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Copyright Board
Canada

Canada Coat of Arms/Armoiries du Canada

Commission du droit d’auteur
Canada

 

Date

2007-03-16

Référence

Dossier : Reproduction d’œuvres musicales

Régime

Gestion collective relative aux droits visés aux articles 3, 15, 18 et 21

Loi sur le droit d’auteur, paragraphe 70.15(1)

Commissaires

M. le juge William J. Vancise

M. Stephen J. Callary

Me Francine Bertrand-Venne

Tarif des redevances à percevoir par CMRRA/SODRAC inc. pour la reproduction d’œuvres musicales, au Canada, par les services de musique en ligne en 2005, 2006 et 2007

Motifs de la décision

I. INTRODUCTION

[1] Les services en ligne modifient notre façon d’écouter et d’utiliser la musique. L’écoute se fait de moins en moins chez soi ou en voiture et de plus en plus sur la rue, dans le métro, en joggant ou au bureau. Partout, jeunes, vieux ou entre deux, vaquent à leurs occupations, écouteurs aux oreilles, branchés à un iPod ou à un lecteur MP3.

[2] Les services en ligne influencent tout autant la façon d’acheter la musique. Les CD dominent toujours le marché mais le nombre de téléchargements payants croît à une vitesse exponentielle. En 2005, les Canadiens ont acheté pour 28,6 millions de dollars de téléchargements permanents; c’est 3,6 pour cent des ventes au détail de musique. En 2006, ce montant a plus que doublé. Apple a vendu plus de 20 millions d’iPod durant les fêtes de fin d’année 2006. D’après une entreprise spécialisée en études de marché, les revenus mondiaux provenant des téléchargements sans fil de musique pleine piste augmenteront de plus de 600 pour cent entre 2006 et 2011. [1]

[3] Le 31 mars 2004, CMRRA/SODRAC inc. (CSI) déposait, conformément à l’article 70.13 de la Loi sur le droit d’auteur (la « Loi »), un tarif des redevances qu’elle propose de percevoir pour la reproduction, au Canada, par les services de musique en ligne en 2005, 2006 et 2007, d’œuvres musicales faisant partie des répertoires combinés de l’Agence canadienne des droits de reproduction musicaux (CMRRA) d’une part, et de la Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada et SODRAC 2003 inc. (SODRAC) d’autre part. Le tarif a été publié dans la Gazette du Canada le 1er mai 2004. Les utilisateurs potentiels et leurs représentants ont été informés de leur droit de s’opposer au projet au plus tard le 30 juin 2004.

[4] Apple Canada Inc. (Apple), Napster LLC (Napster), Bell Canada (Bell), l’Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR), la Société Radio-Canada (SRC), l’Association canadienne de télécommunications par câble (ACTC), l’Association de l’industrie canadienne de l’enregistrement (CRIA), CHUM Ltée., EMI Music Canada (EMI), Groupe Archambault inc., Moontaxi Media Inc., MusicNet Inc., RealNetworks Inc., Sirius Canada, Sony BMG Music Canada (Sony), TELUS, Universal Music Canada (Universal), Warner Music Canada (Warner) et Yahoo! Canada ont déposé en temps opportun des avis d’opposition. L’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ) et les sociétés Rogers Communications Inc. et Rogers Wireless Partnership (Rogers) ont obtenu l’autorisation d’intervenir. Avant le début des audiences, l’ADISQ, Groupe Archambault inc., l’ACTC, CHUM Ltée, Moontaxi Media Inc., MusicNet Inc., RealNetworks Inc., Sirius Canada et Yahoo! Canada se sont désistés. La SRC et TELUS ont retiré leurs oppositions et demandé l’autorisation d’intervenir; ces demandes ont été rejetées.

[5] Les audiences ont débuté le 6 septembre 2006 et ont duré dix jours. Ont participé aux audiences CSI d’une part, et de l’autre, Apple, Bell, Rogers, la CRIA et ses membres de la classe A (EMI, Sony, Universal et Warner), de même que l’ACR (collectivement « les opposantes »). Le dossier a été complété le 29 septembre 2006, lorsque CSI et les opposantes ont déposé leur argumentation écrite.

II. CONTEXTE

A. L’objet du tarif

[6] Le développement de la technologie de stockage des sons sous forme numérique a débuté à la fin des années 70. Le premier produit musical numérique, le CD préenregistré, a été lancé en 1983. Il a radicalement modifié le marché de la musique au cours de la décennie qui a suivi. Nous assistons maintenant au prochain changement radical : le téléchargement autorisé sur Internet de fichiers numériques d’enregistrements sonores d’œuvres musicales. Les présents motifs visent trois types de produits musicaux offerts en ligne : les téléchargements permanents, les téléchargements limités et les transmissions sur demande.

[7] Un téléchargement permanent de musique est un fichier renfermant l’enregistrement sonore d’une œuvre musicale. En général, ce fichier est reçu et stocké sur l’appareil (ordinateur, téléphone cellulaire) utilisé pour l’acheter. L’acheteur peut ensuite copier l’enregistrement sur un lecteur MP3 ou un autre appareil, comme un ordinateur ou un enregistreur audionumérique, ou sur un CD vierge. Le nombre et le genre de copies autorisées sont déterminés par les modalités d’achat et contrôlés par le logiciel de gestion des droits numériques (GDN) joint au fichier.

[8] On offre généralement les téléchargements limités avec les transmissions sur demande dans le cadre d’un même abonnement. Sur le plan technique, les téléchargements limités et permanents sont identiques. La différence se situe au niveau de ce que le logiciel de GDN permet de faire. L’abonné peut copier l’enregistrement sur d’autres ordinateurs, parfois même sur un lecteur portatif de musique. Le logiciel de GDN permet d’utiliser le fichier original et les copies aussi longtemps que dure l’abonnement; si ce dernier prend fin, l’utilisateur conserve le fichier et les copies, mais le logiciel empêche qu’on écoute l’enregistrement ou qu’on en fasse d’autres copies. Le logiciel empêche aussi l’utilisateur de transférer en tout temps l’enregistrement sur un CD vierge, ce qui irait à l’encontre du caractère limité du téléchargement.

[9] Les transmissions sur demande ne sont pas des téléchargements. Le serveur du service n’envoie jamais le fichier complet renfermant l’enregistrement sonore. Il ne transmet que suffisamment de données pour permettre à l’utilisateur d’écouter l’enregistrement sans interruption à ce moment-là; les données sont effacées de l’appareil qui les reçoit au fur et à mesure de l’écoute. Le logiciel de GDN empêche l’utilisateur de copier l’enregistrement sur un support ou un appareil.

B. Les marchés canadien et américain de la musique en ligne

[10] Les services de musique en ligne se sont développés beaucoup plus tôt aux États-Unis qu’au Canada ou dans la plupart des autres pays. MusicNet a été fondé en 1999 et lancé deux ans plus tard; EMI, BMG, Real Networks et AOL Time Warner y ont investi. Pressplay, coentreprise de Sony et de Vivendi Universal, a été achetée ultérieurement par Roxio Inc. et est le véhicule qui a lancé Napster en tant que fournisseur légitime de musique en ligne.

[11] C’est lorsque Apple a lancé son iTunes Music Store en 2003 (iTunes) que le marché américain s’est vraiment développé. Jusque-là, les services en ligne proposaient surtout des abonnements offrant des transmissions sur demande et des téléchargements limités. iTunes a changé la donne d’au moins trois façons. Il a offert des téléchargements permanents de pistes individuelles pour 99 ¢ ou d’albums pour 9,99 $. Il a offert un bien plus large éventail de titres et a rendu possible une utilisation beaucoup plus variée des téléchargements.

[12] Au Canada, PureTracks a lancé son service de musique en ligne en octobre 2003, en offrant des téléchargements permanents d’enregistrements sonores des grandes maisons de disques et de plusieurs maisons canadiennes indépendantes. C’est actuellement le deuxième acteur en importance sur le marché canadien. En janvier 2004, Groupe Archambault inc. a lancé Archambaultzik, service en ligne québécois qui offre une vaste gamme d’enregistrements sonores en français et du Québec. Napster est devenu actif au Canada en mai 2004. iTunes a suivi en décembre de la même année et a réussi en peu de temps à dominer le marché canadien.

[13] Les services d’abonnement, en n’offrant que des téléchargements limités et des transmissions sur demande, n’ont pas connu une expansion aussi rapide que les services offrant des téléchargements permanents. Le fait qu’au départ, il était impossible de transférer de la musique à des lecteurs portatifs a sans nul doute contribué à ce moindre succès. Cette restriction a disparu avec l’entrée en scène de Yahoo! Music Unlimited To Go et de Napster To Go. Le temps dira si ce marché se développera.

[14] La plupart des services en ligne, y compris ceux qui sont offerts par l’entremise des fournisseurs de service Internet ou des entreprises de télécommunications sans fil de Bell, de TELUS et de Rogers, comptent sur une technologie exploitée par d’autres, comme PureTracks ou MusicNet, pour un certain nombre d’opérations d’appoint nécessaires pour offrir de la musique aux consommateurs. Ces opérations incluent la gestion de logiciels, la maintenance de bibliothèques de pistes numériques, la gestion des droits numériques et la production de rapports. Ces services « sans nom » peuvent remplir d’autres fonctions, comme l’obtention de licences pour utiliser les enregistrements sonores des maisons de disques ou pour communiquer et reproduire les œuvres musicales qu’ils contiennent. Bell, TELUS et AOL ont recours à PureTracks, tandis que Rogers-Yahoo! utilise MusicNet.

III. LES PARTIES

[15] La CMRRA se décrit parfois comme une agence autorisant la reproduction d’œuvres musicales; aux termes de la Loi, c’est une société de gestion. Elle ne représente que des éditeurs. Ceux qui lui demandent d’agir pour leur compte signent un contrat d’affiliation la désignant à titre d’agent pour autoriser une partie ou la totalité de divers types d’activités de reproduction, y compris celles qui sont visées dans le tarif à l’étude. D’autres éditeurs ont signé des ententes autonomes portant expressément sur la concession de licences pour les droits en ligne. Dans la présente affaire, la CMRRA représente en tout ou en partie 38 240 catalogues d’édition. Elle agit à titre exclusif dans environ 80 pour cent des cas. [2]

[16] La SODRAC est une société de gestion qui s’occupe notamment de gérer collectivement le droit de reproduire des œuvres musicales. SODRAC 2003 inc. prend progressivement à sa charge les droits, actifs et activités de la SODRAC depuis 2003. Les auteurs et éditeurs que la SODRAC représente lui cèdent le droit d’autoriser ou d’interdire partout dans le monde toute forme de reproduction de leurs œuvres musicales. La SODRAC agit actuellement pour le compte de plus de 4100 auteurs et 1600 éditeurs. Elle représente également au Canada les intérêts d’un grand nombre d’auteurs et d’éditeurs étrangers, en vertu d’ententes de réciprocité avec plusieurs sociétés de gestion étrangères.

[17] CSI est une société créée en 2002 par la CMRRA et la SODRAC, afin de percevoir en leur nom des redevances pour la reproduction d’œuvres musicales par les stations de radio commerciales. La CMRRA et la SODRAC lui ont confié le mandat exclusif d’autoriser la reproduction d’œuvres musicales de leurs répertoires aux fins d’utilisations visées par le présent tarif.

[18] CSI a conclu des ententes de licence avec tous les services en ligne faisant actuellement affaire au Canada et avec certains autres qui envisagent de le faire. Elle a besoin d’un tarif parce que les ententes ne prévoient que des versements provisoires. La Commission doit fixer les redevances finales, par voie de tarif.

[19] Apple, Bell, l’ACR, la CRIA, EMI, Rogers, Sony, Universal et Warner sont, ou représentent, des sociétés qui offrent, disent offrir ou entendent offrir une forme quelconque de service de musique en ligne. Toutes ont donc besoin d’une licence pour reproduire des œuvres musicales sur leurs serveurs et pour autoriser leurs clients à faire eux-mêmes des reproductions sur des ordinateurs personnels, des lecteurs portatifs de musique et des CD enregistrables. [3]

IV. POSITIONS ET PREUVE

A. CSI

[20] Au départ, CSI demandait le plus élevé de : a) 7,5 pour cent des revenus bruts ou 75 ¢ par mois par abonné pour un service n’offrant que des transmissions sur demande; b) 10 pour cent des revenus bruts ou un dollar par mois par abonné pour un service offrant des téléchargements limités, avec ou sans transmissions sur demande; c) 15 pour cent des revenus bruts ou 10 ¢ par téléchargement permanent d’une seule œuvre musicale.

[21] Dans son énoncé de cause, CSI a modifié deux aspects de sa proposition. Pour la catégorie a), elle a demandé 5,8 pour cent des revenus bruts ou 45 ¢ par mois par abonné. Pour la catégorie b), elle a demandé 8 pour cent des revenus bruts ou 60 ¢ par mois par abonné si le service n’autorise pas de reproductions sur des appareils portatifs et 1,40 $ s’il les autorise. Au départ, la catégorie b) ne visait que les téléchargements limités ne pouvant être reproduits par la suite sur d’autres supports lisibles. Certains services d’abonnement permettent maintenant aux abonnés d’effectuer des « téléchargements limités portables », c’est-à-dire de copier une piste musicale sur un appareil portatif. CSI a proposé de modifier la définition de téléchargement limité pour refléter cette nouvelle réalité. Dans son argumentation finale, CSI a encore une fois modifié ses propositions à 6,7 pour cent et 45 ¢ pour la catégorie a), et 9,8 pour cent, 72 ¢ et 1,75 $ pour la catégorie b), pour refléter un changement dans la façon de rendre compte de l’utilisation d’œuvres qui ne font pas partie de son répertoire.

[22] CSI a fait appel à plusieurs personnes associées à la CMRRA et à la SODRAC ainsi qu’à certains experts pour appuyer le tarif qu’elle a proposé.

[23] Mme Claudette Fortier, présidente de CSI, a décrit la structure organisationnelle de la société et celle de ses actionnaires. Elle a expliqué les différences entre les façons dont la CMRRA et la SODRAC acquièrent leur répertoire en général, et aux fins du tarif à l’étude en particulier. Elle a souligné que les droits que concèdent ces sociétés aux maisons de disques ne permettent pas à ces dernières d’utiliser leur répertoire dans le cadre de l’exploitation d’un service de musique en ligne. Elle a aussi expliqué les raisons pratiques qui sous-tendent l’habitude des sociétés de gestion de traiter principalement avec la personne qui utilise réellement une œuvre musicale, et non pas avec un intermédiaire.

[24] M. David Basskin, président de la CMRRA et vice-président de CSI, a décrit les services en ligne canadiens et leurs façons d’offrir de la musique aux consommateurs. Il a traité longuement des modalités de l’entente de licence de reproduction mécanique (MLA) conclue entre la CMRRA et la CRIA, qui autorise les maisons de disques à reproduire des œuvres musicales sur des CD préenregistrés. Il a parlé, en particulier, des divers escomptes que l’entente accorde pour les produits promotionnels, articles bon marché et autres produits du genre.

[25] M. Basskin et Mme Fortier ont témoigné au sujet de l’application de ce qui est communément appelé la clause de composition contrôlée (CCC) dans l’industrie de la musique. La CCC a pris naissance aux États-Unis dans les années 70 et y est plus répandue qu’au Canada. On la trouve dans des ententes entre maisons de disques et interprètes. Elle permet à la maison d’obtenir une licence de reproduction mécanique à un taux réduit lorsque l’artiste possède ou contrôle tout ou partie des droits sur les œuvres qu’il enregistre. La clause réduit habituellement le taux par piste de 25 pour cent, gèle les redevances au taux en vigueur au moment de la conclusion du contrat, plafonne le nombre de pistes pour lesquelles il faut verser des redevances et traite jusqu’à 15 pour cent des CD comme des « biens gratuits » pour lesquels aucune redevance n’est exigible.

[26] La MLA limite les répercussions de la CCC au Canada au moyen d’un certain nombre de mécanismes. L’impact de la CCC sur le répertoire de la SODRAC est beaucoup moins important. Cette dernière n’a jamais inclus cette disposition dans ses ententes avec des producteurs de disques indépendants du Québec et refuse depuis 1995 de renouveler son contrat avec la CRIA précisément pour éviter l’application d’une telle clause.

[27] Le panel représentant l’industrie de l’édition de musique canadienne se composait de MM. Mark Jowett de Nettwerk One, Daniel Lafrance d’Éditorial Avenue et Jodie Ferneyhough de Universal Music Publishing Canada. Ils ont offert un survol de l’industrie et du rôle qu’elle joue dans le développement des artistes.

[28] M. Paul Audley, président de Paul Audley and Associates Ltd., a passé en revue un rapport qu’il a préparé avec d’autres sur l’industrie de l’édition de musique canadienne. Ce rapport indique entre autres que les ventes d’albums préenregistrés ont diminué de 25 pour cent entre 1998 et 2003 et que les revenus en découlant ont baissé de 24 pour cent au cours de la même période.

[29] De concert avec le professeur Douglas Hyatt de la Rotman School of Management, Centre for Industrial Relations de l’Université de Toronto et de la Division of Management de l’Université de Toronto à Scarborough, M. Audley a aussi préparé un rapport proposant une façon d’établir les redevances exigibles pour les utilisations visées dans le tarif à l’étude. Les auteurs ont conclu que, dans les faits, le marché des sonneries authentiques [4] fait partie du même marché numérique que la musique en ligne et ont proposé d’établir le tarif pour les téléchargements permanents en comparant les prix payés pour les intrants protégés par le droit d’auteur dans les deux marchés. Suivant leur hypothèse de base, compte tenu des similarités entre les sonneries authentiques et les téléchargements permanents, le rapport entre les redevances versées pour la reproduction d’œuvres musicales et celles payées pour la reproduction d’enregistrements sonores devrait être le même pour les deux. Les New Digital Media Agreements (NDMA ou ententes sur les nouveaux médias numériques) entre les maisons de disques américaines et les éditeurs de musique américains fixent le prix à payer pour reproduire l’œuvre musicale et l’enregistrement sonore dans une sonnerie authentique. [5] Les témoins ont appliqué le rapport entre ces prix à ce que les services en ligne paient aux maisons de disques pour l’utilisation de leurs enregistrements sonores, afin d’en arriver à un taux à verser pour la reproduction d’œuvres musicales. Le taux obtenu est plus élevé que ce que CSI demande. MM. Audley et Hyatt ont ensuite utilisé le taux qu’ils ont mis au point pour les téléchargements permanents afin de calculer les redevances à verser pour les téléchargements limités et les transmissions sur demande.

[30] Dans leur contre-preuve, MM. Audley et Hyatt ont examiné trois autres façons d’en arriver à un tarif pour les téléchargements permanents. La première reposait sur des renseignements fournis par la CRIA au sujet de la ventilation du coût d’un CD acheté au Canada, la deuxième, sur des données relatives à la ventilation des revenus découlant des ventes de CD au Québec et la troisième, sur les revenus que les maisons de disques touchent dans le cadre des ententes de pressage et de distribution. Toutes avaient pour point de départ le taux actuel de redevance pour la reproduction mécanique d’œuvres musicales sur un support matériel. Toutes reposaient également sur une comparaison du pourcentage du prix de détail que les maisons de disques touchent dans le cadre de diverses opérations concernant des CD préenregistrés au pourcentage équivalent que ces maisons touchent sur le marché en ligne. L’hypothèse de base dans ces cas est que si les revenus des maisons augmentent sur le marché en ligne, ceux des auteurs devraient augmenter au même rythme. Ces différentes méthodes donnaient des taux variant entre 13 et 15 pour cent.

[31] M. Marcel Boyer est titulaire de la Chaire Bell Canada en économie industrielle au Département de sciences économiques de l’Université de Montréal et fellow du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations, du Centre interuniversitaire de recherche en économie quantitative et de l’Institut C.D. Howe. Il a examiné la preuve sur l’évaluation présentée par CSI et les opposantes. Il a traité de questions comme la notion de valeur d’option, les communautés de brevets et le partage des bénéfices. Il a déclaré que la valeur relative des droits de reproduction des maisons de disques et des auteurs devrait être la même pour les sonneries authentiques et les téléchargements permanents et que cela, étant donné que le marché de la musique semble en pleine expansion, devrait entraîner des pressions égales en faveur d’une augmentation de tous les prix de ces intrants sur le marché des téléchargements permanents.

[32] M. Clark Miller, conseiller juridique international chez EMI Publishing, et M. Frank P. Scibilia, associé chez Pryor Cashman Sherman & Flynn LLP, ont parlé du contenu et des répercussions de diverses ententes qui autorisent l’utilisation du répertoire d’œuvres musicales d’EMI, y compris les NDMA qui permettent l’emploi de ce répertoire pour les sonneries authentiques. Ils ont décrit l’article 115 de la loi américaine sur le droit d’auteur, qui prévoit une licence obligatoire pour la reproduction mécanique de musique dans un enregistrement sonore et expliqué en détail l’application des CCC aux États-Unis.

[33] Mme Caroline Rioux, vice-présidente aux opérations de la CMRRA, a témoigné à propos de l’étendue du répertoire de CSI, de l’ampleur de son utilisation et des défis que pose la distribution d’œuvres musicales dans l’environnement numérique en général et par l’intermédiaire des services en ligne en particulier. Les bases de données de la CMRRA et de la SODRAC, qui ont été groupées en 2005, comptent environ 1,1 million d’œuvres musicales. Une mise à jour quotidienne est effectuée pour y intégrer de nouvelles compositions et pour rendre compte du fait qu’on transige régulièrement les catalogues d’éditeurs. CSI a entrepris en 2005 de délivrer des licences à huit services en ligne. Mme Rioux a décrit le mécanisme de délivrance de licences et souligné que CSI a investi jusqu’ici plus d’un million de dollars pour la conception et la mise en œuvre d’un système informatisé permettant d’évaluer rapidement les demandes des services et de leur délivrer des licences. Elle a déclaré qu’au cours des 18 premiers mois d’activité, CSI a délivré 1,5 million de licences, ce qui est plus que le nombre total de licences délivrées pour des supports préenregistrés (vinyles, cassettes et CD) depuis la création de la CMRRA il y a une trentaine d’années. Au moment des audiences, les services en ligne avaient déposé quelque 5,7 millions de demandes.

[34] Un panel composé de Mme Rioux, de M. Joël Martin, chef de projet, SODRAC, et de M. Benoît Gauthier, président de Réseau Circum, a expliqué l’analyse effectuée pour déterminer le temps d’antenne que le répertoire de CSI occupe sur les ondes canadiennes. Pour des raisons qui deviendront évidentes, cette analyse n’est plus pertinente. Il n’est donc pas nécessaire d’exposer en détail la preuve s’y rattachant.

[35] CSI prétend qu’offrir de la musique en ligne accroît la valeur de son répertoire et que les titulaires ont droit à une part de la valeur de cette nouvelle activité économique. Les services en ligne ont absolument besoin du droit de reproduire des œuvres musicales et d’autoriser leurs abonnés à en faire eux-mêmes des copies. En effet, sans ce droit, les services ne pourraient fonctionner. L’utilisation qu’on fait du droit de reproduction est beaucoup plus étendue dans ce cas que sur le marché des CD préenregistrés. Les services en ligne autorisent, par exemple, leurs abonnés à faire plusieurs copies. Cette faculté de faire des copies additionnelles donne aux services un avantage concurrentiel et fournit aux consommateurs une valeur ajoutée dont les titulaires de droits devraient tirer profit.

[36] CSI propose qu’on fixe des taux de redevances minimales, que le taux pour les téléchargements limités soit inférieur d’un tiers à celui pour les téléchargements permanents et que le taux pour les transmissions sur demande se situe entre les taux établis pour les téléchargements limités et ceux de l’entente avec les services sonores payants. Enfin, CSI propose de délivrer la licence uniquement aux services en ligne et s’oppose à ce qu’on permette aux maisons de disques d’obtenir une licence de CSI pour ensuite autoriser les services, au moyen d’une sous-licence, à utiliser son répertoire.

B. Les opposantes

[37] Les opposantes ont déposé un énoncé de cause conjoint. Elles proposent des redevances de 5,3 pour cent pour les téléchargements permanents, de 3,5 pour cent pour les téléchargements limités et de 0,5 pour cent pour les transmissions sur demande. Elles demandent que la base tarifaire corresponde à ce que paient les consommateurs et non pas au revenu brut. Elles proposent un minimum de 3,85 ¢ pour les téléchargements permanents, de 21 ¢ par mois par abonné pour les services qui permettent les téléchargements limités et les transmissions sur demande si la reproduction sur un appareil portatif est interdite et de 33 ¢ si elle est permise. Elles proposent également de n’appliquer aucun minimum aux téléchargements d’albums ou de réduire ce minimum de façon à éviter des redevances excessives dans le cas des albums renfermant une grande quantité de pistes. Enfin, elles cherchent à ce que les maisons de disques puissent demander la licence pour ensuite délivrer aux services en ligne une sous-licence de reproduction des œuvres musicales.

[38] Les opposantes ont fait appel à plusieurs témoins pour appuyer leur approche.

[39] M. Alistair Mitchell, président-directeur général et co-fondateur de PureTracks, a décrit le développement de ce premier service de musique en ligne au Canada. Il a déclaré que PureTracks a utilisé le marché matériel traditionnel de la musique comme modèle d’entreprise et considère la musique en ligne simplement comme un prolongement de ce marché. À son avis, on connaît mal les ressources nécessaires à l’exploitation d’un service en ligne. Cela exige une infrastructure très coûteuse, qu’il faut continuellement moderniser, ainsi que l’obligation (parfois onéreuse) de traiter un grand nombre de micro-opérations par carte de crédit.

[40] M. Graham Henderson, président de la CRIA, M. Mark Jones, vice-président aux finances et à la technologie de l’information chez Universal Music, et Mme Christine Prudham, vice-présidente aux affaires juridiques et réglementaires chez SONY BMG Music (Canada) Inc., ont témoigné au nom de la CRIA. Ils ont fourni un aperçu des problèmes de croissance du marché de la musique en ligne au Canada, qu’ils attribuent à l’effet négatif des téléchargements non autorisés. Ils ont cité des chiffres selon lesquels à peine 6 pour cent des Canadiens qui téléchargent de la musique l’obtiennent de services autorisés et qu’il y a 14 téléchargements non autorisés pour chaque téléchargement autorisé.

[41] Le panel a fourni un aperçu des coûts substantiels qu’encourent les maisons de disques pour entrer sur le marché numérique. Ces coûts incluent non seulement le développement d’infrastructures et de systèmes pour gérer l’information, mais également la numérisation du catalogue existant, qui exige le rematriçage de centaines de milliers d’enregistrements sonores réalisés avant l’avènement de la technologie numérique. Dans la plupart des cas, il faut aussi convertir ces enregistrements selon les divers formats adoptés par les détaillants de sonneries authentiques et de téléchargements pleine piste.

[42] Le panel a aussi parlé des sommes d’argent et autres ressources que les maisons de disques consacrent à la découverte et à la mise en valeur d’artistes et à la production d’enregistrements originaux qu’on peut ensuite commercialiser sous forme de CD préenregistrés et de téléchargements. Ces coûts ne devraient pas chuter simplement parce qu’on offrira désormais des enregistrements en ligne. Le panel a comparé le rôle des éditeurs à celui des maisons de disques et soutenu que ces dernières dépensent beaucoup plus que les premiers pour découvrir et pour développer de nouveaux talents.

[43] Le panel de la CRIA a fourni un aperçu de ce qu’ils croient être les distinctions entre les sonneries authentiques et la musique en ligne. Contrairement aux téléchargements, les sonneries authentiques sont des formes d’expression à la mode. Les différences sur le plan des habitudes d’achat sont importantes : les consommateurs ont tendance à acheter moins de deux sonneries authentiques par mois, comparativement à plus de vingt téléchargements de musique.

[44] Enfin, le panel a expliqué pourquoi il faudrait qu’on permette aux maisons de disques d’acheter la licence de CSI, puis de traiter avec les services en ligne. Cela serait à la fois rentable et plus efficace, sur le plan administratif, et tiendrait compte du fait que CSI ne représente pas l’ensemble du répertoire qu’offrent les maisons de disques.

[45] M. Steven Globerman est professeur titulaire de la Chaire Kaiser de commerce international au College of Business and Economics à l’Université Western Washington et professeur adjoint à la Faculté d’administration des affaires de l’Université Simon Fraser. On lui a demandé d’évaluer quel marché, celui des sonneries authentiques ou celui des CD préenregistrés, représente une meilleure référence pour les téléchargements permanents. On ne lui a pas demandé de suggérer un prix ou un taux approprié.

[46] Le professeur Globerman a d’abord examiné ce qui fait que le prix payé pour un facteur de production est juste et équitable. Ce prix devrait être égal à la valeur du produit marginal d’un intrant, qui est la productivité marginale de l’intrant pondérée par le prix du produit. [6] Il a ensuite précisé que la propriété intellectuelle a des caractéristiques rendant difficile, sinon impossible, d’y appliquer des notions qui sont valables lorsqu’on a affaire à des biens ordinaires. Par exemple, contrairement à ce que le professeur Boyer a déclaré, il est difficile, sinon impossible, de parler en termes de consommation marginale de la propriété intellectuelle. Lorsqu’on utilise un actif immobilisé divisible, on peut influencer le résultat final en accroissant l’utilisation de l’intrant : on peut, par exemple, répandre plus d’engrais pour accroître le rendement d’une récolte. La propriété intellectuelle est un actif immobilisé indivisible, dont on se sert ou pas. La notion suivant laquelle on peut utiliser un peu plus ou un peu moins de propriété intellectuelle afin d’en déterminer la valeur est donc irréaliste. Cependant, en assimilant le droit de reproduction à un actif immobilisé, il est possible de définir le prix d’intrant juste et équitable de la même façon que pour des biens ordinaires.

[47] Le professeur Globerman a ensuite expliqué comment il a comparé les téléchargements permanents à d’autres marchés de référence potentiels. En se fondant sur sa notion du prix juste et équitable d’un intrant, il a identifié trois caractéristiques qu’il juge utiles pour déterminer si un marché représente une référence appropriée. Ces caractéristiques sont le prix auquel le bien est vendu (le prix de l’extrant), les coûts encourus pour produire et offrir le bien (les prix des intrants) et le taux d’escompte du vendeur. En l’absence de toute information permettant de déterminer ce taux d’escompte, le professeur Globerman a décidé de ne pas en tenir compte, ajoutant que cela n’influençait pas son analyse.

[48] En ce qui concerne la première caractéristique, le professeur Globerman a précisé que plus le prix d’extrants sur deux marchés se rapprochent, plus il est probable que l’un constitue une référence appropriée pour l’autre. Le contraire est vrai lorsque les prix sur deux marchés diffèrent énormément. Il a ensuite observé que le prix de détail des sonneries authentiques est le triple de celui des téléchargements permanents. À l’opposé, le prix de détail par piste d’un CD préenregistré est plus ou moins le même que le prix du téléchargement permanent d’une piste simple. À l’aide de données fournies dans la contre-preuve de MM. Audley et Hyatt, le professeur Globerman a calculé le prix moyen par piste pour les CD et les téléchargements permanents. Il a conclu que le prix à l’unité était plus similaire entre les CD et les téléchargements permanents qu’entre les sonneries authentiques et les téléchargements permanents.

[49] Le professeur Globerman a ensuite décrit la notion de « chaîne de valeur », soit l’ensemble d’activités que réalise une entreprise pour créer un extrant ayant une valeur commerciale. Cette chaîne se compose habituellement d’activités principales (logistique, opérations, commercialisation, ventes et services aux clients) et d’activités de soutien (planification, recherche, gestion des ressources humaines). Invoquant cette notion, il s’est déclaré en désaccord avec la conclusion de MM. Audley et Hyatt selon laquelle il y avait une très grande différence, sur le plan des coûts des intrants, entre les marchés des CD préenregistrés et celui des téléchargements permanents. Il a précisé que ces marchés étaient étroitement comparables une fois les coûts correctement comptabilisés.

[50] Le professeur Globerman a conclu globalement que ces similarités entre les prix des intrants et ceux des extrants des CD préenregistrés et des téléchargements permanents confirment que les premiers représentent probablement la meilleure référence disponible pour fixer le tarif des seconds.

[51] M. Ted Cohen, ex-premier vice-président au développement numérique et à la distribution chez EMI Music, a joué un rôle clé dans la mise sur pied d’un certain nombre de services en ligne. Il a décrit les coûts se rattachant à la distribution d’un enregistrement sonore sous forme de CD préenregistré et de téléchargement. Il a reconnu qu’il peut exister d’importantes différences entre les chaînes de valeur d’un environnement matériel et d’un environnement numérique, mais a soutenu que le modèle d’entreprise utilisé pour commercialiser les CD préenregistrés reste celui qui se rapproche le plus de celui des téléchargements numériques. À son avis, d’ici deux ans, les sonneries authentiques ne constitueront plus une branche d’activité indépendante et seront vendues avec les téléchargements permanents. Ne serait-ce que pour cette raison, il considère que le marché des sonneries authentiques ne représente pas un modèle d’entreprise approprié à utiliser comme référence. Les sonneries authentiques sont, à son avis, des produits de personnalisation, pas des produits musicaux.

[52] M. Stephen Stohn, associé chez Stohn Hay Cafazzo Dembroski Richmond LLP et spécialiste de l’industrie de la musique, a été engagé pour résumer les dispositions et les ententes contractuelles types dans l’industrie portant sur le droit de reproduction et pour suggérer la référence la plus appropriée sur le marché canadien de la musique afin de déterminer un taux de redevance convenable.

[53] M. Joseph Salvo, conseiller spécial chez Weil, Gotshal & Manges LLP et ex-conseiller pour SONY, l’un des négociateurs des NDMA, a témoigné au sujet de la genèse, du contenu et des répercussions de ces ententes et de la pertinence de la licence obligatoire de reproduction mécanique et des CCC dans l’environnement numérique aux États-Unis.

[54] MM. Terry Canning, vice-président et directeur général des services Internet haute vitesse de Rogers, Patrick McLean, directeur général des services Internet aux consommateurs chez Bell Canada, et Kerry Munro, directeur général de Yahoo! Canada, ont décrit le développement et le fonctionnement des services de musique en ligne fournis par leurs sociétés. Ils ont fait état du cadre financier précaire dans lequel ces sociétés font actuellement des affaires et traité du temps qu’il faudra, d’après les prévisions, avant que ces entreprises ne puissent déclarer des bénéfices.

[55] M. Eddy Cue, vice-président d’iTunes chez Apple, a piloté le développement et la mise sur pied des iTunes Music Stores, qui sont maintenant actifs dans 22 pays. Il a décrit la mise sur pied du magasin, qui offre plus de 2 millions de pistes au Canada et plus de 3,4 millions aux États-Unis, y compris des livres parlés, des vidéos, des films et des émissions de télévision.

[56] M. Cue a déclaré que la société Apple a établi son niveau de prix à 99 ¢ aux États-Unis eu égard à la concurrence, qui, selon elle, venait de deux sources : les téléchargements gratuits, non autorisés et les CD préenregistrés. Le marché des CD était important pour déterminer un prix et un modèle d’entreprise, parce que la plupart des gens achètent leur musique sur ces supports, ce qui crée des attentes vis-à-vis de la valeur d’un album. Lorsqu’elle a inauguré son service canadien de musique en ligne, Apple a examiné ces facteurs et tenu compte de l’avantage supplémentaire de ne pas avoir à modifier le prix établi pour l’Amérique du Nord, et a maintenu son prix de 99 ¢.

[57] M. Cue a reconnu que pour la distribution de la musique en ligne, on ne supporte pas certains des coûts encourus pour assurer la distribution de CD préenregistrés. Il a cependant ajouté que distribuer de la musique en ligne entraîne d’autres coûts qui font que les dépenses globales de distribution d’un enregistrement sonore sont aussi importantes dans un cas que dans l’autre. Il a rejeté les comparaisons entre les sonneries authentiques et les téléchargements permanents. Les sonneries authentiques constituent, à son avis, un produit différent qui fait appel à la musique de façon différente et qui vise un marché différent.

[58] M. Cue a comparé la façon dont iTunes affranchit les droits au Canada, aux États-Unis, et en Europe. Aux États-Unis, les maisons de disques offrent généralement tous les droits nécessaires pour un même prix, ayant obtenu le droit de reproduire l’œuvre musicale. En Europe, iTunes doit acheter les droits pour l’enregistrement sonore et pour l’œuvre musicale séparément, mais peut acheter le droit de reproduire et de communiquer l’œuvre dans le cadre d’une seule opération. Au Canada, iTunes doit acheter séparément le droit de reproduire l’œuvre musicale, le droit de la communiquer et le droit de reproduire l’enregistrement sonore.

[59] Le dernier panel se composait de MM. Upinder Saini, vice-président aux nouveaux produits et au développement de leur contenu chez Rogers Wireless, Andrew Wright, directeur du développement des entreprises chez Bell Mobilité, et Nauby Jacob, directeur des services de navigation et de messagerie chez TELUS. Rogers, Bell et TELUS offrent des sonneries authentiques et des téléchargements permanents de musique à leurs abonnés. Au Canada, les services de sonneries ont été lancés en 2001 et les sonneries authentiques ont fait leur apparition en 2003. Les téléchargements permanents de musique n’ont été offerts qu’en 2005. Les sonneries authentiques et les téléchargements sont, d’après eux, des produits séparés et sont commercialisés différemment. Les sonneries authentiques ne sont pas tant des produits musicaux que des outils de personnalisation.

[60] Les opposantes prétendent que les CD préenregistrés représentent le marché de référence approprié pour les téléchargements permanents et que, toutes choses égales, le prix payé pour le droit de reproduire une œuvre musicale devrait être le même dans les deux cas. Elles soutiennent que les CD et les téléchargements sont simplement des mécanismes différents de distribution du même produit : l’enregistrement sonore d’une œuvre musicale. Au Canada, le prix payé pour copier une œuvre musicale sur un support préenregistré a varié au fil du temps, mais a toujours été le même, indépendamment du format : vinyle, cassette ou CD. Les opposantes soutiennent qu’il n’y a aucune raison pour que cela change dans l’environnement numérique.

[61] Par conséquent, les opposantes sont d’avis que la bonne façon d’établir un taux pour les téléchargements permanents consiste à se fonder sur la MLA, puis à l’ajuster de façon à déterminer la rémunération nette moyenne payée au Canada pour la reproduction d’une piste individuelle sur un CD préenregistré. Elles demandent ensuite qu’on convertisse ce montant en un pourcentage du prix d’un téléchargement. Les opposantes sont en désaccord avec l’argument de CSI, selon lequel la valeur du droit de reproduction a augmenté simplement parce qu’il est maintenant possible de copier de la musique sur un disque dur ou un lecteur portatif de musique.

C. Observations

[62] Conformément à la directive sur la procédure de la Commission, l’Union des artistes et ArtistI ont déposé des observations écrites portant principalement sur la nature et les limites des droits qu’ont les artistes-interprètes d’autoriser la reproduction de leurs prestations en général et dans un environnement numérique en particulier. Leurs remarques esquissent les difficultés qui pourraient survenir si l’on permettait aux maisons de disques de jouer le rôle d’intermédiaires pour l’utilisation des droits de ces artistes. Elles soutenaient également dans leur lettre qu’il est important, lorsqu’un artiste-interprète a des droits, de s’assurer que les exécutions fixées ne servent pas à une fin autre que celle pour laquelle l’artiste-interprète a donné son autorisation, comme il est prévu au sous-alinéa 15(1)b)(ii) de la Loi.

V. ANALYSE

[63] Pour établir le présent tarif, nous devons effectuer cinq tâches : déterminer le prix de référence qui servira à établir le tarif pour les téléchargements permanents; adapter ce prix au marché de la musique en ligne et établir le tarif; déterminer le tarif pour les téléchargements limités et les transmissions sur demande; choisir la base tarifaire servant au calcul des redevances; enfin, examiner la nature du rôle que les maisons de disques pourraient et devraient jouer dans le contexte du tarif que nous homologuons.

A. Le prix de référence approprié

[64] Pendant tout ce processus, CSI et les opposantes ont adopté la même approche. Elles affirment qu’il existe un prix de référence évident à utiliser pour fixer le tarif. Elles avancent que ce prix devrait servir à fixer un tarif pour les téléchargements permanents. Elles estiment que ce tarif peut ensuite servir à établir les redevances pour les téléchargements limités et les transmissions sur demande. Nous partageons leur point de vue.

[65] Même si elles s’entendent sur l’approche, CSI et les opposantes divergent d’opinion au sujet du choix d’un prix de référence. La première préfère les sonneries authentiques, tout en offrant d’autres solutions. Les secondes soutiennent qu’il faut établir le prix pour la musique en ligne à partir du montant que les maisons de disques versent pour reproduire de la musique sur des CD préenregistrés.

i. Le marché des sonneries authentiques

[66] CSI affirme que le marché des sonneries authentiques constitue le point de départ approprié. Ces sonneries et les téléchargements permanents font partie du même vaste marché numérique. Les unes et les autres impliquent la vente de fichiers numériques de musique distribués par voie électronique aux consommateurs. Les modèles d’entreprise sont très similaires, même s’ils ne constituent pas des substituts les uns pour les autres. Nous ne sommes pas d’accord, pour les motifs suivants.

[67] Premièrement, une sonnerie authentique n’est pas un substitut pour un téléchargement permanent. Les téléchargements font concurrence aux CD, pas aux sonneries. Le prix d’une sonnerie authentique n’est pas fonction des téléchargements, ni vice-versa. Le fait que les deux produits sont distribués par des moyens similaires ne suffit pas à justifier le choix d’un prix de référence. Nous sommes d’accord avec les nombreux témoins qui ont déclaré qu’une sonnerie authentique constitue un produit différent servant à une fin différente. C’est un moyen d’identification personnelle, une forme d’expression à la mode. Le consommateur achète un téléchargement permanent pour l’écouter; personne n’achète une sonnerie authentique pour l’écouter sur un ordinateur ou sur un iPod.

[68] Deuxièmement, nous sommes d’accord avec l’affirmation du professeur Globerman selon laquelle les sonneries authentiques ne possèdent pas les caractéristiques requises d’un bon prix de référence pour les téléchargements permanents. Tout simplement, les prix des intrants et des extrants sur ces marchés sont trop différents pour que l’un soit utile pour l’autre. Un téléchargement permanent se vend pour aussi peu que le tiers du prix d’une sonnerie authentique, ce qui indique bien que chaque produit peut afficher des caractéristiques différentes. CSI n’a simplement pas tenu compte de cette différence.

[69] Enfin, à notre avis, le marché des sonneries authentiques n’est pas suffisamment établi et son avenir est trop incertain pour qu’il serve de référence fiable. Les revenus et les dépenses de l’industrie n’ont pas encore atteint un niveau stable de croissance. Ce marché risque de ne pas survivre en tant que branche d’activité indépendante sur Internet. Il serait inapproprié d’établir un tarif à l’aide d’un prix de référence reposant sur des fondements aussi incertains.

ii. Autres prix de référence proposés par CSI

[70] Les trois propositions de rechange soumises dans la contre-preuve de MM. Audley et Hyatt comportent un certain nombre de problèmes communs. Toutes reposent sur des approximations. Au mieux, elles pourraient servir de mesures de validation. Toutes ont pour point de comparaison des pourcentages, alors que des comparaisons de montants réels paraissent préférables. Enfin, nous sommes d’accord avec l’affirmation du professeur Globerman, qui indique que lorsque l’on compare les montants nets réels que touche une maison de disques, tous paraissent confirmer, non pas contredire, ses conclusions.

iii. Le marché des CD préenregistrés

[71] Les opposantes soutiennent que le montant payé pour le droit de reproduire une œuvre musicale sur un CD préenregistré constitue un bon point de départ, et ce, pour quatre raisons. Premièrement, les téléchargements permanents font concurrence aux CD préenregistrés et leurs prix sont établis en conséquence. Deuxièmement, comme le professeur Globerman l’a démontré, les chaînes de valeur pour les deux produits, de même que les prix de leurs intrants et extrants, se rapprochent suffisamment pour justifier qu’on en utilise un afin de fixer la valeur de l’autre. Troisièmement, le téléchargement permanent est simplement une autre forme d’enregistrement sonore. Le support auquel on l’incorpore a changé au fil du temps, mais le prix payé pour reproduire l’œuvre musicale a toujours été le même, indépendamment du type de support sur lequel elle est copiée. [7] Quatrièmement, les services en ligne considèrent que le CD matériel est un produit de substitution et que les vendeurs au détail de CD sont leurs concurrents. Nous sommes d’accord avec les opposantes.

[72] CSI avance trois arguments principaux pour expliquer pourquoi elle considère que le marché des CD préenregistrés ne constitue pas un point de départ approprié. Ces arguments ne nous convainquent pas.

[73] CSI soutient que l’utilisation qu’on fait du droit de reproduction sur le marché en ligne est très différente, et beaucoup plus importante, que celle qu’on en fait sur le marché des CD préenregistrés. La distribution d’un CD préenregistré ne nécessite que deux copies : la bande maîtresse et le disque compact lui-même. La distribution d’un téléchargement permanent nécessite au moins la création d’un fichier maître numérique et sa reproduction sur le serveur du service en ligne, en plus des copies en aval faites par le client du service sur un certain nombre de supports et d’appareils. Dans la mesure où cela est exact [8] ou pertinent, on peut en tenir compte en ajustant le taux, ce qui ne réduit donc pas l’utilité de la MLA en tant que référence.

[74] CSI affirme aussi que les services de musique en ligne utilisent le droit de reproduction d’une façon qui leur permet d’offrir au consommateur une expérience très différente de ce qui se passe quand on achète et utilise un CD préenregistré. Les consommateurs en ligne, par exemple, ont accès à une plus grande variété et un plus grand choix de musique, peuvent acheter des pistes individuelles, créer leurs propres listes d’écoute, écouter des extraits avant d’acheter et effectuer des recherches pour leurs achats quand bon leur semble, et ce, beaucoup plus efficacement et minutieusement que chez un disquaire. Encore une fois, quoi qu’il en soit, cette affirmation ne réduit pas l’utilité de la MLA comme référence. Au fil des ans, les disquaires ont modifié leur façon de vendre des enregistrements sonores. L’industrie a même souvent modifié le format sous lequel elle offre ses enregistrements; le disque simple, qui a connu ses heures de gloire, semble maintenant prêt à resurgir dans l’univers numérique. Et pourtant, on a toujours fixé dans la MLA le même prix pour une piste, qu’elle soit vendue individuellement ou qu’elle fasse partie d’un album.

[75] Enfin, CSI fait remarquer que la maison de disques ne joue pas le même rôle dans les univers numérique et matériel. Elle ne fabrique plus et ne distribue plus de produits finis. Elle octroie des licences pour ses enregistrements sonores à des services en ligne, qui ensuite les reproduisent afin de les distribuer et autorisent leurs abonnés à en faire d’autres copies. Cela n’est pas pertinent. D’un point de vue économique, les CD préenregistrés et les téléchargements permanents sont simplement des moyens différents de commercialiser des enregistrements sonores destinés à être écoutés de la même façon par les mêmes consommateurs. [9] Le prix payé pour reproduire l’œuvre musicale incorporée à un enregistrement sonore devrait être le même, indépendamment du moyen de commercialisation de cet enregistrement.

[76] Dans le même ordre d’idées, nous rejetons la position de CSI au sujet des différences à l’intérieur de chacune des chaînes de valeur. Lorsqu’on utilise Internet pour distribuer de la musique enregistrée, il faut quand même passer par les étapes importantes de la chaîne de valeur comme la production, la distribution et l’établissement de l’inventaire. Même si les combinaisons d’intrants peuvent être différentes, la commercialisation du produit exige encore la réalisation de chacune des étapes. Par exemple, les coûts de stockage impliqueront la location ou l’achat d’un espace sur un serveur, plutôt que d’un espace dans un entrepôt, tandis que la distribution exigera de la bande passante plutôt que des camions.

[77] Nous concluons donc qu’il faut déterminer le prix des téléchargements permanents à partir du prix actuellement payé pour reproduire une œuvre musicale sur un CD préenregistré. Ce taux est fixé depuis 2002 à 7,7 ¢ la piste, plus 1,54 ¢ la minute ou fraction de minute au-delà de 5 minutes. Même si la plus récente MLA a pris fin à la fin de juin 2006, ce taux continue d’être utilisé pendant que les parties renégocient le contrat. Nous utiliserons donc ce taux comme point de départ, bien que le taux effectif puisse être légèrement supérieur en raison de l’existence d’enregistrements durant plus de 5 minutes. Nous ne voyons pas la nécessité d’effectuer la correction, qui serait probablement minime dans le meilleur des cas.

B. Calcul d’un taux pour les téléchargements permanents

i. Établissement d’un pourcentage

[78] Au Canada, le prix payé pour reproduire une œuvre musicale sur un enregistrement sonore a toujours été exprimé en cents par piste. On a récemment tenté d’harmoniser la pratique en usage au Canada avec celle de la plupart des marchés étrangers et de fixer le taux sous forme de pourcentage du prix de gros ou de détail, mais jusqu’ici sans succès.

[79] Dans la présente affaire, tous demandent d’exprimer le taux sous forme de pourcentage. Au fil des ans, la Commission a souvent fait allusion aux mérites de cette méthode. Fixer le taux sous forme de pourcentage permet à la redevance de varier suivant la valeur que le marché attribue au produit final et les cycles économiques d’une industrie. Cette façon de procéder évite également d’avoir à faire des ajustements à répétition pour tenir compte de l’effet de l’inflation.

[80] Plusieurs ententes entre maisons de disques et services en ligne renferment des taux exprimés en cents. Le fait de fixer un taux en pourcentage pour l’utilisation d’œuvres musicales entraînera des variations de la rémunération relative des auteurs, artistes-interprètes et producteurs, en fonction des fluctuations de prix de la musique en ligne. Cela pourrait devenir un enjeu que les parties auront à régler, mais n’enlève rien aux mérites inhérents de l’utilisation d’un pourcentage dans le présent tarif.

ii. Ajustement du taux de la MLA

[81] Avant de calculer un taux, il faut examiner les divers ajustements que CSI et les opposantes proposent d’apporter au taux de la MLA.

[82] Les opposantes ont proposé deux ajustements reposant sur l’analyse de M. Stohn. L’objectif déclaré de ce dernier consistait à veiller à ce que le taux pour les téléchargements permanents corresponde au taux moyen en vigueur payé pour la reproduction d’une œuvre musicale sur un CD préenregistré. Les deux ajustements visent à prendre en considération des escomptes qui découlent de l’application de la CCC. Combinés, ils auraient pour effet de réduire le taux d’environ 32 pour cent.

[83] Ces deux ajustements sont inutiles ou hors de propos. Premièrement, M. Stohn a admis que tous les enregistrements sonores ne sont pas assujettis à des CCC et qu’aucun renseignement disponible ne lui permettait d’estimer la proportion de ceux qui le sont. Deuxièmement, même si la preuve était contradictoire sous ce rapport, il semblerait que les répercussions de la CCC sur le marché des téléchargements permanents soient bien moindres que sur le marché des CD préenregistrés. Par exemple, aux États-Unis, où la CCC a pris naissance, les dispositions d’un contrat signé après le 22 juin 1995 censées permettre à une maison de disques d’obtenir des droits de reproduction mécanique à un taux réduit pour la distribution d’un enregistrement sonore numérique sont dans les faits inopérantes. [10] Troisièmement, la CCC est conçue d’abord et avant tout pour le monde matériel : il est difficile d’associer des « biens gratuits », tels qu’on en parle dans les CCC, à iTunes. Enfin et surtout, si les CCC existent, c’est que les maisons de disques les ont inventées et qu’elles les demandent. Elles sont donc le plus en mesure de fournir une preuve forte et convaincante quant à la pertinence et au rôle de telles dispositions dans le monde numérique. Elles ne l’ont pas fait. En l’absence d’une telle preuve, la voie de la prudence consiste simplement à ne pas les prendre en considération.

[84] Les opposantes estiment qu’on devrait prévoir un escompte dans le présent tarif, qui vise la reproduction d’œuvres musicales, afin de refléter la valeur du droit de communiquer ces œuvres. Cette prétention repose sur deux hypothèses erronées. La première, c’est que la présente décision établira le prix pour tous les droits, ce qui n’est simplement pas le cas. [11] La seconde, c’est que le prix devrait être le même, qu’il faille un ou deux droits pour distribuer un produit. La Commission a rejeté cet argument plus d’une fois. [12] Le prix de référence que nous avons adopté est, en outre, celui proposé par les opposantes. Il n’englobe que le droit de reproduction.

[85] CSI a, pour sa part, proposé deux ajustements.

[86] Le premier tiendrait compte du fait que les membres de l’ADISQ paient actuellement à la SODRAC des droits mécaniques de 8,9 ¢. MM. Audley et Hyatt ont proposé un ajustement fondé sur l’hypothèse selon laquelle l’entente entre la SODRAC et l’ADISQ s’applique à 15 pour cent du marché canadien. Les opposantes soutiennent que ce pourcentage est trop élevé; la SODRAC détient globalement, à leur avis, 15 pour cent du marché canadien et l’ADISQ ne représente que le tiers des affaires de la SODRAC, ou 5 pour cent du marché total. Le reste serait régi par l’entente conclue avec la CRIA, qui utilise le taux de 7,7 ¢. À notre avis, CSI aurait pu fournir de l’information permettant de déterminer précisément l’importance de l’entente entre la SODRAC et l’ADISQ sur le marché canadien; elle ne l’a pas fait. Nous considérons les chiffres présentés par les opposantes comme étant plus crédibles, compte tenu de ce que la Commission a appris au fil des ans du marché canadien des CD préenregistrés. De toute façon, même si nous acceptions les arguments de CSI, cela n’aurait que des répercussions minimes sur le résultat. La correction permettant de tenir compte de l’entente entre la SODRAC et l’ADISQ donne un taux ajusté de 7,8 ¢.

[87] Le second ajustement proposé tiendrait compte du fait que les services en ligne accordent expressément aux consommateurs le droit de faire plusieurs copies d’un téléchargement sur un éventail d’appareils ou de supports. Certaines de ces copies peuvent être des copies privées; d’autres ne le sont pas. Il faut donc la permission du titulaire de droits pour les faire. Au premier coup d’œil, on s’attendrait à ce que les consommateurs tirent une valeur ajoutée de la possibilité pour eux de faire plus d’une copie, même lorsqu’ils n’exercent pas cette option. [13] On pourrait aussi soutenir qu’en pouvant autoriser leurs abonnés à faire plus d’une copie, les services en ligne détiennent un avantage concurrentiel par rapport aux détaillants de CD préenregistrés. Si c’est le cas, il faudrait ajuster le taux de la MLA pour tenir compte de la valeur de ces droits additionnels. La preuve démontre que le droit de faire des copies additionnelles a une certaine valeur, du moins sur le marché des services sans fil, où le consommateur paie moins lorsqu’il télécharge de la musique uniquement sur un ordinateur personnel que lorsqu’il la télécharge aussi sur son téléphone cellulaire.

[88] Cela dit, ce n’est pas le moment de déterminer si le prix devrait être majoré pour cette raison, et de combien, le cas échéant. Tout d’abord, il n’y a pas suffisamment de données concluantes permettant de déterminer ce que le droit de faire des copies additionnelles pourrait valoir. Deuxièmement, il peut exister des facteurs qui contribueraient à réduire considérablement cette valeur ajoutée. Le fait, par exemple, que les pistes préenregistrées et téléchargées se vendent environ au même prix pourrait signifier que dans les faits, on donne gratuitement le droit de faire des copies additionnelles pour conclure la vente; rien d’autre ne paraît avoir d’importance. Les ententes actuelles entre les services en ligne et les maisons de disques ont tendance à montrer que ces dernières en sont venues à cette conclusion. Troisièmement, exprimer le taux sous forme de pourcentage du prix de détail permettra au marché d’attribuer implicitement la valeur que peuvent avoir ces droits additionnels, comme dans le cas des téléchargements sans fil.

[89] Nous rejetons cependant l’argument des opposantes selon lequel il n’est pas nécessaire de tenir compte de la possibilité de faire des copies additionnelles. Dire que la MLA tient déjà compte de la capacité pratique des consommateurs de faire un nombre illimité de copies, c’est affirmer que cette entente prend en compte une activité en grande partie illégale. En outre, avancer que le régime de copie privée voit déjà à ces copies, c’est envisager la question par le mauvais bout de la lunette. CSI fait erreur lorsqu’elle suggère que l’article 80 de la Loi ne s’applique qu’aux copies qu’on n’a pas par ailleurs autorisées. Une copie privée, autorisée ou non, est une copie privée. Cela dit, certaines des copies que les services en ligne autorisent de faire sont manifestement autre chose que des copies privées. Plus important encore, le régime de copie privée a été créé pour contrebalancer les effets d’un échec de marché, sans le subordonner à l’ampleur de l’échec. Confrontée à ce problème épineux et désireuse de renforcer le lien qui doit exister entre le régime et ses objectifs déclarés pour que ce régime demeure constitutionnellement valide, la Commission a décidé très tôt qu’elle soustrairait les copies privées autorisées lors du calcul des redevances et laisserait le marché déterminer le prix de ces copies.

iii. Prix de détail moyen d’une piste téléchargée et taux applicable

[90] Le numérateur que nous utiliserons pour établir le taux applicable aux téléchargements permanents, tel qu’il est indiqué au paragraphe 86, est 7,8 ¢. Nous devons maintenant déterminer le prix de détail moyen d’une piste téléchargée afin de calculer un pourcentage.

[91] Le prix de détail prédominant pour le téléchargement permanent d’une piste individuelle semble être de 99 ¢. iTunes vend pratiquement toutes ses pistes individuelles à ce prix. Certains concurrents vendent des pistes plus cher et offrent parfois des promotions à prix réduit. Même dans le scénario improbable où l’on aurait vendu 10 pour cent des pistes à 1,19 $, le prix moyen d’une piste n’augmenterait que de 2 ¢. Nous concluons que 99 ¢ est une estimation fiable du prix moyen au Canada d’un téléchargement permanent d’une piste.

[92] Dans le monde matériel, une reproduction enclenche le versement d’un même montant, qu’elle soit vendue à la pièce ou fasse partie d’un album. Par contre, le prix moyen d’une piste individuelle n’est pas le même lorsqu’elle est vendue en tant que partie d’un album. Nous devons prendre en compte ce prix dans nos calculs. iTunes vend la plupart de ses albums 9,99 $. [14] D’après M. Cue, un album téléchargé à partir d’iTunes renferme en moyenne 13 pistes. [15] Le prix moyen par piste sur un album est donc 77 ¢. Selon les chiffres sur les ventes de téléchargements permanents fournis par CSI, [16] 55 pour cent de toutes les pistes vendues sous forme de téléchargements permanents sont individuelles et 45 pour cent font partie d’un album. Ces chiffres pondérés donnent un prix moyen de 89 ¢ par piste vendue sous forme de téléchargement permanent, qu’il s’agisse d’une piste individuelle ou faisant partie d’un album, ce qui se traduit par un taux de 8,8 pour cent [7,8 ¢ ÷ 89 ¢].

[93] Nous homologuons ce taux sous réserve d’un ajustement dont nous traiterons plus loin. Nous voulons que le tarif produise le même montant de redevances que si les services de musique en ligne payaient 7,8 ¢ la piste. Le Tableau 1 qui suit montre qu’on atteindra ce résultat si la part relative des ventes d’albums et de pistes individuelles reste relativement stable.

TABLEAU 1

FLUX DE REDEVANCES À 8,8 POUR CENT DU PRIX DE DÉTAIL

 

 

 

Unités

 

Prix unitaire

 

Nombre total

de pistes

 

 

Ventes

Redevances à

8,8 % du prix de détail

 

Taux effectif

en cents

Pistes individuelles

7 258 100

99 ¢

7 258 100

7 185 519 $

632 326 $

8,7 ¢

Albums

464 600

9,99 $

6 039 800

4 641 354 $

408 439 $

6,8 ¢

Total

 

 

13 297 900

11 826 873 $

1 040 765 $

7,8 ¢

Basé sur la pièce CSI-27.A, Tableau 1, page 3. Le nombre d’unités de pistes individuelles et d’albums correspond aux ventes depuis le début de l’année 2006 jusqu’au 23 juillet 2006. Des résultats semblables ont été obtenus en utilisant les données publiées récemment par Nielsen SoundScan Canada portant sur les téléchargements de pistes et d’albums en 2005 et 2006.

iv. Établissement d’un minimum

[94] Tous conviennent que le tarif devrait prévoir un prix minimum correspondant aux deux tiers des redevances que rapporte le plein taux au prix moyen d’une piste simple. Nous sommes d’accord. Le prix minimum par piste pour un téléchargement permanent est fixé à 5,9 ¢.

[95] Les opposantes soutiennent que l’imposition d’une redevance minimale par piste aux albums nuirait aux artistes de la relève, dont les prix des albums ont tendance, selon eux, à être établis à moins de 9,99 $, et entraînerait une augmentation non délibérée et injuste du taux. Avec le nombre croissant de pistes sur un album, la somme des minimums dépasserait finalement le montant que rapporterait l’application du plein taux au prix de l’album. Pour éviter que cela ne se produise, les opposantes ont proposé qu’il n’y ait aucune redevance minimale sur les albums ou que soit adoptée la méthode qu’on suit au Royaume-Uni, où le minimum diminue à mesure que le nombre de pistes dans un ensemble (« bundle ») augmente. CSI affirme par contre que, s’il n’y a aucune redevance minimale, des ensembles renfermant un très grand nombre de pistes pourraient être vendus à un prix qui entraînerait le versement d’un montant de redevances trop peu élevé.

[96] La preuve que les opposantes ont présentée à ce sujet est plutôt mince. En fait, il n’y a aucune preuve permettant de conclure que les albums des artistes de la relève se vendent actuellement meilleur marché. Également, comme nous l’avons déjà noté, la preuve démontre qu’il y a sur un album téléchargé en moyenne 13 pistes, et non pas 15.

[97] Nous sommes prêts cependant à fixer des redevances minimales qui permettront aux services en ligne de mettre à l’essai de nouveaux modèles d’entreprise sur ce marché naissant, tout en assurant une rémunération juste pour les titulaires des droits. L’application de la redevance minimale par piste à un ensemble dont le prix est établi à 9,99 $ entraînerait des redevances qui seraient plus élevées que le taux que nous fixons si l’ensemble renferme plus de 15 pistes. Comme pour les pistes individuelles, on devrait, à notre avis, fixer la redevance minimale pour les ensembles aux deux tiers des redevances que rapporte l’application du taux au prix moyen d’un album renfermant un nombre moyen de pistes. Nous fixons, par conséquent, la redevance minimale par piste d’un ensemble à 4,5 ¢ [9,99 × 8,8 % ÷ 13 × 0,67]. De cette façon, il n’y aura enclenchement du versement du minimum que lorsqu’un ensemble vendu à 9,99 $ renferme 20 pistes ou plus. La Commission s’attendra sûrement à ce qu’on lui fournisse de l’information sur les répercussions de cette mesure à l’occasion des prochaines audiences portant sur le présent tarif.

C. Taux pour les téléchargements limités et les transmissions sur demande

i. Téléchargements limités

[98] Nous adoptons la position dont les parties ont convenu selon laquelle le taux pour les téléchargements limités devrait correspondre aux deux tiers du taux pour les téléchargements permanents. Nous homologuons un taux de 5,9 pour cent. Nous craignons la possibilité que cette approche n’entraîne, dans une certaine mesure, un double escompte. Le prix moins élevé facturé pour les téléchargements limités reflète déjà une valeur inférieure par rapport aux téléchargements permanents. Un taux de redevance moins élevé, destiné à refléter une valeur inférieure pour le droit, pourrait constituer une réduction additionnelle qui tient compte de la même valeur inférieure.

[99] Au départ, CSI ne prévoyait qu’une seule redevance minimale pour les téléchargements limités. Elle demande maintenant de moduler la redevance minimale suivant qu’un abonné est ou non autorisé à copier le fichier sur un appareil portatif. Les opposantes ont d’abord discuté de la question à savoir si le fait de fixer des taux séparés pour les téléchargements limités portables irait plus loin que la proposition publiée dans la Gazette du Canada. Dans sa proposition originale, CSI traitait les téléchargements limités portables comme des téléchargements permanents; les englober avec les téléchargements limités entraîne des taux moins élevés. La nouvelle proposition de CSI a également le mérite de tenir compte logiquement de la création d’un modèle d’entreprise qui n’aurait pas pu être prévu au moment du dépôt du tarif.

[100] CSI propose que le rapport entre la redevance minimale exigible selon qu’un abonné peut ou non copier un fichier sur un appareil portatif soit le même que pour les montants versés aux maisons de disques dans ces cas. Les opposantes préféreraient que le rapport utilisé soit celui qui existe entre le prix moyen payé pour l’abonnement qui permet de copier un fichier sur un appareil portatif et celui qui ne le permet pas. Nous sommes d’accord avec la méthodologie des opposantes, ne serait-ce que parce qu’elle est plus conforme à l’approche que nous avons adoptée en fixant le taux pour les téléchargements permanents. Nous utiliserons toutefois comme moyenne des frais d’abonnements mensuels la moyenne entre ce que facturent Napster et MusicNet pour un tel abonnement. Ces montants sont de 9,50 $ lorsque la reproduction sur un appareil portatif n’est pas permise et de 14,50 $ quand elle l’est. Les redevances minimales en découlant et que nous homologuons sont respectivement de 37,4 ¢ et de 57,0 ¢ par mois.

ii. Transmissions sur demande

[101] CSI a demandé un tarif pour les services qui n’offrent que des transmissions sur demande, même s’il n’en existe actuellement aucun. Les opposantes prétendent que nous ne devrions pas homologuer un tarif pour des services qui n’existent pas. Cette prétention ne tient pas compte d’un point important. Les tarifs sont essentiellement prospectifs et peuvent viser des utilisations dont on sait peu de choses. CSI a demandé un tarif qui vise une possible utilisation protégée de son répertoire, et devrait pouvoir faire homologuer un tarif à cette fin.

[102] CSI veut que le taux pour les transmissions sur demande se situe entre le taux établi pour les téléchargements limités et ce que les services sonores payants (Galaxie et Max Trax) ont accepté de lui verser. Cela suppose que les transmissions sur demande valent moins que les téléchargements limités, mais davantage que les services sonores payants; les transmissions sur demande permettent aux consommateurs de choisir les pistes qu’ils écoutent, tandis que les services sonores payants sont des transmissions non interactives. Pour leur part, les opposantes ont proposé que les redevances reflètent ce que paient les stations de radio commerciales pour leur utilisation du répertoire de CSI, et ont proposé un taux de 0,5 pour cent.

[103] Nous rejetons la proposition des opposantes pour deux motifs. Premièrement, la musique a plus de valeur pour les transmissions sur demande que pour la radio commerciale, ne serait-ce que parce que les auditeurs choisissent la radio pour diverses raisons, dont la musique, tandis que ceux qui écoutent une transmission sur demande le font exclusivement pour la musique. Deuxièmement, une station de radio peut fonctionner sans faire de reproduction d’œuvres musicales; un service de transmissions n’a pas cette possibilité, ce qui rend le droit de reproduire plus précieux pour le second que pour la première. [17]

[104] Encore une fois, nous craignons que l’approche de CSI puisse entraîner, dans une certaine mesure, un double escompte, si le prix de détail d’un service n’offrant que des transmissions sur demande est inférieur à celui d’un service qui offre également des téléchargements limités. Nous adoptons néanmoins la méthodologie de CSI, ce qui donne un taux de 4,6 pour cent.

[105] CSI a demandé que la redevance minimale pour les transmissions sur demande soit fixée en fonction du rapport entre le taux pour ces transmissions et le taux pour les téléchargements limités. Les opposantes n’ont pas proposé de taux minimum pour cette catégorie. L’application de la méthodologie de CSI aux taux donne une redevance minimale de 29,2 ¢ [4,6 ÷ 5,9 × 37,4].

iii. Ajustement des taux pour tenir compte de l’utilisation de musique non incluse dans le répertoire de CSI

[106] CSI proposait au départ un ajustement des taux pour les téléchargements limités et les transmissions sur demande afin de rendre compte du fait que son répertoire n’inclut pas toutes les œuvres qu’utilise un service en ligne. Durant les audiences, il est devenu évident qu’un tel ajustement n’était pas nécessaire. Les services sont au courant de chaque téléchargement et de chaque transmission; les GDM dont ils se servent signalent même le nombre de fois qu’un téléchargement a été joué lorsque l’appareil du consommateur « communique » avec le service. CSI peut donc distinguer les pistes faisant appel à son répertoire de celles qui ne le font pas et calculer en conséquence les redevances.

[107] Tous s’entendent pour dire que les redevances pour les services n’offrant que des transmissions sur demande soient fonction du nombre de transmissions. Pour les services offrant des transmissions sur demande et des téléchargements limités, CSI demande que les redevances soient fonction du nombre d’écoutes; selon les opposantes, c’est le nombre de téléchargements qui, lorsque c’est possible, devrait servir à ce calcul, au motif principal que les copies, non les écoutes, devraient servir à calculer les redevances dans un tarif portant sur la reproduction. Nous ne sommes pas d’accord. Lorsque cela est pratique, les redevances pour la reproduction devraient être établies (et réparties) en fonction de la consommation. La musique enregistrée se consomme en l’écoutant. Le Tarif CMRRA/SODRAC inc. pour la radio commerciale, 2007 reflète ce principe : une station à faible utilisation paie moins qu’une autre station non pas parce qu’elle fait moins de copies, mais parce qu’elle diffuse moins le répertoire. Dans la présente affaire, toutefois, nous sommes d’accord avec Rogers. Le fait de calculer les redevances pour les téléchargements limités en fonction de l’écoute entraînerait des problèmes pratiques importants. Qui plus est, du moins pour l’instant, le résultat obtenu en utilisant tant l’écoute que le téléchargement pour établir les redevances des services qui offrent à la fois des transmissions sur demande et des téléchargements limités ne serait pas vraiment plus précis. Par conséquent, les redevances de ces services seront fonction uniquement du nombre de téléchargements.

D. Base tarifaire

[108] CSI a demandé qu’on calcule les redevances en fonction de tous les revenus découlant des produits et services assujettis à la licence visée par le tarif, y compris les revenus de publicité. Les opposantes, pour leur part, soutiennent que les redevances devraient reposer sur ce que paient les consommateurs pour utiliser le service en ligne. Selon elles, l’approche proposée par CSI est contraire à ce dont cette dernière a convenu avec les services d’une part, et avec les maisons de disques d’autre part.

[109] Nous sommes d’accord avec l’approche proposée par les opposantes, mais pour des raisons différentes. Premièrement, les services de musique en ligne ne touchent pas beaucoup plus que ce que les consommateurs paient. Deuxièmement, nous devons savoir si, et dans quelle mesure, ces autres sources de revenus découlent de l’utilisation du répertoire de CSI. Certains éléments de preuve montrent que les services fondés sur la publicité pourraient commencer à offrir gratuitement de la musique sur Internet. Nous pensons que ces nouveaux services demeureront relativement marginaux, du moins pendant la durée de validité du présent tarif. Entre-temps, les redevances minimales que nous avons fixées devraient rapporter suffisamment de redevances de ces services. Pour ces raisons, le tarif aura comme base tarifaire ce que les consommateurs versent aux services.

E. Le rôle des maisons de disques

[110] Les membres de la classe A de la CRIA ont pu s’opposer au tarif proposé parce qu’ils exploitent ou ont l’intention d’exploiter leurs propres services en ligne. Leur intérêt ne s’arrête cependant pas là. Ils désirent pouvoir jouer le rôle d’intermédiaires entre CSI et les services en ligne, probablement uniquement pour les œuvres musicales incorporées à des enregistrements sonores que possède chacun d’eux. Ils demandent, pour y arriver, que le tarif ne précise pas qui peut demander une licence.

[111] Les membres de la CRIA soutiennent qu’on peut facilement avoir recours, sur le marché en ligne, aux systèmes actuellement établis pour affranchir les droits relatifs aux CD préenregistrés, ce qui leur permettrait d’y offrir des produits entièrement affranchis, comme dans un environnement matériel. Ils font mention de certaines difficultés que les services en ligne ont éprouvées pour obtenir des licences de CSI, difficultés qui, selon eux, peuvent toutes être surmontées si les maisons de disques sont autorisées à octroyer des sous-licences aux services pour le répertoire de CSI.

[112] CSI s’oppose à cette demande. Elle souligne que la demande ne provient pas des services, qui ont tous des ententes avec CSI. Elle fait valoir qu’il n’existe aucune raison valable, sur le plan juridique ou pratique, de permettre aux maisons de disques de se substituer aux utilisateurs réels du répertoire et qu’il n’existe aucun précédent pour une telle mesure. CSI reconnaît que le traitement des demandes des services en ligne a soulevé des difficultés. Elle fait remarquer qu’étant donné l’énormité du nombre de demandes, il fallait s’attendre à ce que la mise en place des systèmes nécessaires prenne un certain temps. On a commencé à embaucher du personnel additionnel pour s’attaquer au problème. CSI signale qu’en raison des antécédents de conformité à la MLA des maisons de disques, qui n’auraient rien d’admirable, celles-ci ne devraient pas être autorisées à s’interposer dans la relation entre l’utilisateur et la société de gestion. Enfin, CSI soutient qu’elle doit pouvoir maintenir un rapport direct avec les utilisateurs afin de surveiller adéquatement l’usage réel de son répertoire.

[113] Nous sommes convaincus que le tarif ne devrait pas permettre aux maisons de disques de s’interposer entre CSI et le service de musique en ligne, pour les motifs suivants.

[114] Premièrement, permettre aux maisons de disques d’octroyer une licence d’utilisation du répertoire de CSI en vertu du présent tarif ajouterait inutilement un niveau de communication entre la société de gestion et l’utilisateur réel de son répertoire. Comme Mme Fortier l’a expliqué, ce n’était pas la pratique courante dans le passé; il ne faudrait pas que cela le devienne dans ce cas. [18]

[115] Deuxièmement, permettre aux maisons de disques de s’interposer compliquerait trop la façon dont CSI obtiendrait l’information à laquelle elle a droit. Si les quatre grandes maisons se prévalaient du tarif, CSI recevrait, pour chaque période de déclaration, au moins cinq rapports pour chaque service : un du service et un de chaque maison. Permettre à des maisons indépendantes d’entrer en lice compliquerait ces relations encore davantage.

[116] Troisièmement, CSI a déjà établi des relations directes avec tous les services faisant affaire au Canada. Il n’y a aucune raison de perturber ces relations.

[117] Quatrièmement, la personne devant payer, en fin de compte, les redevances prévues au tarif demeure l’utilisateur réel du répertoire. Fournir des renseignements peu fiables risque d’entraîner une responsabilité accrue. Il est donc probable que la personne qui supporte en dernière analyse le fardeau d’une erreur est la moins susceptible de commettre cette erreur.

[118] Cinquièmement, les gains d’efficacité que les maisons de disques prétendent qu’il est possible de réaliser en traitant par leur entremise sont loin d’être certains. Nul ne sait s’il serait plus efficace pour les maisons de faire rapport d’une partie des ventes de plusieurs services en ligne ou pour chaque service de faire rapport de son chiffre d’affaires global à partir d’un certain nombre de catalogues d’enregistrements sonores qui se recoupent. Rien n’empêche les maisons de persuader CSI et les services qu’elles peuvent contribuer à faire rapport plus efficacement aux termes du tarif. Rien n’empêche non plus CSI de remanier sa filière de communication de rapports; nous ne l’obligerons pas à le faire.

[119] La Commission a déclaré dans le passé qu’en règle générale, un tarif devrait viser les utilisations, non pas les utilisateurs. [19] C’est la Loi, non pas la Commission, qui détermine qui est tenu de payer pour une utilisation protégée. Un tarif ne peut ni imposer une responsabilité lorsque la Loi ne le fait pas, ni dégager une responsabilité lorsque celle-ci existe.

[120] La Commission a aussi déclaré qu’en règle générale, un tarif devrait viser aussi bien le droit d’accomplir que le droit d’autoriser. Lorsqu’il est administré collectivement, le droit d’autoriser un acte est assujetti au même régime que l’acte lui-même. En outre, le droit d’autorisation, bien que distinct, existe de pair avec le droit d’accomplir. [20]

[121] Nous sommes d’accord avec les deux propositions. À notre avis, prescrire que les maisons de disques ne peuvent se prévaloir du présent tarif ne contredit pas l’une ou l’autre proposition.

[122] Ainsi, nombre de tarifs qui ne mentionnent pas de qui les redevances peuvent être perçues visent des personnes solidairement responsables d’un même acte. C’est le cas, par exemple, du service de télévision spécialisée et payante et du câblodistributeur, pour la communication unique qui se produit lorsqu’une émission est transmise à partir du service au câblodistributeur, puis de là à l’abonné de ce dernier. Il est tout simplement impossible de scinder un acte unique. Dans le cas présent, comme nous l’avons fait remarquer, les maisons de disques ne peuvent pas prétendre être les utilisateurs réels, même si elles peuvent assumer une certaine responsabilité pour cette utilisation si elles prétendent l’autoriser. Il est possible de séparer ce que font les maisons de ce que font les services de musique en ligne. La Commission a déjà souligné qu’il est légalement possible d’accorder le droit d’accomplir à une société de gestion et le droit d’autoriser à une autre. [21]

[123] Également, presque tous les tarifs qui portent sur le droit d’accomplir et le droit d’autoriser sont des tarifs de la SOCAN. Si la SOCAN n’a pas déposé de tarif pour les deux actes, le paragraphe 67.1(4) de la Loi l’empêche de demander un paiement à ceux qui autorisent. Ici, ce n’est pas le cas. Les maisons de disques ne pourront se prévaloir du tarif, mais CSI pourra toujours leur octroyer une licence si elle le désire ou les poursuivre en justice si elles prétendent autoriser l’utilisation sans licence de son répertoire.

[124] D’autres tarifs prévoient expressément qu’ils ne s’appliquent pas à certains types d’utilisation. C’est ce que nous proposons de faire. La disposition pertinente empêche les maisons de disques de s’interposer uniquement dans la mesure où une licence de CSI est nécessaire. Les maisons de disques seront toujours en mesure de permettre l’utilisation d’une œuvre musicale lorsqu’elles sont déjà autorisées à le faire.

[125] Si nous n’avions pas été persuadés que nous pouvons expressément empêcher les maisons de disques de se prévaloir du tarif, nous aurions conçu des dispositions administratives qui auraient fait en sorte que CSI ne soit pas obligée de traiter avec plusieurs filières de communication de rapports. Par exemple, nous aurions prévu qu’à moins que CSI n’y consente, il y aurait dépôt d’un seul et unique rapport par service durant une période de déclaration.

F. Capacité de payer

[126] L’industrie de la musique en ligne en est encore à ses débuts. Selon tous les critères, elle est petite, sa marge bénéficiaire est relativement peu élevée et ses dépenses sont importantes. Nous croyons quand même que les services en ligne peuvent absorber les redevances que nous fixons sans avoir à hausser leurs prix, tout en conservant la capacité de respecter à moyen et à long terme leurs objectifs commerciaux.

[127] Nous pensons qu’il y a lieu de faire entrer progressivement en vigueur le nouveau tarif en appliquant un escompte de 10 pour cent aux taux que nous fixerions autrement. Cet escompte est le même que celui que la Commission a accordé lorsqu’elle a pour la première fois homologué le tarif pour les services sonores payants. Il n’est destiné à s’appliquer que durant la durée de validité du présent tarif.

G. Mesures de validation

[128] Le preuve au dossier nous permet de comparer les taux que nous homologuons à ceux qui sont établis sur trois grands marchés étrangers.

[129] Aux États-Unis, pour la reproduction des œuvres musicales, les téléchargements permanents sont actuellement assujettis au taux de la licence obligatoire de 9,1 ¢ la piste, ce qui correspond à 9,1 pour cent du prix de détail d’un téléchargement à partir du iTunes Music Store. [22] Ce taux sera soumis à un examen du Copyright Royalty Board pour la période débutant le 1er janvier 2008.

[130] En Allemagne, la Gesellschaft für musikalische Aufführungs-und mechanische Vervielfältigungsrechte (GEMA) veut percevoir un taux effectif de 12 pour cent des revenus bruts pour le droit de communiquer et de reproduire les œuvres musicales (non pas les enregistrements sonores) dans le cas des téléchargements permanents et limités. L’association allemande représentant les producteurs d’enregistrements musicaux a proposé une redevance de 6 pour cent en général et de 4,8 pour cent pour le téléchargement de musique sur un téléphone cellulaire.

[131] Au Royaume-Uni, la Mechanical Copyright Protection Society, la Performing Rights Society et la British Phonographic Industry ont convenu d’un taux de 8 pour cent pour la reproduction et la communication d’œuvres musicales dans tous les téléchargements et toutes les transmissions sur demande. La base tarifaire continue cependant de faire l’objet d’un différend qui sera réglé par le Copyright Tribunal.

[132] Les taux que nous homologuons seraient de 8,8, de 5,9 et de 4,6 pour cent avant escompte. Ils sont, après escompte, de 7,9, de 5,3 et de 4,1 pour cent. Les moyennes simples de ces taux sont 6,4 et 5,8 pour cent. Les taux moyens pondérés, qui reflètent l’importance relative de chaque type de téléchargement, se rapprocheraient beaucoup plus du taux plus élevé s’appliquant aux téléchargements permanents.

[133] La Commission a souvent déclaré qu’il faut faire preuve de prudence lorsqu’il y a comparaison des taux qu’elle homologue et de ceux qui s’appliquent dans d’autres ressorts. Nous concluons néanmoins que l’examen de ce qui se pratique aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Allemagne confirme, dans une certaine mesure, que les taux que nous homologuons dans la présente décision sont justes à la fois pour les titulaires de droits et pour les utilisateurs de ces droits.

VI. LIBELLÉ DU TARIF

[134] Il a été difficile de finaliser le libellé du tarif que nous homologuons. Les consultations ont débuté très peu de temps après la fin des audiences, par une série de questions que nous avons adressées concernant la structure du tarif et ce dont il devrait traiter. Pendant plus de quatre mois, les parties, avec l’aide de notre conseiller juridique, ont procédé à plusieurs échanges. Elles se sont rencontrées avec notre conseiller pour une journée entière. Elles ont reçu deux projets, dont le deuxième différait substantiellement du premier. Les consultations se sont terminées il y a deux semaines à peine.

[135] Le libellé du tarif que nous homologuons est fort différent du projet publié dans la Gazette du Canada ou de ce que CSI proposait en bout de piste. Voilà pourquoi la présente section de nos motifs est passablement plus longue qu’à l’habitude.

A. Définitions

[136] Nous avons omis plusieurs définitions inutiles. Parmi celles qui restent ou que nous avons enlevées, certaines méritent qu’on les commente.

[137] L’article 3 décrit ce qu’un service de musique en ligne « et ses distributeurs autorisés » peuvent faire en vertu du tarif. Les parties ont proposé une définition de distributeur autorisé que nous n’avons pas retenue. Le concept peut fort bien se passer de définition.

[138] CSI demandait que le tarif vise les transmissions sur demande et les téléchargements limités uniquement lorsqu’il faut payer pour les obtenir. CSI et les opposantes s’entendaient pour dire que pour y arriver, il fallait définir ce qu’est un abonné. Nous croyons qu’il suffit d’utiliser le terme sans le définir. La notion d’abonnement implique d’effectuer un paiement pour ce à quoi on s’abonne. Qui plus est, à plus long terme, nous croyons qu’il conviendrait sans doute que le tarif vise de tels services et ce, même s’ils sont financés autrement, au moyen de la publicité, par exemple.

[139] La définition de téléchargement limité portable a fait l’objet de longs échanges. Nous sommes d’accord avec Rogers que le téléchargement limité portable devrait être une copie que fait l’abonné. Le service permettant à un fichier d’être livré à plus d’un appareil, comme celui que nous décrivons au paragraphe 87, ne devrait pas être considéré comme un téléchargement portable.

B. Application

[140] Le tarif permet au service de musique en ligne et à ses distributeurs autorisés de faire toutes les reproductions nécessaires à l’exploitation du service. Il permet aussi au service de fournir des fichiers promotionnels et d’écoute préalable de 30 secondes sans que cela n’entraîne de paiement ou d’obligations de rapport.

[141] Le tarif ne vise pas les pots-pourris. Dans le marché physique, on n’utilise pas la MLA pour autoriser ces utilisations; elles font l’objet de licences distinctes. Ce n’est pas trop exiger de ceux qui négocient ces licences de tenir compte des utilisations dans le marché en ligne.

C. Exigences de rapport

[142] L’information qu’un service de musique en ligne doit fournir à CSI est moindre, et de loin, que ce que CSI demandait. Les principes suivants nous ont guidés pour décider ce qui devrait ou non être fourni.

[143] Premièrement, CSI devrait obtenir suffisamment de renseignements pour lui permettre de distinguer les fichiers qui utilisent son répertoire de ceux qui ne le font pas. Pour ce motif, les services doivent fournir des renseignements descriptifs sur les fichiers pour lesquels le service soutient qu’une licence n’est pas nécessaire.

[144] Certaines opposantes craignent que CSI utilise les renseignements concernant les œuvres ne faisant pas partie de son répertoire pour recruter de nouveaux membres. Il ne nous semble pas nécessaire de tenir compte de ce scénario pour deux motifs. D’abord, les échéances de rapport sont bien trop courtes pour permettre à CSI d’obtenir un avantage important sous cet aspect. Ensuite, rien ne permet de croire que CSI a agi ainsi par le passé ou pourrait songer à agir ainsi à l’avenir. Rien ne sert d’ajouter qu’une indication à l’effet contraire entraînerait un resserrement considérable de l’information que CSI obtient en vertu du tarif et de l’usage qu’elle peut en faire.

[145] Deuxièmement, compte tenu de la façon dont les choses se passent dans des marchés connexes, CSI devrait obtenir certains renseignements qui sont par ailleurs redondants. CSI nous a convaincus, par exemple, que l’information qu’elle obtient en vertu de la MLA est suffisamment aléatoire pour justifier qu’on lui fournisse certains renseignements alternatifs, additionnels. Cela dit, la redondance devrait se limiter à ce qui est nettement instructif et utile. Demander plus d’information que nécessaire pénalise ceux qui fournissent déjà à CSI les renseignements dont elle a besoin. Règle générale, la meilleure façon d’obtenir la bonne information est de la demander puis de pénaliser ceux qui ne le font pas.

[146] Troisièmement, CSI devrait obtenir non seulement l’information qu’il lui faut pour calculer et répartir les redevances, mais aussi celle lui permettant de se faire une idée du niveau de conformité sans devoir recourir à des vérifications systématiques. Nous aurions donc exigé des services qu’ils fassent part de leurs ventes totales si CSI n’avait pas en bout de piste abandonné sa demande à cet effet. Par contre, la fourniture de données financières portant sur les fichiers ne nécessitant pas de licence doit être ramenée au strict nécessaire.

[147] Il faut aborder autrement les données financières portant sur les fichiers utilisant des œuvres dont le statut est incertain. Ainsi, après avoir constaté que nous n’exigerions sans doute pas que les services lui fournissent des rapports de vente détaillés pour tous les fichiers, CSI a demandé de recevoir au moins la liste de tous ceux qui sont transmis ou téléchargés durant le mois. Nous ne l’aurions pas fait pour les fichiers ne nécessitant pas de licence. Nous avons songé à exiger la fourniture de certaines données concernant les fichiers utilisant des œuvres dont le statut est incertain, mais nous ne l’avons finalement pas fait. Aux fins du présent tarif à tout le moins, il nous semble que CSI en aura bien assez de traiter des fichiers qu’elle sait faire partie de son répertoire. Qui plus est, certains services fournissent déjà à CSI des rapports de vente complets tout simplement parce que cela leur simplifie la tâche. Il faudra réexaminer la question avant d’homologuer le prochain tarif.

[148] Quatrièmement, si un renseignement est essentiel, le service devrait le fournir même s’il doit se le procurer ailleurs. Les maisons de disque ne fournissent pas toujours aux services de musique en ligne le nom de l’auteur de l’œuvre musicale, le code international normalisé des enregistrements attribué à l’enregistrement sonore ou d’autres renseignements concernant l’album sur lequel un enregistrement a pu être publié sur support physique. Cela ne suffit pas à exempter le service de fournir ces renseignements. Les services ont besoin d’une licence. Ils ont besoin de l’aide de CSI pour établir ce qui est ou non dans son répertoire. Ils devraient donc fournir des renseignements de base concernant le droit d’auteur. Autrement, lorsque l’information recherchée est utile sans être essentielle, elle ne devrait être fournie que si elle est disponible.

[149] Dans le présent tarif, toutefois, nous sommes prêts à faire une exception. Il s’agit d’un premier tarif dont l’effet rétroactif est important. Les licences de CSI n’obligent pas les services à fournir ces renseignements. Exiger des maisons de disques et des services qu’ils ajustent leurs systèmes à courte échéance pourrait coûter fort cher inutilement. Cela dit, il semble que le format mondial de rapport dont on discute en ce moment pourrait inclure la plupart, sinon la totalité, des renseignements pertinents. À tout événement, les services devraient s’attendre à devoir bientôt fournir cette information dans tous les cas.

D. Flux d’information

[150] Dès que son exploitation débute, un service fournira et mettra à jour mensuellement des données de base sur le service et sur les fichiers qu’il offre sur son serveur. CSI indiquera ensuite au service les fichiers qui utilisent son répertoire. Nous sommes conscients qu’en agissant ainsi, nous homologuons un tarif qui enchâsse la violation systématique des droits de ceux que CSI ne représente pas. Pour des raisons pratiques, il serait difficile d’agir autrement, du moins pour l’instant. Cet état de fait pourrait être en grande partie imputable à ce qui pourrait être perçu comme diverses applications à ce marché du soi-disant effet de longue traîne. Premièrement, le marché a d’abord été structuré en fonction de la licence obligatoire qui existait au Canada jusqu’en 1989 et qui existe encore aux États-Unis. Deuxièmement, ce marché exige que les participants numérisent et offrent rapidement des catalogues existants dont les propriétaires pourraient ne pas toujours être faciles à identifier. Troisièmement, la tentative d’offrir tout ce qui est disponible signifie qu’on peut consommer peu, ou pas du tout, une large part de ce qui est offert; personne ne désire, naturellement, consacrer des ressources pour déterminer qui possède les droits sur une piste qui ne rapporte aucune redevance. C’est là une question qu’il faudra réexaminer dans le cadre d’affaires subséquentes.

[151] Chaque mois, le service fournira à CSI les renseignements requis pour calculer les redevances payables, CSI effectuera ce calcul en utilisant ces renseignements puis fera parvenir un état de compte au service. La demande des opposantes d’avoir l’option de calculer les redevances elles-mêmes ou de demander à CSI de le faire engendrerait de l’incertitude et des délais inutiles.

[152] Nous avons établi les échéances de rapport et de paiement de façon à permettre à la CMRRA de continuer à répartir les redevances au plus tard 75 jours après la fin du trimestre. Il sera plus facile d’y arriver en étalant les obligations de rapport. Pour ce motif, l’échange de renseignements se fait à chaque mois même si les paiements sont effectués seulement une fois par trimestre.

[153] Certaines conséquences découlent du fait d’impliquer CSI dans l’échange de renseignements. Ainsi, comme le fardeau de rapport n’incombe pas uniquement à l’utilisateur, il est possible qu’un service verse un montant de redevances incorrect sans avoir lui-même commis d’erreur. Un service ne devrait pas faire les frais des erreurs que CSI commet. Nous avons réécrit en conséquence les dispositions usuelles traitant des ajustements de paiement, de la responsabilité pour les frais de vérification et des intérêts. Nous n’avons pas fait droit à la demande de CSI voulant que la responsabilité pour un paiement erroné ne lui incombe que s’il découle « uniquement » d’une erreur ou d’une omission de sa part. Nous ne souhaitons pas imposer le fardeau d’une erreur conjointe à une seule personne.

[154] Par contre, nous n’avons pas permis aux opposantes de vérifier les livres de CSI. Cette dernière fournira un calcul détaillé des redevances, ce qui devrait suffire au service pour vérifier si le montant qu’on lui demande est le bon.

E. Résiliation de la licence

[155] CSI demande que le tarif prévoie la résiliation de la licence si un service ne verse pas ses redevances, ne se conforme pas au tarif, fait faillite ou devient insolvable. Les seuls autres tarifs dans lesquels on retrouve une telle disposition sont les tarifs de l’Agence des droits des radiodiffuseurs canadiens (CBRA) pour la veille médiatique. Les opposantes sont en désaccord. Elles soulignent, entre autres, que certaines dispositions de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (LFI) et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies empêchent qu’on mette fin à des ententes.

[156] Selon nous, la LFI traite différemment les questions de droit d’auteur. Il nous semble que si son article 83 permet de mettre fin à une cession de droit d’auteur par opération de la loi (et donc, sans que le contrat de cession permette la résiliation), il faut, a fortiori, qu’une licence puisse stipuler que le licencié en faillite ne peut plus s’en prévaloir. Nous ne voyons pas pourquoi les titulaires de droits d’auteur devraient subventionner une exploitation insolvable. Qui plus est, nous préférons laisser aux tribunaux de droit commun le soin de décider si une disposition telle l’article 13 du tarif est efficace ou non.

[157] Les paragraphes 65.1(1) et (2) de la LFI pourraient empêcher CSI de mettre fin à la licence au seul motif que des redevances sont impayées « à l’égard » d’une période antérieure au dépôt de l’avis d’intention ou de la proposition. Cela semble permettre au syndic de se prévaloir de la licence pour autant qu’il s’y conforme à partir de la date de l’avis ou de la proposition. Le paragraphe 65.1(4) prévoit par ailleurs qu’une personne peut exiger d’être payee sur-le-champ pour l’utilisation de « biens ... faisant l’objet d’une licence » après le dépôt de l’avis ou de la proposition ou encore, d’exiger la prestation de nouvelles avances de fonds ou de nouveaux crédits. À plus long terme, il conviendrait peut-être de prévoir qu’un service insolvable doit verser des avances sur ses redevances. Encore une fois, il est préférable de remettre cette analyse à plus tard.

F. Sécurité, MPT et autres exigences

[158] Le tarif ne traite pas de normes minimales de sécurité, de l’utilisation de mesures de protection technologiques (MPT), de la nature ou du contenu des renseignements concernant le droit d’auteur que le service devrait fournir à ses clients ou de normes d’utilisation du contenu par ces derniers. Dès le départ, on s’entendait pour dire que le tarif, tout au plus, prévoirait que le service se conforme aux règles convenues avec les maisons de disques. Avec le temps, il est devenu évident qu’une telle disposition serait au mieux redondante. Puis récemment, PureTracks a annoncé qu’elle offrait désormais certains fichiers libres de tout logiciel de GDN. Il vaut mieux remettre cette question à plus tard, si tant est qu’elle soit même pertinente.

G. Dispositions transitoires

[159] Nous avons allongé les délais d’échange des rapports visant des périodes écoulées avant que le tarif soit homologué. En vertu des ententes entre CSI et les services en ligne, ces derniers effectuent des versements provisoires jusqu’à ce que la Commission homologue un tarif. La différence entre ces paiements et ce que le tarif final établi, sans être insignifiante, est relativement modeste. Qui plus est, CSI n’a pas encore fourni plusieurs des rapports qui doivent être remis aux services pour leur permettre de savoir combien ils doivent payer. Dans les circonstances, nous ne croyons pas qu’il soit nécessaire de prévoir le versement d’intérêts sur la différence.

VII. TAUX DÉFINITIFS

[160] Le Tableau 2 qui suit montre les taux que nous obtenons avant l’application de l’escompte de 10 pour cent, et ceux que nous homologuons, après son application.

TABLEAU 2

Catégorie

Taux avant escompte

Taux homologués, après escompte

Téléchargement permanent

8,8 % du montant payé par le consommateur Redevance minimale :

4,5 ¢ par fichier faisant partie d’un ensemble;

5,9 ¢ pour tout autre fichier

7,9 % du montant payé par le consommateur Redevance minimale :

4,1 ¢ par fichier faisant partie d’un ensemble;

5,3 ¢ pour tout autre fichier

Téléchargement limité

5,9 % des sommes payées par les abonnés Redevance minimale :

57,0 ¢ par mois, par abonné si les téléchargements limités portables sont permis;

37,4 ¢ si ce n’est pas le cas

5,3 % des sommes payées par les abonnés Redevance minimale :

51,3 ¢ par mois, par abonné si les téléchargements limités portables sont permis;

33,7 ¢ si ce n’est pas le cas

Transmission sur demande

4,6 % des sommes payées par les abonnés Redevance minimale :

29,2 ¢ par mois, par abonné

4,1 % des sommes payées par les abonnés Redevance minimale :

26,3 ¢ par mois, par abonné

[161] Il est impossible d’estimer avec quelque degré de fiabilité que ce soit le montant total des redevances que le présent tarif rapportera à CSI. D’après les chiffres récemment rendus publics par Nielsen SoundScan Canada, il est cependant possible d’évaluer que le tarif pour les téléchargements permanents rapporterait près de 2 millions de dollars de redevances en 2006 et un peu moins de 1 million de dollars en 2005.

Le secrétaire general,

Signature

Claude Majeau



[1] Pièce CSI-27.A, onglet C, Mobile Music, Juniper Research, à la page 157.

[2] Lorsque la CMRRA n’est pas l’agent exclusif d’un éditeur, il est possible d’obtenir une licence directement de ce dernier.

[3] Du moins dans la mesure où il ne s’agit pas de copies privées au sens de la Partie VIII de la Loi.

[4] Les sonneries utilisant l’enregistrement sonore original d’une œuvre musicale. Pendant toute l’audience, les parties ont parlé de « ringtunes ».

[5] Même si les parties aux NDMA sont américaines, les ententes s’appliquent à des opérations canadiennes.

[6] Le professeur Globerman a défini la valeur du produit marginal comme étant [TRADUCTION] « la valeur monétaire de l’augmentation de l’extrant se rattachant à l’usage additionnel de l’intrant en maintenant l’utilisation des autres intrants constante ».

[7] On a passé sous silence le fait que lorsque la « décision » de facturer le même prix pour reproduire une œuvre musicale sur un vinyle, une cassette ou un CD a été prise, ce prix était réglementé. Il l’est encore aux États-Unis. Cela a pu influencer la decision de continuer à facturer un seul prix au Canada même après 1989, moment où on a déréglementé le prix. Ce n’est pas suffisant, à notre avis, pour que nous ne tenions pas compte de la réalité historique de la MLA, étant donné surtout que le prix unique a continué à prévaloir après la déréglementation, qui est survenue à une époque où les trois formats préenregistrés connus se faisaient encore concurrence.

[8] La fabrication d’un CD préenregistré nécessite des reproductions dont on n’a pas fait mention, y compris celles qui sont utilisées pour graver l’œuvre musicale sur le disque compact; on n’utilise pas la bande maîtresse à cette fin.

[9] La perspective juridique est fort différente toutefois, comme nous le soulignons plus loin, au paragraphe 84.

[10] Voir la loi américaine sur le droit d’auteur, 17 U.S.C. §115 (c) (3) (E) (ii) (II).

[11] Le tarif permettant à un service de musique en ligne de communiquer une œuvre musicale sera fixé après les audiences relatives au tariff 22 de la SOCAN qui doivent débuter le 17 avril 2007.

[12] Voir, entre autres, la décision du 20 octobre 2006 homologuant le Tarif SCGDV pour la musique de fond, 2003-2009, au paragraphe 114.

[13] Décision du 12 décembre 2003 homologuant le Tarif pour la copie privée, 2003-2004, à la page 27.

[14] On en vend certains à des prix plus élevés, mais rien n’indique que ces ventes ont des répercussions importantes sur le marché.

[15] Nous préférons ce chiffre à 15, utilisé par MM. Audley et Hyatt, qui est fondé sur des données fournies par SoundScan, et ce, pour deux raisons. Premièrement, les albums de compilation préenregistrés, qui ne sont généralement pas offerts en ligne, accroissent le nombre moyen de pistes. Deuxièmement, la preuve présentée par M. Cue au sujet de ce qui se passe chez iTunes, l’acteur dominant sur le marché, est la meilleure preuve disponible.

[16] Pièce CSI-27.A, à la page 3, Tableau 1.

[17] Décision du 28 mars 2003 homologuant le Tarif de la CMRRA/SODRAC inc. pour la radio commerciale, 2001-2004, à la page 13; Décision du 18 août 2006 homologuant le Tarif 24 de la SOCAN (Sonneries), aux paragraphes 93 à 99.

[18] Il existe évidemment des exceptions à ce principe. En règle générale, on perçoit les redevances pour l’exécution publique de musique dans les salles de concert ou de réceptions des exploitants de ces salles et non des interprètes. Il y a des motifs pratiques pour ce faire, motifs qui n’existent tout simplement pas en l’espèce, comme nous l’expliquons dans le paragraphe suivant.

[19] Décision du 15 mars 2002 homologuant le Tarif SOCAN-SCGDV applicable aux services sonores payants, 1997-2002, aux pages 27-28; Décision du 19 mars 2004 homologuant les tarifs 2.A (Télévision commerciale) et 17 (Télévision payante et spécialisée) de la SOCAN, aux pages 38-39.

[20] Voir de façon générale, la décision du 26 mars 2004 disposant d’une question de compétence portant sur le tarif 4 de la SOCAN (Concerts), aux pages 8-9.

[21] Idem, à la page 11.

[22] La distribution d’un enregistrement sonore numérique n’enclenche pas le versement de l’équivalent du droit canadien de communication aux États-Unis.

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