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Copyright Board
Canada

Canada Coat of Arms/Armoiries du Canada

Commission du droit d’auteur
Canada

 

Date

2006-10-20

Référence

Dossier : Exécution publique d’enregistrements sonores

Régime

Gestion collective du droit d’exécution et de communication

Loi sur le droit d’auteur, paragraphe 68(3)

Commissaires

M. le juge William J. Vancise

Me Sylvie Charron

Me Brigitte Doucet

Projets de tarif examinés

3 – Utilisation et distribution de musique de fond (2003-2009)

Tarif des redevances à percevoir par la scgdv pour l’exécution en public ou la communication au public par télécommunication, au Canada, d’enregistrements sonores publiés d’œuvres musicales

Motifs de la décision

I. INTRODUCTION

[1] La musique de fond fait partie du quotidien, depuis les vibrations assourdissantes des boutiques mode pour adolescents jusqu’aux mélodies feutrées des halls d’hôtel, en passant par toute la gamme des genres musicaux. On joue de la musique pour agrémenter l’ambiance de manufactures, usines de montage, centres commerciaux, commerces, bars, restaurants; on l’entend même dans les avions et les cabinets de dentistes. Elle provient de sources diverses : services commerciaux spécialisés livrant la musique par satellite ou par câble, CD joués sur place, radio, etc. Aujourd’hui, des entreprises de distribution de radiodiffusion par câble et par satellite proposent également de la musique de fond en plus de leurs activités principales visant une clientèle résidentielle.

[2] Au Canada, le propriétaire d’une œuvre musicale utilisée comme fond sonore a, depuis 1924, [1] le droit d’être payé pour cette utilisation. Les producteurs d’enregistrements sonores et artistes-interprètes n’ont obtenu le droit d’être payés pour l’utilisation de l’enregistrement qu’en 1997. [2]

[3] C’est la première fois que l’on demande à la Commission d’homologuer un tarif payable aux producteurs et aux artistes-interprètes pour l’utilisation de l’enregistrement sonore d’une œuvre musicale comme musique de fond.

[4] Le 2 avril 2002, [3] la Société canadienne de gestion des droits voisins (SCGDV) a déposé, conformément au paragraphe 67.1(1) de la Loi sur le droit d’auteur (la « Loi »), un projet de tarif portant sur les redevances qu’elle proposait de percevoir en 2003 et par la suite pour l’exécution en public [4] et la communication au public par télécommunication, [5] au Canada, d’enregistrements sonores publiés d’œuvres musicales. L’un des projets concernait la communication et l’exécution d’enregistrements sonores à titre de musique d’ambiance (ci-après, « musique de fond ») pour les années 2003 à 2009 (tarif 3 de la SCGDV).

[5] Le projet de tarif a été publié dans la Gazette du Canada le 11 mai 2002. Les utilisateurs éventuels et leurs représentants ont été avisés de leur droit de s’opposer au projet au plus tard le 10 juillet 2002.

[6] Plusieurs fournisseurs de musique de fond, utilisateurs et leurs représentants se sont opposés au projet. La principale opposante, parmi les fournisseurs, était l’Association canadienne des télécommunications par câble (ACTC). Bell ExpressVu, Star Choice Television Network Inc. (Star Choice) et CHUM Satellite Services (CHUM) se sont aussi opposées. L’Association des hôtels du Canada (HAC), l’Association canadienne des restaurateurs et des services alimentaires (CRFA) et l’Alberta Association of Agricultural Societies (AAAS) ont présenté des oppositions à titre de représentantes d’utilisateurs. Paramount Canada’s Wonderland était aussi opposante mais s’est retirée suite à une entente intervenue avec la SCGDV. Enfin, DMX Music Inc., la Société Radio-Canada (Galaxie) et la Canadian Society of Copyright Consumers se sont opposées au projet de tarif, mais n’ont pas participé à l’affaire.

II. CADRE LÉGISLATIF

[7] Puisque c’est la première fois que la SCGDV propose un tarif pour l’utilisation de musique de fond, il est utile d’exposer les grandes lignes du régime législatif dans le contexte de la présente audience.

[8] L’inclusion de la partie II dans la Loi a permis au Canada d’adhérer à la Convention internationale sur la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion, intervenue en 1961 (Convention de Rome). La partie II traite des droits des artistes-interprètes, des producteurs d’enregistrements sonores et des radiodiffuseurs. Les articles 15, 18, 21 et 26 énoncent leurs droits exclusifs. L’article 19 prévoit que l’artiste-interprète et le producteur ont chacun droit à une rémunération équitable pour l’exécution en public ou la communication au public par télécommunication d’un enregistrement sonore publié.

[9] Les droits à rémunération de l’artiste-interprète et du producteur sont assujettis à plusieurs conditions. En premier lieu, l’article 19 dispose que ces droits sont exercés conjointement. Deuxièmement, le paragraphe 20(1) prévoit que le droit à rémunération n’existe qu’à l’égard des enregistrements sonores répondant à certaines conditions, qui y sont précisées. Troisièmement, l’alinéa 19(2)a) dispose que, dans le cas de l’enregistrement sonore d’une œuvre musicale, quiconque exécute ou communique l’enregistrement doit verser des redevances à la société de gestion chargée, en vertu de la partie VII, de les percevoir. Les sociétés doivent déposer leurs projets de tarif à la Commission. Ces projets sont soumis au même examen que ceux des sociétés de gestion des droits d’exécution de la musique.

III. POSITION DES PARTIES

A. La SCGDV

[10] Le projet de tarif de la SCGDV vise la communication de musique de fond aux établissements et son exécution dans ces établissements. Ce que la SCGDV proposait dans son projet initial a été révisé à la baisse de façon substantielle au moment de l’audience, et peut désormais se résumer comme suit.

[11] Jusqu’à 2002, les projets de tarif de la SCGDV reproduisaient la structure tarifaire de la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN). Tel n’est pas le cas en l’espèce. Le projet englobe en tout ou en partie des utilisations visées dans plusieurs tarifs distincts de la SOCAN. [6]

[12] La SCGDV demande l’homologation d’un tarif unique comprenant deux structures de taux ou catégories. La catégorie A vise ceux qui fournissent de la musique de fond aux établissements commerciaux et industriels. La catégorie B vise les établissements qui utilisent leur propre musique de fond.

[13] Sous le régime de la catégorie A, les fournisseurs de musique de fond verseraient 11,2 pour cent du montant brut qu’ils reçoivent de leurs abonnés, déduction faite du montant payé par le fournisseur pour acquérir l’équipement permettant à l’abonné de recevoir le service de musique.

[14] Sous le régime de la catégorie B, les établissements qui utilisent leur propre musique paieraient un montant précis établi suivant l’une de trois méthodes possibles. La première méthode à utiliser correspond à la multiplication du nombre d’admissions, de personnes présentes ou de billets vendus par 0,26 ¢. Si cette méthode ne peut être utilisée, il faut recourir à la deuxième qui correspond à la multiplication du nombre de personnes pouvant être admises dans l’espace public (généralement déterminé par la réglementation en matière d’incendie ou d’alcool) par le nombre de jours d’utilisation de la musique de fond par 0,52 ¢. Dans le cas où ni la première ni la deuxième méthode ne s’appliquent, la troisième méthode à utiliser consiste en la multiplication de la superficie d’espace public par le nombre de jours d’utilisation de la musique de fond par 0,867 ¢ le mètre carré (ou 0,081 ¢ le pied carré). Dans le cas où aucune des méthodes ne s’applique, l’utilisateur devrait verser un montant annuel de 94,08 $. La SCGDV ne réclame aucune redevance minimale.

[15] Les arguments invoqués par la SCGDV au soutien de son projet de tarif peuvent se résumer comme suit.

[16] Premièrement, l’imposition d’un tarif unique applicable à toutes les utilisations de musique de fond est préférable à l’approche fragmentée de la SOCAN. Le projet de tarif tient compte des lacunes relevées par la Commission en 1991 [7] dans les tarifs de la SOCAN et de certains des problèmes constatés relativement à l’application éventuelle de tarifs multiples à un même utilisateur. En soi, cela suffit à justifier la différence dans la structure tarifaire. Un tarif unique applicable à tous les types d’établissements ayant recours à la musique de fond entraîne une structure tarifaire plus cohérente; une approche fragmentaire se traduit par un grand nombre de tarifs applicables à autant d’utilisations pourtant essentiellement similaires.

[17] Deuxièmement, les tarifs de la SOCAN en général, et plus particulièrement les tarifs 15 et 16, ne constituent pas des prix de référence valables pour le projet de tarif en l’espèce. Les adaptations qu’il faudrait y apporter sont d’une importance telle qu’elles rendent vaine toute comparaison. La SCGDV fait valoir qu’aucun modèle d’entreprise n’est comparable à la distribution de musique de fond. Cela dit, compte tenu de l’importance grandissante des entreprises de distribution de radiodiffusion, la SCGDV conclut que la comparaison la plus appropriée est celle que l’on peut faire avec la façon dont les recettes d’abonnement sont réparties entre ces entreprises, les services et les titulaires de droits dans le marché de la télévision à la carte.

[18] Troisièmement, la SCGDV propose qu’on détermine la part qu’occupe son répertoire dans l’utilisation globale d’enregistrements sonores comme musique de fond en se servant de la moyenne simple de la place qu’occupe son répertoire sur les ondes de la radio commerciale et dans les ventes de CD préenregistrés.

[19] Quatrièmement, la SCGDV soutient que le montant payé pour l’utilisation d’un enregistrement sonore comme musique de fond devrait être le même, peu importe que la redevance soit payée directement par l’établissement ou par l’entremise d’une entreprise qui lui fournit de la musique de fond.

B. Les opposantes

[20] L’ACTC ne croit pas que la télévision à la carte soit un modèle de référence approprié pour le marché de la musique de fond. À son avis, on devrait plutôt se servir du tarif 16 de la SOCAN. Ce dernier vise l’utilisation d’œuvres musicales; le projet de tarif porte sur l’utilisation de prestations enregistrées de ces œuvres. Bell ExpressVu et Star Choice souscrivent aux objections et arguments de l’ACTC. Pour l’essentiel, CHUM adopte la même position. Toutes proposent le même taux de redevances, soit 1,7 pour cent pour les locaux industriels et 2,7 pour cent pour les autres établissements. Ces taux sont fondés sur l’hypothèse selon laquelle la part du répertoire de la SCGDV pour la musique de fond est identique à celle des ventes de CD préenregistrés; ils ne tiennent pas compte du temps d’antenne à la radio commerciale.

[21] La CRFA et l’HAC soutiennent que la SCGDV ne devrait rien recevoir puisque leurs membres versent déjà à la SOCAN une redevance en application de son tarif 16. Elles prétendent que le paiement de redevances additionnelles à la SCGDV aurait des répercussions sérieuses sur les affaires de leurs membres. Elles conviennent à regret que ces derniers devront payer une redevance, mais insistent sur le fait que cette redevance devrait être minimale. La CRFA estime que le tarif ne devrait pas dépasser 15 pour cent du montant payé à la SOCAN, étant donné que le répertoire de la SCGDV est plus modeste, que les fournisseurs de musique de fond ne sont pas assujettis à des règles de contenu canadien et qu’une redevance plus onéreuse conduirait les restaurateurs à remplacer le répertoire de la SCGDV par des enregistrements non admissibles.

[22] L’AAAS est d’avis qu’il vaut mieux utiliser le tarif 5.A de la SOCAN, applicable à ces événements, pour dériver le tarif de la SCGDV. Elle fait valoir que la musique de fond ne joue pratiquement aucun rôle dans ces événements et qu’aucune redevance ne devrait être imposée pour la tenue d’activités communautaires sans but lucratif organisées par des bénévoles.

IV. LA PREUVE

A. La SCGDV

[23] La SCGDV a tout d’abord tenté de distinguer les droits des artistes-interprètes et des producteurs de ceux de la SOCAN. Elle a ensuite voulu définir un taux de redevances différent de celui du tarif 16 de la SOCAN (et plus élevé que ce dernier). À cette fin, la SCGDV a chargé MM. Paul Audley et Douglas E. Hyatt de préparer un rapport [8] dont l’objet est d’établir une méthode permettant de fixer les redevances appropriées. Ce rapport constitue un élément essentiel de la preuve de la SCGDV; aussi en exposerons-nous la teneur de façon assez détaillée.

[24] MM. Audley et Hyatt cherchent à évaluer la valeur de l’ensemble des droits à rémunération des artistes-interprètes et des producteurs. Comme l’a fait la SCGDV à l’égard de la radio commerciale, [9] ils affirment que, toutes choses étant égales par ailleurs, auteurs, artistes-interprètes et producteurs devraient respectivement avoir droit au même montant de redevances pour toute utilisation particulière.

[25] MM. Audley et Hyatt examinent plusieurs prix de référence possibles. Ils concluent que le tarif SOCAN-SCGDV applicable aux services sonores payants [10] est peu approprié et impossible à appliquer dans les circonstances de l’espèce. À leur avis, à moins d’y apporter des adaptations majeures, le recours à ce tarif se traduirait par une rémunération beaucoup trop faible pour être considérée équitable.

[26] Les auteurs du rapport écartent aussi la possibilité de se référer au tarif 16 de la SOCAN, pour au moins trois motifs. D’abord, le tarif prévoit que les utilisateurs industriels paient moins que les autres; ils ne voient aucune raison justifiant cette distinction. Deuxièmement, ils sont d’avis que le tarif 16 ne reflète pas vraiment la valeur des droits que la SOCAN représente. Enfin, ils doutent de la pertinence des escomptes que le tarif accorde aux fournisseurs de musique.

[27] MM. Audley et Hyatt concluent que le marché de la télévision à la carte constitue le modèle de référence approprié pour établir un tarif applicable à la musique de fond. L’un comme l’autre sont des services de programmation. L’un et l’autre sont offerts par des entreprises de distribution de radiodiffusion. Dans les deux cas, les recettes proviennent entièrement des abonnés. Le professeur Marcel Boyer a témoigné au soutien de cette assertion.

[28] Mme Diana Barry, directrice générale de la SCGDV, a aussi témoigné. Elle a expliqué les raisons qui ont conduit la société de gestion à proposer un tarif global. Elle a aussi exposé à la Commission la méthode et les critères utilisés pour déterminer la proportion des CD préenregistrés vendus au Canada qui contiennent des enregistrements sonores du répertoire de la SCGDV.

[29] La SCGDV et son équipe d’experts ont fourni des renseignements et une analyse économique détaillés, qui nous ont permis d’analyser pleinement le modèle d’évaluation qu’ils préconisent. La SCGDV présente invariablement ce genre de preuve et d’analyse dans le cadre de ses exposés devant la Commission. Bien qu’elle n’ait pas entièrement réussi à rallier la Commission à son point de vue, l’information qu’elle a fournie et l’approche qu’elle a adoptée ont enrichi le processus d’audience et continuent à le faire.

B. Les opposantes

[30] L’ACTC a demandé au professeur Frank Mathewson [11] d’établir un rapport évaluant certaines questions économiques soulevées par le projet de la SCGDV. On lui a confié la responsabilité expresse d’envisager et de recommander un point de départ pouvant servir à l’établissement du tarif.

[31] De l’avis du professeur Mathewson, le tarif 16 de la SOCAN constitue un prix de référence valable pour trois motifs. En premier lieu, ce tarif vise la musique de fond. Deuxièmement, la Commission s’est penchée sur ce tarif à maintes reprises, ce qui amène M. Mathewson à conclure que le niveau de rémunération est adéquat et que les taux reflètent bien la valeur des droits que représente la SOCAN. Troisièmement, l’utilisation du tarif de la SOCAN comme référence assurerait une plus grande homogénéité horizontale au sein du marché de la musique de fond.

[32] Par ailleurs, le professeur Mathewson rejette la télévision à la carte à titre de modèle de référence, pour des motifs qui seront examinés plus loin.

[33] M. Chris Frank, directeur principal – relations gouvernementales et réglementation chez Bell ExpressVu, a témoigné de l’importance relative des services sonores payants et des entreprises de distribution de radiodiffusion dans le marché de la musique de fond. Il a aussi comparé certaines caractéristiques des services sonores payants et des services de télévision à la carte.

[34] M. Brad Trumble, vice-président aux opérations chez DMX Music Inc. (Canada), a témoigné au nom de CHUM. Il a fourni des renseignements au sujet des services offerts par DMX. Selon lui, l’industrie de la musique de fond est devenue très concurrentielle depuis que les progrès technologiques permettent aux petits fournisseurs d’assurer ce service à profit. Il a décrit les démarches requises pour convaincre les utilisateurs de s’abonner à un service, notamment la nécessité de visites impromptues à d’éventuels clients, de les interroger pour déterminer leurs besoins musicaux et d’élaborer des plans de service adaptés à leurs besoins. Il a expliqué comment la musique de fond peut servir à la fois d’outil de gestion, en aidant à motiver les employés au travail, et d’instrument de commercialisation, en permettant aux entreprises de mieux refléter l’image de marque qu’elles souhaitent cultiver. Il a également souligné qu’il est possible de varier la musique de fond de manière à l’adapter aux goûts des différents genres de clients qui fréquentent un établissement à divers moments de la journée.

[35] Enfin, M. Trumble s’est dit d’avis que tout escompte dont les fournisseurs bénéficient du fait que, conformément au tarif 16 de la SOCAN, ils perçoivent des droits qu’ils remettent directement à la SOCAN, devrait aussi être intégré dans le tarif.

[36] La CRFA et l’HAC ont chacune déposé une étude distincte traitant de la réaction de leurs membres au projet de tarif de la SCGDV. M. Aleksandar Ciric, cadre supérieur chez Deloitte & Touche, a donné un aperçu des résultats d’une étude commandée par la CRFA pour évaluer la réaction des restaurateurs au tarif proposé, l’importance qu’ils attachent au répertoire de la SCGDV et le risque qu’un nouveau tarif les incite à faire jouer uniquement de la musique américaine. M. Anthony Pollard, président de l’HAC, a exposé les résultats d’une étude maison semblable réalisée par son association. Les principales conclusions de ces études seront examinées plus loin.

[37] La CRFA a présenté le témoignage de trois exploitants. M. Pierre Labelle est propriétaire d’une taverne du marché By à Ottawa dont l’ouverture remonte au début du règne de la Reine Victoria. M. Robert Ataman exploite à Gatineau un restaurant à thème suisse inspiré par le courant culinaire « slow food ». M. Phil Waserman tient deux restaurants dans le secteur du marché By et un autre dans le West End d’Ottawa. Les témoins de l’AAAS étaient M. David Bednar, directeur général de l’Exposition nationale canadienne, et Mme Joyce Tafford, directrice générale de la Carp Fair. Toutes ces personnes ont pris le temps de comparaître devant nous pour présenter le point de vue de ceux et celles qui exploitent les entreprises directement visées par le projet de tarif, relativement aux questions soulevées dans la présente instance.

V. ANALYSE

[38] Avant de statuer sur la rémunération équitable adéquate, nous devons trancher plusieurs questions. En premier lieu, nous devons décider s’il convient d’établir un tarif unique ou s’il est préférable de reprendre la structure tarifaire de la SOCAN. Deuxièmement, nous devons tenter de choisir un point de départ approprié pour l’établissement du tarif. Troisièmement, nous devons déterminer la part occupée par le répertoire de la SCGDV dans le marché de la musique de fond. Quatrièmement, si le point de départ approprié est un tarif de la SOCAN, nous devons réexaminer la relation entre les taux de la SCGDV et ceux de la SOCAN. Cinquièmement, nous devons établir une assiette tarifaire appropriée. Sixièmement, nous devons décider si les utilisations prévues au tarif donnent lieu à l’obligation prescrite à l’article 19 de la Loi. Enfin, nous devons examiner si les redevances devraient être plus élevées pour deux utilisations que pour une seule.

A. Un tarif unique

[39] Nous sommes d’accord avec la demande de la SCGDV d’homologuer un tarif unique pour la plupart des utilisations de la musique de fond. La structure intégrée qu’elle propose lui simplifiera la tâche et présente aussi l’avantage de minimiser le risque d’incohérence verticale entre tarifs, un problème que la Commission a constaté dès 1991. [12]

[40] L’AAAS a sollicité un tarif distinct basé sur le tarif 5.A de la SOCAN (Expositions et foires). Nous ne croyons pas que cette mesure soit nécessaire. Les montants payables en vertu de la présente décision sont trop modestes pour justifier de compliquer la perception des redevances par l’imposition d’un tarif distinct.

B. Sélection d’un point de départ approprié

[41] Nous devons décider quel point de départ, parmi tous ceux qui ont été proposés, est le plus approprié, s’il en est. Si l’un d’eux convient, nous devrons l’ajuster pour mettre au point un tarif équitable. À cette fin, nous avons analysé les services de télévision à la carte, le tarif des services sonores payants et les tarifs pertinents de la SOCAN.

i. Télévision à la carte

[42] De l’avis de la SCGDV, la télévision à la carte constitue le modèle de référence le plus approprié parmi toutes les options, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le prix des services à la carte n’est pas réglementé : les taux sont établis au terme de transactions négociées dans un marché libre. De plus, la musique de fond, comme les films payables à la carte, est un service distinct, qui n’est pas groupé avec d’autres services. Enfin, l’un et l’autre dépendent entièrement des recettes d’abonnements, qui sont ensuite partagées entre les entreprises de distribution de radiodiffusion et le fournisseur du service.

[43] Le modèle d’évaluation Audley-Hyatt repose sur certains postulats. L’un est que l’entreprise de distribution de radiodiffusion qui fournit de la musique de fond devrait conserver 40 pour cent des recettes, comme c’est le cas pour les services de télévision à la carte. Un autre est que les fournisseurs de musique de fond ne devraient conserver que ce que Galaxie et Max Trax facturent aux entreprises de distribution de radiodiffusion, soit 19,1 pour cent; le reste, 40,9 pour cent, serait partagé entre les titulaires des droits d’exécution et de communication des enregistrements sonores et des œuvres musicales si tous les enregistrements et œuvres étaient protégés par le droit d’auteur.

[44] Ce n’est pas la première fois que la SCGDV propose la télévision à la carte à titre de modèle de référence. Elle l’a fait sans succès à l’égard du tarif des services sonores payants. Toutefois, la SCGDV fait valoir que le modèle de services à la carte qu’elle propose aujourd’hui est différent de celui qu’elle avait suggéré pour le tarif des services sonores payants. Dans le cas présent, la comparaison établie par la SCGDV est axée sur le rôle de l’entreprise de distribution de radiodiffusion au sein du marché de la télévision à la carte. La SCGDV soutient que les entreprises de distribution de radiodiffusion jouent le même rôle au sein du marché de la télévision à la carte que dans le marché de la musique de fond : ils transportent le service. Selon la SCGDV, ce qui importe n’est pas le produit final mais plutôt le fait que l’entreprise de distribution de radiodiffusion constitue le lien essentiel dans la livraison du produit – dans un cas la musique, dans l’autre des films.

[45] Pour l’ACTC, il s’agit là d’une distinction vide de sens. En l’espèce, la SCGDV utilise la partie des recettes de la télévision à la carte retenue par les entreprises de distribution de radiodiffusion pour établir la part des recettes des fournisseurs de musique de fond que les entreprises de distribution de radiodiffusion devraient conserver. Dans les deux cas, comme l’a fait remarquer le professeur Mathewson, la SCGDV se sert de la répartition des recettes dans l’industrie de la télévision à la carte pour calculer la répartition des recettes applicables à la communication de signaux sonores payants.

[46] Se fondant sur la preuve du professeur Mathewson, l’ACTC prétend que quatre problèmes fondamentaux empêchent d’utiliser la répartition des recettes dans le marché de la télévision à la carte comme point de départ dans le cas présent.

[47] Premièrement, les fournisseurs de programmation à la carte comptent énormément sur une fenêtre d’exclusivité. Pendant un certain temps, ils sont les seuls à pouvoir offrir cette programmation. Les fournisseurs de musique de fond ne disposent pas d’une telle fenêtre. L’exclusivité se paie par un supplément; il s’agit d’une caractéristique primordiale pour l’entreprise de distribution de radiodiffusion.

[48] Deuxièmement, le modèle d’entreprise des services de télévision à la carte est transactionnel : les téléspectateurs paient un montant déterminé pour pouvoir regarder un film particulier. Les services de distribution de musique de fond, au contraire, fonctionnent par abonnement : les utilisateurs paient le même montant mensuel sans égard à l’utilisation qu’ils ont faite du service au cours du mois.

[49] Troisièmement, les droits en jeu ne sont pas les mêmes. Les services de télévision à la carte doivent avoir le droit de communiquer un film au public; la présentation du film à la maison est privée et, partant, n’est pas protégée par le droit d’auteur. Lorsqu’un enregistrement sonore est utilisé comme musique de fond, le droit principal en cause est le droit d’exécuter l’enregistrement en public.

[50] Quatrièmement, le degré de risque associé aux services de télévision à la carte diffère considérablement de celui lié aux services de musique de fond. Étant donné la nature transactionnelle du service de télévision à la carte, les risques associés à ce service sont beaucoup plus grands. Par contraste, les services de musique de fond, qui sont des services d’abonnement, présentent des risques beaucoup plus restreints.

[51] Ce dernier argument ne semble pas très solide. Le modèle d’entreprise de la télévision à la carte offre certains avantages dont les fournisseurs traditionnels de musique de fond ne bénéficient pas. L’accès au client est un fait acquis à compter du moment où ce dernier s’abonne à la câblodistribution numérique ou à la télévision par satellite. Par ailleurs, les fournisseurs de musique de fond engagent des dépenses de commercialisation et de matériel et d’autres dépenses qui sont parfois considérables. [13]

[52] Cela dit, nous sommes d’accord avec les trois autres arguments de l’ACTC.

[53] Dans la décision de 2002 portant sur les services sonores payants, la Commission a rejeté la possibilité de recourir à la télévision à la carte à titre de modèle de référence, exposant :

... [qu’]il ne conviendrait pas d’établir le tarif en se fondant sur ce que les services de télévision payants ou à la carte consacrent aux droits cinématographiques, même si ces services présentent des ressemblances avec les SSPN. Les deux utilisent une catégorie de contenu unique et acheté de tiers : la musique et les films. Aucun ne produit du contenu; ils assemblent la propriété intellectuelle de tiers. Les deux utilisent des infrastructures semblables et extrêmement limitées. Les deux se font concurrence au chapitre de l’utilisation de la largeur de bande disponible. Mais contrairement aux droits musicaux, les droits cinématographiques se transigent dans un marché concurrentiel et comportent une certaine mesure d’exclusivité. Cela est en soi suffisant pour écarter toute comparaison. [14]

Le dernier commentaire est tout aussi pertinent au regard de la musique de fond.

[54] Comme nous l’avons déjà fait remarquer, la SCGDV soutient que le refus de la Commission de se référer au marché de la télévision à la carte comme point de départ pour fixer le tarif des services sonores payants n’empêche pas en soi d’appliquer ce modèle d’évaluation en l’espèce, puisque cette fois, la comparaison est axée sur le rôle de l’entreprise de distribution de radiodiffusion dans le marché de la télévision à la carte. À supposer que cette différence de perspective ait une quelconque signification, elle ne résout pas pour autant les trois problèmes relevés par le professeur Mathewson et dont nous reconnaissons l’existence.

[55] Le modèle d’évaluation proposé par la SCGDV est également problématique à tout le moins sous un autre angle. La part de marché des fournisseurs traditionnels de musique de fond (DMX, CHUM) dépasse largement celle d’entreprises de distribution de radiodiffusion comme Bell ExpressVu, Star Choice ou Rogers. Contrairement à ce qu’a affirmé l’avocat de la SCGDV dans ses observations, nous ne croyons pas que les fournisseurs traditionnels s’emploient actuellement à harmoniser leur modèle d’entreprise avec celui des entreprises de distribution de radiodiffusion. [15] La distribution de musique de fond à des établissements non résidentiels demeure pour ces dernières une activité accessoire. Le fait d’offrir Galaxie à des abonnés du secteur commercial en plus de l’offrir aux abonnés résidentiels ne leur occasionne aucun coût de transmission additionnel. Néanmoins, le modèle proposé s’appuie presque exclusivement sur les pratiques commerciales des entreprises de distribution de radiodiffusion. Comme l’a fait valoir l’avocat de l’ACTC, emprunter la voie recommandée par la SCGDV suppose qu’on utilise l’exception pour établir la règle.

ii. Services sonores payants

[56] Dans le tarif des services sonores payants, les redevances consistent en un pourcentage des paiements d’affiliation payables par une entreprise de distribution de radiodiffusion à une entreprise de services sonores payants pour la transmission du service à des fins domestiques ou privées. Actuellement, ce pourcentage est de 5,85 pour cent dans le cas de la SCGDV et de 12,35 pour cent dans le cas de la SOCAN.

[57] À notre avis, le marché des services sonores payants est tellement différent de celui de la musique de fond qu’il ne s’agit pas d’un bon point de départ. En premier lieu, le tarif des services sonores payants concerne uniquement le droit de communication; comme nous le démontrerons plus tard, la diffusion de musique de fond fait parfois intervenir tant le droit de communication que le droit d’exécution. En outre, le droit qui est au cœur du présent tarif est le droit d’exécution, non le droit de communication. Deuxièmement, le tarif des services sonores payants ne vise pas la musique de fond, mais bien la musique de premier plan. Troisièmement, les utilisateurs sont différents : les services sonores payants s’appliquent à la distribution à des fins privées ou domestiques, alors que la musique de fond est conçue pour des utilisateurs commerciaux. Considérés ensemble, ces trois facteurs militent contre l’utilisation de ce tarif à titre de prix de référence approprié.

iii. Tarifs de la SOCAN

[58] De nombreux tarifs de la SOCAN coïncident partiellement avec les utilisations visées dans le projet de tarif de la SCGDV. Étant donné la structure de la plupart de ces tarifs, il est difficile, voire illusoire, de s’en inspirer pour établir un tarif aussi exhaustif que celui proposé par la SCGDV. Ainsi, le tarif 5.A (Expositions et foires) établit des redevances quotidiennes fondées sur l’assistance. Le tarif 6 (Cinémas) détermine une redevance annuelle selon le nombre de sièges par salle. Le tarif 8 (Réceptions, etc.) impose une redevance pour chaque événement en fonction de la capacité, et varie suivant que l’on ait ou non prévu de danser. Le tarif 15.A (Musique de fond dans les établissements non régis par le tarif 16) prévoit des taux au mètre ou au pied carré qui sont diminués de moitié pour les établissements saisonniers. Personne n’a suggéré que l’on s’inspire de ces tarifs, à part deux d’entre eux. Nous avons déjà exposé pourquoi nous n’entendons pas avoir recours au tarif 5.A. Il reste donc à examiner le tarif 16.

[59] Le tarif 16 de la SOCAN établit deux taux distincts fondés sur le prix payé pour le service après déduction des coûts d’équipement. Les établissements industriels paient 4,5 pour cent; les autres 7,5 pour cent. Dans les deux cas, la redevance minimale annuelle est 48 $, montant réduit à 20 $ pour les locaux non industriels comptant au maximum cinq employés permanents, si le prix mensuel facturé pour le service est 10 $ ou moins.

[60] L’ACTC, Bell ExpressVu et CHUM soutiennent que le tarif 16 constitue un point de départ convenable pour définir le tarif de la SCGDV applicable à la musique de fond. Le tarif 16 et la catégorie A du projet de tarif visent les fournisseurs de musique de fond. Tous deux portent sur le même produit, visent la même utilisation et se situent dans le même marché.

[61] La SCGDV reconnaît que si le taux fixé dans le tarif 16 traduisait adéquatement les avantages offerts aux services de musique de fond et les retombées positives que retirent ces services de l’utilisation de la musique, il serait approprié de calculer suivant ce taux la valeur des droits correspondants touchant les artistes-interprètes et les producteurs d’enregistrements sonores. [16] Toutefois, la SCGDV estime que telle n’est pas la situation.

[62] La SCGDV rejette l’idée d’avoir des taux différents pour les locaux industriels et les locaux non industriels. Il n’existe aucune justification pour appliquer aux premiers un tarif moins élevé. Si la musique de fond ne présentait pas les mêmes avantages dans un environnement industriel, ces utilisateurs pourraient acheter leur musique de fond à moindre coût; les redevances représentant un pourcentage du prix d’achat, la valeur réduite de ce service pour les manufactures se refléterait automatiquement dans le montant versé à la SOCAN. Par conséquent, le tarif de la SOCAN pour la musique de fond devrait être le même pour tous les établissements.

[63] Le principal motif pour lequel la SCGDV s’oppose à l’utilisation du tarif 16 est qu’à son avis le taux fixé dans ce tarif ne témoigne pas adéquatement de la valeur des droits représentés par la SOCAN. Selon la SCGDV, on se rend compte, en examinant l’évolution des taux établis dans les tarifs de la SOCAN, que même si les taux et leur structure ont grandement varié au fil du temps, il n’existe [TRADUCTION] « aucune preuve, dans le dossier des décisions antérieures sur les tarifs, que l’on ait fondé les décisions concernant les taux sur une analyse de la valeur des droits. » [17]

[64] Voici un extrait du rapport Audley-Hyatt :

[TRADUCTION] 36. Plus récemment, la Commission s’est penchée sur le tarif 16 de la SOCAN en 1996. Dans sa décision en date du 20 septembre 1996, la Commission a conclu : « Aucune preuve n’a été avancée [par la SOCAN] au soutien de la prétention portant que le tarif est beaucoup trop bas. » (Décision, aux pages 25 et 26) S’agissant de l’expert de la SOCAN, la décision concluait de plus : « Le témoignage du docteur Chebat n’a servi à rien dans la recherche du prix pour une licence générale [...] ».

37. Il convient de souligner un autre élément dans cette décision. À la page 29, la Commission a indiqué avoir reçu une demande qui semblait avoir pour objet « l’établissement de taux comparables pour la musique de fond sans égard à son mode de livraison ». La Commission a conclu : « Il s’agit là d’un objectif louable qu’il faut garder à l’esprit. » (Décision, à la page 29) Pour ce qui est de déterminer s’il serait approprié de fonder le taux de redevance de la SCGDV applicable aux fournisseurs sur la structure tarifaire en vigueur de la SOCAN, la pertinence est que, à l’heure actuelle, la SOCAN semble percevoir des montants sensiblement différents selon qu’un établissement a une licence individuelle ou qu’il reçoit sa musique par l’intermédiaire d’un fournisseur de musique de fond. [18]

[65] La SCGDV est d’avis que les démarches de la SOCAN en vue de faire augmenter son taux de redevance ont été inefficaces. À preuve, elle cite certaines remarques de la Commission dans la décision de 1996 relative aux fournisseurs de musique de fond (tarif 16 de la SOCAN), notamment le passage précité dans lequel la Commission a déclaré, au sujet de la SOCAN : « Aucune preuve n’a été avancée au soutien de la prétention portant que le tarif est beaucoup trop bas » et un autre, selon lequel la SOCAN a « totalement échoué » dans ses tentatives pour justifier un taux plus élevé. [19]

[66] Les objections de la SCGDV à l’utilisation du tarif 16 ne nous semblent pas convaincantes. On peut facilement remédier au fait que les utilisateurs industriels paient un taux moins élevé en se servant uniquement, comme point de départ, du taux payé par les utilisateurs non industriels.

[67] La deuxième objection de la SCGDV, à savoir que l’on ne devrait pas retenir le tarif 16 parce qu’il a fait l’objet de vives critiques et qu’il semble ne pas être étayé par la preuve, mérite un examen plus approfondi.

[68] Nous nous sommes penchés sur l’évolution du tarif 16 pour vérifier la prétention de la SCGDV, pour conclure qu’elle ne tient pas. Les tarifs applicables à la musique de fond existent depuis les années 1940. Les taux ont grandement varié, tout comme leur structure. L’Association des compositeurs, auteurs et éditeurs du Canada (CAPAC), un des organismes qui ont précédé la SOCAN, a commencé à utiliser la structure actuelle en 1959. [20]

[69] Lorsque la Commission a établi le tarif 16 en 1996, elle a conclu que la preuve documentaire dont elle disposait ne lui permettait pas de décider grand-chose. La Commission a refusé d’augmenter le tarif, de sorte que rien dans la décision n’indique que le prix payé pour le droit d’exécution était déraisonnablement bas. Quant aux tarifs pour la musique de fond antérieurs à 1996, aucune preuve ne précise la méthode retenue par la Commission pour les établir; par ailleurs, aucune preuve ne nous porte à croire que leur taux était inadéquat. En conséquence, nous ne disposons d’aucun élément de preuve qui démontre que le tarif 16 est déraisonnablement bas ou déraisonnablement élevé.

[70] Le fait d’utiliser un tarif de la SOCAN en vue d’établir un tarif de la SCGDV est conforme aux décisions antérieures de la Commission. Le premier tarif de la SCGDV homologué par la Commission a été celui de la radio commerciale, en 1999. À cette occasion, la Commission a jugé que la valeur des droits exercés par la SOCAN devrait servir de point de départ pour déterminer la valeur des droits exercés par la SCGDV :

Pour plusieurs motifs, la Commission croit que le tarif de la SOCAN constitue le meilleur point de départ.

Premièrement, le tarif de la SOCAN vise principalement l’utilisation d’œuvres musicales enregistrées, et les droits voisins portent sur l’utilisation de prestations enregistrées de ces mêmes œuvres. On traite donc d’un usage similaire dans un marché similaire.

Deuxièmement, ce tarif est en place depuis un bon moment. Il s’agit d’un prix réglementé, mais que la Commission ne peut tout de même pas ignorer. Comme elle l’a déjà dit, dans un contexte différent mais similaire :

« ... le besoin de recourir à un prix analogue se fait moins sentir s’il existe un prix, même réglementé, pouvant servir de point de départ. Ceci est d’autant plus vrai si l’on dispose de renseignements permettant de déterminer si ce prix convient toujours et s’il doit être rajusté pour tenir compte de l’évolution de la situation. »

Troisièmement, le tarif actuel vaut pour cinq ans, suite à une entente, malgré le fait que la SOCAN continue de soutenir qu’il est trop bas et que l’ACR prétende le contraire. Peu importe leurs motifs, le taux de 3,2 pour cent est le taux en vigueur, et il n’est pas nécessaire pour nos fins de mettre en doute son bien-fondé.

Quatrièmement, les comparaisons effectuées par la SCGDV comportent toutes certaines faiblesses, et sont de toute manière beaucoup moins valables que la comparaison avec le tarif de la SOCAN.

Cinquièmement, la licence de la SOCAN est une licence générale. En utilisant le taux de la SOCAN comme point de départ, on évite d’avoir à attribuer une valeur distincte, si valeur il y a, au caractère général du régime. [21]

[71] L’ACTC fait valoir que ce raisonnement n’a rien perdu de sa validité. Elle plaide qu’il étaye sa position selon laquelle le tarif 16 constitue la référence appropriée pour déterminer la valeur du répertoire de la SCGDV dans la présente instance. L’ACTC ajoute que la SOCAN et les fournisseurs de musique de fond ont récemment convenu que les taux homologués par la Commission en 1997 devraient continuer à s’appliquer pour les années 1998 à 2005.

[72] Nous souscrivons aux arguments avancés par l’ACTC pour affirmer que le tarif 16 devrait servir de point de départ à l’évaluation de la rémunération équitable devant être versée à la SCGDV pour l’utilisation d’enregistrements sonores comme musique de fond. Les aménagements qu’on pourrait devoir y apporter afin de l’adapter au marché actuel ne sont pas de nature à invalider cette approche.

C. Utilisation du répertoire de la SCGDV comme musique de fond

[73] Tous les enregistrements sonores ne donnent pas droit à rémunération. Au cours des années, la Commission a adopté plusieurs méthodes pour déterminer l’utilisation, dans divers marchés, d’enregistrements sonores compris dans le répertoire de la SCGDV.

[74] En l’occurrence, la SCGDV demande à la Commission d’opter pour la méthode retenue dans la décision de 1999 portant sur la copie privée, [22] qui consiste à appliquer la moyenne simple de l’utilisation du répertoire de la SCGDV sur les ondes de la radio commerciale (50 pour cent) et de la portion des CD préenregistrés vendus au Canada qui appartient au répertoire (36,12 pour cent).

[75] Les opposantes ne contestent pas les chiffres présentés par la SCGDV. L’ACTC soutient en revanche que le temps d’antenne à la radio est sans pertinence, ne serait-ce que parce que la radio est assujettie à des règles de contenu canadien, ce qui n’est pas le cas des fournisseurs de musique de fond. Elle estime que les ventes de CD préenregistrés reflètent mieux la sélection musicale à laquelle les fournisseurs de musique de fond ont accès. Par conséquent, seul le second pourcentage devrait être utilisé.

[76] Suivant l’approche proposée par l’ACTC, 36,12 pour cent de la musique de fond est tiré du répertoire de la SCGDV. L’approche préconisée par cette dernière établirait cette proportion à 43,06 pour cent.

[77] Nous approuvons l’approche de la SCGDV pour trois motifs. D’abord, l’opinion des opposantes, selon laquelle les ventes de CD donnent un aperçu plus juste de l’utilisation des enregistrements sonores comme musique de fond que le seul facteur du temps d’antenne radiophonique ou une combinaison des deux, ne trouve appui dans aucun élément de preuve. De plus, la remarque de l’ACTC au sujet du contenu canadien doit être appréciée en contexte. Galaxie et Max Trax sont assujetties à des règles semblables et elles offrent un contenu canadien plus élevé que celui imposé à la radio. D’autres fournisseurs de musique de fond ont conçu des services qui répondent aux besoins particuliers du marché québécois, accroissant de ce fait leur contenu canadien. Enfin, l’approche recommandée par les opposantes s’appuierait uniquement sur un marché qui met en cause des droits de reproduction pour établir un tarif portant sur le droit d’exécuter ou de communiquer. Dans le passé, la Commission a toujours hésité (ou refusé) de se référer aux marchés de reproduction de la musique pour estimer l’utilisation du répertoire dans les marchés mettant en cause la communication ou l’exécution de la musique. [23]

[78] Il faut donc soit utiliser les seules données disponibles d’un marché mettant en cause la communication, soit les combiner avec des données concernant la reproduction. Théoriquement, la première méthode est probablement préférable. [24] Dans les faits, la SCGDV propose de se fonder sur le résultat combiné de ces données, ce qui réduit l’importance du répertoire admissible et, partant, le montant des redevances que les opposantes devront verser. Cette façon de procéder résout aussi la question de toute incidence possible des règles concernant le contenu canadien sur l’importance relative du répertoire. C’est donc ce chiffre que nous utiliserons.

[79] Pour ces motifs, nous concluons que 43,06 pour cent de toute la musique de fond au Canada fait appel au répertoire de la SCGDV. Le taux définitif est ajusté en conséquence.

D. Relation entre le taux de la SCGDV et le taux de la SOCAN

[80] Cette fois encore, la SCGDV soutient qu’auteurs, artistes-interprètes et producteurs méritent chacun une rémunération à peu près égale. Me Claude Brunet, dans son éloquente plaidoirie pour le compte de la SCGDV, est même allé jusqu’à faire valoir que sa cliente devrait changer de nom pour refléter plus fidèlement les droits qu’elle gère.

[81] Les lettres « DV », dans « SCGDV », signifient « droits voisins ». Comme le fait remarquer à juste titre Me Brunet, nulle part la Loi ne fait mention de « droits voisins ». De fait, il semble que le législateur ait pris grand soin de ne pas désigner ainsi les droits des artistes-interprètes et des producteurs. De l’avis de Me Brunet, non seulement le nom SCGDV a-t-il donné lieu à un débat mal orienté, mais il a entraîné une répartition peu judicieuse entre les auteurs d’une part, et les artistes-interprètes et producteurs d’autre part.

[82] La Commission associe parfois (mais pas toujours) les droits à rémunération visés à l’article 19 de la Loi à des « droits voisins », vraisemblablement pour les distinguer des droits exclusifs reconnus aux artistes-interprètes et aux producteurs par les articles 15 et 18. Toutefois, il s’agit là d’un débat sémantique, et non juridique. En outre, il est sans pertinence, compte tenu de la façon dont les choses ont évolué.

[83] La SCGDV a invariablement soutenu que les décisions antérieures de la Commission évaluant la part des redevances de la SCGDV sont fondées sur la conception erronée qu’il n’existe qu’un seul droit à rémunération, commun à l’artiste-interprète et au producteur. En 2003, la Cour d’appel fédérale a statué qu’il existe bien deux droits à rémunération distincts. La Cour, dans le même arrêt, a refusé de modifier une décision de la Commission, tenant pour acquis que la Commission devait connaître l’existence de ces droits distincts. [25]

[84] La Commission a toujours fixé un ratio d’un pour un entre le taux fixé pour les auteurs représentés par la SOCAN et celui des artistes-interprètes et producteurs représentés par la SCGDV. Néanmoins, la SCGDV continue d’affirmer que, toutes choses étant égales par ailleurs, et les artistes-interprètes et les producteurs devraient chacun avoir droit au même montant que les auteurs.

[85] En 1999, l’Association canadienne des radiodiffuseurs a plaidé que, puisque la Convention de Rome et la Loi accordent une protection moindre aux droits voisins qu’aux droits des auteurs, ces seconds valent plus que les premiers. La Commission a rejeté cet argument :

[…] l’ACR se fonde sur le fait que la Convention de Rome et la Loi accordent moins de droits aux titulaires des droits voisins qu’aux titulaires des droits d’auteur. Pourtant, certains experts, dont le sien, admettent qu’il n’existe pas de hiérarchie formelle entre les deux catégories de droits. L’ACR méconnaît trop facilement un certain nombre de réalités. Premièrement, la Loi n’établit pas d’ordre de priorité entre le droit d’auteur et les droits voisins. Au contraire, la définition de droit d’auteur inclut tous les droits exclusifs des artistes-interprètes, producteurs d’enregistrements sonores et radiodiffuseurs. Deuxièmement, les droits énumérés à l’article 19 de la Loi ressemblent fortement à ceux dont jouit la SOCAN : dans un cas comme dans l’autre, on ne peut interdire l’usage et le prix est établi par la Commission. Troisièmement, ce n’est pas parce que les auteurs ont plus de droits que les artistes-interprètes, producteurs ou radiodiffuseurs que la valeur des uns est supérieure à la valeur des autres; chacun devrait être évalué à sa juste valeur et selon une méthode d’évaluation appropriée. Quatrièmement, le fait que l’artiste-interprète puisse interdire qu’on utilise sa prestation lorsque l’auteur consent à l’utilisation de son œuvre est incompatible avec la notion même de hiérarchie. [26]

[86] La SCGDV, quant à elle, avait tenté de démontrer que les droits des artistes-interprètes et des producteurs valent plus que les droits des auteurs. La Commission a aussi rejeté cet argument :

La Commission estime qu’il n’y a pas de raison de croire qu’à la radio les enregistrements sonores ont une valeur supérieure aux œuvres enregistrées, et ce pour plusieurs motifs. D’abord, rien n’oblige la Commission à se guider sur les prix du marché, surtout s’il s’agit d’un marché différent; son pouvoir d’appréciation lui permet d’adopter toute autre démarche raisonnable. Deuxièmement, il s’agit des mêmes utilisations, des mêmes enregistrements et des mêmes radiodiffuseurs. Troisièmement, on peut facilement soutenir qu’une prestation pré-enregistrée n’apporte ni plus, ni moins au radiodiffuseur qu’une œuvre pré-enregistrée : dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de quelque chose qui a déjà été fixé. Quatrièmement, il importe peu qu’un des participants ait reçu davantage qu’un autre pour la fixation de l’enregistrement; nous sommes en présence de marchés distincts et de droits différents à savoir, le droit de faire l’enregistrement et celui de le communiquer. [non souligné dans l’original] [27]

[87] La question a été réexaminée en 2000, lorsque la Commission a homologué le tarif de la SCGDV visant la radio de Radio-Canada, [28] puis de nouveau lorsqu’elle a établi le tarif dans sa décision Services sonores payants (2002). La décision est demeurée la même.

[88] La Commission a expliqué récemment qu’elle a toujours considéré qu’il existe deux droits à rémunération, et a précisé :

L’insistance de la SCGDV à vouloir réexaminer la question semble découler [...] d’une mauvaise compréhension des décisions passées de la Commission.

Premièrement, la Commission n’a jamais considéré que le paragraphe 19(1) de la Loi créait un seul droit à rémunération équitable. Cette disposition crée deux droits interreliés mais distincts. La Cour d’appel fédérale a confirmé cette position, bien que la décision n’offre pas d’analyse à l’appui et se fonde simplement sur ce que « [l]es parties reconnaissent ». La formulation du paragraphe 23(2) de la Loi fait clairement ressortir qu’il existe deux droits à rémunération distincts et ce, malgré que ces droits découlent d’un seul geste, la communication d’un enregistrement sonore.

Deuxièmement, la SCGDV suppose erronément que la Commission [TRADUCTION] « a mis l’accent sur la valeur du droit de l’artiste-interprète par rapport à celui de l’auteur » et que « la valeur du droit du producteur n’a toujours pas été établie ». Ces déclarations témoignent d’une incompréhension fondamentale de la décision de 1999. La Commission n’a d’aucune façon omis de prendre en compte la contribution des producteurs non plus qu’elle n’a considéré que le droit de ces derniers était englobé dans celui de l’artiste-interprète. La Commission a toujours été consciente du fait que trois collèges d’ayants droit étaient en cause. Contrairement à ce que la SCGDV a elle-même soutenu à l’occasion, le rapport déposé par M. Audley lors des audiences de 1998 mettait clairement en relief les droits des trois groupes. Pour interpréter la décision de 1999 comme ciblant la contribution des artistes-interprètes au détriment de celle du producteur, il faut prendre certains énoncés isolément ou hors contexte. Considérée dans son intégralité, la décision démontre que tous les droits pertinents ont été pris en considération. La Cour d’appel fédérale s’en est d’ailleurs clairement rendue compte.

Troisièmement, la méthodologie d’évaluation utilisée dans les décisions portant sur la copie privée n’a jamais supposé que, toutes choses étant égales, les auteurs, artistes-interprètes et producteurs devaient chacun recevoir un tiers des redevances. L’approche était cumulative, inductive, et non déductive. Les proportions utilisées dans la répartition des redevances résultaient de l’addition de la valeur des divers droits, et non de l’établissement d’une valeur globale puis de sa répartition. C’est par pur hasard que le modèle attribuait une valeur à peu près égale aux trois droits. Qui plus est, la contribution conjointe des artistes-interprètes et des producteurs était évaluée à partir d’un seul montant, réparti par le marché pour deux tiers à l’artiste-interprète et pour un tiers au producteur. Autrement dit, les données mêmes sur lesquelles la SCGDV se fonde pour demander des parts égales ne vont pas dans ce sens. Quoi qu’il en soit, la Commission considère toujours que le marché de la reproduction ne peut servir de point de départ pour répartir la valeur du droit de communication entre titulaires de droits.

Pour ces motifs, la Commission maintient le ratio de un à un entre la SCGDV et la SOCAN. [29]

[89] Nous souscrivons tant à l’analyse qu’au résultat des décisions antérieures de la Commission traitant de cette question. Rien de ce que nous avons entendu en l’espèce ne saurait nous amener à modifier la relation entre les deux taux. L’exécution ou la communication d’un enregistrement sonore publié d’une œuvre musicale fait naître deux droits à rémunération : l’un à l’égard de l’artiste-interprète, l’autre à l’égard du producteur. Cela dit, l’exécution ou la communication de l’enregistrement sonore d’une œuvre musicale donnera lieu au même paiement que l’exécution ou la communication de l’œuvre musicale, toutes choses étant égales par ailleurs.

E. L’assiette tarifaire appropriée

[90] Chacun s’accorde à reconnaître que l’assiette tarifaire applicable aux fournisseurs de musique de fond devrait être constituée des recettes provenant de ce service. Chacun convient aussi que le montant devrait être réduit pour tenir compte du coût de l’équipement dont l’abonné a besoin pour recevoir le service. Il existe deux façons d’établir cette réduction.

[91] Il arrive assez fréquemment que les fournisseurs facturent séparément l’équipement utilisé pour recevoir le service. La SCGDV craint que le fait d’exclure le montant facturé pour l’équipement puisse inciter les fournisseurs à réduire le prix facturé pour le service et à augmenter le prix de l’équipement fourni. Elle demande d’inclure dans l’assiette tarifaire le montant payé par l’abonné pour la location ou l’achat d’équipement; le montant réellement payé par le fournisseur pour l’équipement serait ensuite déduit. Cette méthode, affirme la SCGDV, a été utilisée pour le tarif 16 de la SOCAN.

[92] Nous ne sommes pas d’accord. La méthode proposée n’a pas été utilisée pour le tarif 16 de la SOCAN; dans ce tarif, le montant retranché de l’assiette des redevances n’est pas le prix payé par le fournisseur pour l’équipement, mais bien le montant que le fournisseur perçoit de l’abonné pour l’équipement. [30] Les fournisseurs ne devraient pas avoir à calculer leurs redevances selon des assiettes tarifaires au départ identiques, mais qui finissent par ne plus l’être. Rien ne donne à penser que cette question a occasionné des difficultés dans l’application du tarif de la SOCAN. Par conséquent, l’assiette tarifaire sera la même en l’espèce que dans le tarif 16 de la SOCAN.

F. Application de l’article 19

[93] Suivant le projet de tarif, lorsqu’un utilisateur s’abonne à un service de musique de fond, seul le fournisseur est tenu de verser des redevances à la SCGDV. La transmission de musique par câble, par satellite ou sur les ondes comporte une télécommunication publique d’enregistrements sonores. Par contre, lorsque cette musique est livrée chez l’abonné sur support préenregistré (par exemple, sur un disque dur amovible), aucune télécommunication ne survient. Comment, dans ce cas, le fournisseur peut-il être tenu de payer des redevances à la SCGDV?

[94] Les parties pertinentes de l’article 19 de la Loi sont les suivantes :

19. (1) [...] l’artiste-interprète et le producteur ont chacun droit à une rémunération équitable pour l’exécution en public ou la communication au public par télécommunication [...] de l’enregistrement sonore publié.

(2) En vue de cette rémunération, quiconque exécute en public ou communique au public par télécommunication l’enregistrement sonore publié doit verser des redevances [...]

Le paragraphe 19(1) établit le droit à la redevance; le paragraphe (2) prévoit qui est responsable de son paiement. L’acte qui donne naissance au droit est l’exécution ou la communication d’un enregistrement sonore. La personne assujettie à un paiement pour cette exécution ou communication est la personne qui accomplit cet acte.

[95] L’article 19 crée un droit à rémunération. Il ne contient aucune allusion à l’autorisation d’exécuter ou de communiquer. Les articles 3, 15, 18 et 21, par contre, énoncent les éléments du droit d’auteur dans les œuvres, prestations, enregistrements sonores et signaux de communication, chaque article protégeant le droit d’autoriser les actes qui y sont énumérés.

[96] Le fournisseur qui livre sur place une copie physique de musique de fond autorise probablement l’exécution d’œuvres musicales qui survient lorsque l’abonné fait jouer cette musique. Il ne fait aucun doute que, dans ce même scénario, le fournisseur n’exécute pas un enregistrement sonore (ce n’est pas lui qui pose ce geste) ni n’autorise son exécution (la Loi ne prévoyant pas cette notion). Un fournisseur peut être tenu responsable du paiement d’une rémunération équitable à la SCGDV uniquement si le service est fourni par télécommunication. Le fournisseur qui livre une copie physique de musique de fond sur place ne peut pas l’être. Le tarif homologué est ajusté en conséquence.

[97] Néanmoins, la même assiette tarifaire peut être utilisée à l’égard de musique livrée physiquement à l’abonné. Les recettes du fournisseur correspondent aux coûts de l’abonné; l’un et l’autre possèdent l’information requise pour effectuer le paiement. L’utilisation de la même assiette tarifaire assure une approche uniforme pour les utilisateurs qui se procurent leur musique de fond d’un tiers, quelle qu’en soit la forme de livraison. Elle permet aussi à la SCGDV et aux fournisseurs, s’ils le souhaitent, de convenir que les fournisseurs agissent à titre d’agents de perception, ce qu’ils pourraient difficilement faire si les redevances étaient calculées à partir de renseignements dont les fournisseurs ne disposent pas.

G. Communication et exécution – deux utilisations, un seul paiement?

[98] En 1996, la Commission a décidé que le tarif 16 de la SOCAN permettrait deux utilisations : la communication et l’exécution. C’est l’approche que recommandent tant la SCGDV que les opposantes. Pourtant, des décisions plus récentes de la Commission semblent remettre cette approche en question. Par conséquent, nous devons nous demander si le montant de la rémunération devrait être le même lorsque le fournisseur de musique de fond utilise le droit de communication pour livrer son service (ce qui suppose deux utilisations rémunérées) et lorsque ce fournisseur n’utilise pas le droit de communication (et n’a dès lors recours qu’à un seul usage rémunéré).

[99] En 1996, la Commission a jugé que même si la livraison de musique de fond par télécommunication faisait intervenir deux utilisations protégées, la SOCAN ne devrait pas recevoir une rémunération plus élevée que celle prévue pour l’utilisation principale, à savoir l’exécution en public :

[…] le titulaire est pleinement rémunéré pour l’utilisation de sa musique par le versement des redevances pour l’utilisation principale – soit l’exécution dans le commerce – et ce peu importe que cela implique une utilisation préalable et incidente, soit la communication de l’œuvre au commerce. Le prix fixé pour l’utilisation principale tient déjà compte de la valeur pour le compositeur de cette utilisation préalable. [31]

[100] Comme nous l’avons fait remarquer, la Commission, en rejetant toute prétention de valeur ajoutée dans la détermination du prix à payer pour l’utilisation du répertoire, a sévèrement critiqué la preuve offerte par la SOCAN pour étayer sa position selon laquelle la livraison de musique de fond par télécommunication plutôt que sur support physique donne une valeur ajoutée au répertoire.

[101] Depuis 1996, la Commission a jugé que les titulaires ont le droit d’être rémunérés pour les nouvelles applications du répertoire.

[102] Lorsqu’elle a statué dans sa décision Services sonores payants (2002), la Commission a déclaré :

[…] les titulaires de droits ont le droit de tirer des bénéfices supplémentaires des nouvelles applications des répertoires. Lorsque l’on crée une nouvelle valeur à partir d’un bien existant, une partie de la valeur ainsi générée devrait être dévolue au propriétaire du bien. [32]

[103] En 2003, alors qu’elle se penchait sur le tarif de la CMRRA/SODRAC inc. (CSI) à l’égard de la radio commerciale, la Commission a exposé :

Premièrement, le droit de reproduction est un droit à part entière, distinct du droit de communication. L’existence même de ce droit tend à favoriser l’établissement d’une redevance plus que nominale et ce, même si l’utilisation du droit de reproduction dans le cadre d’activités de diffusion est une utilisation accessoire à cette diffusion.

Deuxièmement, l’utilisation des nouvelles techniques de diffusion entraîne une baisse des coûts pour les stations de radio. La reproduction de la musique sur disque dur, qui optimise l’utilisation de ces nouvelles techniques, fait en sorte que les titulaires ont droit à une juste part des efficiences qui découlent de cette reproduction. [33]

[104] Récemment, dans sa décision relative aux tarifs de la SOCAN et de la SCGDV à l’égard de la radio commerciale, la Commission a précisé :

La Commission a déclaré par le passé que « des titulaires de droits ont le droit de tirer des bénéfices supplémentaires des nouvelles applications des répertoires ». Il en va de même pour l’augmentation des utilisations. Selon la Commission, l’utilisation accrue de musique par la radio a aidé celle-ci à dégager d’importantes efficiences, dont une partie devrait revenir aux titulaires de droits. [34]

[105] Il semble donc que lorsque les circonstances s’y prêtent et en présence d’éléments de preuve suffisants, plus d’un paiement devrait être perçu pour l’utilisation de ces droits si, de fait, plus d’une utilisation en est faite. C’est toujours le cas lorsque les droits de reproduction et de communication sont en jeu. MusiquePlus paie parce qu’elle compte sur sa capacité de copier la musique pour réduire ses coûts de programmation. Les stations de radio commerciales paient chaque fois qu’elles copient la musique des CD qu’elles utilisent; celles qui copient la musique sur leurs disques durs paient encore davantage que celles qui font jouer le CD dans un lecteur de disques compacts. En vertu de la décision récente de la Commission portant sur les sonneries musicales, les fournisseurs de ces dernières doivent payer pour la communication de l’œuvre lors de sa livraison par Internet, en plus de payer pour sa reproduction. [35]

[106] Étant donné la contradiction apparente dans les décisions précitées, nous avons ordonné la réouverture de l’audience et demandé aux avocats de répondre par écrit à une série de questions. Nous leur avons notamment demandé si les déclarations de 1996 de la Commission au regard du tarif 16 de la SOCAN étaient compatibles avec les déclarations faites dans les décisions ultérieures; si une opération qui a par ailleurs toutes les apparences d’une transaction unique devrait donner lieu à un prix distinct pour des utilisations différentes; selon quelle méthode, enfin, ces prix distincts devraient être établis, compte tenu du dossier dont la Commission dispose en l’espèce.

[107] La SOCAN a demandé à intervenir quant à ces questions. Nous avons rejeté la demande, mais lui avons néanmoins permis de déposer des observations sur les questions que nous avions soulevées.

[108] La SCGDV soutient essentiellement qu’en décidant SOCAN 16 (1996), la Commission ne cherchait pas à proposer un principe général applicable à tout utilisateur ayant recours à deux droits distincts ou plus. Elle rappelle le contexte historique dans lequel la décision a été rendue, soulignant que la SOCAN autorise l’utilisation de musique de fond par l’intermédiaire de plusieurs tarifs outre le tarif 16. La SCGDV fait valoir qu’aucun élément dans la preuve de la SOCAN n’aurait pu donner lieu à l’établissement d’un tarif distinct pour le droit de communication et pour le droit d’exécution.

[109] Pour l’essentiel, la SCGDV partage l’avis de l’ACTC selon lequel la preuve ne permet pas d’attribuer une valeur distincte au droit de communication dans les circonstances de la présente instance.

[110] L’ACTC estime que suivant la preuve, l’exécution et la communication n’engagent qu’un seul paiement, équivalant à celui d’une exécution effectuée par des moyens ne faisant pas intervenir une seconde utilisation du répertoire de la SCGDV. L’ACTC prétend que la SCGDV et les fournisseurs de musique de fond ont convenu que le paiement des redevances par le fournisseur libérerait à la fois le droit de communication et le droit d’exécution, et que le montant de la redevance serait établi selon la valeur du seul droit d’exécution.

[111] L’ACTC n’est pas d’accord avec la position de la SCGDV selon laquelle la déclaration de la Commission dans la décision SOCAN 16 (1996) ne se voulait pas d’application générale. Elle fait remarquer que les experts de la SCGDV qui ont réalisé l’étude d’évaluation ont approuvé la position exprimée par la Commission dans le tarif 16 de la SOCAN. Elle souligne que la SCGDV a délibérément choisi de ne préciser dans son projet de tarif aucun montant payable pour la communication de son répertoire par les fournisseurs. De l’avis de l’ACTC, tant la SCGDV que les opposantes ont exprimé l’avis que la distribution et l’utilisation de musique de fond ne donnent lieu globalement qu’à un seul paiement, correspondant à une exécution qui ne fait pas intervenir une seconde utilisation.

[112] Quant à la SOCAN, elle a fait valoir que la décision SOCAN 16 (1996) est incompatible avec les déclarations plus récentes de la Commission et qu’il convient de suivre ces dernières, particulièrement si plus d’une personne se livre à des utilisations distinctes. La SOCAN considère que tous les droits et toutes les utilisations devraient être évalués et donner lieu à un paiement, soit conjointement, soit séparément.

[113] La nature de la preuve dont disposait la Commission en 1996 est sans pertinence en l’occurrence. Nous sommes tout simplement d’avis qu’il n’est pas possible de concilier la décision SOCAN 16 (1996) avec les déclarations plus récentes de la Commission concernant la rémunération d’utilisations multiples.

[114] En premier lieu, il y a lieu de présumer que lorsque le législateur crée expressément deux droits distincts, chacun de ces droits devrait commander un prix distinct.

[115] De plus, le fait que SOCAN 16 (1996) et la présente instance mettent en cause des utilisations administrées par la même société de gestion est purement fortuit. Ce ne sera pas toujours le cas. Lorsqu’une utilisation fait intervenir à la fois le droit de reproduction et le droit d’exécution, chaque droit relève d’une société de gestion différente. Il serait surprenant, dans ces circonstances, que l’une d’elles accepte de ne rien percevoir.

[116] Enfin, il y a lieu de penser que l’entreprise qui prend une décision agit de manière à maximiser les profits. Le fait qu’une entreprise se livre à une nouvelle utilisation signifie qu’elle y voit une source d’efficiences nouvelles. Les titulaires de droits devraient être rémunérés pour cette nouvelle utilisation.

[117] Bien que nous convenions que la décision SOCAN 16 (1996) est inconciliable avec les décisions ultérieures, nous ne disposons pas d’éléments de preuve nous permettant de déterminer la valeur individuelle des deux utilisations. En conséquence, nous établirons un prix unique pour les deux.

H. La rémunération équitable appropriée

i. Ajustements

[118] Ayant conclu que le tarif 16 de la SOCAN constitue le point de départ approprié, il importe d’envisager certains ajustements.

a. Des taux différents pour les locaux industriels et les locaux non industriels

[119] Le tarif 16 de la SOCAN établit pour les locaux industriels un taux inférieur à celui des autres locaux. La SCGDV soutient que rien ne justifie des taux distincts. Elle fait valoir que le service fourni est le même et que ses membres ne devraient pas avoir à subventionner l’utilisation de la musique de fond dans les milieux industriels. Les opposantes demandent l’application en l’espèce de la structure à deux niveaux.

[120] Les tarifs visant la musique de fond existent depuis 1940. [36] Au fil des ans, ils ont considérablement varié. Au début, le taux était le même pour tous les établissements. En 1959, un taux inférieur a été établi à l’égard des locaux industriels. Certains tarifs étaient exprimés en dollars, d’autres en pourcentage du coût du service. La CAPAC, une des sociétés de gestion ayant précédé la SOCAN, a commencé à utiliser la structure tarifaire actuelle en 1959; l’autre société, la Société de droits d’exécution du Canada (SDE), n’a pas emboîté le pas.

[121] Peut-être dans le passé des motifs valables ont-ils justifié de fixer un tarif moins élevé pour les locaux industriels que pour les autres locaux. Toutefois, étant donné la réalité actuelle dans le domaine de la musique de fond, il n’y a plus lieu de maintenir un taux moindre pour les locaux industriels. La musique de fond est devenue un produit très sophistiqué. On offre toute une gamme de programmes spécialisés de musique; on peut adapter la musique à l’entreprise ou à l’environnement. La musique de fond sert tant d’outil de gestion que d’instrument de commercialisation. Comme outil de gestion, on y a recours pour stimuler les employés et les motiver au travail. Comme instrument de commercialisation, elle permet à l’entreprise de projeter l’image souhaitée ou de créer l’ambiance indiquée. Pour illustrer ce point dans un contexte commercial, M. Trumble, vice-président de DMX, a choisi l’exemple d’une épicerie :

[TRADUCTION] Vous avez une épicerie. Je viens vous voir et je vous dis : « Qui fréquente votre épicerie l’avant-midi? » « De jeunes mères. » Parfait. « Qui vient l’après-midi? » « Les personnes âgées. » D’accord. « Et le soir, vers l’heure du souper ? » « Les couples à double revenu sans enfants viennent chercher des repas chauds au comptoir d’aliments préparés. » Parfait. « Quelle est votre clientèle durant la soirée? » « Des hommes seuls. »

Très bien. « Voici ce que je vous propose. Que pensez-vous de faire jouer des chansons d’amour l’avant-midi pour les mères accompagnées de leurs enfants, et des airs de big band l’après-midi, pour les personnes âgées? Nous présenterons de la musique contemporaine pour adultes à l’heure du souper et de la musique rock classique durant la soirée. »

« Nous ne ferons pas jouer de rock classique le matin, ni de musique contemporaine pour adultes l’après-midi. Nous modifierons l’ordre de présentation. Nous établirons votre programme “MAP” et adapterons la musique au profil démographique de la clientèle qui fréquente l’établissement à certaines heures [...] » [37]

[122] Les entreprises achètent de la musique de fond pour les aider à gagner de l’argent. Dans un établissement industriel, l’objectif est d’accroître la productivité. Ailleurs, il est d’accroître les ventes. À notre avis, il n’existe pas de distinction significative entre les deux; par conséquent, rien ne justifie de fixer un taux moins élevé pour les établissements industriels. Mais surtout, comme l’a souligné la SCGDV, le marché peut refléter la valeur réduite du service en fixant un prix moins élevé, ce qui se traduit automatiquement par des redevances réduites lorsque, comme en l’espèce, les redevances consistent en un pourcentage du prix payé pour le service.

b. Escomptes

[123] Le tarif 16 de la SOCAN s’applique aux établissements qui achètent leur musique de fond d’un fournisseur. Le tarif 15.A de la SOCAN s’applique à ceux qui utilisent leur propre musique de fond. Selon la SCGDV, toutes choses étant égales par ailleurs, il est plus dispendieux de faire jouer de la musique sous le régime du tarif 15.A que sous celui du tarif 16. Cette situation s’explique en partie par certains escomptes prévus dans le tarif 16. La Commission en a convenu en 1996 lorsqu’elle a déclaré : « La SOCAN n’a rien déposé qui permette de croire que les escomptes dont bénéficient les fournisseurs de musique dépassent les bénéfices économiques qu’elle retire de cet arrangement. » [38]

[124] La SCGDV dénonce ces escomptes pour étayer sa position selon laquelle le tarif 16 ne devrait pas servir de prix de référence. Elle estime que les coûts liés au droit d’auteur sont des frais d’exploitation pour les fournisseurs de musique et qu’il n’y a aucune raison de leur accorder un escompte au motif qu’ils en faciliteraient la perception. Les fournisseurs signalent pour leur part que le tarif 16 vise quatre fois plus d’établissements que le tarif 15.A. Ils plaident qu’en percevant les redevances et en les versant directement à la société de gestion, ils rendent un service dont il y a lieu de tenir compte dans l’établissement du tarif.

[125] Nous sommes d’avis que les tarifs homologués par la Commission ne devraient pas comporter d’escomptes correspondant aux services ou avantages que certains utilisateurs pourraient procurer à une société de gestion. D’une part, il est difficile d’évaluer ces avantages. Il se peut fort bien que les fournisseurs de musique profitent tout autant que la SOCAN du fait qu’ils versent les redevances directement à cette dernière. Cette procédure leur permet de promouvoir leurs services comme étant un produit clé en main sans tracas. De fait, il semble qu’un tarif visant les fournisseurs de musique de fond ait été mis en place initialement à la demande même de ces derniers, qui prétendaient que cette mesure les aiderait à vendre leur produit.

[126] D’autre part et avant toute chose, le rôle de la Commission consiste à établir des tarifs relatifs à l’utilisation d’œuvres et d’autres objets protégés par le droit d’auteur. Le fait d’incorporer un escompte équivaudrait à établir la valeur du service de perception à des fins commerciales. Il ne revient pas à la Commission de le faire. Si un escompte doit être accordé aux fournisseurs de musique, il sera établi à la suite de négociations entre les parties. À cet égard également, nous sommes en désaccord avec la décision SOCAN 16 (1996).

ii. Taux approprié

a. Musique de fond livrée par un fournisseur

[127] Pour les motifs précédemment exposés, le point de départ pour établir le taux à percevoir lorsque la musique de fond est livrée par un fournisseur est le taux du volet non industriel du tarif 16 de la SOCAN, soit 7,5 pour cent du montant payé par l’abonné au fournisseur de musique, déduction faite du coût de l’équipement. Si nous avions disposé de la preuve requise, nous aurions probablement procédé à plusieurs ajustements à la hausse de ce taux. Ce ne sera cependant pas le cas.

[128] Premièrement, le tarif 16 de la SOCAN semble comporter un escompte implicite pour compenser le fait que les fournisseurs de musique de fond agissent également comme agents de perception. Pour les motifs que nous venons d’énoncer, nous estimons que l’escompte devrait probablement être retiré du tarif. Toutefois, on ne nous a pas présenté une preuve suffisante pour nous permettre de faire cet ajustement en l’espèce.

[129] Deuxièmement, puisque le tarif 16 ne rémunère que le droit d’exécution et non le droit de communication, un ajustement pourrait être nécessaire pour tenir compte du fait qu’un fournisseur de musique assujetti au tarif de la SCGDV peut avoir besoin du droit de communication pour livrer la musique à l’utilisateur final. L’exercice de ce droit engendre des retombées, et les titulaires devraient s’en voir attribuer une partie. Cependant, la preuve soumise ne nous permet pas de déterminer la valeur additionnelle attribuable au droit de communication.

[130] Troisièmement, certains éléments de preuve indiquent que la musique de fond est devenue un produit très perfectionné, qui peut rejoindre avec succès des groupes précis d’auditeurs dans divers segments de la population. [39] Si convaincus que nous puissions être des progrès réalisés dans ce domaine, nous ne disposons pas de la preuve nécessaire pour pouvoir évaluer si ces progrès entraînent une augmentation de la valeur de la musique de fond et pour décider quelle proportion de cette augmentation, le cas échéant, devrait être dévolue aux titulaires de droits.

[131] Par conséquent, dans les présentes circonstances, le seul ajustement que nous pouvons apporter consiste à tenir compte de la portion admissible du répertoire. Nous avons conclu que 43,06 pour cent de la musique de fond fait partie du répertoire de la SCGDV; dès lors, nous établissons le taux de redevance, dans les cas où la musique de fond est livrée par un fournisseur, à 3,2 pour cent (7,5 × 0,4306) du prix d’abonnement.

b. Autre musique de fond

[132] La SCGDV affirme qu’idéalement les entreprises qui utilisent leur propre musique de fond devraient payer les mêmes redevances que celles qui ont recours à un service. Pour ce faire, il faut convertir le taux formulé en pourcentage des recettes d’abonnements en un taux exprimé en dollars multiplié par un autre facteur : assistance, capacité ou superficie. On y arrive en appliquant le taux formulé en pourcentage à un montant – 840 $ par année – censé représenter le prix moyen payé par les restaurateurs pour s’abonner à un service de musique de fond. L’ACTC conteste deux aspects de cette méthodologie, que nous analyserons ci-dessous.

[133] Sous réserve des commentaires que nous avons déjà formulés quant aux situations mettant en cause deux droits, nous sommes d’accord avec la SCGDV que le tarif devrait, autant que possible, donner lieu au paiement du même montant de redevances, peu importe la manière dont la musique de fond a été obtenue. Cette mesure réduit le risque (quelque peu théorique) que des utilisateurs choisissent de se procurer leur musique selon une option plutôt qu’une autre en se fondant uniquement sur des facteurs liés au tarif.

[134] La méthodologie proposée est conforme aux principes généralement suivis par la Commission pour établir la formule d’un tarif. Ainsi, la SCGDV suggère de calculer les redevances à partir de l’assistance d’abord, de la capacité de la pièce ensuite, et enfin, de la superficie. Si aucun de ces renseignements n’était disponible, un montant fixe s’appliquerait. Cette méthode cadre bien avec le principe suivant lequel les redevances devraient varier en fonction, notamment, du nombre de personnes qui entendent la musique. Lorsque cette donnée ne peut être obtenue, les redevances sont établies à partir d’indices qui représentent l’estimation la plus juste possible de l’assistance.

[135] L’ACTC fait remarquer que le montant de 840 $ à partir duquel sont calculées les redevances est plus élevé que le coût de l’abonnement aux services de musique de fond de n’importe quelle entreprise de distribution de radiodiffusion. Le montant représente la moyenne des prix plus élevés pratiqués par les fournisseurs traditionnels et des prix moindres demandés par les entreprises de distribution. On n’a fait valoir aucun motif justifiant de retenir les prix plus bas plutôt que la moyenne du marché. L’ACTC fait aussi valoir que ce montant comprend les coûts d’équipement et que ces coûts devraient être retranchés. M. Audley est d’accord. Il ajoute que les chiffres utilisés pour établir les taux de redevances sont quelque peu inférieurs à la moyenne réelle du marché; la différence a indirectement pour effet d’exclure du calcul au moins une partie du coût de l’équipement. Nous acceptons cette explication.

[136] Les opposantes n’ont proposé aucune solution de rechange à la méthode suggérée par la SCGDV, de sorte qu’il est difficile d’établir les taux requis d’une autre façon. Nous sommes conscients qu’à plusieurs égards le choix des chiffres utilisés dans cette méthodologie est très arbitraire. Par ailleurs, nous ne doutons pas que les estimations soient le résultat de calculs relativement prudents, et que cette approche se traduise par des taux généralement plus bas qu’ils n’auraient pu l’être. Par exemple, une moyenne de deux clients par siège par jour dans un restaurant peut sembler une estimation élevée, mais un calcul fondé sur une estimation plus basse aboutirait à un taux par personne plus élevé, non pas moins élevé. Nous adopterons en conséquence la méthodologie de la SCGDV.

[137] Notre objectif est de faire en sorte qu’à l’égard d’utilisations équivalentes, les taux établis pour la musique provenant de fournisseurs et pour la musique à laquelle l’utilisateur pourvoit lui-même engendrent la même rémunération pour les titulaires des droits. Le tableau I, annexé à la présente décision, expose en détail les étapes de la méthodologie retenue. Celle-ci est basée sur des chiffres qui proviennent du secteur de la restauration, l’un des principaux utilisateurs de musique de fond.

[138] Lorsqu’on utilise cette méthodologie, la première étape consiste à convertir le taux de 3,2 pour cent en un équivalent exprimé en dollars. La SCGDV calcule qu’en moyenne, les restaurants qui achètent leur musique de fond auprès de fournisseurs paient annuellement 840 $. La redevance à acquitter pour un service offert à ce prix est de 26,88 $. À supposer que la capacité moyenne d’un restaurant soit 60 places et qu’il accueille sa clientèle 300 jours par année, le montant équivalent de redevances quotidiennes par unité de capacité est indiqué à la ligne (7) du tableau I. Pour autant que cette capacité soit comblée en moyenne deux fois par jour, le taux applicable est celui indiqué à la ligne (9). Si l’on utilise les lignes directrices du gouvernement provincial ontarien quant au nombre maximal de personnes, les lignes (11) et (13) calculent les redevances quotidiennes au pied carré et au mètre carré, respectivement.

[139] Les taux homologués par la Commission sont indiqués à la fin des présents motifs.

iii. Redevances minimales

[140] Nous tenons à réaffirmer la position exprimée par la Commission en 2004 relativement aux redevances minimales :

La Commission est convaincue de l’importance de maintenir des redevances minimales. Une réduction trop forte, voire l’élimination des minimums, quoique favorisant nettement les petits utilisateurs, est généralement inéquitable, même si, dans certains cas particuliers, il pourrait ne pas y avoir d’autres solutions. [40]

[141] À notre avis, des redevances minimales sont nécessaires pour témoigner de la valeur intrinsèque minimale de la musique et du répertoire. Elles servent aussi à refléter une partie des coûts administratifs associés à la délivrance des licences, coûts que les titulaires des droits ne devraient pas devoir assumer seuls.

[142] Cela dit, la SCGDV n’a pas demandé l’homologation de redevances minimales, et nous ne disposons d’aucune preuve utile à cet égard. Dans les circonstances, nous ne pouvons qu’établir un tarif sans redevances minimales.

iv. Rajustement inflationniste

[143] Les taux établis pour les utilisateurs sont exprimés en dollars et nécessiteront des rajustements périodiques pour tenir compte de l’inflation afin de demeurer équivalents au taux des fournisseurs, exprimé en pourcentage.

[144] La SCGDV soutient que la règle mise en place par la Commission dans la décision SOCAN licences multiples (2004), selon laquelle les tarifs sont rajustés conformément au changement annuel en pourcentage de l’indice des prix à la consommation (IPC) moins 1 pour cent, se traduit par un rajustement insuffisant des tarifs. Selon la SCGDV, il faut présumer qu’à long terme, le coût d’un bien ou d’un service augmente en général suivant le taux global de l’inflation.

[145] La SCGDV met de l’avant deux autres possibilités. La première consiste à rajuster les tarifs exprimés en dollars en utilisant le taux d’inflation mesuré par l’IPC, plus le taux de croissance de la productivité économique globale, moins 1. La seconde consiste à rajuster les tarifs suivant une mesure de l’inflation prévue égale à la différence entre le taux de rendement nominal et le taux de rendement réel des obligations du Canada dont l’échéance est comparable.

[146] Nous rejetons la seconde proposition de la SCGDV. Elle fait appel à une mesure de l’inflation anticipée. Il n’est pas nécessaire de recourir à une mesure indirecte de l’inflation puisqu’il existe des mesures directes, même si elles arrivent avec un décalage.

[147] Bien que nous reconnaissions qu’à long terme le prix de la plupart des biens et services augmente en général au rythme global de l’inflation, nous rejetons aussi la première proposition de la SCGDV. Les tarifs n’étant proposés que pour un nombre d’années limité, la Commission a régulièrement l’occasion de réexaminer tous les facteurs pris en compte dans leur établissement. Ainsi, les audiences subséquentes permettront de vérifier si les taux fixés pour les utilisateurs dans la présente décision continuent de concorder avec les redevances versées par les fournisseurs de musique. La mesure adéquate de l’inflation, pour le présent tarif, est la variation du prix d’abonnement annuel moyen que les restaurants paient aux fournisseurs de musique de fond. Toute modification apportée à ce prix entraînera une modification correspondante des redevances. Les redevances de l’utilisateur étant censées être équivalentes à celles du fournisseur, elles devraient aussi, au bout du compte, être touchées par la modification du prix d’abonnement.

[148] Lors de prochaines instances, on pourra présenter des éléments de preuve en vue de démontrer l’évolution du prix des abonnements au fil du temps et les répercussions de cette évolution sur le montant des redevances. Ce sera alors l’occasion de rétablir, au besoin, l’équivalence entre les deux catégories de taux. Dans l’intervalle, la règle de rajustement pour l’inflation sert de référence pour la modification des prix d’abonnement. De cette façon, il ne devrait pas y avoir de cas où les augmentations de tarif diffèrent en permanence du taux global de l’inflation.

[149] Nous nous servirons donc de l’IPC pour rajuster les taux de redevance, mais soustrairons un point du pourcentage annuel de changement de l’IPC. Pour les motifs exposés par la Commission dans la décision SOCAN licences multiples (2004), nous jugeons que cette méthode constitue une meilleure base pour la modification du prix d’abonnement que celles proposées par la SCGDV. Nous croyons également qu’elle permettra d’éviter que les tarifs eux-mêmes ne deviennent un facteur d’inflation.

[150] La seule question qu’il reste à trancher est de savoir comment appliquer le rajustement à l’inflation pour la durée du tarif. Lorsque les projets de tarif ne portent que sur une année à la fois, nous pouvons tout simplement procéder à ce rajustement au moment de l’homologation. Dans les tarifs pluri-annuels, comme c’est le cas en l’espèce, une règle de rajustement à l’inflation peut être incorporée au tarif. Un mécanisme de cette nature, qui permet un rajustement rapide à l’inflation, peut devenir un incitatif susceptible d’encourager les sociétés de gestion à présenter des projets de tarifs portant sur plusieurs années.

[151] D’autres décisions de la Commission ont abordé les mêmes questions. Ainsi, en 2004, la Commission a déclaré que la SOCAN pouvait s’attendre à ce que les rajustements relatifs à l’inflation tiennent compte de l’inflation survenue entre les rajustements, ce que la Commission a d’ailleurs fait dans sa décision. La Commission s’est aussi dite d’avis qu’elle avait compétence pour intégrer, dans les modalités d’un tarif, une formule qui permette aux tarifs homologués pour plusieurs années d’être rajustés de manière à tenir compte de l’inflation survenant pendant la durée du tarif. [41] La présente décision nous fournit l’occasion d’appliquer le second principe.

[152] L’homologation d’un tarif qui prévoit des rajustements inflationnistes comporte des avantages. Un tel tarif peut représenter une économie de ressources humaines et financières pour la société de gestion, les utilisateurs et la Commission. Elle permet une démarche de rajustement plus régulière, qui cadre mieux avec le mode de fonctionnement des marchés réels. Néanmoins, cette mesure peut aussi présenter de sérieux désavantages. Par exemple, le fait que les taux précis ne soient pas connus à l’avance pourrait engendrer de l’incertitude. En outre, des utilisateurs qui n’existaient peut-être pas encore au moment du dépôt (ou de l’homologation) du tarif sont privés de la possibilité de faire connaître leur opinion. Ne serait-ce que pour cette raison, homologuer un tarif pour une longue durée peut s’avérer problématique, surtout si beaucoup de temps s’écoule entre son homologation et son expiration. Malgré ces réserves, nous croyons qu’il est à la fois juste et approprié de permettre à la SCGDV de faire l’expérience de cette formule. La Commission pourrait éventuellement la réévaluer.

[153] Le tarif disposera que la SCGDV peut procéder à un rajustement inflationniste de ses taux exprimés en dollars, sous quatre conditions. Premièrement, le rajustement applicable devra être supérieur à 3 points de pourcentage. Deuxièmement, la SCGDV enverra un avis de modification aux utilisateurs de musique de fond touchés par la mesure. Troisièmement, la SCGDV avisera la Commission de la modification, en précisant le calcul détaillé de l’augmentation. Quatrièmement, la SCGDV affichera ce calcul sur son site Web.

[154] Tel que mentionné précédemment, le rajustement inflationniste annuel correspond à la variation annuelle en pourcentage de l’IPC, moins 1 point de pourcentage. Cette variation annuelle sera calculée à partir de la période de douze mois consécutifs la plus récente pour laquelle l’IPC est connu au moment où l’avis est donné aux utilisateurs. Lorsque le rajustement pour toute période de douze mois est inférieur à 3 pour cent, les taux restent inchangés. Cependant, le rajustement est cumulé avec celui de la période de douze mois subséquente, [42] jusqu’à ce que les rajustements cumulés atteignent 3 pour cent ou plus. Cette mesure évite que les tarifs ne soient constamment rajustés pour de très petits montants. Pour atténuer davantage l’incertitude des utilisateurs, nous permettrons des rajustements inflationnistes uniquement en début d’année, avant le 31 janvier.

[155] Dans le tarif actuel, nous employons cette méthode pour décider si des rajustements s’imposent pour les années 2004 à 2006. En 2003, l’inflation mesurée par l’IPC s’est élevée à 2,77 pour cent. En soustrayant 1 point de pourcentage, on obtient un rajustement de 1,77 pour cent, un résultat insuffisant pour respecter la première condition. Par conséquent, les taux ne sont pas rajustés pour 2004. L’inflation en 2004 s’est établie à 1,83 pour cent et le rajustement à 0,83 pour cent. Le total cumulatif pour les deux années, soit 2,61 pour cent, se situe donc encore sous le seuil de 3 pour cent. Les taux ne seront donc pas rajustés pour l’année 2005. En 2005, l’inflation s’est élevée à 2,23 pour cent, de sorte que le rajustement est 1,23 pour cent et le rajustement cumulatif pour les trois années atteint 3,88 pour cent. En conséquence, les taux pour l’année 2006 sont rajustés dans cette proportion pour tenir compte de l’inflation survenue en 2003, 2004 et 2005.

I. Taux homologués

[156] Lorsque la musique de fond, y compris la musique lors de la mise en attente téléphonique, est livrée par un fournisseur de musique, la redevance payable est de 3,2 pour cent du montant payé pour l’abonnement aux services de musique de fond pour les années 2003 à 2009.

[157] Dans les autres cas, pour les années 2003, 2004 et 2005, les taux que devront payer les utilisateurs de musique de fond seront de 0,08 ¢ l’admission, 0,15 ¢ l’unité de capacité par jour ou 0,25 ¢ le mètre carré (0,023 ¢ le pied carré) par jour. La redevance annuelle est établie à 26,88 $ lorsqu’aucune des méthodes précitées ne s’applique : ce montant correspond aux redevances que doit verser un restaurant moyen abonné à un service de musique de fond, comme l’indique la ligne (3) du tableau I. Un utilisateur qui paie le tarif en vertu d’une des trois premières méthodes n’a pas à payer de montant supplémentaire pour utiliser la musique en attente téléphonique. L’établissement qui utilise seulement de la musique pour l’attente téléphonique doit quant à lui payer la redevance annuelle. La SCGDV n’a pu identifier d’autre type d’utilisation de musique de fond qui serait directement visé par cette catégorie résiduelle.

[158] Pour l’année 2006, les taux augmentent de 3,88 pour cent et s’élèvent à 0,0831 ¢ l’admission, 0,1558 ¢ l’unité de capacité par jour ou 0,2597 ¢ le mètre carré (0,0239 ¢ le pied carré) par jour. La redevance annuelle est fixée à 27,92 $ lorsqu’aucune des méthodes précitées ne s’applique. Pour les années 2007 à 2009, les taux seront assujettis à la règle de rajustement inflationniste établie dans la présente décision.

VI. DANGER DE SUBSTITUTION DE RÉPERTOIRE – CAPACITÉ DE PAYER

[159] La CRFA et l’HAC maintiennent qu’un tarif au montant proposé par la SCGDV inciterait les hôteliers et restaurateurs à ne faire jouer que des enregistrements sonores américains pour éviter de devoir payer le tarif. Ils ont fait valoir que les enregistrements sonores non admissibles à une rémunération, représentant plus de la moitié du répertoire mondial, pourraient facilement remplacer le répertoire de la SCGDV. Les fournisseurs de musique de fond auraient même indiqué à ces associations qu’ils étaient disposés à offrir à moindre prix une programmation de musique entièrement américaine.

[160] Les études réalisées par ces associations ou pour leur compte confirment clairement trois choses. D’abord, le coût constitue un facteur prépondérant pour les hôteliers et restaurateurs dans le choix d’un répertoire de musique de fond. Deuxièmement, ceux-ci estiment qu’il serait relativement facile et peu coûteux de s’assurer de faire jouer exclusivement de la musique de fond composée d’enregistrements non admissibles s’ils jugent le montant des redevances trop élevé. Troisièmement, la transition à un répertoire entièrement soustrait aux redevances ne provoquerait aucune réaction de la part des clients, qui n’attachent aucune importance à la nationalité des artistes-interprètes lorsqu’il s’agit de musique de fond.

[161] L’expert en sondages de la SCGDV, M. Benoît Gauthier, président, Réseau Circum inc., a contesté la méthodologie adoptée pour effectuer ces études; la plupart de ses réserves ne sont probablement pas sans fondement. Toutefois, en dépit des faiblesses décelées dans ces études, chacune d’elles a le mérite d’avoir donné à la Commission un aperçu général quant à deux points : l’opinion des hôteliers et restaurateurs sur le tarif de la SCGDV et la perception qu’ils ont des moyens disponibles pour réduire les coûts associés à la musique.

[162] Nous estimons qu’en l’espèce le risque de diminution involontaire de l’utilisation du répertoire de la SCGDV est pratiquement inexistant.

[163] Théoriquement, le prix d’accès au répertoire de la SCGDV peut inciter les utilisateurs à cesser de l’utiliser au-delà d’un certain seuil de prix. Néanmoins, nous sommes persuadés que les montants exigibles au titre du tarif que nous homologuons se situent bien en deçà d’un tel seuil de prix.

[164] Fournisseurs et utilisateurs de musique de fond pourront facilement s’acquitter des redevances établies dans le tarif que nous homologuons. Les exemples suivants portant sur l’année 2004, extraits du dossier de la présente affaire, illustrent à quel point le tarif sera modique. La Swift Current Agricultural and Exhibition Association a versé 51,24 $ à la SOCAN; elle payera 12,80 $ à la SCGDV. Le Calgary Stampede and Exhibition a versé à la SOCAN la somme de 2 814,36 $; la SCGDV recevra environ 469,03 $. Les montants correspondants en ce qui concerne l’Exposition nationale canadienne sont, respectivement, de 4 123,32 $ et d’environ 1 120 $.

[165] Il en va de même pour les restaurants, comme on peut l’observer en examinant les montants applicables aux restaurateurs qui ont comparu devant nous. En 2004, la taverne de M. Labelle a payé 192 $ à la SOCAN; elle paiera 65,70 $ à la SCGDV. Pour la salle à manger de M. Ataman, les chiffres sont 279 $ pour la SOCAN et 112,50 $ pour la SCGDV. Enfin, la personne qui assure un service de musique de fond aux trois restaurants de M. Waserman a versé 216 $ à la SOCAN et paiera 92,16 $ à la SGCDV.

[166] Il existe une deuxième raison, plus importante, de douter que les utilisateurs de musique de fond se détournent du répertoire de la SCGDV. Les utilisateurs semblent sous-estimer la difficulté de déterminer quels enregistrements font partie du répertoire de la SCGDV et quels enregistrements n’en font pas partie. Tel qu’expliqué par la SCGDV, tout dépend de l’enregistrement; l’identité de l’artiste-interprète n’y est pour rien. Le fait de ne faire jouer que de la musique américaine, quoi que cet énoncé signifie, ne garantit pas que l’enregistrement est étranger au répertoire. Ainsi, un enregistrement d’un artiste américain réalisé aux États-Unis sera parfois admissible, par exemple si le producteur est canadien. La Commission a succinctement résumé la situation dans la décision SCGDV Radio commerciale (1999) :

[...] l’enregistrement est admissible non seulement si le producteur, à la date de la première fixation, était citoyen canadien ou résident permanent du Canada ou d’un pays partie à la Convention de Rome, mais aussi si toutes les fixations réalisées en vue de la confection de l’enregistrement sonore ont eu lieu dans l’un de ces pays. [a. 20(1)] Il s’ensuit que les artistes-interprètes et producteurs qui ne sont pas citoyens ou résidents permanents d’un de ces pays peuvent avoir droit à la rémunération. [43]

VII. AUTRES ARGUMENTS

[167] Dans le cadre de la présente instance, on a soulevé certains arguments additionnels auxquels il convient de répondre.

[168] L’AAAS a soutenu que la musique de fond tient une place négligeable dans les foires et expositions. Nous jugeons cette affirmation exagérée. La musique de fond ne joue peut-être pas un rôle de premier plan dans ces événements, mais il nous semble néanmoins évident que si, par exemple, l’on ne faisait entendre aucune musique, l’ambiance des attractions foraines d’une foire serait différente.

[169] L’argument selon lequel les événements communautaires sans but lucratif ne devraient être assujettis à aucune redevance doit aussi être rejeté. La SOCAN a choisi, sous certaines conditions d’ailleurs assez strictes, de renoncer à ses redevances pour certains événements de cette nature. Cela ne signifie pas que les activités communautaires devraient avoir le droit d’utiliser le répertoire de la SCGDV gratuitement. [44]

[170] Nous rejetons également, pour les motifs que la Commission a maintes fois exposés et que nous ne reprendrons pas ici, l’argument selon lequel le tarif devrait être réduit parce que l’utilisation et l’exécution du répertoire de la SCGDV stimulent les ventes d’enregistrements sonores.

[171] Enfin, l’AAAS est d’avis qu’il serait injuste de devoir payer pour l’ensemble du champ de foire ou pour l’ensemble des personnes qui s’y présentent quand l’on ne diffuse de musique de fond que dans certaines aires distinctes, particulièrement si celles-ci ne sont pas accessibles à tous. Vu les faibles montants que les foires et expositions devront débourser pour se conformer au tarif, tenir compte de ce facteur en compliquerait indûment la gestion.

VIII. LIBELLÉ DU TARIF

[172] Le libellé du tarif que nous homologuons est différent à plusieurs égards de celui que la SCGDV proposait. Certains changements découlent nécessairement des choix faits dans la présente décision. D’autres reflètent les pratiques que la Commission adopte généralement par rapport à un certain nombre de questions administratives. D’autres enfin découlent de consultations avec les participants concernant le libellé du tarif. Ce qui suit traite des modifications les plus importantes.

[173] Les définitions qu’on retrouve à l’article 2 sont moins nombreuses et plus simples que dans le projet de tarif. Ainsi, la definition d’« établissement » a été simplifiée de façon à ne mentionner que les seuls endroits (parcs, transports publics) que le terme n’englobe pas déjà clairement. D’autres définitions ont été omises simplement parce qu’elles n’étaient pas nécessaires.

[174] Le paragraphe 3(1), élément de la disposition d’application, reflète désormais le libellé de la Loi. Il est différent de ce qu’on retrouve dans certains tarifs plus récents de la SCGDV et semblable aux premiers tarifs homologués de cette société. La mention portant que la SCGDV agit « au profit des artistes-interprètes et des producteurs » a été ajoutée à la demande de la société, qui tient à éviter quelque doute que ce soit sur l’identité des bénéficiaires du tarif. Le paragraphe 3(4) ajoute une référence au paragraphe 69(2) de la Loi, qui permet à certains utilisateurs d’exécuter gratuitement de la musique au moyen d’un appareil radiophonique récepteur.

[175] Les articles 4 et 5 établissent les taux. Comme l’a fait récemment la Commission dans certains tarifs et en grande partie pour les motifs exposés aux paragraphes 93 et suivants de la présente décision, le tarif vise des usages, et non des usagers.

[176] L’article 4 s’applique lorsque la musique provient d’un fournisseur. Ces derniers paieront leurs redevances chaque trimestre. Pendant les consultations sur le libellé du tarif, la SCGDV a réitéré sa crainte qu’en permettant d’enlever de l’assiette tarifaire ce que l’abonné paye pour l’équipement qu’il utilise, on ouvrait la porte à des abus; elle a demandé qu’on limite ces montants à ce qui est raisonnable et vérifiable. Pour les motifs énoncés aux paragraphes 90 à 92 de la présente décision, nous ne l’avons pas fait. Les rapports qui seront fournis en vertu de l’article 7 devraient permettre à la SCGDV de vérifier l’importance des montants qui seront déduits à ce titre.

[177] L’article 5 s’applique à toutes les autres utilisations de musique de fond. Le projet de tarif prévoyait le paiement de redevances chaque trimestre, sauf pour ceux ayant payé moins de 175 $ dans deux trimestres consécutifs, qui pourraient payer une fois l’an. Dans le tarif homologué, c’est le contraire. Les redevances seront payées une fois l’an jusqu’à ce que le montant de redevances pour l’année atteigne 350 $. Dès lors, les redevances pour le reste de l’année et pour la suivante seront payées chaque trimestre. Nous tenons pour acquis que la plupart des utilisateurs paieront une fois l’an, et croyons que la structure du tarif doit refléter ce fait.

[178] L’article 5 prévoit le paiement de redevances uniquement à l’égard des jours durant lesquels on utilise de la musique de fond. C’est ce que prévoyait le projet de tarif. Nous avons néanmoins du mal à comprendre comment les choses se passeront en pratique; il pourrait être difficile pour la SCGDV de déterminer les jours à l’égard desquels des redevances sont payables lorsqu’un établissement n’utilise pas de la musique de fond tout le temps. Cette question pourrait devoir être réexaminée éventuellement. À tout événement, nous avons ajouté à l’article 8 une disposition exigeant que l’utilisateur conserve les registres permettant d’établir les jours durant lesquels on a utilisé de la musique de fond.

[179] Nous avons considérablement simplifié les exigences de rapport qui se trouvent à l’article 7 pour exiger que l’utilisateur fournisse à la SCGDV, le cas échéant, les renseignements ayant servi à calculer la redevance.

[180] La SCGDV avait demandé que le tarif prévoie clairement que les renseignements qu’un utilisateur doit conserver comprennent ceux permettant d’établir comment et pourquoi l’utilisateur choisit une méthode de calcul plutôt qu’une autre. Le tarif que nous homologuons entend dicter le choix de formule, pas offrir aux utilisateurs une option; la société de gestion doit donc être en mesure de s’assurer que l’utilisateur a opté pour la bonne formule de calcul. La demande d’information supplémentaire de la SCGDV est donc raisonnable et l’article 8 est libellé à l’avenant.

[181] Certains opposants ont demandé de limiter la SCGDV à une vérification par année. Ils n’ont offert aucune preuve permettant de croire que la société abuse de ses pouvoirs à cet égard. Plus encore, il pourrait être raisonnable, voire nécessaire, de vérifier plus d’une fois dans l’année les registres de l’utilisateur dont les déclarations récentes se sont avérées grossièrement inexactes. Enfin, le fait que la SCGDV défraie les coûts de la vérification, à moins qu’elle ne révèle un défaut de paiement important, constitue en soi un incitatif suffisant à ne pas se livrer à des contrôles inutiles. Pour ces motifs, nous n’avons pas procédé à l’ajustement demandé.

[182] Telle que proposée, la disposition portant sur le traitement confidentiel des renseignements (article 9 du tarif homologué) aurait permis de les partager avec d’autres sociétés de gestion, qu’elles soient ou non membres de la SCGDV. Cette mesure est utile lorsqu’un tarif établit les redevances à verser à deux sociétés ou plus, pas dans un tarif qui, comme celui-ci, se limite aux redevances payables à une seule. L’article 9 prévoit aussi que la SCGDV peut avoir recours à des mandataires, tenus eux aussi de respecter les dispositions du tarif, y compris celles portant sur le traitement confidentiel.

[183] Les opposants ont demandé que l’article 9 prévoie expressément que les renseignements fournis à une société étrangère afin d’aider à la répartition des redevances ne devraient pas leur permettre d’établir de lien avec les renseignements obtenus de fournisseurs ou d’établissements spécifiques. Cette mesure est inutile, puisque l’alinéa 9(2)(iii) prévoit déjà que la SCGDV ne peut fournir ces renseignements que « dans la mesure où cela est nécessaire pour effectuer la distribution ».

[184] Enfin, le tarif contient certaines dispositions transitoires qui sont nécessaires parce que le tarif prend effet le 1er janvier 2003 bien qu’il soit homologué beaucoup plus tard. Deux tableaux fournissent les facteurs de multiplication qui seront appliqués aux sommes dues pour les usages effectués durant un trimestre ou une année donnés. Les facteurs ont été établis en utilisant le taux officiel d’escompte en vigueur le dernier jour du mois précédent pour la période allant de janvier 2003 à août 2006 tel qu’il a été publié par la Banque du Canada. Nous estimons que cette affaire ne nécessite pas l’imposition d’une pénalité en sus du facteur d’intérêt pour les paiements rétroactifs puisque les utilisateurs n’étaient pas en mesure d’estimer le montant éventuel du tarif homologué par la Commission. L’intérêt n’est pas composé. Le montant dû pour une période donnée est le montant des redevances établi conformément au tarif, multiplié par le facteur fourni pour la période en question. Nous espérons que ces mesures simplifieront de beaucoup les calculs et vérifications auxquels les utilisateurs et les sociétés de gestion devront se livrer.

Le secrétaire général,

Signature

Claude Majeau

TABLE I / TABLEAU I

CONVERSION OF RATES

CONVERSION DES TAUX

(1)

Average annual payment of restaurants to background music suppliers

Paiement annuel moyen des restaurants aux fournisseurs de musique de fond

$840

(2)

Rate paid to background music suppliers

Taux payé aux fournisseurs de musique de fond

3.2 %

(3)

Average Royalties (1) × (2)

Redevances moyennes (1) × (2)

$26.88

(4)

Average capacity of a restaurant

Capacité moyenne d’un restaurant

60

(5)

Royalties per unit of capacity (3) ÷ (4)

Redevances par unité de capacité (3) ÷ (4)

$0.45

(6)

Number of days of operation in a year

Nombre de jours d’exploitation par année

300

(7)

Royalties per unit of capacity per day (5) ÷ (6)

Redevances quotidiennes par unité de capacité (5) ÷ (6)

$0.0015

(8)

Average number of persons per unit of capacity

Nombre moyen de personnes par unité de capacité

2

(9)

Royalties per person (7) ÷ (8)

Redevances par personne (7) ÷ (8)

$0.0008

(10)

Number of square feet per person

Nombre de pieds carrés par personne

6.458

(11)

Royalties per square feet per day (7) ÷ (10)

Redevances quotidiennes au pied carré (7) ÷ (10)

$0.00023

(12)

Number of square metres per person

Nombre de mètres carrés par personne

0.6

(13)

Royalties per square metre per day (7) ÷ (12)

Redevances quotidiennes au mètre carré (7) ÷ (12)

$0.0025

 



[1] Loi de 1921 concernant le droit d’auteur, L.C. 11 et 12 Geo. V, c. 24, entrée en vigueur le 1er janvier 1924 – voir aussi Canadian Performing Right Society (Ltd) c. The Ford Hotel Co. of Montreal (Ltd) (1935), 73 C.S. 18, première décision judiciaire à traiter de la question.

[2] Dès 1924, les producteurs d’enregistrements sonores détenaient le droit d’exécuter ces enregistrements en public. En 1971, la Commission d’appel du droit d’auteur homologuait des tarifs visant ces exécutions. Peu après, la Loi était modifiée et le droit, aboli.

[3] Le 31 mars 2002 était un dimanche et le 1er avril 2002, un jour férié.

[4] Également désignée sous le nom « exécution ».

[5] Également désignée sous le nom de « télécommunication publique », « télécommunication » ou « communication ».

[6] La pièce NRCC-18 indique que les tarifs suivants de la SOCAN s’appliquent à des utilisations auxquelles s’applique aussi le tarif relatif à la musique de fond de la SCGDV : Clubs de divertissement pour adultes (3.C); Expositions et foires (5); Cinémas (6); Réceptions, congrès, assemblées et défilés de mode (8); Parcs thématiques (12); Transports publics (13); Musique de fond non comprise dans le tarif no 16 (15); Fournisseurs de musique (16).

[7] Voir décision de la Commission du 31 juillet 1991 portant sur divers tarifs de la SOCAN pour l’année 1991.

[8] Pièce NRCC-4 (ci-après, le « rapport Audley-Hyatt »).

[9] Voir décision de la Commission du 14 octobre 2005 homologuant le tariff SOCAN-SCGDV pour la radio commerciale pour les années 2003 à 2007, à la p. 27.

[10] Tarif SOCAN-SCGDV applicable aux services sonores payants, 2003-2006, (ci-après, le « tarif des services sonores payants »).

[11] Pièce SUPPLIERS-1.

[12] Supra note 7. Voir aussi la décision de la Commission du 19 mars 2004 portant sur divers tarifs de la SOCAN pour les années 1998 à 2007 (ci-après, « SOCAN licences multiples (2004) »).

[13] Témoignage de M. Trumble, tr., à la p. 1130.

[14] Voir décision de la Commission du 15 mars 2002 homologuant le tarif SOCAN-NRCC pour les services sonores payants pour les années 1997 à 2002 (ci-après, « Services sonores payants (2002) »), à la p. 7.

[15] Témoignage de M. Trumble, tr., aux pp. 1133 à 1143 et témoignage de M. Frank, tr., à la p. 956.

[16] Rapport Audley-Hyatt, au ¶ 32.

[17] Ibid., au ¶ 35.

[18] Ibid., aux ¶ 36 et 37.

[19] Voir décision de la Commission du 20 septembre 1996 homologuant divers tarifs de la SOCAN pour les années 1994 à 1997 et portant notamment sur le tarif 16 (ci-après, « SOCAN 16 (1996) »), à la p. 25.

[20] L’annexe C du rapport Audley-Hyatt passe en revue l’historique complet des tarifs de la SOCAN applicables à la musique de fond.

[21] Voir décision de la Commission du 13 août 1999 homologuant le tarif de la SCGDV pour la radio commerciale pour les années 1998 à 2002 (ci-après, « SCGDV Radio commerciale (1999) »), à la p. 30 (renvois omis).

[22] Décision de la Commission du 17 décembre 1999 homologuant le Tarif pour la copie privée, 1999-2000, à la p. 27.

[23] Supra note 14, à la p. 14.

[24] Cette méthode a été suivie dans Services sonores payants (2002).

[25] SCGDV c. SOCAN et al., (2003) CAF 302.

[26] Supra note 21, à la p. 27.

[27] Ibid., à la p. 32.

[28] Voir décision de la Commission du 29 septembre 2000 homologuant le tarif de la SCGDV visant la radio de Radio-Canada pour les années 1998 à 2002.

[29] Supra note 9, à la p. 29.

[30] La version anglaise du tarif n’est pas aussi claire qu’elle le pourrait sur cette question. La version française, par contre, est on ne peut plus claire.

[31] Supra note 19, à la p. 27.

[32] Supra note 14, à la p. 16.

[33] Voir décision de la Commission du 28 mars 2003 homologuant le tarif de la CSI pour les stations de radio commerciales pour les années 2001 à 2004, à la p. 13.

[34] Supra note 9, à la p. 27.

[35] Pour MusiquePlus, voir décision de la Commission du 16 novembre 2000 fixant les droits et modalités de la licence de la SODRAC pour MusiquePlus. Pour les stations de radio commerciales, voir supra note 33. Pour les fournisseurs de sonneries, voir la décision de la Commission du 18 août 2006 à l’égard des sonneries pour les années 2003 à 2005.

[36] Supra note 20.

[37] Tr., aux pp. 1141 et 1142. Le sigle MAP signifie « Music Application Program », une méthode exclusive à DMX pour aider ses clients commerciaux à identifier la musique la mieux adaptée à leur entreprise.

[38] Supra note 19, à la p. 28.

[39] Voir, par exemple, le témoignage de M. Trumble au ¶ 121 de la décision.

[40] Supra note 12, à la p. 13.

[41] Ibid., à la p. 51, note de fin de document 17.

[42] Si par exemple, deux périodes successives de 12 mois comportaient un rajustement inflationniste de 2 pour cent pour chacune d’elles, le rajustement cumulatif à apporter serait de 4,04 pour cent. Ce rajustement correspond à la somme des deux rajustements annuels (de 2 pour cent), plus l’effet cumulé du deuxième rajustement sur le premier.

[43] Supra note 21, à la p. 3.

[44] La Loi prévoit certaines exceptions aux articles 32.2(2) et 32.2(3) s’appliquant notamment aux foires, expositions et organismes charitables.

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