le régime devient ultimement plus équitable et moins controversé. De nombreux opposants ont insisté pour dire que le programme d’exonération élargi était essentiel pour eux. Ils ont peut-être indiqué une préférence pour un programme non assorti de restrictions ou de frais, mais ils n’en ont pas moins insisté sur la nécessité d’offrir un tel programme. Par exemple, la nécessité qu’un programme d’exonération de la redevance soit mis en place était le seul argument à la base des oppositions du Conseil des ministres de l’éducation (Canada), de l’Association des universités et collèges du Canada, de l’Association des collèges communautaires du Canada, de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants et de l’Association canadienne des commissions/conseils scolaires. De plus, M. Denis Makepeace, de Cognos Inc., a clairement affirmé que [TRADUCTION] «l’exonération de la redevance fait partie intégrante de la position sur laquelle s’appuient les consommateurs de CD-R dans leurs énoncés de cause.» M. Trottier a quant à lui affirmé ce qui suit : [TRADUCTION] «Je crois que l’idée d’une exonération de redevance est bonne puisqu’elle permet d’exempter de nombreuses formes d’utilisation importantes ne faisant pas intervenir la copie d’oeuvres canadiennes pour usage privé.»

En outre, des opposants de la première heure comme la SRC se sont désistés, affirmant qu’ils étaient convaincus que la SCPCP mettrait en œuvre son programme d’exonération élargi tel qu’elle s’engageait à le faire. L’Association canadienne des radiodiffuseurs, qui faisait elle aussi partie de ce groupe, a commencé à offrir à ses membres de l’information détaillée sur ce programme élargi proposé par la SCPCP avant même que la Commission ne rende la présente décision. Les utilisateurs estiment, à l’évidence, que le programme élargi fait partie intégrante du marché.

La vocation première d’un tribunal administratif est de réaliser les souhaits du législateur selon lesquels l’administration non seulement du tarif, mais aussi des programmes de perception soit juste et équitable. Pour ma part, l’un ne va pas sans l’autre. S’agissant de la définition de support audio, la majorité affirme que «le législateur a cherché avant tout la réceptivité aux réalités du marché et la souplesse nécessaire à l’adaptation à un environnement changeant.» Je suggère d’appliquer ces mêmes éléments de réceptivité et de souplesse au programme d’exonération.

Selon la majorité, il appartient aux tribunaux judiciaires de déterminer si une copie faite sur un support qui ne se qualifie pas viole ou non le droit d’auteur. Ainsi, le fait que la Commission peut considérer qu’une action particulière viole le droit d’auteur ne signifie pas que cette action soit illégale ipso facto. Il s’ensuit qu’il appartient à ces mêmes tribunaux de déterminer si le programme d’exonération de la redevance est illégal. Il me semble important de le souligner étant donné l’inquiétude que je ressens face aux perturbations importantes que la décision de la majorité pourrait créer sur les marchés existants de supports vierges et à la menace que cette décision constitue pour la viabilité du régime de copie privée tel qu’on le connaît. De plus, plusieurs organisations, telles les radiodiffuseurs, les institutions d’enseignement et les organisations religieuses, qui n’ont pas agi comme participants dans cette affaire et dans la précédente puisqu’elles bénéficiaient du programme d’exonération, auront maintenant à faire face à des dépenses additionnelles importantes et imprévues.

Il reste à trancher la question de savoir à quel moment il faudrait prendre en compte les modifications apportées au programme. Je me contenterai de dire qu’il n’est peut-être pas toujours nécessaire d’attendre que leur mise en application et l’évaluation de leur incidence aient été faites pour pouvoir en tenir compte. La Commission rend régulièrement des décisions prospectives fondées sur des données imparfaites (mais fiables). Dans Copie privée I, elle n’était pas en mesure d’évaluer de manière sûre l’influence éventuelle du programme. Or, dans la présente affaire, le dossier contenait de nombreux éléments de preuve fiables qui auraient permis à la Commission d’évaluer les conséquences d’un élargissement du programme aux CD vierges.

Cela étant dit, les taux que je propose ne tiennent compte du programme d’exonération que pour les cassettes audio. La SCPCP n’a pas demandé à la Commission de tenir compte du programme d’exonération élargi qu’elle propose aux fins de l’établissement des taux de redevances pour les autres supports. Je ne l’aurais donc pas fait.


Annexe I
Copie privée 2003-2004
Calcul du taux de la redevance

RÉMUNÉRATION DES AUTEURS

A

Redevance des licences de reproduction mécanique par chanson, par CD haut de Gamme

0,077 $

B

Nombre moyen de plages par CD

14

C

Pourcentage des ventes attribuables aux clubs de disques et aux gammes à bas prix

35 %

D

Escompte relatif aux ventes des clubs de disques et de gammes à rabais

25 %

E

Ajustement pour tenir compte des ventes des clubs de disques et de gammes à bas prix [C × D] 0,35 × 0,25

8,75 %

F

Rémunération des auteurs [A × B × (1 – E)] 0,077 × 14 × (1 – 0,0875)

0,98 $

 

RÉMUNÉRATION DES ARTISTES-INTERPRÈTES ET DES PRODUCTEURS

G

Prix de détail suggéré des CD haut de gamme

19,98 $

H

Redevance (en pourcentage)

18 %

I

Rabais applicables (contenant, allocation pour produits gratuits)

36,25 %

J

Escompte relatif aux ventes des clubs de disques et de gammes à rabais

50 %

K

Ajustement pour tenir compte des ventes des clubs de disques et de gammes à bas prix [C × J] 0,35 × 0,5

17,5 %

L

Versements à l’American Federation of Musicians

0,07 $

M

Rémunération des artistes-interprètes et des producteurs [(G × H ×(1 – I) × (1 – K) ) +L] (19,98 × 0,18 × (1 – 0,3625) × (1 – 0,175) ) + 0,07

1,96 $

N

Redevances totales par CD préenregistré [F + M] 0,98 + 1,96

2,94 $

 

RAJUSTEMENT RELATIF AU RÉPERTOIRE ADMISSIBLE

O

Part pondérée des copies privées revenant aux auteurs admissibles [(F ÷ N) × % des copies privées faisant partie du répertoire d’auteurs admissibles] 0,98 ÷ 2,94 × 96 %

32 %

P

Part pondérée des copies privées revenant aux artistes-interprètes admissibles [(M ÷ N) × % des copies privées faisant partie du répertoire des artistes-interprètes admissibles ÷ 2] 1,96 ÷ 2,94 × 26 % ÷ 2

8,7 %

Q

Part pondérée des copies privées revenant aux producteurs admissibles [(M ÷ N) × % de copies privées faisant partie du répertoire des producteurs admissibles ÷ 2] 1,96 ÷ 2,94 × 19 % ÷ 2

6,3 %

R

Part pondérée des copies privées provenant du répertoire admissible [O + P + Q] 32 + 8,7 + 6,3

47 %

S

Rémunération imputée au répertoire admissible par CD [N × R] 2,94 × 0,47

1,3818 $

 

RÉMUNÉRATION RAJUSTÉE (NATURE ACCESSOIRE DE L’ACTIVITÉ)

T

Ajustement pour les copies de CD appartenant au copiste [% des copies privées × 50 %] 37 % × 50 %

18,5 %

U

Ajustement pour les copies de fichiers MP3 [% des copies privées × 37,5 %] 48 % × 37,5 %

18 %

V

Ajustement pour les copies de toutes les autres sources [% des copies privées × 50 %] 15 % × 25 %

3,75 %

W

Rémunération rajustée [S × (1 – (T + U + V) )] 1,3818 $ × (1 – (0,185 + 0,18 + 0,0375) )

0,8256 $

X

Durée moyenne d’un CD préenregistré [B × 4'10"] 14 × 4'10"

58,33 min

Y

Pourcentage de la durée d’enregistrement moyenne utilisée sur un CD préenregistré

86 %

 

TAUX DE LA REDEVANCE SUR LES CASSETTES AUDIO

AA

Capacité d’enregistrement moyenne pondérée

82,6 min.

AB

Ajustement pour tenir compte de la capacité d’enregistrement [( (AA × Y) – X) ÷ X ÷ 2] ( (82,6 × 0,86) – 58,33) ÷ 58,33 ÷ 2

10,9 %

AC

Taux de la redevance sur les cassettes [W ÷ 2 × % de cassettes achetées par les particuliers × % de cassettes achetées en vue de faire des copies privées × (1 + AB)] 0,8256 $ ÷ 2 × 0,95 × 0,65 × (1 + 0,109)

0,28 $

 

TAUX DE LA REDEVANCE SUR LES CD-R

AD

Capacité d’enregistrement moyenne

79,1 min.

AE

Ajustement pour tenir compte de la capacité d’enregistrement [( (AD × Y) – X) ÷ X × 0,66] ( (79,1 × 0,86) – 58,33) ÷ 58,33 × 0,66

11 %

AF

Taux de la redevance sur les CD-R [W × % de CD-R achetés par les particuliers × % de CD-R achetés en vue de faire des copies privées × (1 – % de perte) × (1 + AE) × (1 – % de téléchargements payés effectués sur Internet)] 0,8256 $ × 0,6 × 0,6 × (1 – 0,075) × (1 + 0,11) × (1 – 0,05)

0,29 $

 

TAUX DE LA REDEVANCE SUR LES CD-RW

AG

Capacité d’enregistrement moyenne

79,1 min.

AH

Ajustement pour tenir compte de la capacité d’enregistrement [( (AG × Y) – X) ÷ X × 0,66] ( (79,1 × 0,86) – 58,33) ÷ 58,33 × 0,66

11 %

AI

Taux de la redevance sur les CD-RW [W × % de CD-RW achetés par les particuliers × % de CD-RW achetés en vue de faire des copies privées × (1 + AH) × (1 – % de téléchargements payés effectués sur Internet)] 0,8256 $ × 0,6 × 0,4 × (1 + 0,11) × (1 – 0,05)

0,21 $

 

TAUX DE LA REDEVANCE SUR LES CD-R AUDIO, CD-RW AUDIO ET MINIDISC

AJ

Capacité d’enregistrement moyenne

74 min.

AK

Ajustement pour tenir compte de la capacité d’enregistrement [( (AJ × Y) – X) ÷ X × 0,75] ( (74 × 0,86) – 58,33) ÷ 58,33 × 0,75

6,8 %

AL

Taux de la redevance sur les CD-R Audio, CD-RW Audio et MiniDisc [W × % de CD-R Audio achetés par les particuliers × % de CD-R Audio achetés en vue de faire des copies privées × (1 – % de perte) × (1 + AK) × (1 – % de téléchargements payés effectués sur Internet)] 0,8256 $ × 0,95 × 0,95 × (1 – 0,05) × (1 + 0,068) × (1 – 0,05)

0,72 $

 



[1] Tarif des redevances à percevoir par la SCPCP, en 1999 et 2000, pour la vente de supports audio vierges, au Canada, www.cb-cda.gc.ca/decisions/c17121999-b.pdf, 4 C.P.R. (4e) 15, demande de contrôle judiciaire rejetée, AVS Technologies Inc. c. Canadian Mechanical Reproduction Rights Agency, (2000) 7 C.P.R. (4e) 68; A.C.F. 960.

[2] Tarif des redevances à percevoir par la SCPCP, en 2001 et 2002, pour la vente de supports audio vierges, au Canada, www.cb-cda.gc.ca/decisions/c22012001reasons-b.pdf, 10 C.P.R. (4e) 289.

[3] Demande de modification du tarif des redevances à percevoir par la SCPCP, en 2001 et 2002, pour la vente de supports audio vierges, au Canada, www.cb-cda.gc.ca/decisions/c09042002-b.pdf, (2002) 18 C.P.R. (4e) 345.

[4] Circum a interrogé plus de 1000 Canadiens par mois durant au moins 21 mois, et la Commission croit savoir que ce sondage est toujours en cours. Durant la deuxième moitié de 2001 et la première moitié de 2002, Circum a parlé à plus de 12 000 personnes.

[5] «MP3» est l’abréviation de MPEG-3, qui signifie “Motion Picture Experts Group, Audio Layer 3”.

[6] Ces produits sont parfois dotés d’une mémoire interne pouvant stocker des copies éphémères en vue de faciliter la lecture d’enregistrements d’œuvres musicales, mais la SCPCP n’a pas cherché à faire imposer une redevance sur cette mémoire.

[7] S. Stohn, transcriptions, page 1501; C. Brunet, transcriptions, page 2213.

[8] Dans Copie privée I, on a dit à la Commission qu’environ 934 millions de pièces avaient été copiées alors que, dans Copie privée II, ce chiffre tombe, curieusement, à près de 570 millions. Durant la période de sondage antérieure à l’instance, les Canadiens ont copié, selon la SCPCP, juste un peu moins de 1,1 milliard de pièces.

[9] Pièce CPCC-4, p. 9-10.

[10] Les éléments de preuve à cet égard se retrouvent à plusieurs endroits dans le dossier et les transcriptions. La Commission retient en particulier les pièces CPCC-17, CPCC-17A, CPCC-19 et CPCC-20, et CSMA-40 (Document d’appui à l’argumentation orale).

[11] Le groupe d’experts Santa Clara publie une série de rapports en se fondant sur des données recueillies à travers le monde. Ils consultent des fabricants de supports et d’enregistreurs, équipementiers, bureaux régionaux de ventes, distributeurs et revendeurs de produits à valeur ajoutée. Sur la base de données ainsi obtenues, ils évaluent la part du marché canadien et publient leur étude canadienne.

[12] IRMA obtient des renseignements de ses membres, qui contrôlent 80 pour cent du marché mondial des supports. Elle publie une étude nord-américaine à partir de laquelle les experts de la SCPCP ont estimé les données canadiennes.

[13] Aux termes de l’article 85 de la Loi, les titulaires de droits d’auteur admissibles sont les auteurs d’œuvres musicales toujours protégées par le droit d’auteur au Canada ainsi que les artistes-interprètes et producteurs qui sont citoyens ou résidents du Canada ou d’un pays désigné dans une déclaration ministérielle. Aucune désignation de ce genre n’a été faite à ce jour.

[14] Paragraphe 80(2) de la Loi.

[15] Les tribunaux canadiens se penchent actuellement sur des questions connexes dans le contexte de l’examen d’une autre des décisions de la Commission : voir Tarif des droits à percevoir par la SOCAN pour l’exécution publique d’œuvres musicales 1996, 1997, 1998 (Tarif 22, Internet) (Re) [1999] 1 C.P.R. (4e) 417; Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Association canadienne des fournisseurs Internet (C.A.) (2002) 4 C.F. 3, demande d’autorisation d’en appeler devant la CSC accueillie, [2002] CSCR no 289. Les tribunaux américains ont aussi examiné certaines de ces questions récemment. Voir notamment Metro-Goldwyn-Mayer Studios Inc. et. al. v. Grokster, Ltd. et. al., CV 01-08541-SVW), (C.D. Cal. 2003); et A & M Records, Inc v. Napster, Inc. 239 F.3d 1004 (9th Cir. 2001).

[16] L’article 86 exempte les ventes au profit d’une société qui représente des personnes ayant une déficience perceptuelle. Ces sociétés ont droit à un remboursement si elles achètent des supports autrement que par l’entremise directe d’un fabricant ou d’un importateur.

[17] C. Brunet, transcriptions, page 3414.

[18] Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467 à 485. Voir aussi Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets), [2002] A.C.S. No. 77 (QL) par Binnie (dissident) au par. 55.

[19] H. Knopf, transcriptions, page 3763. Il fut par exemple suggéré d’exonérer de la redevance tous les CD vendus en paquets de plus de 100 ou peut-être de 400, et ce, même s’il y avait peu d’éléments de preuve à cet égard. H. Knopf, transcriptions, page 3762.

[20] H. Knopf, transcriptions, page 3758.

[21] Voir par exemple Copie privée II, page 14.

[22] Voir la pièce RETAILERS-28, Gouvernement du Canada, Stimuler la culture et l’innovation : Rapport sur les dispositions et l’application de la Loi sur le droit d’auteur, Ottawa, 2003.

[23] Neighbouring Rights Collective of Canada v. Society of Authors, Composers and Publishers of Canada, (2003) CAF 302; [2003] A.C.F. no 1094 (QL).

[24] Loi, sous-al. 83(8)a)(ii).

[25] Voir, par exemple, D. Collier, transcriptions, pages 1919-1920; C. Brunet, transcriptions, page 1839.

[26] Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, ch. 11, (R.-U.).

[27] R. Pitt, transcriptions, pages 2262-2273.

[28] Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu [2000] 1 R.C.S. 783.

[29] S’il était retenu, la partie VIII n’aurait pas été promulguée de façon régulière, car son adoption ne serait pas conforme aux articles 53 et 54 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[30] Copie privée I, pages 13-17.

[31] J. Macera, transcriptions, page 3331.

[32] [1999] 3 R.C.S. 134.

[33] [1998] 2 R.C.S. 565.

[34] Ibid., par. 21.

[35] Westbank, supra note 32 à la p. 22.

[36] Ibid.

[37] Supra note 1.

[38] Dans Copie privée I, la Commission a déclaré (p. 29) que «ce qui confère à un événement ou à une situation son caractère habituel n’est pas nécessairement la quantité, mais plutôt la régularité.» M. Carruthers a défini cette notion avec justesse, en laissant entendre qu’une activité était habituelle si [TRADUCTION] «elle n’est pas bizarre et que c’est fait par beaucoup beaucoup de gens». J. Carruthers, transcriptions, page 3094.

[39] Tel que les notions de partie «importante», d’utilisation «équitable» et d’exécution «publique», par exemple. Voir CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2002] 4 C.F. 213, par. 92-97, autorisation d’en appeler devant la CSC accordée [2002] SCCA no 317; Édutile Inc. c. Assoc. pour la protection des automobilistes, [2000] 4 C.F. 195, par. 22; Ladbroke (Football), Ltd. v. William Hill (Football) Ltd., [1964] 1 All E.R. 465-469, 473 (H.L.); Vaver, D., Copyright Law, Toronto, Irwin Law, 2000, p. 145.

[40] Department of Commerce, International Trade Administration, “Notice of Final Determination of Sales at Less Than Fair Value - Static Random Access Memory Semiconductors from Taiwan,” A-583-827 (23 février 1998), disponible en ligne à : http://ia.ita.doc.gov/frn/9802frn/a583827.htm; Department of Commerce, International Trade Administration, “Notice of Final Determination of Sales at Less Than Fair Value - Static Random Access Memory Semiconductors from Korea,” A-583-828 (23 février 1998), disponible en ligne à : http://ia.ita.doc.gov/frn/9802frn/a580828.htm.

[41] E. Driedger, Construction of Statutes, (2nd ed., 1983) à la page 87; Barrie Public Utilities v. Canadian Cable Television Association, [2003] A.C.S. no 27 au par. 20; Bell ExpressVu Limited Partnership v. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559 at para. 26; art. 12, Loi d’interprétation, L.R. 1985, ch. I-21.

[42] SOCAN c. ACFI, [2002] 4 F.C. 3, par. 122. Voir aussi Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., [2002] A.C.S. no 32, par. 113, juge Gonthier (dissident).

[43] Sony Corp. of America v. Universal City Studios, Inc., 464 U.S, p. 431.

[44] Apparamment, ceux-ci ont 150 Mo d’espace utile.

[45] H. Knopf, transcriptions, pages 1879-1880.

[46] R. Bourrier, transcriptions, pages 1954-1955.

[47] P. Audley, transcriptions, page 1772; R. Hofley, transcriptions, page 3645.

[48] B. Gauthier, transcriptions, pages 1298-1300.

[49] Voir Pièce CPCC-5 à la page b-65.

[50] Soulignons que toute trame sonore accompagnant un vidéo n’est pas considérée comme un «enregistrement sonore» aux fins de la présente décision. Voir l’art. 2 de la Loi.

[51] Copie privée I, page 42.

[52] D. Basskin, transcriptions, pages 403 et 491.

[53] Pour un exposé supplémentaire sur les facteurs pertinents, voir Copie privée I, pages 48-49, et Copie privée II, pages 11-14.

[54] Voir les pièces CPCC-6, CPCC-7, CPCC-20 et CSMA-37.

[55] Voir la pièce CPCC-7, p. 32-37.

[56] R. Bourrier, transcriptions, page 1944.

[57] Loi, art. 66.52.

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