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Copyright Board
Canada

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Commission du droit d’auteur
Canada

 

Date

2009-09-16

Référence

Dossier : Exécution publique d’enregistrements sonores

Régime

Gestion collective du droit d’exécution et de communication

Loi sur le droit d’auteur, paragraphe 68(3)

Commissaires

M. le juge William J. Vancise

Me Francine Bertrand-Venne

Me Jacinthe Théberge

Projets de tarif examinés

7 – Cinémas et cinémas en plein air (2009-2011) et Tarif no 9 – Télévision commerciale (2009-2013)

[Question préliminaire]

Tarif des redevances à percevoir par la SCGDV pour l’exécution en public ou la communication au public par télécommunication, au Canada, d’enregistrements sonores publiés contenant des œuvres musicales et des prestations d’artistes-interprètes de ces œuvres

Motifs de la décision

I. INTRODUCTION

[1] Le 28 mars 2008, la Société canadienne de gestion des droits voisins (SCGDV) déposait, conformément au paragraphe 67.1(1) de la Loi sur le droit d’auteur (la « Loi »), [1] les projets de tarifs 7 et 9, visant l’exécution en public ou la communication au public par télécommunication, au Canada, d’enregistrements sonores publiés constitués d’œuvres musicales et de prestations de ces œuvres. Le tarif 7 exige des redevances pour l’utilisation d’un enregistrement sonore intégré dans un film par les cinémas et autres établissements du genre. Le tarif 9 vise l’utilisation d’enregistrements sonores dans les émissions diffusées par les chaînes de télévision conventionnelles, payantes, spécialisées et autres. Les deux projets ont été publiés le 31 mai 2008 dans la Gazette du Canada. Les utilisateurs et leurs représentants ont été informés de leur droit de s’y opposer.

[2] La Fédération des associations de propriétaires de cinémas du Canada (MPTAC) s’est opposée au tarif 7. Rogers Communications, Shaw Communications, Bell ExpressVu, Cogeco Cable, Eastlink, Quebecor Media et TELUS (entreprises de distribution de radiodiffusion ou EDR) se sont opposées au tarif 9, tout comme Turner Broadcasting System, la Société Radio-Canada, Maple Leaf Sports & Entertainment [2] et l’Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR) (collectivement les « opposantes »).

[3] La SCGDV a le droit de percevoir des redevances en vertu du paragraphe 19(1) de la Loi lorsqu’un enregistrement sonore publié d’une œuvre musicale est exécuté en public ou communiqué au public par télécommunication. L’enregistrement sonore est défini comme suit à l’article 2 de la Loi : [3]

« enregistrement sonore » Enregistrement constitué de sons provenant ou non de l’exécution d’une œuvre et fixés sur un support matériel quelconque; est exclue de la présente définition la bande sonore d’une œuvre cinématographique lorsqu’elle accompagne celle-ci. [notre soulignement]

[4] La SCGDV soutient qu’une interprétation correcte de la définition d’« enregistrement sonore » à l’article 2 de la Loi n’exclut pas un enregistrement sonore préexistant intégré à la bande sonore d’une œuvre cinématographique. La SCGDV fait valoir que l’exclusion vise à réunir les droits concernant les aspects visuels et sonores d’une production cinématographique pour les protéger dans une nouvelle œuvre définie comme étant une « œuvre cinématographique ».

[5] Les opposantes soutiennent que la SCGDV n’a aucun droit légal d’exiger la rémunération équitable visée à l’article 19 de la Loi pour la communication au public par télécommunication d’émissions de télévision, au motif que la simple lecture de la définition d’« enregistrement sonore» de la Loi exclut la bande sonore d’une œuvre cinématographique lorsqu’elle accompagne celle-ci. La MPTAC invoque essentiellement le même argument à l’égard des productions cinématographiques.

[6] À la demande des opposantes, la Commission a ordonné que la question suivante soit examinée à titre de question préliminaire :

[TRADUCTION] Quelqu’un a-t-il le droit de recevoir une rémunération équitable au titre de l’article 19 de la Loi sur le droit d’auteur lorsqu’un enregistrement sonore publié fait partie de la bande sonore qui accompagne a) un film exécuté en public ou b) une émission de télévision communiquée au public par télécommunication?

[7] Pour les motifs qui suivent, nous concluons que la réponse à ces deux questions est négative. Lors de la diffusion d’une émission de télévision ou de la projection d’un film, tous les sons incorporés dans la bande sonore, qu’ils proviennent ou non d’un enregistrement sonore préexistant, sont communiqués ou exécutés. Toutefois, ni la bande sonore ni ses éléments constitutifs ne sont un « enregistrement sonore » lorsqu’ils sont communiqués ou exécutés en même temps que l’émission ou le film.

II. EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS

[8] Les parties ont déposé l’exposé conjoint des faits suivant pour l’examen de la question préliminaire :

[TRADUCTION]

  1. La SCGDV est une société de gestion chargée par la Commission du droit d’auteur, en vertu de la Partie VII de la Loi sur le droit d’auteur, de percevoir une rémunération équitable pour l’exécution en public ou la communication au public par télécommunication d’enregistrements sonores publiés d’œuvres musicales.

  2. Des reproductions d’enregistrements sonores publiés préexistants d’œuvres musicales font partie de certaines bandes sonores qui accompagnent les productions cinématographiques exécutées en public au Canada par des cinémas.

  3. Des reproductions d’enregistrements sonores publiés préexistants d’œuvres musicales font partie de certaines bandes sonores qui accompagnent les émissions de télévision communiquées au public par télécommunication au Canada, par les entreprises de radiodiffusion.

  4. Certains des enregistrements sonores visés aux paragraphes 2 et 3 font partie du répertoire de la SCGDV, autorisée, par les artistes-interprètes et les producteurs d’enregistrements sonores, à percevoir toute rémunération équitable à laquelle ceux-ci ont droit au titre du paragraphe 19(1) de la Loi sur le droit d’auteur.

  5. Il est entendu qu’aucun des faits ci-dessus ne constitue ni n’est interprété comme une reconnaissance totale ou partielle : a) que certaines des reproductions visées aux paragraphes 2 et 3 constituent ou non un « enregistrement sonore » au sens de la Loi sur le droit d’auteur; ou b) qu’il existe ou non un droit de percevoir une rémunération équitable qui revient aux artistes-interprètes ou aux producteurs d’enregistrements sonores par suite des prestations en public ou des communications au public par télécommunication décrites aux paragraphes 2 et 3.

[9] Dans leurs observations écrites, les parties ont également renvoyé à des « faits » ou à des « pratiques courantes du secteur d’activité », dont certains n’ont pas fait l’unanimité. Ils seront abordés s’il y a lieu, dans la mesure où ils sont déjà connus de la Commission et pertinents.

III. DISPOSITIONS PERTINENTES DE LA LOI SUR LE DROIT D’AUTEUR

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

« enregistrement sonore » Enregistrement constitué de sons provenant ou non de l’exécution d’une œuvre et fixés sur un support matériel quelconque; est exclue de la présente définition la bande sonore d’une œuvre cinématographique lorsqu’elle accompagne celle-ci.

[...]

15(1) Sous réserve du paragraphe (2), l’artiste-interprète a un droit d’auteur qui comporte le droit exclusif, à l’égard de sa prestation ou de toute partie importante de celle-ci :

a) si elle n’est pas déjà fixée :

(i) de la communiquer au public par télécommunication,

(ii) de l’exécuter en public lorsqu’elle est ainsi communiquée autrement que par signal de communication,

(iii) de la fixer sur un support matériel quelconque;

b) d’en reproduire :

(i) toute fixation faite sans son autorisation,

(ii) lorsqu’il en a autorisé la fixation, toute reproduction de celle-ci faite à des fins autres que celles visées par cette autorisation,

(iii) lorsqu’une fixation est permise en vertu des parties III ou VIII, toute reproduction de celle-ci faite à des fins autres que celles prévues par ces parties;

c) d’en louer l’enregistrement sonore.

Il a aussi le droit d’autoriser ces actes.

[...]

17(1) Dès lors qu’il autorise l’incorporation de sa prestation dans une œuvre cinématographique, l’artiste-interprète ne peut plus exercer, à l’égard de la prestation ainsi incorporée, le droit d’auteur visé au paragraphe 15(1).

(2) Lorsqu’une telle incorporation fait l’objet d’un contrat qui prévoit un droit à rémunération pour la reproduction, l’exécution en public ou la communication au public par télécommunication de l’œuvre cinématographique, l’artiste-interprète peut revendiquer ce droit auprès de l’autre partie contractante ou de tout cessionnaire du contrat ou auprès de toute autre personne qui est titulaire du droit d’auteur en ce qui touche la reproduction, l’exécution en public ou la communication au public par télécommunication de l’œuvre et qui, de fait, reproduit ou exécute en public l’œuvre ou la communique au public par télécommunication; cette partie contractante ou ce cessionnaire et ce titulaire du droit d’auteur sont solidairement responsables envers l’artiste-interprète du paiement de la rémunération afférente au droit d’auteur visé.

(3) Le paragraphe (2) s’applique si la prestation de l’artiste-interprète est incorporée dans une œuvre cinématographique qui est une production définie par règlement.

[...]

18(1) Sous réserve du paragraphe (2), le producteur d’un enregistrement sonore a un droit d’auteur qui comporte le droit exclusif, à l’égard de la totalité ou de toute partie importante de l’enregistrement sonore :

a) de le publier pour la première fois;

b) de le reproduire sur un support matériel quelconque;

c) de le louer.

Il a aussi le droit d’autoriser ces actes.

[...]

19(1) Sous réserve de l’article 20, l’artiste-interprète et le producteur ont chacun droit à une rémunération équitable pour l’exécution en public ou la communication au public par télécommunication – à l’exclusion de toute retransmission – de l’enregistrement sonore publié.

IV. PRINCIPES D’INTERPRÉTATION LÉGISLATIVE

[10] Il n’existe essentiellement aucune différence dans la position des parties au sujet des principes d’interprétation législative qu’il convient d’appliquer à l’interprétation d’une loi pour définir un terme qui n’est pas défini, tel que « bande sonore ».

[11] L’article 12 de la Loi d’interprétation (Canada) prévoit que tout texte de loi « est censé apporter une solution de droit » et doit s’interpréter « de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet ». [4] La Cour suprême a souligné dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. [5] que la méthode à suivre en matière d’interprétation législative est qu’il « faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur ». [6]

[12] Toutefois, l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. Lorsqu’ils interprètent une disposition législative, les tribunaux doivent s’efforcer d’assurer la cohérence interne de la loi et d’éviter les interprétations qui donnent lieu à des distinctions illogiques et inutiles entre les groupes ou les personnes. Comme le souligne la professeure Sullivan dans son ouvrage :

[TRADUCTION] Les dispositions d’une loi sont présumées fonctionner ensemble, tant logiquement que téléologiquement, comme les diverses parties d’un tout. [7]

[13] Selon un autre principe établi en matière d’interprétation, le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes. Le professeur Côté écrit dans son ouvrage de référence, Interprétation des lois, [8] que l’on qualifiera d’absurde une interprétation qui mène à des conséquences ridicules ou futiles, qui est déraisonnable ou inéquitable, ou qui est incompatible avec l’objet de la loi.

[14] La professeure Sullivan décrit une interprétation absurde essentiellement de la même façon. Elle affirme ce qui suit :

[TRADUCTION] Le texte législatif est censé être cohérent et fonctionner d’une façon efficiente. L’interprétation qui a comme effet la confusion ou la contradiction, ou qui porte atteinte à l’application efficace d’une disposition législative peut être qualifiée à juste titre d’absurde. [9]

[...]

[TRADUCTION] Une interprétation proposée est susceptible d’être qualifiée d’absurde si elle donne lieu à un traitement différent des personnes ou des éléments pour des raisons inadéquates ou même sans raison. Il s’agit de l’une des formes d’absurdité le plus souvent reconnues. [10]

[15] La SCGDV précise que la Cour suprême du Canada, en interprétant un terme non défini de la Loi dans l’arrêt CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, [11] a tenu compte des facteurs suivants : le sens ordinaire du terme, l’historique et l’évolution du droit d’auteur, la jurisprudence récente, l’objet de la Loi et le caractère à la fois fonctionnel et équitable de l’interprétation adoptée.

[16] C’est maintenant un principe bien établi que les tribunaux ou les décideurs peuvent examiner l’historique d’un texte législatif aux fins d’interprétation. [12]

V. QUESTION EN LITIGE ET POSITIONS DES PARTIES

[17] La question en litige est de savoir quand un enregistrement sonore préexistant qui est subséquemment incorporé dans une bande sonore ne constitue plus un enregistrement sonore. Un enregistrement sonore exclut « la bande sonore d’une œuvre cinématographique lorsqu’elle accompagne celle-ci ». Le sens de l’exclusion doit être déterminé par l’interprétation du terme défini « enregistrement sonore » et du terme non défini « bande sonore » en ce qu’il se rapporte à des enregistrements sonores préexistants.

[18] L’ACR a raison de dire que l’exclusion peut avoir une incidence sur les enregistrements sonores préexistants incorporés dans une bande sonore de l’une des trois seules façons suivantes. Premièrement, l’enregistrement ne fait plus l’objet d’une protection à titre d’enregistrement sonore. Deuxièmement, l’enregistrement demeure un enregistrement sonore, sauf lorsqu’il est incorporé dans une bande sonore qui accompagne un film. Troisièmement, l’enregistrement demeure un enregistrement sonore même lorsqu’il est incorporé dans une bande sonore qui accompagne un film. La SCGDV défend la troisième interprétation. Les opposantes soutiennent la deuxième. Personne ne propose la première. [13]

[19] Pour la SCGDV, la question est de savoir si la définition d’enregistrement sonore exclut chaque son ou groupe de sons et chaque enregistrement sonore préexistant incorporés dans une bande sonore qui accompagne une œuvre cinématographique, ou si elle exclut l’ensemble des sons compilés. La SCGDV soutient que selon son sens ordinaire, le terme « bande sonore » employé dans la Loi désigne l’ensemble des sons incorporés comme une compilation dans une bande sonore, de sorte que les sons d’un enregistrement sonore préexistant qui fait partie de la compilation, ne peuvent faire partie d’une bande sonore ou être considérés comme tels. Ce sens doit être déterminé par rapport à l’ensemble du texte législatif.

[20] La SCGDV soutient que l’objet de l’exclusion de la définition d’« enregistrement sonore » vise à réunir en un seul objet de droit d’auteur tous les éléments sonores et visuels d’un film, et à protéger l’ensemble de ces éléments en tant qu’« œuvre cinématographique ». À son avis, cela s’est imposé parce que le droit d’auteur protégeait les films bien avant l’apparition des films sonores. Ainsi, les sons incorporés dans des films étaient protégés à la fois comme œuvres cinématographiques et comme dispositifs à l’aide desquels les sons pouvaient être reproduits mécaniquement. Cette double protection a entraîné des problèmes. L’exclusion de la définition a pour effet d’assurer [TRADUCTION] « que la bande sonore est considérée comme faisant partie de l’œuvre cinématographique et qu’elle n’est pas protégée séparément sauf si la bande sonore n’accompagne pas l’œuvre cinématographique ». [14]

[21] La SCGDV soutient que la définition d’« enregistrement sonore » exclut la bande sonore dans sa globalité, l’ensemble des sons, et non pas chaque son ou groupe de sons, ni un enregistrement sonore préexistant. L’enregistrement sonore préexistant qui est subséquemment incorporé dans la bande sonore d’un film demeure néanmoins un enregistrement sonore même lorsque la bande sonore accompagne le film. La SCGDV prétend qu’une conclusion contraire conduit à des résultats absurdes. Par exemple, certains des droits sur un enregistrement sonore préexistant pourraient s’éteindre sans le consentement du titulaire. [15] La définition vise à faire en sorte que la bande sonore soit considérée comme une partie d’un film, et non pas à limiter ou à réduire la protection du droit d’auteur sur les enregistrements sonores préexistants.

[22] Enfin, la SCGDV soutient que rien dans l’historique législatif du projet de loi C-32 relativement à la définition d’enregistrement sonore n’indique l’intention du législateur de limiter ou de restreindre la protection du droit d’auteur sur les enregistrements sonores préexistants en réunissant les droits d’auteur sur les œuvres cinématographiques.

[23] Les opposantes sont fondamentalement en désaccord avec la position de la SCGDV. Elles soutiennent que l’exclusion sert d’autres fins que celles avancées par la SCGDV. Elles prétendent que l’exclusion vise également à permettre au titulaire de droits sur un film d’exploiter l’œuvre sans risquer de se heurter au veto de toute personne ayant contribué à la réalisation des éléments sonores de l’œuvre, [16] pourvu que ce titulaire ait établi des relations contractuelles adéquates avec ces contributeurs. Elles soulignent que l’interprétation de la SCGDV conduirait à un résultat absurde, à savoir que certaines personnes ayant contribué à la bande sonore auraient un tel droit de veto.

[24] Selon les opposantes, l’exclusion énoncée dans la définition d’« enregistrement sonore » vise la bande sonore et tous ses éléments constitutifs, y compris tout enregistrement sonore préexistant incorporé. L’enregistrement demeure un « enregistrement sonore » et l’exclusion s’applique seulement lorsque la bande sonore accompagne le film. Le droit d’auteur sur l’enregistrement sonore ne s’éteint pas. La bande sonore et l’enregistrement sonore préexistant incorporés dans un film sont et demeurent des enregistrements sonores lorsqu’ils n’accompagnent pas le film.

[25] Bien que la Loi ne définisse pas ce qu’est une bande sonore, un décideur peut le faire, à la simple lecture du libellé de la Loi. Un enregistrement sonore est un « enregistrement constitué de sons [...] fixés sur un support matériel quelconque ». Un film est une œuvre, qu’il soit ou non accompagné d’une bande sonore. N’eût été de l’exclusion, une bande sonore serait un enregistrement sonore; sinon, l’exclusion ne serait pas nécessaire. Lorsqu’elle accompagne les éléments visuels d’un film ou d’une émission de télévision, la bande sonore fait partie du film ou de l’émission en question. Dans le cas contraire, la bande sonore constitue un enregistrement sonore.

[26] Enfin, les opposantes soutiennent que, pour déterminer la portée de l’exclusion de la bande sonore de la définition du terme « enregistrement sonore », il faut examiner tous les articles de la Loi qui confèrent des droits sur les enregistrements sonores, et non seulement l’article 19. Les termes de l’article 19 doivent avoir le même sens que dans les autres articles de la Loi et doivent être interprétés de façon cohérente partout dans la Loi. L’exclusion a une incidence non seulement sur le droit à rémunération, mais aussi sur toutes les dispositions qui traitent des enregistrements sonores.

VI. ANALYSE

[27] Pour déterminer si un enregistrement sonore préexistant demeure un enregistrement sonore même lorsqu’il est incorporé dans une bande sonore et que la bande sonore accompagne un film, il faut interpréter le terme défini « enregistrement sonore » ainsi que le terme non défini « bande sonore » eu égard aux principes d’interprétation législative énoncés précédemment. Pour l’essentiel, nous sommes d’accord avec l’approche proposée par les opposantes et nous l’acceptons.

[28] La tentative de la SCGDV d’établir une distinction entre la bande sonore et ses éléments constitutifs n’est pas convaincante. Pour admettre son argument, il faut ajouter à la définition des mots tels « l’ensemble de » ou « toute partie de » avant le terme « la bande sonore ». Il découle logiquement de l’exclusion que la bande sonore est un enregistrement sonore, sauf lorsqu’elle accompagne le film, sinon l’exception serait redondante. Un enregistrement sonore est constitué de sons. Si la bande sonore n’est pas un enregistrement sonore lorsqu’elle accompagne le film, les sons qui la constituent ne le sont pas non plus. Il n’est pas nécessaire de préciser que « toute partie » de la bande sonore n’est pas un enregistrement sonore si tous les éléments qui la constituent n’en sont pas un.

[29] L’interprétation des opposantes est la seule qui conduise à des résultats cohérents et logiques. Par exemple, si l’enregistrement sonore préexistant incorporé dans une bande sonore n’est pas un enregistrement sonore lorsqu’il accompagne la version DVD du film, personne ne contrôle la location du film parce qu’il n’existe pas de droits de location relativement au film (un tel droit n’existe pas) ou à l’enregistrement sonore (le DVD ne contient pas un tel enregistrement). Par contre, si la SCGDV a raison, alors chaque artiste-interprète, producteur et auteur de chacun des enregistrements incorporés dans une bande sonore pourrait opposer son veto à la location du film en raison de l’un des trois droits exclusifs sur la location des enregistrements sonores incorporés dans la bande sonore. [17] Nous doutons que l’intention du législateur ait été de permettre à ces contributeurs, mais non au titulaire du droit d’auteur sur le film, d’exercer un contrôle sur la location du film en question.

[30] L’interprétation des opposantes est conforme au sens et à l’objet du paragraphe 17(1) de la Loi. Ce paragraphe est structuré de façon similaire à la définition d’« enregistrement sonore ». L’artiste-interprète qui autorise l’incorporation de « sa prestation » dans un film ne peut plus exercer le droit visé au paragraphe 15(1) à l’égard de la prestation « ainsi incorporée ». Le sens de la disposition est clair. L’artiste-interprète ne possède pas de droit d’auteur sur sa prestation lorsqu’elle est incorporée dans un film; autrement, l’artiste conserve le droit d’auteur à l’égard de la prestation en question. De plus, le paragraphe 17(1) vise clairement non seulement la prestation dans sa totalité, mais aussi tous ses éléments constitutifs : la danseuse qui fournit une prestation dans un film musical ne peut empêcher la représentation du film en opposant le droit d’auteur qu’elle pourrait détenir sur un numéro de danse particulier. Les mots « la bande sonore » et « lorsqu’elle accompagne celle-ci » [l’œuvre cinématographique], tels qu’ils sont utilisés dans la définition d’« enregistrement sonore » devraient être interprétés de la même manière.

[31] L’absence d’une disposition équivalente à l’article 17 de la Loi à l’égard des enregistrements sonores s’explique facilement. L’article 17 est nécessaire parce que, a) les prestations ne comportent pas toutes des sons; les prestations qui comportent des sons qui sont utilisés dans des films ne sont pas toutes fixées sur un enregistrement sonore préexistant; lorsqu’on fixe une prestation, ce n’est pas toujours avec la permission de l’artiste-interprète; l’artiste-interprète peut avoir autorisé la fixation de la prestation, mais non l’incorporation de la fixation dans un film. Il n’est pas nécessaire de faire état de toutes ces possibilités en ce qui concerne les enregistrements sonores. L’exclusion figurant dans la définition est suffisante parce que l’enregistrement sonore est toujours fait avec la permission de son producteur. Le résultat est le même. L’artiste-interprète et le producteur, ayant autorisé l’incorporation d’une prestation ou d’un enregistrement sonore dans la bande sonore d’un film, sont empêchés d’exercer à la fois leur droit d’auteur respectif (y compris le droit de location) et leur droit à rémunération, lorsque la bande sonore accompagne le film. Lorsque la bande sonore n’accompagne pas le film, tous leurs droits continuent d’exister.

[32] Les EDR ont raison de souligner que la possibilité pour l’artiste-interprète de recevoir des droits de suite pour la diffusion d’un film incorporant une prestation en vertu du paragraphe 17(2), aussi limitée soit-elle, [18] est incompatible avec l’existence d’un droit à rémunération pour la même prestation. Il y aurait double paiement uniquement si l’artiste-interprète conservait le droit d’incorporer la prestation dans un film, par le biais du sous-alinéa 15(1)b)(ii) de la Loi. La simple possibilité qu’une telle situation se produise démontre l’absence de logique et de cohérence de l’approche proposée par la SCGDV.

[33] Les droits d’auteur prévus aux articles 15, 18 et 21 ne sont pas symétriques, mais le droit à rémunération prévu à l’article 19 l’est manifestement. [19] Si le producteur a droit à rémunération, l’artiste-interprète aussi, de sorte que certains artistes-interprètes dont la prestation est incorporée dans un film recevraient une double rémunération pour la même utilisation.

[34] À notre avis, si le législateur avait eu l’intention de cibler la télévision à l’article 19 de la Loi, il n’aurait pas établi un régime préférentiel pour la radio, mais non pour la télévision. Le paragraphe 68.1(1) de la Loi accorde un traitement préférentiel seulement dans le cas des « systèmes de transmission par ondes radioélectriques » qui sont à leur tour définis comme des « systèmes exploités par une station terrestre de radio », [20] ciblant par conséquent seulement la radio.

[35] Il n’est pas nécessaire que nous examinions l’historique législatif des modifications apportées à la Loi en 1997, étant donné que notre interprétation est clairement compatible avec l’intention du législateur à l’époque. À notre avis, il est toutefois utile de souligner certaines questions soulevées lors des travaux du Comité à l’époque de la modification de la Loi, et qui confirment notre opinion.

[36] Quatre points sont évidents. Premièrement, la définition d’« enregistrement sonore » a été modifiée à l’étape du Comité afin de s’assurer qu’une bande sonore ne soit pas un enregistrement et, par conséquent, qu’elle ne donne pas droit à une rémunération équitable lorsqu’elle accompagne un film ou une émission de télévision, alors que la bande sonore serait un enregistrement et donnerait droit à une rémunération équitable lorsqu’elle est exécutée séparément du film ou de l’émission en question. Les commentaires suivants formulés au cours de l’audience du Comité permanent du patrimoine canadien sont instructifs sur ce point :

M. Abbott [député] : [...] Dans la version actuelle du projet de loi, une bande sonore disponible en disque compact ne pourrait bénéficier des droits en question. Est-ce bien ce que vous dites?

M. Bouchard [ministère du Patrimoine canadien] : Dans la version actuelle, c’est exact.

M. Abbott : Mais le rajout des mots « lorsqu’elle accompagne » la rend admissible aux droits voisins. Est-ce bien exact?

Mme Katz : Oui, c’est exact.

[...]

M. Richstone [ministère de la Justice] :

Je voudrais simplement ajouter qu’on trouve dans le projet de loi les mots « partie intégrante », qui causent des soucis à bien du monde au plan technique. Que signifie « partie intégrante »? Va-t-il falloir appliquer un test conceptuel ou un test matériel?

Souvent, la bande sonore d’un film ne fait pas matériellement partie intégrante du film si elle est jouée en même temps. C’est pourquoi on a choisi les mots « lorsqu’elle accompagne». C’est une formule qu’on retrouve dans les législations des États-Unis et du Commonwealth.

Lorsque la bande sonore accompagne une œuvre cinématographique, elle fait partie de cette œuvre cinématographique. Lorsqu’elle n’accompagne pas une œuvre cinématographique, c’est-à-dire lorsqu’elle est vendue, exploitée ou présentée à part, en tant qu’enregistrement sonore, elle est alors protégée à ce titre. [21]

[37] Deuxièmement, en discutant des droits à rémunération des artistes-interprètes et des producteurs au titre de l’article 19, les représentants du ministère n’ont pas mentionné une seule fois la télévision ou le cinéma. [22]

[38] Troisièmement, l’intention était de rendre la législation canadienne conforme à la Convention de Rome. [23] Comme l’ont souligné les EDR dans leur argumentation, [24] la Convention prévoit expressément qu’aucune protection n’est exigée dans le cas de l’utilisation indirecte d’un enregistrement sonore, par exemple lorsqu’il est incorporé dans une bande sonore. Si le législateur avait eu l’intention d’aller au-delà de la Convention, il l’aurait clairement indiqué.

[39] Quatrièmement, et le point le plus important, tous les intervenants qui ont abordé cette question devant le Comité ont manifestement compris que le législateur n’avait pas l’intention d’inclure les émissions de télévision dans le champ de l’article 19. [25] Les témoins ont dénoncé le fait que les œuvres audiovisuelles avaient été omises, [26] que les chanteurs n’auraient aucun droit dans les cas « où leurs chansons seront accompagnées d’une image». [27] Si ces déclarations avaient été erronées, les représentants du ministère les auraient contredites. Le consensus autour des déclarations soulignant l’absence de protection des musiciens à l’égard des produits audiovisuels, combiné à l’absence de réplique de la part des représentants du ministère, confirme que notre interprétation est compatible avec l’intention du législateur à l’époque.

[40] La SCGDV soutient que si notre interprétation est correcte, la reproduction non autorisée d’une piste musicale préexistante à partir d’un DVD préenregistré ne viole probablement pas le droit d’auteur sur l’enregistrement sonore, alors que la reproduction de la même piste musicale à partir d’une bande sonore lancée sur CD le fait manifestement. Comme l’a souligné l’avocat de la MPTAC, [28] il s’agit d’une conséquence logique de l’approche adoptée au sujet des films, qui est compatible avec le régime des prestations prévu au paragraphe 17(1) de la Loi ou avec les droits des artistes-interprètes qui autorisent la fixation d’une prestation selon l’article 15.

[41] La SCGDV soutient également que si l’enregistrement sonore préexistant incorporé dans une bande sonore qui accompagne le film n’est pas un enregistrement sonore, alors le producteur ne peut se plaindre de l’incorporation non autorisée de l’enregistrement sonore. Nous ne sommes pas d’accord. Pour décider si un enregistrement sonore a été reproduit, ce qui compte c’est la source et non le résultat, ou, pour reprendre l’expression de l’avocat de la MPTAC, [29] l’objet de la reproduction et non la reproduction. Ce n’est qu’une fois l’enregistrement reproduit et la bande sonore incorporée dans le film que la bande sonore qui accompagne le film, et rien d’autre, ne constitue pas un enregistrement sonore au sens de la définition. L’incorporation d’un enregistrement sonore préexistant dans un film sans la permission du producteur constitue une violation de l’alinéa 18(1)b) de la Loi et donne ouverture à tous les recours habituels à la disposition du titulaire du droit d’auteur.

[42] La SCGDV s’est largement appuyée sur la jurisprudence australienne, américaine et britannique, et particulièrement sur la décision de la Haute Cour de l’Australie dans l’affaire Phonographic Performance Company of Australia Limited v. Federation of Australian Commercial Television Stations, [30] faisant valoir que, si les dispositions de notre Loi ne sont peut-être pas identiques à celles des pays mentionnés, il faut néanmoins s’efforcer d’harmoniser notre interprétation de la protection du droit d’auteur avec celle d’autres ressorts guidés par une philosophie analogue à celle du Canada. L’arrêt même sur lequel s’appuie la SCGDV pour soutenir cette approche dit clairement que cette harmonisation doit être effectuée uniquement « dans les limites permises par nos propres lois ». [31]

[43] La SCGDV s’est également appuyée largement sur ce qu’elle considère comme les pratiques contractuelles courantes dans les secteurs phonographique et cinématographique. Nous n’avons pas pris en considération ces arguments pour deux raisons. Tout d’abord, même si nous sommes disposés à convenir que les pratiques contractuelles peuvent influencer la façon dont les lois sont rédigées, interpréter une loi en se fondant sur les pratiques contractuelles revient probablement à mettre la charrue avant les bœufs. Il est notoire que les pratiques contractuelles changent; ces changements ne devraient pas dicter l’interprétation de dispositions législatives préexistantes. Deuxièmement, et ce qui est le plus important, la pratique que la SCGDV considère comme courante pourrait bien ne pas l’être, au moins dans la province de Québec, comme le démontre le dossier de l’instance récente relative à la radio commerciale.

[44] La réponse aux questions formulées au paragraphe 6 des présents motifs est négative. Les projets de tarifs 7 et 9 déposés par la SCGDV ne sont pas fondés en droit et ne peuvent donc pas être homologués. Conséquemment, ces tarifs, tels qu’ils ont été publiés dans la Partie I de la Gazette du Canada, le 31 mai 2008, sont radiés.

La greffière principale,

Signature

Lise St-Cyr



[1] L.R.C. 1985, ch. C-42, modifiée.

[2] Maple Leaf Sports & Entertainment s’est retirée par la suite de la présente instance.

[3] L’article 19 ainsi que la définition d’« enregistrement sonore » ont été insérés dans la Loi en septembre 1997.

[4] Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, article 12.

[5] Rizzo & Rizzo Shoes Ltd., [1998] 1 R.C.S. 27.

[6] Ibid. au para. 21, citant Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983), passage reproduit dans l’ouvrage de Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd., Markham, LexisNexis Canada Inc., 2008 à la p. 1. [Sullivan]

[7] Sullivan, supra note 6 aux pp. 223-25.

[8] Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 2e éd., Cowansville (Qc), Yvon Blais, 1991 aux pp. 430-32.

[9] Sullivan, supra note 6 à la p. 313.

[10] Sullivan, supra note 6 à la p. 310.

[11] [2004] 1 R.C.S. 339 au para. 17.

[12] Sullivan, supra note 6 à la p. 577 et suiv. et à la p. 593 et suiv.

[13] La SCGDV est revenue sur une affirmation antérieure voulant qu’une fois l’enregistrement sonore incorporé dans une bande sonore, il n’est plus un « enregistrement sonore » au sens de la Loi.

[14] Observations écrites de la SCGDV au para. 41.

[15] L’exclusion exige seulement que la bande sonore accompagne le film, et non qu’elle accompagne le film avec le consentement du titulaire du droit d’auteur sur la bande sonore ou ses composantes.

[16] L’article 17 de la Loi arrive au même résultat relativement aux éléments visuels du film.

[17] Voir les alinéas 3(1)i), 15(1)c) et 18(1)c) de la Loi.

[18] Par l’effet du paragraphe 17(3) de la Loi, le paragraphe 17(2) vise uniquement les productions définies dans le Règlement sur les œuvres cinématographiques visées par un droit à rémunération, D.O.R.S./1999-194. Le règlement vise uniquement les œuvres canadiennes produites depuis 1999.

[19] Souligner l’absence de symétrie des droits d’auteur accordés aux artistes-interprètes, aux producteurs et aux radiodiffuseurs aux articles 15, 18 et 21 de la Loi, n’autorise pas à soutenir que le droit à rémunération accordé à l’article 19 autant aux artistes-interprètes qu’aux producteurs pourrait aussi être asymétrique.

[20] Règlement sur la définition de « système de transmission par ondes radioélectriques », D.O.R.S./1998-307, article 1.

[21] Comité permanent du patrimoine canadien, transcriptions (3 décembre 1996), observations écrites de la MPTAC, onglet 3 aux pp. 43-44.

[22] Voir par ex. le témoignage de Mme Katz, Directrice générale intérimaire, Industries culturelles, ministère du Patrimoine canadien, Comité permanent du patrimoine canadien, transcriptions (18 juin 1996), observations écrites de la MPTAC, onglet 2 à la p. 4.

[23] Ibid.

[24] Observations écrites des EDR aux para. 67-76.

[25] Ibid. aux para. 61-64.

[26] Témoignage de Gisèle Fréchette, Guilde des musiciens du Québec, Comité permanent du patrimoine canadien, transcriptions (10 octobre 1996), observations écrites des EDR, onglet 4 à la p. 15.

[27] Témoignage de Serge Turgeon, Union des artistes, Comité permanent du patrimoine canadien, transcriptions (22 octobre 1996), observations écrites des EDR, onglet 5 à la p. 37.

[28] Transcriptions aux pp. 167-70.

[29] Transcriptions à la p. 167.

[30] [1998] H.C.A. 39.

[31] Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., [2002] 2 R.C.S. 336 au para. 6. La SCGDV s’est également appuyée sur Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, qui confirmait l’approche suivie dans l’arrêt Théberge. Cette observation soulève deux problèmes. Premièrement, pour retenir l’approche que la SCGDV propose, il faudrait aller au-delà du sens ordinaire de la Loi, en se fondant sur des dispositions législatives étrangères, dont le libellé et l’intention diffèrent. Deuxièmement, l’arrêt Apotex porte sur le réexamen d’un critère jurisprudentiel et non sur l’interprétation d’une loi.

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