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Copyright Board
Canada

Canada Coat of Arms/Armoiries du Canada

Commission du droit d’auteur
Canada

 

Date de la décision

2009-06-26

Version corrigée

2009-07-17

Référence

Dossier : Reproduction par reprographie 2005-2009

Regime

Gestion collective relative aux droits visés aux articles 3, 15, 18 et 21

Loi sur le droit d’auteur, paragraphe 70.15(1)

Commissaires

M. le juge William J. Vancise

Me Francine Bertrand-Venne

Me Sylvie Charron

Projet(s) de tarif examiné(s)

(Établissements d’enseignement – 2005-2009)

tarif des redevances à percevoir par Access copyright pour la reproduction par reprographie, au canada, d’œuvres de son répertoire

Motifs de la décision

I. INTRODUCTION 1

A. Les parties 1

B. Glossaire 1

C. Historique 2

II. LA POSITION DES PARTIES 4

A. Access Copyright 4

B. Les opposants 5

III. LA PREUVE 5

A. L’enquête de volume 5

B. Access Copyright 7

C. Les opposants 9

IV. QUESTIONS DE DROIT 10

A. Dans quelle mesure les écoles primaires et secondaires peuvent-elles se prévaloir de l’exception relative à l’utilisation équitable? 11

i. Analyse 14

a. La notion de pratique et les établissements d’enseignement 15

b. L’utilisation vise-t-elle une fin énumérée dans la Loi? 16

c. L’utilisation est-elle équitable? 18

Le but de l’utilisation 18

La nature de l’utilisation 19

L’ampleur de l’utilisation 20

Solutions de rechange 21

La nature de l’œuvre 21

L’effet de l’utilisation sur l’œuvre 22

ii. Conclusion 23

B. L’exception prévue au paragraphe 29.4(2) de la Loi joue-t-elle à l’égard des œuvres faisant partie du répertoire d’Access? 25

C. Les œuvres de titulaires non affiliés qui ont encaissé un chèque de redevances font-elles partie du répertoire d’Access aux fins de la présente instance? 28

V. ANALYSE ÉCONOMIQUE 29

A. Volume de photocopies 29

i. L’enquête de volume 29

ii. Les exceptions relatives à l’utilisation équitable 29

iii. Les documents du domaine public ou de la liste d’exclusion 29

iv. Les documents incluant du matériel du domaine public 30

v. Les documents non identifiés 30

vi. Les pages photocopiées dans les ministères de l’Éducation et les commissions scolaires 31

vii. Les examens du ministère et l’enseignement à distance 31

viii. Les titulaires non affiliés 31

ix. Le volume donnant droit à rémunération 32

B. La valeur d’une page photocopiée 32

i. Détermination du prix de référence 32

ii. L’apport créatif dans le prix de détail 33

iii. Le coût des photocopies 35

iv. Des photocopies à utilisation unique 35

v. Valeur ajoutée par la sélection de segments des œuvres 36

vi. Les bénéfices de la licence 37

vii. La clause d’indemnisation 38

C. Le taux de redevances 38

D. Redevances totales et capacité de payer 39

VI. LIBELLÉ DU TARIF 39

A. Portée 40

B. Interdictions 40

C. Mention de la source 41

D. Avis 41

E. Enquêtes 41

F. Dispositions transitoires 42


I. INTRODUCTION

[1] Les présents motifs traitent d’un tarif qui vise la reproduction d’œuvres littéraires, dramatiques et artistiques contenues entre autres dans des livres, journaux et magazines pour utilisation dans les établissements d’enseignement canadiens (à l’exclusion du Québec) de niveau primaire et secondaire. C’est la première fois que la Commission est appelée à homologuer un tarif pour ce type d’œuvres. Les photocopies de ces œuvres sont un outil pédagogique et administratif important pour les établissements d’enseignement au Canada, et l’utilisation de la photocopieuse y est monnaie courante.

A. Les parties

[2] Access Copyright, The Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright ou Access) est une société à but non lucratif. Y adhèrent des organisations représentant des auteurs et éditeurs d’œuvres protégées par le droit d’auteur publiées dans des livres, magazines, revues et journaux. Son conseil d’administration, qui compte 18 membres, est composé de représentants d’auteurs et d’éditeurs chacun pour moitié.

[3] Access acquiert son répertoire de deux façons. Elle conclut des ententes d’affiliation avec les titulaires de droits canadiens, tant auteurs qu’éditeurs. Elle représente aussi des ayants droit provenant du Québec et de 23 autres ressorts en vertu d’ententes bilatérales. En pratique, Access administre le droit d’autoriser la reprographie de l’ensemble de ce répertoire pour tout le Canada sauf le Québec, où c’est la Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction (COPIBEC) qui administre le répertoire.

[4] Les opposants dans la présente affaire sont les ministères de l’Éducation des douze provinces et territoires canadiens hors Québec ainsi que chacune des commissions scolaires de l’Ontario (les « opposants »).

B. Glossaire

[5] Pour permettre au lecteur de mieux comprendre ce qui suit, nous avons jugé bon de définir d’entrée de jeu un certain nombre de termes utilisés par la suite.

[6] L’enquête de volume est l’enquête qu’Access a menée afin d’estimer le volume et la nature des transactions, copies et pages photocopiées dans les institutions d’enseignement primaire et secondaire et dans les ministères de l’Éducation partout au Canada sauf au Québec.

[7] Une transaction est l’instance durant laquelle on reproduit, en tout ou en partie, un ou plusieurs documents un certain nombre de fois.

[8] Une copie est un jeu des pages du document qu’on a copié. Une transaction durant laquelle on reproduit trois fois chacun trois documents résulte en la création de neuf copies.

[9] Chaque reproduction de chaque page est une page photocopiée. Reproduire trois fois un document de deux pages produit six pages photocopiées.

[10] L’étiquette d’enregistrement documente ce qui s’est produit lors de chacune des transactions captées durant l’enquête de volume. Elle est remplie par un assistant de recherche pigiste embauché à cette fin et le copiste y appose ses initiales. Elle indique le nombre de pages photocopiées, le nombre de copies effectuées, le nombre de pages d’un document original reproduit, la personne pour qui la copie a été faite (copiste, membre du personnel, élève, autre), la personne ayant initié la transaction et les fins auxquelles on destine les copies (administration, critique ou compte rendu, divertissement, consultation future, incorporation dans un examen, étude privée, projection en classe, recherche, enseignement, fin indéterminée ou autre).

[11] Un ensemble de classe est un ensemble de livres destinés à rester en tout temps dans un local précis et que les élèves se partagent. Ils peuvent servir à plus d’une classe ou encore, à différents élèves faisant partie d’une même classe.

[12] Un document consommable est un document destiné à n’être utilisé qu’une fois et dont la reproduction est interdite. Au contraire, un document reproductible est vendu avec l’autorisation de le reproduire pour usage en classe.

[13] Une fin énumérée est une fin pouvant donner ouverture à l’exception d’utilisation équitable en vertu des articles 29, 29.1 ou 29.2 de la Loi : recherche, étude privée, critique, compte rendu et communication de nouvelles.

C. Historique

[14] Le dépôt du projet de tarif sous examen est le point culminant d’un long processus. Peu après sa fondation en 1988, CANCOPY (comme était connue à l’époque Access Copyright) a cherché à négocier des ententes pour la photocopie de son répertoire aux niveaux primaire et secondaire. En 1991, elle concluait une première entente avec l’Ontario. Entre 1991 et 1997, les autres provinces et territoires ont fait de même. Toutes les ententes établissaient la redevance à 1 $ par élève équivalent temps plein (ETP). [1]

[15] Dès le début, Access a mis de l’avant le principe, fondamental pour elle, voulant que la redevance soit tôt ou tard fonction du volume et de la nature des pages réellement photocopiées. En l’absence de données permettant d’établir ce volume, Access a négocié des augmentations progressives en se fondant sur certains sondages. Comme le nombre de photocopies établi par sondage dépassait largement un volume prédéterminé à partir duquel les redevances étaient plafonnées, les taux ont rapidement atteint ces plafonds, qui pouvaient aller jusqu’à 2 $ par élève ETP.

[16] Dès 1998, Access entreprenait des négociations avec un sous-comité du Conseil des ministres de l’Éducation du Canada (CMÉC). Toutes les provinces sauf une s’entendirent pour établir les redevances pour l’année scolaire 1998-1999 à 2 $ par élève ETP. Seule la Colombie-Britannique tenait à ce que sa redevance demeure à 1,60 $. Access déposa auprès de la Commission une demande de fixation de redevances conformément au paragraphe 70.2(1) de la Loi sur le droit d’auteur (la « Loi »). La Commission fut dessaisie après que la province eût accepté la redevance de 2 $.

[17] En 1999, Access concluait une entente pancanadienne de cinq ans. L’entente, qui devait prendre fin en août 2004, prévoyait des hausses progressives de la redevance par élève ETP jusqu’à environ 2,30 $. [2] L’entente présentait certains avantages pour Access, mais il restait encore à fonder la redevance sur le nombre réel de pages photocopiées.

[18] Dès décembre 2003, Access et un comité de négociation du CMÉC entreprirent des négociations devant mener au renouvellement de la licence. D’entrée de jeu, Access précisa que la nouvelle entente allait devoir refléter la valeur et le volume de pages photocopiées. Après plusieurs mois, les parties n’étant toujours pas arrivées à convenir d’une méthodologie permettant d’établir cette valeur et ce volume, Access décida de s’y prendre autrement.

[19] Le 31 mars 2004, conformément au paragraphe 70.13(2) de la Loi, Access déposait deux projets de tarifs. L’un d’entre eux fait l’objet de la présente décision. Il vise la copie effectuée par les établissements d’enseignement du primaire et du secondaire et par les personnes agissant pour leur compte. Le projet, qui porte sur les années 2005 à 2009, a été publié dans la Gazette du Canada comme le prévoit la Loi. Les utilisateurs éventuels et leurs représentants ont été avisés de leur droit de s’y opposer. Les opposants se sont prévalus de ce droit.

[20] Le processus menant aux audiences a été long, malgré la diligence dont les parties ont fait preuve. Jusqu’en avril 2005, les parties ont discuté de la façon dont devrait procéder l’enquête de volume. Le 15 avril 2005, la Commission entérinait une entente sur un échéancier prévoyant que les audiences débuteraient fin janvier 2007. Le long délai visait à permettre la cueillette et l’analyse des données de l’enquête. Cette analyse s’est butée à des difficultés qui ont entraîné le report des audiences au 12 juin 2007. Par la suite, l’état de santé d’un témoin important a entraîné la suspension des audiences le 20 juin et leur reprise du 22 au 24 octobre. En tout, les audiences ont duré huit jours. Le dossier de l’affaire a été clos le 22 février 2008, après que les parties se soient conformées à des engagements pris durant les audiences et aient répondu à des questions supplémentaires de la Commission.

II. LA POSITION DES PARTIES

A. Access Copyright

[21] Le projet de tarif publié proposait un taux de 12 $ par étudiant ETP. Au moment de déposer sa preuve, Access réduisait sa demande à 7,40 $. Les problèmes d’analyse de données dont nous avons fait état ont nécessité des corrections importantes au nombre de copies effectuées, puis une révision des conclusions sur le taux proposé, qui passait à 8,25 $. Pendant l’audience, Access a modifié une nouvelle fois sa proposition. La modification prenait en compte de nouvelles données sur le nombre d’étudiants ETP durant la période pertinente et le fait qu’Access acceptait d’assujettir les photocopies des ministères de l’Éducation, autres que celles liées aux examens et à l’enseignement à distance, au tarif visant les gouvernements plutôt qu’à celui visant les établissements d’enseignement. Une fois ces modifications apportées, Access propose un taux de 8,92 $.

[22] Access reconnaît que certaines copies ne peuvent être assujetties au tarif ou n’ont pas à l’être. Les premières sont celles de documents dont la reproduction est interdite (et donc, illégale) : il s’agit essentiellement des documents consommables. Les secondes sont celles que le titulaire ou la Loi autorise déjà : il s’agit des copies de documents reproductibles et de celles qui sont autorisées au titre d’une exception prévue par la Loi, dont celles relatives à l’utilisation équitable. Pour le reste, Access tient pour acquis que pratiquement toutes les copies de documents publiés remises aux étudiants entraînent une rémunération.

[23] Access consent à traiter comme constituant de l’utilisation équitable uniquement les copies faites à la demande du destinataire aux seules fins d’étude privée ou de recherche. La copie effectuée aux fins de critique ou de compte rendu ne se qualifierait pas soit parce que ces fins ne sont pas pertinentes en milieu scolaire, soit parce que les conditions d’application de l’exception ne sont pas remplies. La copie faite à l’initiative de l’enseignant ou celle faite à la fois pour une fin énumérée et pour une fin non énumérée ne bénéficierait pas de l’exception soit parce qu’elle est faite avant tout pour une fin non énumérée (l’enseignement), soit parce qu’elle ne peut être considérée comme équitable.

[24] Access convient que les établissements d’enseignement bénéficient d’une exception pour l’utilisation d’œuvres dans le cadre d’un examen. Par contre, elle soutient que l’exception n’est à peu près pas pertinente en l’espèce, puisqu’elle ne s’applique pas dès lors que l’usage envisagé est assujetti au tarif sous examen.

[25] Enfin, Access soutient avoir le droit de réclamer des redevances non seulement pour les œuvres faisant partie de son répertoire, mais aussi pour celles détenues par un titulaire non affilié ayant autorisé Access à agir pour son compte par voie de mandat tacite.

B. Les opposants

[26] Pour l’essentiel, les opposants se disent d’accord avec l’approche qu’Access met de l’avant pour établir le nombre et la valeur des pages photocopiées. Cela dit, ils proposent d’apporter plusieurs ajustements aux calculs d’Access.

[27] Les opposants soutiennent que les reproductions autorisées au titre de l’utilisation équitable sont beaucoup plus nombreuses qu’Access ne l’admet. Ce point de vue repose pour l’essentiel sur quatre prétentions. Premièrement, pratiquement toutes les copies de documents faisant partie du répertoire d’Access faites dans les écoles constituent de l’utilisation équitable. Deuxièmement, recherche, étude privée, critique et compte rendu forment les pierres angulaires du curriculum des écoles élémentaires et secondaires. Troisièmement, la copie faite à plusieurs fins est équitable dès lors que l’une de ces fins est énumérée dans les dispositions pertinentes de la Loi. Quatrièmement, la copie faite à l’initiative de l’enseignant est équitable dès lors que l’utilisateur éventuel est un étudiant et que l’utilisation met en cause une des fins énumérées dans la Loi.

[28] Les opposants soutiennent par ailleurs que l’exception dont bénéficient les établissements d’enseignement en matière d’examens s’applique même si Access offre une licence à cette fin. Enfin, ils rejettent la prétention d’Access voulant qu’elle puisse réclamer des redevances pour les œuvres détenues par un titulaire non affilié. Selon eux, les faits sur lesquels Access se fonde ne suffisent tout simplement pas à établir l’existence d’un mandat tacite. En bout de piste, ils proposent un tarif de 2,43 $ par étudiant ETP.

III. LA PREUVE

A. L’enquête de volume

[29] Access et les opposants se sont entendus sur la méthodologie de l’enquête de volume. Le Réseau Circum inc. (Circum) l’a conçue pour Access, avec les opposants, et dirigée. R.A. Malatest and Associates (Malatest) a effectué la collecte des données. AJD Data Services (AJD) les a captées et en a fait un premier codage. Access s’est livrée à l’analyse bibliographique et au codage final. Circum a bouclé la boucle en se livrant à l’analyse statistique.

[30] L’enquête repose sur un échantillonnage stratifié de 894 écoles, 31 commissions scolaires et 17 bureaux de ministères de l’Éducation. Le nombre d’écoles retenu représente neuf pour cent de tous les établissements; c’est ce qui était nécessaire pour assurer la fiabilité des résultats visée. Le nombre de commissions scolaires représente simplement le même pourcentage de l’ensemble des commissions scolaires assujetties au présent tarif. Finalement, étant donné le faible nombre de bureaux de ministères, tous, sauf ceux de l’Ontario, qui n’a pas participé, ont été retenus aux fins de l’enquête.

[31] La cueillette des données s’est échelonnée sur l’ensemble de l’année scolaire 2005-2006, à l’exception des périodes de vacances. Dans chaque établissement, l’enquête s’est tenue pendant dix journées scolaires consécutives. Un assistant de recherche pigiste embauché et formé par Malatest était en poste près de chaque photocopieuse. Pour chaque transaction, l’assistant de recherche copiait la page bibliographique de chacun des documents copiés puis notait, sur une étiquette d’enregistrement, les renseignements mentionnés au paragraphe 10. L’échantillon complet compile l’information pour l’ensemble des 366 344 transactions effectuées durant l’enquête, provenant de 942 postes d’observation.

[32] Un échantillon partiel a aussi été recueilli, à la demande des opposants, pendant une des dix journées de l’enquête. Ce jour-là, en plus de recueillir tous les renseignements que contient l’échantillon complet, l’assistant de recherche prélevait une copie de toutes les pages photocopiées durant chaque transaction.

[33] AJD a procédé à la conversion numérique et à l’entrée des données recueillies. On a identifié, pour chaque document copié, le type de document, le titre, l’auteur, l’éditeur, le pays d’origine, l’ISBN et s’il s’agissait d’un document consommable ou reproductible. On a ainsi pu écarter d’emblée les données clairement non pertinentes, de façon à assurer un meilleur emploi du temps aux étapes subséquentes. AJD a aussi créé, pour chaque transaction, un document en format PDF qu’elle a ensuite regroupé par établissement et par pays.

[34] Access a procédé à l’analyse bibliographique. Dans la mesure du possible, elle a vérifié, corrigé et complété l’information bibliographique recueillie dans le cadre de l’enquête. Ensuite, elle a cherché à identifier ce qui faisait partie du domaine public, ce qui figurait sur la liste des ouvrages exclus de la portée de la licence d’Access, puis ce qui était détenu par des titulaires affiliés à Access ou à l’une de ses sociétés sœurs. L’analyse s’est limitée aux transactions comportant des documents qu’AJD avait identifiés comme étant susceptibles de faire partie du répertoire : livres, articles de journaux, périodiques, indéterminés et inconnus. On a fait abstraction des autres types de documents ainsi que des documents reproductibles ou consommables. L’analyse a mené à la création d’une banque de données comportant des renseignements permettant d’identifier les transactions portant sur des documents publiés de même que des renseignements bibliographiques se rapportant aux documents copiés. C’est à partir de cette base de données que Circum s’est livrée à l’analyse statistique du volume.

[35] Pour obtenir une estimation du volume total de photocopies pour l’année scolaire à l’échelle nationale, Circum a apporté deux ajustements à l’échantillon complet. Le premier a pris en compte la taille des écoles de l’échantillon et leur répartition par province ou territoire. Cet ajustement sert à estimer le nombre de pages photocopiées à l’échelle nationale sur une période de deux semaines. Le second a extrapolé les résultats pour estimer un volume annuel. Le volume de pages photocopiées varie durant une année scolaire; on ne peut donc obtenir une estimation fiable en multipliant simplement le volume obtenu pour les deux semaines par 26. En utilisant les dispositifs de comptage des photocopieuses, Circum a comparé, pour un sous-échantillon d’écoles, le nombre de pages photocopiées faites durant la période d’observation au nombre de celles faites durant l’année scolaire complète. Le ratio ainsi obtenu a ensuite été appliqué au volume de l’enquête pour générer le volume annuel total.

[36] Les deux parties ont convenu de s’en remettre entièrement aux données de l’enquête de volume pour établir le nombre de pages photocopiées donnant droit à une rémunération; elles tiennent donc pour avérés les résultats de l’enquête. Elles ont convenu aussi que c’est strictement à partir des renseignements inscrits sur les étiquettes d’enregistrement qu’il faut décider si la copie bénéficie de l’exception relative à l’utilisation équitable; elles tiennent donc pour avérées les déclarations qu’on y retrouve.

[37] Outre l’information provenant de l’enquête de volume, les parties ont présenté la preuve qui suit à l’appui de leurs positions.

B. Access Copyright

[38] Au soutien de ses prétentions, Access a fait entendre les témoins suivants.

[39] Mme Maureen Cavan, directrice générale et Me Roanie Levy, directrice des affaires juridiques et gouvernementales chez Access, ont décrit la structure de la société de gestion, son mandat et ses activités. Elles ont expliqué la façon dont Access acquiert son répertoire, les principes gouvernant l’allocation de redevances, l’évolution des rapports entre la société et les établissements d’enseignement et les motifs qui ont amené Access à déposer le projet de tarif sous examen.

[40] MM. Greg Pilon, président de Thomson Nelson Publishing, Michel de la Chenelière, fondateur de Chenelière Éducation, et Glenn Rollans, directeur général de Thomson Duval Publishing, ont offert le point de vue des éditeurs de livres d’école. Au Canada, la production de matériel scolaire est un processus complexe et coûteux qui comporte des risques financiers importants. Comme chaque province impose ses exigences, le marché canadien est fragmenté. De plus, l’approbation d’un manuel scolaire par la province ne constitue pas une garantie de vente. Ce sont les écoles et les commissions scolaires qui choisissent leurs livres parmi ceux qu’on a approuvés. L’éditeur scolaire n’est donc pas certain de récupérer les sommes qu’il engage pour faire approuver un manuel et le produire. Qui plus est, les exigences du calendrier scolaire font souvent en sorte qu’il faut imprimer le manuel avant même de recevoir des commandes.

[41] Les éditeurs ont admis ne pas être en mesure d’évaluer à quel point on photocopie leurs manuels ou l’impact que ces copies pourraient avoir sur leurs ventes. Ils soulignent toutefois que depuis une vingtaine d’années, ces ventes ont baissé de plus de 30 pour cent. Ils soutiennent donc, sans pour autant donner de chiffres précis, que la photocopie nuit à leurs ventes. Comme ils croient que les établissements d’enseignement font des copies pour remplacer l’achat de manuels, ils concluent qu’un tarif qui serait fonction du prix de détail du manuel éviterait un effet de substitution excessif.

[42] Mme Sara Slinn, professeure de droit du travail à l’Université Queen’s, a cherché à établir un parallèle entre la présente affaire et les instances d’arbitrage en relations de travail dans le secteur public. Les arbitres se rebiffent à déterminer la capacité de payer des agents du secteur public et refusent d’imposer aux fournisseurs de subventionner ces agents en leur accordant une rémunération inférieure à celle qu’ils auraient obtenue dans les marchés privés. Comme les opposants ne soulèvent pas la capacité de payer, il n’y a pas lieu de s’étendre sur la question.

[43] M. Marcel Boyer, titulaire de la Chaire Bell Canada en économie industrielle au Département de sciences économiques de l’Université de Montréal, a fourni une analyse économique de la notion d’utilisation équitable et de sa pertinence dans le contexte de la présente affaire. À son avis, du point de vue économique, on pourrait vouloir recourir à une interprétation libérale de cette notion si l’on cherchait à limiter le pouvoir de marché dont pourraient disposer certains auteurs, à favoriser la dissémination des idées portées par les œuvres ou à pallier les coûts de transaction élevés qu’entraîne l’absence de marchés efficaces.

[44] Le professeur Boyer conclut que dans le contexte de la présente affaire, il n’existe pas de motifs économiques suffisants pour justifier une telle interprétation. Premièrement, les auteurs ne sont pas en mesure d’exercer un contrôle sur le marché du manuel scolaire : ils offrent des biens substituables et ne peuvent empêcher l’entrée d’autres auteurs sur le marché. Deuxièmement, la dissémination des idées est déjà prise en compte, puisque la Commission est sensible à l’impact du tarif sur l’accès aux œuvres. Troisièmement, l’existence même du tarif et le caractère général de la licence qu’il offre diminuent de beaucoup les coûts de transaction, en réduisant par exemple les difficultés reliées à l’identification de l’ayant droit et du juste prix pour le compenser.

[45] Mme Kimbalin Kelly, directrice des services à la clientèle et de l’exploitation chez Access, a expliqué la façon dont son équipe a procédé à l’analyse bibliographique des données de l’étude de volume afin d’établir ce qui devrait ou non entraîner une rémunération.

[46] M. Benoît Gauthier, président de Circum, a présenté et interprété les résultats de l’enquête de volume. Son analyse des données de l’enquête l’a amené à conclure que durant l’année scolaire 2005-2006, les écoles primaires et secondaires et les ministères de l’Éducation sous examen ont photocopié 10,3 milliards de pages. De ce nombre, il estime à 3,1 milliards le nombre de pages photocopiées de documents publiés et, en appliquant les principes juridiques que défend Access, à 265,1 millions le nombre de pages photocopiées donnant droit à rémunération.

[47] MM. Paul Audley, président de Paul Audley & Associates, et Douglas Hyatt, professeur d’économie des affaires à la Rotman School of Management de l’Université de Toronto, ont proposé une façon d’établir la valeur des pages photocopiées. Les témoins ont noté que la Commission n’a jamais homologué de tarif pouvant servir à établir la valeur d’une photocopie. Ils proposent d’utiliser comme valeur de référence le prix de vente moyen par page des œuvres littéraires (livres, journaux et magazines) offertes dans le marché.

C. Les opposants

[48] Les opposants ont fait comparaître des témoins de tous horizons. Des administrateurs, des enseignants et des étudiants ont offert leur point de vue sur le rôle et l’importance de la photocopie dans les établissements d’enseignement ainsi que sur les processus et motivations gouvernant la sélection, l’achat et la distribution de ressources pédagogiques. Ces témoins ont entre autres soutenu que la reproduction vaut moins que l’original, ne serait-ce que parce que le livre sert pendant plusieurs années et à de nombreux élèves, alors que la copie ne sert qu’à un seul élève, et ce, même si plusieurs la conservent jusqu’à la fin de l’année scolaire, soit aussi longtemps qu’ils utiliseraient un manuel scolaire. Les témoins ont par ailleurs confirmé l’acquisition de plus en plus fréquente d’ensembles de classe. Ces témoignages nous ont permis de mieux comprendre le point de vue de certains intéressés. Cela dit, dans la mesure où une affirmation aurait pu remettre en question les données de l’enquête de volume, nous n’en avons pas tenu compte.

[49] M. Gary Hatcher, directeur principal des services scolaires au ministère de l’Éducation de Terre-Neuve et Labrador, a décrit la structure organisationnelle du système canadien d’éducation, le financement des écoles primaires et secondaires, le rôle des licences de reprographie ainsi que le contexte et les motifs pour lesquels les opposants contestent le projet de tarif.

[50] M. Paul C. Whitehead, professeur de sociologie à l’Université Western Ontario, agit depuis une vingtaine d’années à titre de représentant de l’Ontario Catholic School Trustees’ Association en matière de droits d’auteur. Il a décrit les démarches ayant mené à la conclusion de l’entente pancanadienne ainsi que les désaccords qui ont rendu impossible son renouvellement. Il a énoncé les impératifs administratifs qui l’amènent à conclure que chaque province ou territoire devrait être en mesure de décider qui, de la province ou des commissions scolaires, sera titulaire de la licence. Dans la même veine, il a exposé les raisons pratiques et administratives qui, à son avis, justifient d’assujettir les photocopies effectuées par les ministères au tarif visant les gouvernements, plutôt qu’au tarif sous examen. Il a enfin expliqué pourquoi il considère les mesures de vérification que propose Access onéreuses, importunes et inutiles.

[51] M. Robert Andersen, professeur de sociologie à l’Université de Toronto, a offert le point de vue des opposants sur l’enquête de volume. Ayant participé à la conception de l’enquête, il s’est dit en accord avec l’essentiel de la démarche, de ses résultats et des conclusions mises de l’avant par M. Gauthier, mais a néanmoins fourni quelques commentaires.

[52] Le professeur Andersen a d’abord critiqué la pondération utilisée par Circum pour établir le volume total de pages photocopiées. Après avoir examiné les données détaillées de l’échantillon partiel, il concluait que les étiquettes estimaient correctement le nombre de pages photocopiées de documents publiés, mais sous-estimaient par environ 10 pour cent le nombre de pages photocopiées de documents non publiés. M. Gauthier a par la suite démontré que l’analyse du professeur Andersen se fondait sur certaines hypothèses erronées et qu’en utilisant correctement les données de l’échantillon partiel, on en arrivait au même chiffre que ce qu’il avait avancé. Le professeur Andersen s’est finalement rallié à M. Gauthier.

[53] Le professeur Andersen s’en est par ailleurs pris à la façon dont M. Gauthier traite les documents qu’il juge être publiés sans qu’on ait pu les assigner à une catégorie. Il a aussi expliqué comment il procéderait à la série d’ajustements que les opposants demandent à la Commission d’effectuer par rapport à ce qu’Access propose, soit : l’exclusion des reprographies faites dans les ministères; l’exclusion des copies pour fins d’examens; la prise en compte d’une interprétation plus libérale de l’exception relative à l’utilisation équitable; l’exclusion des photocopies d’œuvres de titulaires non affiliés. Compte tenu de ce qui précède, le professeur Andersen estime à 185,8 millions (plutôt qu’à 265,1 millions) le nombre de pages photocopiées donnant droit à rémunération.

[54] MM. Peter Lyman et Dustin Chodorowicz, du Groupe Nordicity, ont offert leur point de vue sur la façon d’établir la valeur à accorder aux reproductions. Bien qu’ils ne s’opposent pas à la méthodologie générale suggérée par Access, ils proposent d’escompter de moitié le prix de référence pour refléter le fait qu’un livre sert plusieurs fois alors que la photocopie ne sert généralement qu’une fois. Ils proposent aussi de réduire la redevance pour prendre en compte ce qu’il en coûte pour faire une photocopie, coût qu’ils estiment à 1,6 ¢ par page photocopiée.

[55] M. Steven Globerman, Kaiser Professor of International Business à l’Université de Western Washington, a commenté l’analyse du Professeur Boyer. Plutôt que de critiquer l’approche théorique, il s’en est pris à l’absence de données empiriques fiables pour soutenir les hypothèses avancées.

IV. QUESTIONS DE DROIT

[56] La présente affaire soulève trois questions de droit. Premièrement, dans quelle mesure les écoles primaires et secondaires peuvent-elles se prévaloir de l’exception relative à l’utilisation équitable? Deuxièmement, l’exception prévue au paragraphe 29.4(2) de la Loi joue-t-elle à l’égard des œuvres faisant partie du répertoire d’Access? Troisièmement, les œuvres de titulaires non affiliés ayant encaissé un chèque de redevances font-elles partie du répertoire d’Access aux fins de la présente instance?

A. Dans quelle mesure les écoles primaires et secondaires peuvent-elles se prévaloir de l’exception relative à l’utilisation équitable?

[57] Plusieurs dispositions de la Loi permettent l’utilisation sans permission d’une œuvre protégée. L’une de ces exceptions, désormais élevées par la Cour suprême du Canada au rang de droit des utilisateurs, [3] concerne l’utilisation équitable. Les dispositions pertinentes se lisent comme suit :

29. L’utilisation équitable [...] aux fins d’étude privée ou de recherche ne constitue pas une violation du droit d’auteur.

29.1 L’utilisation équitable [...] aux fins de critique ou de compte rendu ne constitue pas une violation du droit d’auteur à la condition que soient mentionnés :

a) d’une part, la source;

b) d’autre part, si ces renseignements figurent dans la source :

(i) dans le cas d’une œuvre, le nom de l’auteur,

[...]

29.2 L’utilisation équitable [...] pour la communication des nouvelles ne constitue pas une violation du droit d’auteur à la condition que soient mentionnés :

(a) d’une part, la source;

(b) d’autre part, si ces renseignements figurent dans la source :

(i) dans le cas d’une œuvre, le nom de l’auteur,

[...]

[58] La reproduction bénéficiant de l’exception relative à l’utilisation équitable ne donne pas droit à rémunération et doit donc être soustraite de son calcul. Cela dit, les parties ne s’entendent pas sur les catégories de copies qui bénéficient de l’exception.

[59] Access souligne que l’exception s’applique uniquement si l’utilisation vise une fin énumérée, si elle est équitable et si, le cas échéant, les conditions de forme mentionnées aux articles 29.1 et 29.2 sont respectées. Ces conditions étant toutes nécessaires, l’exception ne s’applique pas dès lors que l’utilisateur n’est pas en mesure d’établir l’une d’entre elles.

[60] Access consent à exclure du calcul des redevances la copie unique faite seulement à des fins de recherche ou d’étude privée. Elle traite de la même façon la copie multiple faite à la demande d’un tiers uniquement à de telles fins, présumant que celui qui demande plusieurs copies aux fins d’étude privée ou de recherche agit pour le compte d’autres personnes se livrant elles-mêmes à cette recherche ou étude privée. Access formule une réserve à ce principe : la copie destinée à un étudiant dont on exige qu’il la lise n’est pas équitable parce qu’elle est nécessairement faite à des fins éducatives plutôt que de recherche ou d’étude privée.

[61] Pour le reste, Access soutient que l’exception ne joue pas, pour les motifs suivants.

[62] D’emblée, et sans remettre en cause les données de l’enquête de volume, Access soutient que l’utilisation équitable aux fins de critique ou de compte rendu n’est pas pertinente en l’espèce, pour deux motifs. Premièrement, la critique et le compte rendu impliquent nécessairement une communication au public. Or, la critique ou le compte rendu auquel l’étudiant pourrait se livrer ne sera communiqué à personne. Deuxièmement, rien dans le dossier ne permet de conclure que les conditions de forme ont été respectées.

[63] Access soutient ensuite que la question de savoir si l’utilisation vise une fin énumérée s’apprécie en fonction du but réel de l’utilisation. Si l’utilisation vise plus d’une fin, il faut que la fin énumérée soit l’objet principal de l’utilisation pour satisfaire ce volet de l’exception. Access soutient qu’en milieu scolaire, dès qu’on identifie une fin autre que la recherche ou l’étude privée, c’est cette autre fin qu’on doit présumer être l’objet principal.

[64] Par ailleurs, Access invoque divers arrêts pour conclure que les copies faites à l’initiative de l’enseignant pour ses élèves ne sont pas faites aux fins de recherche ou d’étude privée. Lorsque l’utilisation d’une œuvre est dictée par l’enseignant, l’objet dominant de l’utilisation est l’enseignement, pas la recherche ou l’étude privée. Qui plus est, Access maintient que la notion de recherche doit s’interpréter au regard du concept apparenté d’« étude privée »; elle implique donc une enquête, une fouille et une étude attentive. Or, l’enseignant ne prétend à rien de plus que de transmettre des connaissances à ses étudiants.

[65] Access s’est ensuite livrée à l’analyse des six critères (but, nature et ampleur de l’utilisation, solutions de rechange, la nature de l’œuvre et l’effet de l’utilisation sur l’œuvre) que la Cour suprême a retenus dans CCH pour établir si une utilisation est équitable. Le propos d’Access à ce sujet peut se résumer comme suit.

[66] Access ne semble pas faire de distinction entre l’identification d’une fin énumérée et l’appréciation du but de l’utilisation. Nous reviendrons sur cette question au paragraphe 88.

[67] Pour ce qui est de la nature de l’utilisation, Access propose de s’en tenir aux étiquettes d’enregistrement. Lorsque l’enseignant fait des copies pour tous les élèves de sa classe sans que ces derniers les aient demandées, on est en présence de multiples copies diffusées largement [4] et donc, tendant à être inéquitables.

[68] Par ailleurs, Access soutient que la Commission devrait s’abstenir d’examiner l’ampleur de l’utilisation et les solutions de rechange. Access soutient que la Cour suprême a conclu dans l’arrêt CCH que ces critères ne peuvent être considérés que sur une base individuelle.

[69] Passant à la nature de l’œuvre et à l’effet de l’utilisation sur l’œuvre, Access s’en remet à la preuve pour conclure que la plupart des copies proviennent de manuels scolaires. [5] Access soutient que la confection de multiples copies de ces manuels fait directement concurrence aux œuvres originales. La photocopie à grande échelle d’œuvres à l’intérieur même du seul marché ouvert à ces mêmes œuvres tendrait donc à être inéquitable.

[70] Pour leur part, les opposants soutiennent que l’interprétation libérale que préconise CCH amène nécessairement à conclure que pratiquement toutes les copies faites en milieu scolaire bénéficient de l’exception relative à l’utilisation équitable. À leur avis, il est plus que certain que toutes les catégories mentionnées faisant l’objet d’un litige doivent être exclues du calcul des redevances.

[71] L’argument des opposants semble reposer sur deux propositions principales. Premièrement, on peut déterminer le caractère équitable d’une pratique sans examiner chacune des transactions; dès lors que la pratique est équitable, on n’a pas à aller plus loin. Deuxièmement, toute utilisation pour une fin énumérée est ipso facto équitable.

[72] En ce qui concerne la nature de l’utilisation, les opposants réitèrent d’abord les mêmes arguments, pour ensuite ajouter que si la recherche à but lucratif peut être équitable, force est de conclure que la poursuite non rémunérée du savoir par l’étudiant l’est également. Les opposants ne prétendent pas que les copies qu’on distribue à l’ensemble d’une classe soient « diffusées largement ». Par ailleurs, le fait que les élèves aient tendance à se débarrasser des photocopies une fois qu’ils n’en ont plus besoin pèserait également en faveur du caractère équitable de l’utilisation.

[73] Par rapport à l’ampleur de l’utilisation, les opposants maintiennent que CCH permet désormais la reproduction aux fins d’utilisation équitable de plus larges extraits d’une œuvre. Or, les photocopies se limitent pour l’essentiel à de courts extraits de livres très variés, en appoint à l’utilisation des manuels scolaires. Contrairement à ce qu’Access prétend, on ne serait pas en présence du scénario décrit dans CCH où un utilisateur reproduit en peu de temps plusieurs extraits d’une même œuvre. [6]

[74] S’appuyant sur CCH, les opposants contestent que l’établissement du tarif, pas plus que la disponibilité d’une licence, ne constitue une solution de rechange aux fins de l’utilisation équitable. [7] Ils soutiennent par ailleurs que la nature des œuvres en jeu tend à favoriser le caractère équitable de l’utilisation. Finalement, ils réfutent que la photocopie fasse concurrence aux œuvres originales dans le marché de l’édition scolaire. La preuve n’établit pas que le recours aux photocopies a entraîné une baisse de ventes; c’est plutôt un ensemble de facteurs qui a entraîné cette baisse. [8] D’ailleurs, l’industrie se porte plutôt bien et les maisons d’édition continuent de produire et de publier de nouveaux manuels.

i. Analyse

[75] L’arrêt CCH constitue désormais le point de départ obligé de toute analyse de la notion d’utilisation équitable. Sans reprendre toute l’analyse que les parties nous ont offerte, il est sans doute utile d’énoncer ce que nous croyons être l’essentiel des propositions qui découlent de cet arrêt.

[76] Premièrement, toutes les exceptions que prévoit la Loi sont dorénavant des droits de l’utilisateur. Elles doivent être interprétées de façon libérale, en fonction des objets du droit d’auteur en général, dont le maintien d’un équilibre entre les droits des titulaires du droit d’auteur et les intérêts des utilisateurs, et de l’exception en particulier. [9]

[77] Deuxièmement, l’exception relative à l’utilisation équitable ne s’applique que pour certaines fins énumérées : étude privée, recherche, critique, compte rendu, et communication de nouvelles. L’utilisation à d’autres fins ne bénéficie pas de l’exception, et ce, même si elle serait par ailleurs équitable.

[78] Troisièmement, l’utilisation pour une fin énumérée n’est pas équitable de ce seul fait. Le caractère équitable de l’utilisation s’évalue séparément, en fonction d’une liste ouverte de facteurs dont le but, la nature et l’ampleur de l’utilisation, les solutions de rechange, la nature de l’œuvre et l’effet de l’utilisation sur l’œuvre. [10]

[79] Quatrièmement, les conditions d’application de l’exception étant toutes nécessaires, l’exception ne joue pas dès lors que l’une d’entre elles n’est pas remplie.

[80] Cinquièmement, une pratique ou un système peut constituer une « utilisation » tout aussi bien qu’un geste individuel. On pourra se prévaloir de l’exception à l’égard d’une pratique ou d’un système en établissant soit que toutes les utilisations individuelles sont axées sur la recherche et équitables, soit que la pratique ou le système même est axé sur la recherche et équitable. [11]

[81] Sixièmement, la notion d’utilisation équitable est un concept juridique, qui doit être interprété en fonction des balises posées dans CCH. Bien qu’intéressantes, l’étude du professeur Boyer et la critique que le professeur Globerman en a offerte ne sont pas pertinentes.

[82] La présente affaire exige que nous tranchions les questions suivantes. Premièrement, existe-t-il une « pratique » au sens de l’arrêt CCH dans les établissements d’enseignement sous examen? Deuxièmement, sommes-nous en présence d’utilisations à des fins visées par la Loi? Entre autres, l’exception de critique ou de compte rendu est-elle pertinente en l’espèce? Troisièmement, les utilisations sont-elles équitables? Qu’en est-il lorsque le copiste exige de l’étudiant qu’il lise le texte que l’étudiant aurait demandé? Qu’advient-il de la copie faite pour des fins multiples dont certaines ne donnent pas ouverture à l’utilisation équitable? Et comment traiter des copies multiples que l’enseignant fait pour toute une classe, de sa propre initiative, et qui déclare qu’il s’agit de copies faites à des fins d’étude ou de recherche privée?

a. La notion de pratique et les établissements d’enseignement

[83] L’arrêt CCH a conclu à l’existence d’une pratique ou système en se fondant essentiellement sur la politique d’accès de la Grande bibliothèque. [12] Cette politique circonscrit les copies qu’on effectuera (on refuse les demandes de photocopie pour la plupart des fins non énumérées) [13] , limite l’ampleur de l’extrait pouvant être reproduit et prévient que le bibliothécaire peut refuser une demande dont la portée excède ce qui est habituellement jugé raisonnable. [14]

[84] Rien dans le dossier ne nous permet de conclure à l’existence d’une pratique ou système équivalent à la politique d’accès de la Grande bibliothèque. Seules deux constantes semblent exister. La première est l’affichage prévu par la licence pancanadienne, affichage qui établit ce qui est permis par la licence, pas ce que l’établissement croit permis au titre de l’utilisation équitable. La seconde est que, règle générale, les élèves n’ont pas le droit d’utiliser les photocopieuses. Ces constantes ne suffisent pas à établir un système. Affirmer que la recherche, l’étude privée, la critique et le compte rendu sont des piliers de l’enseignement primaire et secondaire est une chose; établir que les établissements ont mis en place des mesures visant soit à circonscrire la photocopie aux seuls cas d’utilisation équitable, soit à documenter séparément les utilisations équitables de celles donnant lieu à rémunération en est une autre.

[85] Par ailleurs, l’utilisation des étiquettes d’enregistrement pendant la période de l’enquête ne fait pas partie d’une pratique ou système au sens où l’entend CCH. Rien n’indique que les établissements ont utilisé les étiquettes avant ou après la période de l’enquête. Rien n’indique que les étiquettes devaient servir à orienter la conduite des copistes ou des destinataires; entre autres, rien ne permet de croire qu’on s’en soit servi pour vérifier qu’une politique quelconque était suivie. Tout mène à conclure que les étiquettes étaient simplement le moyen qu’ont utilisé les parties pour recueillir les données dont elles avaient besoin.

[86] Il semble donc, en théorie, que si les opposants cherchent à se prévaloir de l’exception relative à l’utilisation équitable, il leur faudrait établir que chacune des utilisations individuelles des ouvrages visait une fin énumérée et était équitable. Cela dit, le fait que les parties aient convenu de tenir pour avérée l’information que contiennent les étiquettes d’enregistrement devrait nous permettre de nous livrer à une analyse plus générale.

b. L’utilisation vise-t-elle une fin énumérée dans la Loi?

[87] Comme nous tenons pour avéré pour l’essentiel qu’une copie a été faite à une fin énumérée dès lors que l’étiquette apposée le mentionne, nous pourrions passer sous silence la plupart des prétentions des parties à ce sujet. Nous tenons néanmoins à livrer un certain nombre de commentaires.

[88] Access a soutenu que, lorsqu’une utilisation vise plus d’une fin, la question de savoir si elle vise une fin énumérée dans la Loi s’évalue en fonction de son objet principal. [15] Si l’objet principal n’est pas une fin énumérée, l’exception ne jouerait pas, même si l’utilisation est équitable et qu’elle vise accessoirement une fin énumérée. Nous ne sommes pas d’accord. Cette interprétation rend inutile l’analyse du but de l’utilisation dans le cadre de la discussion de ce qui est équitable. Il nous semble au contraire que CCH a établi une règle de démarcation simple et nette pour ce volet, laissant l’appréciation plus fine (l’établissement de l’objet principal) à l’analyse de ce qui est ou non équitable. Par conséquent, dès lors qu’une étiquette note que l’utilisation vise une fin énumérée, il faut passer à la deuxième étape. Le fait que l’objet principal soit ou non une fin énumérée est l’un des facteurs qu’il faut prendre en compte subséquemment, afin de décider si l’utilisation est ou non équitable. [16]

[89] Access prétend aussi que la recherche suppose une enquête, une fouille ou une étude attentive. Nous avons de la difficulté à adopter ce principe. La notion de recherche doit être interprétée de manière large. CCH semble conclure qu’un avocat effectue une recherche dès lors qu’il se livre à la plus élémentaire consultation de ses outils de travail de tous les jours. Il serait difficile de prétendre que la recherche juridique implique toujours, ou même souvent, une enquête, une fouille ou une étude attentive. Conséquemment, et contrairement à certaines décisions provenant d’autres ressorts, [17] nous préférons nous en remettre à l’interprétation que la Commission a retenue dans une affaire antérieure. Il y a recherche dès lors qu’il y a effort pour trouver, peu importe sa nature ou son intensité :

Si copier un arrêt en vue de pouvoir conseiller un client ou un senior est une utilisation « à des fins de recherche » comme l’entend l’article 29, écouter au préalable un extrait en vue de décider d’acheter ou non un téléchargement ou un CD l’est aussi. L’objet de la démarche est différent, tout comme l’expertise qu’elle requiert ou les conséquences d’une recherche bâclée. Il s’agit là de différences de degré et non de nature. [18]

[90] Il semble par ailleurs que CCH n’ait pas remis en cause les interprétations antérieures de la notion d’étude privée. Il y a près d’un siècle que les tribunaux britanniques ont établi une dichotomie entre l’étude privée et l’interaction enseignant-élève en classe. [19] La jurisprudence canadienne a repris ce thème, concluant que la distribution de copies à tous les étudiants assistant à un cours ne pouvait constituer de l’étude privée. [20] La Cour d’appel fédérale semble partager ce point de vue : « [...] si [...] un professeur de droit demande une copie d’une œuvre pour la distribuer à ses élèves, sa demande ne viserait pas des fins d’étude privée ». [21] Il semble donc impossible qu’une copie faite par l’enseignant pour sa classe puisse être aux fins d’étude privée et ce, peu importe ce qui est inscrit sur l’étiquette d’enregistrement.

[91] Un problème semblable se soulève lorsque l’étiquette indique que la copie a été faite aux fins de critique ou de compte rendu. Il nous semble au contraire qu’une copie n’est faite aux fins de critique que si elle est incorporée à la critique même. On pourrait, par contre, soutenir que la copie fournie à celui qui veut éventuellement se livrer à la critique est faite aux fins de recherche pouvant ou non mener à la critique.

[92] Certes, CCH déclare que : « [m]ême si la recherche documentaire et la photocopie d’ouvrages juridiques ne constituent pas de la recherche comme telle, elles sont nécessaires au processus de recherche et en font donc partie. La reproduction d’ouvrages juridiques est effectuée aux fins de recherche en ce qu’il s’agit d’un élément essentiel du processus de recherche juridique ». [22] Ce propos ne nous semble pas pertinent en l’espèce; nous sommes plutôt portés à conclure que l’article 29.1 de la Loi vise uniquement l’utilisation qui se fait dans le cadre même de la critique. L’application de l’exception de critique à l’ensemble du processus qui mène à la création de la critique entraînerait des résultats absurdes. Le chroniqueur musical qui reproduirait sur son iPod dix chansons pour ensuite n’en commenter qu’une dans sa rubrique hebdomadaire ne pourrait se prévaloir de l’exception aux fins de critique que s’il mentionnait la source et le nom de l’auteur de toutes les chansons, y compris celles qu’il a choisi de ne pas commenter. Il nous semble au contraire être plus conforme à l’esprit de la Loi de traiter des dix copies comme étant faites aux fins de recherche, recherche dont le but est une éventuelle critique.

[93] Par ailleurs, c’est à tort qu’Access prétend que la critique ou le compte rendu implique nécessairement une communication au public. Il se peut que l’exception visant la communication de nouvelles comporte implicitement une telle exigence. Il se peut même que l’obligation d’identifier la source et le nom de l’auteur emporte implicitement l’exigence d’une communication. Cela dit, et avec tous égards pour le point de vue contraire, [23] nous ne croyons pas que cette communication doive se faire au public. Nous ne pouvons convenir que l’étudiant qui écrirait à Bryan Perro pour lui livrer ses impressions sur la dernière mouture d’Amos Daragon viole les droits de l’auteur alors qu’il ne le fait pas en livrant ses commentaires à l’ensemble de sa classe ou en les affichant sur MySpace.

[94] Aux fins de la présente instance, nous sommes prêts à tenir pour acquis que les copies que l’enquête dit avoir été faites aux fins de critique ou de compte rendu sont en fait des copies faites aux fins de recherche et devraient être traitées comme telles.

c. L’utilisation est-elle équitable?

[95] Si les parties s’entendent sur les facteurs à prendre en compte pour déterminer si une utilisation est équitable, elles interprètent et appliquent ces facteurs différemment.

Le but de l’utilisation

[96] CCH prescrit d’évaluer objectivement le but ou le motif réel de l’utilisation. À notre avis, c’est à ce stade qu’il faut soupeser l’importance relative des fins énumérées par rapport à l’ensemble des fins poursuivies par un utilisateur.

[97] Dans CCH, la Cour a insisté sur le fait que la politique d’accès « garantit raisonnablement que les ouvrages seront utilisés aux fins de recherche et d’étude privée ». [24] Il n’est aucunement fait mention d’objets multiples. Cela dit, il faut bien reconnaître qu’un utilisateur poursuit rarement une seule fin : les objets de la recherche qu’effectue un avocat de pratique privée sont avant tout la défense du client et l’augmentation des bénéfices du cabinet, et non la poursuite du savoir. En l’espèce, dans la mesure où la copie est faite à la demande de l’étudiant et que l’étiquette indique plus d’une fin, les éléments dont nous disposons ne nous permettent pas d’établir l’importance relative de ces fins. Dans les circonstances, dès lors qu’on accepte l’identification de l’usage porté sur l’étiquette et que l’un de ces usages est la recherche ou l’étude privée, il s’ensuit, aux fins de l’instance, que le but de l’utilisation est avant tout la recherche ou l’étude privée.

[98] Par contre, en ce qui a trait aux copies d’extraits faites à l’initiative de l’enseignant pour ses élèves ou à la demande de l’étudiant avec instruction de lire, nous estimons que c’est la fin que poursuit l’enseignant qui doit prédominer. La plupart du temps, cette fin réelle ou principale est l’enseignement ou l’étude « non privée ». Nous accordons une certaine importance au fait que le rôle de l’enseignant se compare difficilement à celui du personnel de la Grande bibliothèque, objet de l’arrêt CCH. Ce personnel effectue des copies à la demande de sa clientèle. L’enseignant qui décide ce qu’il reproduit et à qui il le remet, tout comme celui qui dicte à l’étudiant sa conduite, le fait pour accomplir son travail, qui est d’enseigner. En vertu de ce critère, l’utilisation tend donc à être inéquitable.

La nature de l’utilisation

[99] L’analyse de la nature de l’utilisation exige qu’on se penche sur la manière dont l’œuvre est utilisée. Faire plusieurs copies tend à être moins équitable que de n’en faire qu’une. Conserver la copie tend à être moins équitable que de la détruire après usage. L’usage ou la pratique dans un secteur d’activité donné, si tant est qu’elle est acceptée de part et d’autre, [25] peut servir d’indice.

[100] Ici encore, pour ce qui est de la copie unique faite pour l’usage du copiste et de la copie unique ou multiple faite pour un tiers à sa demande, il nous semble que l’application de ce critère tend à indiquer que l’utilisation est équitable. Règle générale, une seule copie est faite; s’il y en a plusieurs, on devrait, tout comme on l’a fait précédemment, tenir pour acquis que la personne qui demande les copies agit pour le compte d’autres personnes qui poursuivent la même fin qu’elle. Pour ce qui est des copies faites à l’initiative de l’enseignant pour ses élèves, nous en venons à la conclusion opposée. On parle ici de copies multiples distribuées à l’ensemble de la classe à l’initiative de l’enseignant. De plus, la preuve révèle que l’élève conserve la plupart du temps la photocopie dans un cartable aussi longtemps qu’il conserverait l’original : jusqu’à la fin de l’année scolaire.

L’ampleur de l’utilisation

[101] Access soutient que dans l’affaire CCH, la Cour ne s’est pas livrée à une analyse de l’ampleur de l’utilisation ou des solutions de rechange au motif qu’il était impossible de vérifier auprès de chacun des utilisateurs les fins précises auxquelles ils utilisaient les copies demandées. Cela est inexact, comme le démontrent les paragraphes 68 et 69 de la décision de la Cour. La Cour n’a pas procédé à cette vérification simplement parce qu’il lui suffisait d’examiner ces critères au regard de la politique de la Grande bibliothèque. Le comportement des destinataires des copies n’était tout simplement pas pertinent.

[102] À ce stade, tant l’ampleur de l’utilisation que l’importance de l’œuvre reproduite doivent être prises en considération. L’ampleur permise peut varier en fonction de la fin poursuivie. La reproduction d’une œuvre entière peut être équitable. Dans CCH, la Cour a pris en compte le fait que la Grande bibliothèque se limitait généralement aux copies d’une décision, d’un article, d’un court extrait d’une loi ou d’au plus cinq pour cent d’une source secondaire. La Cour ajoutait que la reproduction, dans un court laps de temps, de nombreuses demandes visant de multiples extraits d’une même œuvre pourrait être inéquitable. [26]

[103] Encore une fois, nous concluons que les copies uniques faites pour l’usage du copiste et les copies uniques ou multiples faites pour un tiers à sa demande tendent à être équitables. L’ensemble de la preuve nous convainc que les enseignants se conforment généralement aux conditions de la licence pancanadienne, qui balise ce qu’on peut extraire d’un ouvrage. La licence est certes plus généreuse que la politique de la Grande bibliothèque, dans la mesure où cette dernière se limite généralement à cinq pour cent d’un ouvrage, alors que la licence pancanadienne permet jusqu’à dix pour cent. Cela dit, rien ne nous porte à conclure que les copies visées tendent à se rapprocher de la limite supérieure qu’impose la licence. Qui plus est, dans la mesure où, encore une fois, ces copies font l’objet de demandes précises de la part de l’étudiant, il ne nous semble pas que cette différence suffise à rendre inéquitables ces copies.

[104] Pour ce qui est des copies faites à l’initiative de l’enseignant pour ses élèves, il existe des facteurs qui vont dans les deux sens. D’une part, on ne nous a soumis aucune ligne directrice. Cela dit, il semble que l’enseignant se limite généralement à reproduire des extraits relativement courts d’un ouvrage comme mesure d’appoint au manuel scolaire principal. Par contre, il nous semble plus que probable que les ensembles de classe font l’objet « de nombreuses demandes visant [...] les mêmes recueils », [27] ce qui tendrait à rendre inéquitable l’ampleur de l’utilisation dans son ensemble.

Solutions de rechange

[105] L’existence de solutions de rechange à l’utilisation d’une œuvre protégée peut avoir une incidence sur le caractère équitable de l’utilisation. Lorsqu’un équivalent non protégé peut être utilisé à la place de l’œuvre, il faut en tenir compte. Il est aussi utile de tenter de déterminer si l’utilisation était raisonnablement nécessaire eu égard à la fin visée. Dans l’arrêt CCH, la Cour a conclu qu’il serait déraisonnable d’exiger de tous les membres du Barreau du Haut-Canada d’effectuer toutes leurs recherches à la Grande bibliothèque. [28]

[106] Pour ce qui est des copies faites à la demande de l’étudiant, il ne serait pas raisonnable d’exiger de ce dernier qu’il effectue toute sa recherche ou son étude privée sur place, ou qu’il utilise uniquement des œuvres du domaine public. On pourrait certes enseigner le style littéraire en utilisant Hugo ou Hémon, mais l’exercice risquerait fort d’avoir moins de pertinence que si on se servait de Marie-Claire Blais ou de Bryan Perro. Ce qui captive les générations montantes n’est pas forcément ce qui a envoûté les baby boomers. Par ailleurs, même en théorie, il ne saurait être question d’enseigner la physique, les mathématiques, la biologie ou la génétique en utilisant des manuels vieux de 50 ans.

[107] Le même raisonnement s’applique pour partie aux copies faites par les enseignants en ce qui concerne la pertinence ou la désuétude du matériel. Cela dit, il existe pour l’établissement d’enseignement une option qui, du point de vue pratique, n’est pas offerte à l’étudiant : acheter l’original pour le remettre aux élèves ou l’entreposer à la bibliothèque pour consultation. [29] Le fait que l’établissement dispose de moyens limités ne nous semble pas constituer une fin de non-recevoir à ce titre.

La nature de l’œuvre

[108] Dans CCH, la Cour a conclu qu’il est généralement dans l’intérêt du public que l’accès aux ressources juridiques ne soit pas limité sans justification, du moins dans la mesure où une politique qui circonscrit convenablement l’accès aux œuvres est en place. [30] En l’espèce, on ne nous a fait part d’aucune politique digne de ce nom. Par ailleurs, l’accès au matériel scolaire, créé en utilisant des ressources privées, ne présente pas le même intérêt public que l’accès aux ressources juridiques, compilées par des éditeurs privés, mais créées en large mesure en utilisant des ressources publiques. Il existe rarement un substitut à l’arrêt le plus récent de la Cour suprême; un manuel scolaire peut toujours être remplacé par d’autres ressources d’appui à l’enseignement.

L’effet de l’utilisation sur l’œuvre

[109] La concurrence que la reproduction livre à l’original est un autre facteur qui doit être pris en compte. Bien qu’il incombe normalement à l’utilisateur d’établir qu’il peut se prévaloir d’une exception, il appartiendra parfois à l’ayant droit d’établir l’impact de la pratique ou de l’utilisation, surtout s’il est seul à détenir les renseignements pertinents. [31] Le fait que les éditeurs continuent de produire de nouveaux ouvrages malgré la confection de photocopies peut être un facteur à prendre en compte.

[110] Le témoignage non contredit des éditeurs de manuels scolaires démontre que les ventes de manuels ont diminué de plus de 30 pour cent en 20 ans. Plusieurs facteurs ont contribué à cette baisse, dont le recours à l’enseignement semestriel, le déclin des inscriptions, une plus grande durabilité des manuels, l’utilisation d’Internet et autres outils électroniques, l’apprentissage basé sur les ressources et l’utilisation d’ensembles de classe.

[111] Nous ne sommes pas en mesure d’établir précisément la part de déclin attribuable à l’un ou l’autre de ces facteurs. Cela dit, de l’aveu même des opposants, les écoles copient plus d’un quart de milliard de pages de manuels scolaires chaque année, ce qui représente 86 pour cent des copies du répertoire d’Access. [32] Il nous semble par ailleurs qu’il serait impossible de pratiquer l’apprentissage basé sur les ressources ou d’utiliser des ensembles de classe sans photocopier des œuvres du répertoire d’Access. En nous fondant sur ces constats ainsi que sur l’ensemble des témoignages, nous sommes portés à conclure que l’utilisation de la photocopie dans le cadre de ces pratiques a un impact suffisamment important, sans pouvoir le mesurer, pour faire concurrence à l’original au point de ne pas être équitable.

[112] Ce constat suffit pour conclure que les photocopies faites à l’initiative de l’enseignant pour ses élèves ont un effet inéquitable sur les œuvres faisant partie du répertoire d’Access. Nous tenons tout de même à ajouter une observation.

[113] Nous sommes persuadés que même s’il était possible de démontrer que chacune des utilisations faites en aval par l’étudiant est axée sur la recherche et équitable, l’utilisation faite en amont par l’enseignant qui fait des copies pour toute sa classe, elle, ne le serait pas. D’une part, le rapport enseignant-étudiant n’est pas le même que le rapport Grande bibliothèque-avocat. La Grande bibliothèque n’est que l’extension de la volonté de l’avocat. L’enseignant n’est pas un simple agent de l’étudiant, étant donné que, dans une large mesure, c’est le premier qui dicte au second quoi faire avec le matériel copié. D’autre part, il nous semble que, même vu sous l’angle de la facilitation, une pratique systématique ayant pour effet de concurrencer le marché pour l’original ne doit pas être permise et ce, sans égard au fait que les utilisations en aval pourraient ou non relever de l’exception relative à l’utilisation équitable. C’est sans doute ce que la Cour d’appel fédérale avait à l’esprit dans le passage suivant :

[...] Le Barreau n’a d’autre fin quand il copie les œuvres des éditeurs que de répondre aux fins que poursuivent les demandeurs de copies. [...] Son seul but et sa seule intention sont d’aider les utilisateurs de la Grande bibliothèque dans leur recherche ou étude privée, et il peut dès lors être considéré comme ayant fait sien cet objectif. [...] De plus, l’activité qui autrement violerait le droit d’auteur est prise en charge par le Barreau uniquement en réponse à la demande d’un client. N’était la demande de l’utilisateur final, le Barreau n’effectuerait aucune de ces activités de contrefaçon alléguées. [...] [33]

[114] Cette façon de voir présente deux avantages. Premièrement, elle permet de « maintenir un juste équilibre entre les droits des titulaires du droit d’auteur et les intérêts des utilisateurs » [34] et d’éviter de les restreindre indûment (puisqu’il est tout aussi possible de restreindre indûment les intérêts des titulaires que les droits des utilisateurs). Deuxièmement, cette façon de voir nous semble être la seule qui soit en accord avec le paragraphe 9(2) de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques et l’article 13 de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce conclu dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce. Il n’est pas nécessaire de nous livrer à une analyse exhaustive de ces dispositions. Cela dit, il nous semble couler de source que les copies faites à l’initiative de l’enseignant pour ses élèves soit portent atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre, soit causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes des titulaires de droits. La Cour suprême a récemment accordé une grande importance aux traités que le Canada n’a toujours pas ratifiés; [35] il nous semble d’autant plus nécessaire de tenir compte de ceux qui l’ont été.

ii. Conclusion

[115] Le tableau 1 en annexe ventile les copies en fonction de ce qui devrait ou non être inclus dans le calcul des redevances en application de l’exception relative à l’utilisation équitable. Il indique les volumes de photocopies associées à quatre catégories. À la demande de la Commission, Access a fourni des renseignements supplémentaires correspondant à ces catégories, en se fondant sur les pages photocopiées analysées par Access. Nous avons ajusté les données à la hausse pour tenir compte de la partie non analysée des pages photocopiées. [36]

[116] Les copies de la catégorie 1 sont exclues du calcul des redevances parce qu’Access consent à les traiter comme relevant de l’utilisation équitable. Les copies de la catégorie 2 le sont aussi. Pour les motifs exposés aux paragraphes 91 à 94, nous les traitons comme des copies faites aux fins d’étude privée ou de recherche, et ce, même si l’étiquette d’enregistrement les identifie comme ayant été faites uniquement ou partiellement aux fins de critique ou de compte rendu.

[117] Les copies de la catégorie 3 sont également exclues car elles bénéficient de l’exception. La copie unique faite pour l’usage du copiste, à sa demande ou non, bénéficie de l’exception dès lors qu’elle est faite à une fin y donnant ouverture, même si elle est faite aussi à une autre fin. Il en est de même pour la copie unique ou multiple faite pour un tiers à sa demande, dès lors qu’elle est faite à une fin donnant ouverture à l’exception, même si elle est faite aussi à une autre fin. Compte tenu de la preuve dont nous disposons, nous concluons, pour les motifs que nous avons exposés, que ces copies sont équitables même si elles sont faites à des fins multiples. Une preuve plus étoffée aurait pu nous mener à une conclusion différente. Cela dit, comme on le constatera plus loin, l’inclusion des copies en question n’a pratiquement pas d’impact sur le montant du tarif.

[118] Les copies de la catégorie 4 sont assujetties à une redevance. Même lorsqu’elle est faite uniquement à des fins donnant ouverture à l’exception, la copie faite par l’enseignant avec instruction de lire, que ce soit ou non à la demande d’un élève, et la copie faite à l’initiative de l’enseignant pour un groupe d’élèves ne sont tout simplement pas équitables. Leur but principal est l’enseignement ou l’étude non privée. Il s’agit de copies conservées tout au long de l’année. L’établissement pourrait acquérir le manuel plutôt que de le copier. Et surtout, tout porte à croire que la photocopie en général, et celle de manuels scolaires, qui représente 86 pour cent de l’activité pour laquelle Access demande à être rémunérée, en particulier, fait concurrence à la vente de ces mêmes manuels.

[119] La corrélation entre notre analyse juridique et le tableau dont nous nous servons pour ventiler les copies bénéficiant ou non de l’exception relative à l’utilisation équitable n’est pas parfaite. Cet écart ne nous inquiète pas, puisqu’il est soit insignifiant, soit non pertinent.

[120] Par exemple, nous incluons dans le calcul des redevances les copies faites à la demande d’un tiers avec instruction de lire, et ce, même si notre conclusion repose avant tout sur un raisonnement visant le rapport enseignant-élève. Il se peut que certaines reproductions faites pour d’autres (collègues de travail) soient incluses sans que nous le voulions dans ces copies. Cela dit, un simple calcul suffit pour conclure que, pour modifier d’un cent le tarif que nous homologuons, il faut ajouter ou retrancher un demi-million de pages du calcul des redevances. Les marges d’erreur possibles dans les catégories 1 à 3 sont nettement plus minces et donc, sans conséquence.

[121] Deuxièmement, notre raisonnement à l’égard de la catégorie 4 vise uniquement un sous-ensemble de cette catégorie, soit les copies faites uniquement pour une fin donnant ouverture à l’exception. Or, si nous incluons ces copies dans le calcul des redevances, force est de conclure que les copies faites à la fois pour une fin donnant ouverture à l’exception et pour une autre fin doivent elles aussi être inclues dans le calcul. Il importe donc peu de ne pas être en mesure de ventiler les copies entre ces deux catégories.

[122] Il ne nous semble pas utile de pousser davantage le raisonnement. L’arrimage entre le tableau et nos conclusions juridiques, s’il n’est pas parfait, est plus que suffisant.

B. L’exception prévue au paragraphe 29.4(2) de la Loi joue-t-elle à l’égard des œuvres faisant partie du répertoire d’Access?

[123] Les dispositions pertinentes se lisent comme suit :

2 [...]

« accessible sur le marché » S’entend, en ce qui concerne une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur

a) qu’il est possible de se procurer, au Canada, à un prix et dans un délai raisonnables, et de trouver moyennant des efforts raisonnables;

b) pour lequel il est possible d’obtenir, à un prix et dans un délai raisonnables et moyennant des efforts raisonnables, une licence octroyée par une société de gestion pour la reproduction, l’exécution en public ou la communication au public par télécommunication, selon le cas.

[...]

29.4(2) Ne constituent pas des violations du droit d’auteur, si elles sont faites par un établissement d’enseignement ou une personne agissant sous l’autorité de celui-ci dans le cadre d’un examen ou d’un contrôle :

a) la reproduction [...] d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur dans les locaux de l’établissement;

[...]

(3) Sauf cas de reproduction manuscrite, les exceptions prévues [...] et au paragraphe (2) ne s’appliquent pas si l’œuvre ou l’autre objet du droit d’auteur sont accessibles sur le marché et sont sur un support approprié, aux fins visées par ces dispositions.

[124] Access soutient que les copies faites dans le cadre d’examens devraient entraîner une rémunération et être assujetties au tarif. Une œuvre est « accessible sur le marché » s’il est possible d’obtenir une licence « à un prix et dans un délai raisonnables et moyennant des efforts raisonnables ». L’homologation d’un tarif fait en sorte que ces trois conditions sont remplies. Le prix, établi par la Commission, est nécessairement raisonnable. Le délai et l’effort requis pour se prévaloir du tarif sont insignifiants.

[125] Les opposants soutiennent au contraire que les seuls examens visés dans le paragraphe 29.4(3) de la Loi sont ceux qui sont publiés par des éditeurs commerciaux pour vente à des établissements scolaires. À leur avis, conclure le contraire rendrait l’exception illusoire. Si l’intention était de ne pas étendre l’exception aux œuvres pour lesquelles une licence est disponible, on aurait stipulé, comme on l’a fait aux paragraphes 30.8(8) et 30.9(6) de la Loi, que l’exception « ne s’applique pas dans les cas où l’entreprise peut obtenir, par l’intermédiaire d’une société de gestion, une licence [...] ».

[126] L’expression « accessible sur le marché » doit nécessairement avoir le sens qu’Access lui attribue. Elle n’est utilisée qu’à trois reprises, soit dans la disposition qui nous intéresse et dans celles qui suivent :

30.1(1) Ne constituent pas des violations du droit d’auteur les cas ci-après de reproduction, par une bibliothèque, un musée ou un service d’archives [...], d’une œuvre [...], en vue de la gestion ou de la conservation de leurs collections permanentes [...] :

a) reproduction dans les cas où l’original, qui est rare ou non publié, se détériore, s’est abîmé ou a été perdu ou risque de se détériorer, de s’abîmer ou d’être perdu;

b) reproduction, pour consultation sur place, dans les cas où l’original ne peut être regardé, écouté ou manipulé en raison de son état, ou doit être conservé dans des conditions atmosphériques particulières;

c) reproduction sur un autre support, le support original étant désuet ou faisant appel à une technique non disponible;

[...]

(2) Les alinéas (1)a) à c) ne s’appliquent pas si des exemplaires de l’œuvre ou de l’autre objet du droit d’auteur sont accessibles sur le marché et sont sur un support et d’une qualité appropriés aux fins visées au paragraphe (1).

[...]

32(1) Ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait pour une personne agissant à la demande d’une personne ayant une déficience perceptuelle [...], ou pour un organisme sans but lucratif agissant dans l’intérêt de cette dernière, de se livrer à l’une des activités suivantes :

a) la production d’un exemplaire ou d’un enregistrement sonore d’une œuvre littéraire, dramatique – sauf cinématographique –, musicale ou artistique sur un support destiné aux personnes ayant une déficience perceptuelle;

b) la traduction, l’adaptation ou la reproduction en langage gestuel d’une œuvre littéraire ou dramatique – sauf cinématographique – fixée sur un support pouvant servir aux personnes ayant une déficience perceptuelle;

c) l’exécution en public en langage gestuel d’une œuvre littéraire, dramatique – sauf cinématographique – ou l’exécution en public d’une telle œuvre fixée sur un support pouvant servir aux personnes ayant une déficience perceptuelle.

[...]

(3) Le paragraphe (1) ne s’applique pas si l’œuvre ou l’enregistrement sonore de l’œuvre est accessible sur le marché sur un tel support, selon l’alinéa a) de la définition « accessible sur le marché ».

[127] L’expression « accessible sur le marché » comporte deux volets. L’alinéa a) vise l’acquisition de copies. L’alinéa b) vise l’acquisition de licences. Les parties pertinentes du libellé des paragraphes 29.4(3) et 30.1(2) de la Loi sont identiques; elles doivent être interprétées de la même façon. Le paragraphe 32(3) exclut expressément l’accès à une licence. Interpréter le paragraphe 29.4(3) et donc, par voie de conséquence le paragraphe 30.1(2) de la façon dont le proposent les opposants, rendrait superflu l’alinéa b) de la définition.

[128] Par ailleurs, c’est par erreur que les opposants s’appuient sur le commentaire dans CCH voulant que la disponibilité d’une licence ne soit pas un facteur pertinent. Ce commentaire ne vise que l’utilisation équitable. L’exception relative aux reproductions faites dans le cadre d’examens par des établissements scolaires est une exception distincte. D’ailleurs, l’application de cette proposition dans le contexte sous examen irait à l’encontre du libellé même de l’alinéa b) de la définition.

[129] L’interprétation que nous retenons ne vide pas l’exception de sens. Les établissements pourront s’en prévaloir non seulement à l’égard des utilisations d’œuvres ne faisant pas partie du répertoire d’Access, mais aussi à l’égard de celles pour lesquelles Access n’offre pas de licence autorisant l’utilisation de l’œuvre sur un support qui convient. Tel serait le cas de l’examen devant se faire électroniquement.

C. Les œuvres de titulaires non affiliés qui ont encaissé un chèque de redevances font-elles partie du répertoire d’Access aux fins de la présente instance?

[130] Access accepte n’avoir droit à des redevances que pour ce qui fait partie de son répertoire. Elle soutient représenter les titulaires non affiliés en vertu d’un mandat tacite. Les opposants soutiennent au contraire, en se fondant sur une décision antérieure de la Commission, [37] que ce concept n’a tout simplement pas sa place en matière de gestion collective. Tant Access que les opposants se sont longuement attardés à l’existence ou non d’un mandat tacite pour les reproductions à faire.

[131] Il n’est pas nécessaire de débattre de la pertinence de chacune de ces prétentions. Aux fins de la présente affaire, il suffit de constater ce qui suit. Premièrement, les parties s’entendent pour que la redevance soit établie en fonction des données de l’enquête de volume. Deuxièmement, Access a procédé à la distribution de redevances pour la période pertinente en se fondant sur l’enquête. Troisièmement, Access a fait parvenir des redevances aux titulaires non affiliés dont les œuvres ont été « captées » durant l’enquête. Quatrièmement, la décision de distribuer des redevances aux titulaires non affiliés reflétait la pratique antérieure de la société; il n’y a donc pas mise en scène ou imposture. Cinquièmement, presque tous les titulaires non affiliés ont encaissé le chèque qu’ils ont reçu.

[132] La définition de « société de gestion » prévoit expressément qu’une société peut être autorisée à agir par voie de mandat. La définition ne précise pas que ce mandat doit être exprès. Le mandat peut découler de la conduite des intéressés aussi bien que d’un écrit. La ratification des actes du mandataire peut elle aussi se faire de façon implicite; elle rétroagit à la date où l’agent a posé le geste. L’acceptation du paiement pour une transaction non autorisée emporte généralement ratification de la transaction. [38]

[133] Le titulaire non affilié qui encaisse le chèque qu’il a reçu à l’égard de la distribution fondée sur l’enquête de volume accorde à Access, de façon rétroactive, le mandat tacite d’agir pour son compte à l’égard des copies qui ont été captées par l’enquête. Il ne pourrait poursuivre le copiste pour violation du droit d’auteur. Or, les parties s’entendent, aux fins de la présente affaire, pour traiter les données de l’enquête comme étant représentatives des habitudes de photocopie pour l’ensemble des établissements et pour l’ensemble de la période d’application du tarif. L’existence d’un mandat tacite, que l’encaissement du chèque matérialise, limité aux seules copies que l’enquête a captées, suffit pour décider d’inclure ces mêmes copies dans le calcul de la rémunération.

[134] C’est à tort que les opposants invoquent SCGDV 1.A au soutien de leurs prétentions. Dans cette affaire, certaines sociétés de gestion ont cherché à établir leur mandat par voie de ratification passive (autrement dit par inaction). En l’espèce, en encaissant le chèque de redevances, les titulaires non affiliés ont posé un geste qui confirme qu’Access avait le droit d’autoriser la reproduction de l’œuvre de l’ayant droit aux seules fins de la copie captée par l’enquête de volume.

V. ANALYSE ÉCONOMIQUE

[135] Les parties s’entendent pour établir le tarif en utilisant une méthodologie en trois étapes. Elles estiment d’abord le nombre total de pages photocopiées donnant droit à rémunération dans l’ensemble des établissements visés. Elles déterminent ensuite la valeur d’une photocopie, puis la valeur totale des photocopies, résultat du produit du nombre de pages photocopiées et de la valeur de chacune. Le tarif lui-même est obtenu en divisant la valeur totale des pages photocopiées pour une année par le nombre d’étudiants ETP.

A. Volume de photocopies

i. L’enquête de volume

[136] Tel que mentionné au paragraphe 46, l’enquête a permis de chiffrer à 10 330 149 254 le nombre total de photocopies pour l’année scolaire 2005-2006. De ce nombre, les photocopies de documents non publiés ou inconnus ont compté pour 7 248 137 928. Ils restent donc 3 082 011 326 photocopies de documents publiés, desquelles il faut encore retirer 2 811 980 636 photocopies de documents consommables et reproductibles. Ces calculs sont indiqués au tableau 2 en annexe.

ii. Les exceptions relatives à l’utilisation équitable

[137] Les pages photocopiées bénéficiant des exceptions ne donnent pas droit à rémunération. Access estime leur nombre à 807 714, les opposants à environ 20 millions. Nous avons estimé que ces photocopies se chiffrent à 1 649 779 pages (voir tableau 1 en annexe). C’est ce montant que nous retirons du total.

iii. Les documents du domaine public ou de la liste d’exclusion

[138] Access conclut que l’équivalent de 1 215 623 pages photocopiées sont de documents appartenant au domaine public ou inscrits dans la liste d’exclusion. Les opposants sont d’accord. Ces pages sont exclues du calcul de la redevance.

iv. Les documents incluant du matériel du domaine public

[139] En se fondant sur une analyse du contenu d’environ 300 transactions, Access estime à environ 0,1 pour cent le nombre de pages photocopiées d’œuvres appartenant au domaine public contenues dans des œuvres faisant partie du répertoire d’Access. Les opposants utilisent aussi cet ajustement. Nous soustrayons donc 267 165 pages du volume donnant droit à rémunération.

v. Les documents non identifiés

[140] Access et ses experts n’ont pu identifier toutes les œuvres reproduites. Circum regroupe ces pages photocopiées en deux catégories : les documents jugés publiés et les inconnus.

[141] Selon Circum, il existe trois catégories de documents non identifiés jugés publiés : les documents pouvant être reproduits sans licence, ceux qui peuvent être reproduits avec une licence et ceux qui ne peuvent être reproduits même avec une licence. Il n’a pas été possible de déterminer à quelle catégorie correspondait chacun des documents. Toutefois, Circum affirme qu’il est parfois possible d’établir qu’un document ne fait pas partie de l’une de ces trois catégories. Dans ce cas, elle propose d’assigner les œuvres également à chacune des deux catégories restantes. Dans les autres cas, elle propose d’assigner le tiers des œuvres à chacune des trois catégories. Circum estime ainsi que 20 millions de pages de documents non identifiés jugés publiés devraient donner droit à rémunération. Dans le cas des documents inconnus, Circum fait l’hypothèse que le ratio donnant droit à rémunération est le même que pour les documents identifiés, ce qui l’amène à ajouter 13,5 millions de pages au volume donnant droit à rémunération.

[142] Les opposants soutiennent au contraire qu’il est improbable que Circum ait été en mesure de déterminer si un document est publié sans l’information bibliographique identifiant l’œuvre. Ils prétendent également qu’il est arbitraire d’assigner le même nombre de documents à chacune des catégories : ce faisant, on fait abstraction du fait que 98 pour cent des pages photocopiées ne donnent pas droit à rémunération.

[143] Le Professeur Andersen propose plutôt que tous les documents non identifiés soient traités ensemble et répartis de la même façon que les documents identifiés. Il estime qu’environ 1,5 pour cent des pages photocopiées identifiées donnent droit à rémunération. En appliquant ce pourcentage aux documents non identifiés, il estime qu’environ 10 millions de pages non identifiées doivent être ajoutées au calcul de la redevance.

[144] Il nous semble possible d’estimer plus précisément la probabilité qu’un document non identifié donne droit à rémunération. Cela dit, compte tenu du sérieux et de l’attention qu’Access a portés à l’analyse des copies, nous concluons qu’il est possible d’établir que certains documents non identifiés sont clairement publiés. Nous traitons donc différemment les documents non identifiés publiés et les inconnus.

[145] Le volume donnant droit à rémunération pour les documents non identifiés publiés est obtenu en appliquant au volume des pages photocopiées publiées, le ratio de pages donnant droit à rémunération parmi les documents publiés identifiés, soit 8,7 pour cent. Nous soustrayons donc 91,3 pour cent des 43,3 millions de pages provenant de documents publiés non identifiés, soit 39 541 032 pages.

[146] Le volume donnant droit à rémunération pour les documents non identifiés inconnus est obtenu comme le propose Circum, en appliquant au volume des documents inconnus, le ratio de pages photocopiées donnant droit à rémunération parmi les documents identifiés, soit 2,2 pour cent. Il en résulte l’ajout de 11 940 924 pages au volume donnant droit à rémunération.

vi. Les pages photocopiées dans les ministères de l’Éducation et les commissions scolaires

[147] Les parties s’entendent désormais pour ne pas assujettir au présent tarif les reproductions faites dans les ministères de l’Éducation et les commissions scolaires, sous réserve de ce qui suit. Nous retirons donc 299 677 pages du volume donnant droit à rémunération.

vii. Les examens du ministère et l’enseignement à distance

[148] Pour les motifs exposés aux paragraphes 123 à 129, les 6 995 451 pages photocopiées liées aux examens du ministère sont incluses dans le volume donnant droit à rémunération. Par ailleurs, en se fondant sur des données provenant des quatre provinces pertinentes, [39] Access estime qu’il y a eu 253 921 pages photocopiées pour l’enseignement à distance. Les opposants éliminent ces pages, sans offrir aucune explication pour justifier cette exclusion. Il convient de les traiter de la même façon que celles liées à l’enseignement traditionnel. Nous les ajoutons donc au volume donnant droit à rémunération.

viii. Les titulaires non affiliés

[149] Pour les motifs exposés aux paragraphes 130 à 134, les copies d’ouvrages détenus par des titulaires non affiliés ayant encaissé le chèque de redevances qu’Access leur a fait parvenir doivent être incluses dans le calcul de la redevance. En 2005, les montants expédiés aux titulaires non affiliés qui n’ont pas été encaissés représentaient environ 0,1 pour cent du total des redevances versées en vertu de la licence pancanadienne. Le volume donnant droit à rémunération est donc réduit d’autant, soit 246 248 pages.

ix. Le volume donnant droit à rémunération

[150] Après avoir apporté les ajustements décrits plus haut, nous obtenons un volume donnant droit à rémunération de 246 001 462 pages photocopiées. Ces pages photocopiées proviennent principalement de livres, mais aussi de journaux et de magazines.

[151] L’estimation du volume donnant droit à rémunération d’Access était composée à 86,4 pour cent de pages provenant de livres, 7,1 pour cent de journaux et 6,5 pour cent de magazines. Les opposants obtenaient plutôt des proportions respectives de 85,5 pour cent, 6,2 pour cent et de 8,3 pour cent. Les écarts entre les taux des deux parties sont très faibles, et ne génèrent qu’une très petite variation dans le taux final. Néanmoins, nous croyons que les proportions d’Access sont plus appropriées puisque la méthodologie que nous utilisons est similaire à celle d’Access, en particulier à l’égard du traitement des documents jugés publiés non identifiés. Nous établissons donc un volume donnant droit à compensation de 212 545 263 pages provenant de livres, de 17 466 104 de journaux et 15 990 095 de magazines.

B. La valeur d’une page photocopiée

i. Détermination du prix de référence

[152] MM. Audley et Hyatt soumettent qu’un tarif juste et équitable devrait refléter les bénéfices que retirent les établissements d’enseignement des photocopies qu’elles font. De plus, le montant reçu par les ayants droit devrait refléter le montant qu’ils recevraient si le « marché de la photocopie » était concurrentiel. Les opposants se sont dits fondamentalement d’accord avec cette approche, suggérant néanmoins plusieurs ajustements à la baisse pour arriver à un tarif juste et équitable.

[153] Les experts des deux parties s’entendent pour dire qu’aucun autre tarif homologué par la Commission ne peut servir de prix de référence en l’espèce. Ils s’entendent aussi pour utiliser le prix de détail des œuvres littéraires comme prix de référence pour établir le tarif.

[154] MM. Audley et Hyatt proposent d’établir la valeur moyenne d’une page photocopiée séparément pour les livres, les journaux et les magazines. Dans les trois cas, un échantillon d’œuvres vendues au détail et faisant partie du répertoire d’Access est analysé afin de déterminer le prix de vente moyen par page. Le prix ainsi obtenu est 16,29 ¢ pour le livre, 2,8 ¢ pour le journal et 2,7 ¢ pour le magazine. MM. Audley et Hyatt réduisent ensuite le prix par page de livre de 10,26 pour cent pour refléter le fait que les établissements d’enseignement obtiennent généralement des escomptes sur le prix de détail suggéré, ce qui réduit le prix par page de livre à 14,6 ¢.

[155] MM. Lyman et Chodorowicz acceptent cette démarche, mais soutiennent que le prix ainsi obtenu doit être réduit pour mieux refléter la valeur de la photocopie par rapport à l’original. Pour ce faire, ils proposent deux ajustements. Le premier représente l’écart de valeur entre le support à usage multiple et le support à usage unique. Le second tient compte de ce qu’il en coûte pour faire une photocopie.

[156] Nous acceptons le point de départ proposé par les parties. Nous y apportons toutefois plusieurs ajustements, indiqués au tableau 3 en annexe.

ii. L’apport créatif dans le prix de détail

[157] L’objet de la présente affaire est avant tout l’œuvre protégée intégrée à un livre, un journal ou un magazine. De l’avis de MM. Audley et Hyatt, l’œuvre et son support doivent par conséquent être considérés comme un tout. Qui plus est, pour que le public ait accès à un livre, il ne suffit pas que l’éditeur en fasse des copies. Il doit aussi en faire connaître l’existence et l’acheminer à ses destinataires. Ils soutiennent donc que la valeur de référence d’une page photocopiée devrait prendre en compte tous les coûts qu’encourt l’éditeur.

[158] Pour les motifs suivants, nous ne sommes pas d’accord. Le tarif que nous homologuons rémunère l’utilisation de l’œuvre, mais un livre est davantage que l’œuvre qu’il contient. Des intrants de la chaîne économique subséquents à la création d’une œuvre contribuent à en augmenter la valeur marchande. Ces contributions sont généralement attribuables à d’autres agents économiques que les ayants droit : c’est le cas, par exemple, de la société de transport lorsqu’il s’agit d’acheminer l’œuvre sur son support à son destinataire.

[159] Le tarif pour la copie privée d’enregistrements sonores d’œuvres musicales fournit un exemple utile. Pour établir ce tarif, la Commission a utilisé comme point de départ une partie seulement du prix de détail du CD préenregistré, correspondant à la rémunération de l’apport des auteurs, interprètes et producteurs. Cette façon de faire assure aux ayants droit une rémunération équivalente à ce qu’ils reçoivent de la vente de CD préenregistrés. La rémunération attribuable aux intrants non créatifs est ainsi retranchée.

[160] Le tarif de la Société canadienne de gestion des droits éducatifs (SCGDE) pour la reproduction d’émissions de télévision par les établissements d’enseignement est un autre exemple où la Commission a utilisé comme prix de référence le prix de détail d’une œuvre sur support similaire à celle pour laquelle le tarif était établi. Dans cette affaire, la Commission a utilisé, pratiquement sans correction, le prix de vente au détail de la vidéocassette comme prix de référence essentiellement parce que le contraire « irait à l’encontre des objectifs du régime, qui est avant tout de fournir accès à des émissions que les établissements d’enseignement trouvent valables et qui ne sont pas aisément accessibles à l’heure actuelle ». [40] La Commission a cru que le tarif de la SCGDE et le marché existant de la distribution devaient coexister, et qu’un tarif trop faible constituerait une menace concurrentielle importante au marché existant.

[161] Les circonstances qui ont amené la Commission à établir le tarif de la SCGDE ne sont pas celles de la présente affaire. Certes, comme nous le soulignons au paragraphe 111, nous croyons que la photocopie en milieu d’enseignement fait suffisamment concurrence au livre scolaire pour nuire aux ventes de ces derniers. Cela dit, et contrairement à ce que la Commission avait conclu à l’égard de la SCGDE, nous sommes d’avis que la concurrence entre le livre scolaire et la reprographie, bien que suffisamment nuisible pour rendre certains types de reprographie inéquitables, n’est pas intense au point de « menacer les marchés existants » [41] du livre scolaire. Premièrement, s’il est possible, du moins en théorie, qu’on substitue entièrement la vidéocopie d’émissions télévisées à la cassette vidéo éducative préenregistrée, il est impensable de se livrer à la photocopie de manuels scolaires si ces manuels cessent d’être publiés. Deuxièmement, comme nous l’avons souligné, la photocopie n’explique pas à elle seule la baisse dans le volume des ventes. Troisièmement, le fait que le coût de la licence pour la reprographie n’a que très peu varié au cours des dernières années rend peu probable un effet important de ce coût sur le volume des ventes. Enfin, et contrairement à ce qui s’était produit par rapport à la SCGDE, Access et les opposants ont déjà conclu plusieurs ententes comportant des paiements non triviaux de redevances. S’il y avait forte concurrence et substituabilité entre la reprographie et le livre scolaire, le présent tarif, qui fait augmenter les redevances, aurait pour effet de stimuler l’industrie du livre, pas de lui nuire.

[162] Nous retranchons donc du prix de détail du livre la portion qui, à notre avis, compense autre chose que l’apport créatif de l’auteur et de l’éditeur. Nous utilisons pour ce faire les informations déposées en preuve par Access, à la demande de la Commission, sur la ventilation des coûts de production des livres, magazines et journaux. [42] Nous concluons qu’il ne faut tenir compte que des éléments liés à la création de l’œuvre protégée et de son « original », et exclure tout autre élément lié à des étapes ultérieures à la création, comme les coûts d’imprimerie, de distribution, de marketing et d’administration.

[163] Selon les données fournies par Access, la somme des dépenses d’imprimerie et papier, de facturation, de marketing et d’administration constitue 51,6 pour cent des revenus des éditeurs de livres. Dans le cas des journaux, la somme des coûts de production, d’imprimerie, de circulation et de distribution, de marketing et d’administration est de 65,4 pour cent. Dans le cas des magazines, la proportion similaire monte à 73,08 pour cent. [43] Ce sont ces proportions que nous retranchons des prix de départ pour chacun des types d’œuvres, le résultat étant indiqué au tableau 3.

iii. Le coût des photocopies

[164] Les opposants soutiennent qu’il faut déduire du prix de référence les coûts associés à la reprographie. Ils font remarquer que dans la décision homologuant le premier tarif de la SCGDE, la Commission avait ajusté le tarif à la baisse pour prendre en compte le coût de la cassette. Les opposants estiment le coût de location des photocopieuses à 1,1 ¢ par page et le coût du papier à 0,5 ¢. Ils proposent donc une déduction de 1,6 ¢ par page.

[165] MM. Audley et Hyatt reconnaissent qu’un tel ajustement pourrait être approprié, mais considèrent que le coût des photocopies est plus que compensé par les bénéfices provenant de la licence. Ils soutiennent de plus qu’un tel ajustement est conceptuellement problématique puisque la redevance diminuerait à mesure que la qualité de la photocopie, et donc son coût, augmenterait.

[166] MM. Audley et Hyatt ont toutefois proposé une alternative qui consiste à déduire les coûts de production et d’imprimerie, que les éditeurs n’ont pas à encourir lorsqu’une page d’un de leurs livres est reproduite. Ils soutiennent par ailleurs qu’un tel ajustement suffit pour tenir compte du fait que la photocopie ne sert qu’une fois alors que le livre sert plus souvent.

[167] À notre avis, une déduction serait nécessaire, si ce n’est que pour éviter le double comptage. Toutefois, et comme le suggèrent MM. Audley et Hyatt, la déduction des coûts de production et d’imprimerie constitue l’équivalent de la déduction des coûts de photocopie. Comme nous venons tout juste d’éliminer ces coûts du calcul des redevances, il n’est pas nécessaire d’apporter une nouvelle correction à ce titre.

iv. Des photocopies à utilisation unique

[168] MM. Lyman et Chodorowicz soutiennent qu’il y a une différence fondamentale de valeur entre un bien jetable et un bien réutilisable. Contrairement au livre, la photocopie n’est pas destinée à être utilisée à de nombreuses reprises. Par contre, rien ne semble indiquer qu’on se serve plus souvent d’un journal ou d’un magazine que des copies d’articles qu’on en tire.

[169] Afin de déterminer l’écart entre la valeur d’un document jetable et d’un document réutilisable, MM. Lyman et Chodorowicz ont analysé cinq marchés dans lesquels les œuvres ont une utilisation unique. Ces marchés incluent la revente de livres scolaires dans les collèges américains et canadiens, la revente de livres scolaires de niveaux primaire et secondaire par des revendeurs au Canada et les livres usagés sur le site internet Amazon.com. Pour ces trois marchés, MM. Lyman et Chodorowicz estiment que l’écart entre le prix initialement payé et le prix auquel l’utilisateur revend une œuvre constitue un indicateur de la valeur relative de l’utilisation unique et multiple. Les experts ont examiné également les œuvres littéraires vendues par Thomson Advantage Books sous forme de livre à couverture souple ou de feuilles mobiles et soutiennent que les prix de ces œuvres constituent une bonne approximation de la valeur de la photocopie. Finalement, MM. Lyman et Chodorowicz ont analysé les ouvrages vendus sous forme électronique par Thomson Advantage eBooks. En se fondant sur les données de ces cinq marchés, ils concluent qu’un utilisateur qui n’a accès à une œuvre que pour une durée limitée, ou qui ne peut en faire bénéficier d’autres utilisateurs, aura à débourser environ la moitié du prix de détail de l’œuvre. Ils proposent donc de réduire d’autant le prix de référence de la photocopie de livre.

[170] MM. Audley et Hyatt considèrent que trois des cinq marchés examinés par les opposants ne sont pas appropriés pour cette analyse. Selon eux, le prix des œuvres vendues en feuilles mobiles par Thomson Advantage Books ne reflète pas le caractère unique de l’utilisation, mais plutôt la valeur d’une édition de moindre qualité de l’œuvre. Par ailleurs, ils estiment que les versions électroniques de Thomson Advantage eBooks ne se comparent pas aux pages photocopiées puisqu’il ne s’agit pas d’une comparaison entre œuvres disponibles sur papier. Finalement, ils considèrent que le marché de la revente de livres scolaires de niveaux primaire et secondaire ne peut être utilisé puisque MM. Lyman et Chodorowicz ignorent la possibilité que les revendeurs aient acquis les ouvrages de certains grossistes qui eux-mêmes paient moins que la moitié du prix de détail. Dans ce cas, puisque les utilisateurs initiaux récupèrent moins que ce qu’ils ont payé initialement, la valeur de l’utilisation unique est supérieure à ce que MM. Lyman et Chodorowicz estiment.

[171] À l’égard de la revente de livres scolaires dans les collèges américains et canadiens et aux livres usagés sur le site internet Amazon.com, MM. Audley et Hyatt soutiennent qu’il faut tenir compte des livres non revendus. Selon eux, les utilisateurs qui ne revendent pas leurs ouvrages paient ainsi 100 pour cent du prix de détail pour une utilisation unique de l’œuvre. Ils estiment que la valeur de l’utilisation unique est égale à environ 85 pour cent de la valeur de l’utilisation multiple lorsque l’on tient compte de ces ouvrages.

[172] Un document réutilisable vaut manifestement davantage qu’un document jetable. Le livre relié est plus durable que la photocopie, ce qui permet à plusieurs élèves de l’utiliser. Cela dit, et comme l’affirment MM. Audley et Hyatt, cette valeur est prise en compte dans les dépenses de production et d’imprimerie des livres. Puisque nous avons déjà retranché ces dépenses du prix de détail, l’ajustement pour tenir compte de la moindre valeur des documents à utilisation unique a déjà été apporté, implicitement. Aucun ajustement additionnel n’est nécessaire.

v. Valeur ajoutée par la sélection de segments des œuvres

[173] MM. Audley et Hyatt soutiennent qu’il est nécessaire de tenir compte de la valeur ajoutée que comporte la photocopie du fait de la sélection effectuée par l’utilisateur. Ils soulignent entre autres qu’il en coûte environ 30 pour cent plus cher par œuvre pour acheter une plage unique qu’un album sur iTunes. Ils ont également réalisé une analyse de marché de certaines œuvres littéraires classiques, concluant que l’œuvre vendue par elle-même coûte généralement 60 pour cent plus cher que si on l’inclut dans une compilation. Les opposants n’ont soumis aucune preuve ni apporté d’ajustement spécifique à cet égard, mais leur expert, M. Chodorowicz, a toutefois reconnu que la sélection de segments d’œuvres comporte une valeur pour l’utilisateur, valeur qui faisait implicitement partie de leur évaluation.

[174] Nous sommes d’accord qu’une page photocopiée comporte une valeur ajoutée du seul fait qu’on la choisit. Nous ne croyons pas que la comparaison avec les compilations d’œuvres littéraires soit pertinente. La compilation coûte moins cher parce qu’on achète plusieurs œuvres complètes simultanément. La plus-value attribuable à la sélection de l’extrait le plus pertinent d’une œuvre est tout autre chose.

[175] L’écart entre la valeur d’une piste musicale sélectionnée et la valeur moyenne des pistes de l’album est en partie le reflet du fait que ce sont souvent une ou deux pistes d’album qui servent à la promotion de l’album, qui tournent à la radio et moussent les ventes de l’album. Même si une page ou une section de livre ne joue pas spécifiquement le même rôle, la sélection de cette page ou de cette section a elle-même, aux yeux de l’utilisateur, une valeur plus élevée que la valeur moyenne de toutes les pages du livre. Le seul élément de preuve que nous avons situe à 30 pour cent cette valeur ajoutée de la sélection. C’est ce pourcentage que nous utilisons.

vi. Les bénéfices de la licence

[176] MM. Audley et Hyatt soutiennent que l’accès à une licence générale entraîne des économies de coût de transactions significatives pour les établissements scolaires. Bien qu’ils ne proposent aucune évaluation quantitative, ils donnent en exemple une décision de la Commission traitant des redevances d’exécution publique pour les stations de radio commerciales [44] comme instance où de telles économies avaient été prises en compte. Dans cette décision, la Commission avait tenu compte des bénéfices de la licence et de l’accès à un large répertoire dans le cadre d’un tarif visant les stations utilisant peu de musique protégée. L’établissement d’un taux plus faible visant spécifiquement ces stations devait prendre en compte les bénéfices découlant de l’accès au répertoire, ce qui entraîna une correction à la hausse du taux d’un quart de point de pourcentage.

[177] Nous concluons que cette décision n’est pas pertinente en l’espèce. La décision mettait en cause des utilisateurs réclamant un tarif plus bas que les autres usagers assujettis au même tarif. Il n’est pas question ici d’établir de grille tarifaire. Par ailleurs, la licence générale engendre des bénéfices tant pour la société de gestion que pour les utilisateurs. Par exemple, elle rend plus faciles la gestion des droits et la perception des redevances. Comme nous ne disposons d’aucune preuve à l’égard de ces bénéfices relatifs, nous tenons pour acquis qu’ils se compensent et n’appliquons aucun ajustement.

vii. La clause d’indemnisation

[178] Les ententes qu’Access a conclues avec des établissements d’enseignement ont toujours comporté une clause d’indemnisation. Sous réserve de la liste d’exceptions qu’inclut la licence, Access assumait le risque de poursuite pour violation du droit d’auteur de la part d’un titulaire non affilié pour autant que l’établissement respecte les conditions de licence. Access ne propose pas de reprendre cette disposition dans le tarif, au motif qu’elle ne serait plus nécessaire pour les raisons suivantes.

[179] Premièrement, la clause a été introduite alors que le répertoire d’Access était bien davantage limité qu’aujourd’hui. Access soutient, sans preuve à l’appui, que plus de 99 pour cent des œuvres reproduites par les établissements d’enseignement font aujourd’hui partie de son répertoire.

[180] Deuxièmement, la Loi contient depuis 1998 deux dispositions qui limitent l’impact d’éventuelles poursuites contre les établissements d’enseignement. L’article 30.3 prévoit qu’un établissement ne viole pas le droit d’auteur dans le cas où une œuvre imprimée est reproduite au moyen d’une machine à reprographier et que l’avertissement réglementaire a été affiché, dès lors qu’une entente ou un tarif lie l’établissement et la société de gestion. L’article 38.2 ajoute que le titulaire du droit sur une œuvre qui n’a pas habilité une société de gestion à en autoriser la reprographie par reproduction ne peut recouvrer un montant supérieur à celui qui aurait été payable à la société de gestion.

[181] Troisièmement, la clause d’indemnisation n’a jamais été invoquée.

[182] Les opposants contestent l’affirmation voulant que plus de 99 pour cent des œuvres reproduites par les établissements d’enseignement fassent aujourd’hui partie du répertoire d’Access, entre autres parce que beaucoup de titulaires ne sont toujours pas affiliés à la société. Ils soutiennent que l’absence d’une telle disposition leur nuirait en les rendant à nouveau vulnérables à des poursuites.

[183] Pour les motifs exposés par Access, nous croyons nous aussi que la clause d’indemnité n’a pas sa place dans le présent tarif.

C. Le taux de redevances

[184] Le Tableau 4, en annexe, indique les étapes nécessaires pour dériver le taux final de redevance. La valeur par page attribuée à chaque type de document, multipliée par le nombre correspondant de pages photocopiées, donne la valeur totale des pages photocopiées pour chaque type. La somme de ces valeurs correspond au paiement total que les établissements d’enseignement visés devraient faire pour l’année 2005-2006.

[185] Afin que le montant de redevances à payer par un établissement soit proportionnel au nombre d’étudiants inscrits dans cet établissement, les parties s’entendent pour diviser la valeur totale des photocopies par le nombre d’élèves ETP en 2005-2006, pour ensuite exprimer le tarif en un montant par élève. Nous adoptons également cette démarche. Les données les plus récentes indiquent que le nombre d’élèves ETP est de 3 859 715 en 2005-2006. Le taux qui en résulte est de 5,16 $ par élève ETP.

D. Redevances totales et capacité de payer

[186] Avec un taux de 5,16 $, les redevances totales pour 2005-2006 seraient d’un peu moins de 20 millions de dollars. Ces redevances totales ne représentent que 0,05 pour cent des dépenses en éducation au niveau primaire et secondaire. [45] Le système d’éducation, pris dans son ensemble, est parfaitement en mesure de faire face à cette augmentation de redevances à long terme.

[187] À court terme, toutefois, il faut prendre en compte le fait que les redevances qui découlent d’un taux de 5,16 $ sont supérieures au double de ce qui a été payé en vertu du taux négocié de l’entente pancanadienne, soit environ 9 millions de dollars. Il s’agit d’une augmentation importante. Le titulaire de licence en vertu du tarif est soit la commission scolaire, soit le ministère provincial de l’Éducation. Tous deux font face à de sérieuses contraintes financières. Modifier les affectations budgétaires prend du temps. Le plus souvent, on décourage fortement les déficits chez les commissions scolaires, quand on ne les interdit pas tout simplement.

[188] Nous savons que les arbitres se rebiffent à prendre en compte la capacité de payer des agents du secteur public. Toutefois, compte tenu des circonstances, nous concluons que l’équité et la justice exigent que nous le fassions, comme nous l’avons fait par le passé pour des utilisateurs du secteur privé. [46] Pour ces motifs, nous appliquerons un escompte de 10 pour cent pour les quatre premières années du tarif, ce qui donne un taux de 4,64 $ et des redevances pour 2005-2006 d’un peu moins de 18 millions de dollars. Le plein taux de 5,16 $ par étudiant ETP prévaudra en 2009.

VI. LIBELLÉ DU TARIF

[189] Lorsqu’elle est saisie d’un premier tarif, la Commission fait circuler un projet pour commentaires. Cette fois-ci, nous avons demandé aux parties de débattre entre elles du libellé. Elles se sont entendues sur l’essentiel d’un texte largement inspiré de la licence pancanadienne, qui ressemble davantage à un contrat qu’à un tarif. Habituellement, nous aurions réécrit le document afin de refléter les différences entre ces deux types d’actes juridiques. Nous avons plutôt décidé de nous servir de ce que les parties nous avaient proposé, pour plusieurs motifs. Il y a longtemps qu’elles font affaire ensemble. Elles s’entendent sur ce que le texte veut dire. En reprendre la structure et le libellé aurait exigé d’importantes explications et consultations, entraînant encore davantage de retard dans l’homologation d’un tarif qui prend fin avec l’année courante.

[190] Il nous faut traiter de certaines questions soit parce qu’un désaccord subsiste ou pour tenir compte du changement de rapport qui survient quand une société de gestion opte pour un tarif plutôt que d’octroyer des licences. Par exemple, un tarif ne laisse rien sur la table. Celui qui s’y conforme ne peut être obligé de faire quoi que ce soit d’autre. Par conséquent, le tarif doit régir toutes les facettes de la relation que nous croyons essentielles au bon fonctionnement du tarif. Par ailleurs, un tarif est un texte réglementaire, pas un contrat, et est interprété en tant que tel. Plus il est précis, moins il risque d’être nul pour cause d’incertitude. Il doit épuiser la compétence de la Commission et éviter de sous-déléguer des décisions à un administré.

A. Portée

[191] Les opposants veulent que le tarif régisse tous les besoins des utilisateurs qui s’en prévaudront. Cette approche, bien qu’attrayante, n’est pas conforme à la façon dont nous avons procédé pour établir le taux. Tout comme Access, nous concluons qu’il serait injuste d’y assujettir des copies qui n’auraient pu être captées dans l’étude de volume, sauf pour certains usages modestes et accessoires. Toute autre copie devrait faire l’objet de paiement et de rapport distincts. Par conséquent, le tarif ne vise pas entre autres les programmes offerts par une personne ou une institution qui n’étaient pas visées dans le projet de tarif (établissements carcéraux, écoles autochtones).

[192] Access demandait que seule la bibliothèque située dans les locaux d’un établissement puisse se prévaloir du tarif. Ni la licence pancanadienne ni le projet de tarif n’imposaient une telle limite; rien n’indique que la copie en bibliothèque hors site soit particulièrement fréquente. Par contre, ces copies n’ont sans doute pas été captées dans l’étude de volume. Le tarif permet la copie en bibliothèque hors site, mais exige qu’elle soit identifiée séparément lorsque l’établissement fait rapport sur ses activités de photocopie.

B. Interdictions

[193] L’article 4 énumère certaines « interdictions ». Access souhaite préciser que la diazocopie n’est pas assujettie au tarif. Une disposition qui « interdit » une forme d’utilisation donne l’impression que l’utilisation viole le droit d’auteur. Une diazocopie comporte habituellement la permission de la copier. L’interdiction ne devrait pas en traiter. Nous abordons plutôt de la question dans l’avis que les utilisateurs devront afficher près des photocopieuses.

C. Mention de la source

[194] Nous avons clarifié les règles de référence. La licence pancanadienne exigeait que le titulaire de licence demande à ses employés et représentants de se comporter « conformément aux bonnes pratiques bibliographiques ». Les opposants demandent que le tarif n’en traite tout simplement pas. Encore une fois, un tarif doit articuler autant que possible le rapport entre la société de gestion et l’utilisateur. Les règles de référence peuvent faire partie des modalités d’un tarif. Cela dit, s’il peut être utile d’adopter par renvoi des normes externes généralement reconnues, la mention des « bonnes pratiques bibliographiques » pourrait être trop vague pour être appliquée.

D. Avis

[195] L’annexe A du tarif établit le libellé d’un avis qu’on devra afficher près de chaque photocopieuse. La licence pancanadienne imposait au titulaire de licence de faire « tous les efforts possibles » pour informer les copistes des modalités de la licence et de leur devoir de s’y conformer. Une mention aussi vague n’a pas sa place dans un tarif.

[196] La licence pancanadienne permettait à Access d’obliger le titulaire de licence à apposer une affiche dont le contenu n’était pas prescrit. Un tarif ne devrait pas permettre à une partie de dicter le contenu d’un avis. Qui plus est, l’avis n’est pas le moyen qui convient pour informer un tiers du sens de concepts telle l’utilisation équitable, surtout si l’utilisateur conteste l’interprétation qu’une société de gestion en donne.

E. Enquêtes

[197] Access voudrait que le tarif lui permette de colliger des données pouvant aider à la distribution de redevances (données bibliographiques) et à l’établissement de prochains tarifs (données sur le volume). Les titulaires désigneraient un représentant unique pour la mise en place des études. L’école qui refuserait de participer à une étude se verrait imposer une amende de 500 $. Les opposants demandent au contraire que la Commission laisse aux parties le soin de s’entendre sur les modalités des études. Access réplique que le tarif ne peut fonctionner correctement sans ces deux types d’enquête. Elle ajoute que, ayant accepté que chaque commission scolaire puisse détenir la licence, on ne devrait pas s’attendre à ce qu’elle traite avec chacune d’elles dans la collecte de données.

[198] Contrairement à M. Whitehead, nous ne croyons pas que les mécanismes de cueillette de renseignements qu’Access propose sont inutilement coûteux ou intrusifs ou que les données qu’elle souhaite obtenir ne sont pas pertinentes. Plusieurs tarifs de la Commission exigent qu’on fasse rapport à des fins de distribution. La norme est l’autodéclaration accompagnée d’un processus de vérification. Permettre l’accès aux locaux d’un établissement afin de permettre à une société de gestion de se livrer à sa propre enquête est sans doute possible : on permet couramment un tel accès à des fins de vérification. En l’espèce, nous préférons procéder autrement. Le tarif permet à Access d’exiger de chaque établissement dix jours de données par année, comme c’est le cas dans plusieurs autres tarifs. Access est libre de demander à ses experts de choisir les établissements de façon à optimiser la fiabilité statistique des données. Elle peut offrir de mener sa propre étude; plusieurs établissements y consentiront probablement, puisque cela pourrait être moins coûteux. Access pourra aussi créer des formulaires que la plupart des établissements se feront sans doute un plaisir d’utiliser.

[199] Par contre, nous ne sommes pas certains qu’un tarif devrait exiger qu’on participe à une étude de volume. Une telle étude est nécessaire à l’établissement d’un tarif, mais pas à son application. Il est préférable de s’en remettre à une entente entre parties, ou à défaut, aux mécanismes habituels de divulgation de preuve, en tout cas pour l’instant.

[200] Nous ne savons pas non plus si nous sommes en mesure d’imposer une amende à l’établissement qui ne répond pas à une demande de renseignements. De toute façon, nous préférons ne pas avoir recours à une telle sanction. En lieu et place, l’établissement qui ne se conforme pas ne pourra se prévaloir du tarif jusqu’à ce qu’il remédie au manquement.

[201] Nous comprenons pourquoi Access souhaite traiter avec une seule personne des questions relatives aux enquêtes. Cela dit, nous n’entendons pas imposer une telle exigence. Encore une fois, nous préférons nous en remettre au bon vouloir des parties. Si une entente n’intervient pas, Access devra composer avec moins d’usagers que d’autres sociétés de gestion qui traitent avec des centaines de stations de radio ou quelques milliers de systèmes de retransmission.

F. Dispositions transitoires

[202] Un titulaire de licence pourra acquitter les redevances additionnelles découlant du changement de taux entre la licence pancanadienne et le tarif en deux versements. Une partie du délai dans l’homologation du tarif découle des erreurs d’Access dans la collecte et l’interprétation des données. Les redevances additionnelles ne seront donc pas assujetties au versement d’intérêts durant les six derniers mois de la période pour laquelle ils auraient autrement été calculés.

Le secrétaire général,

Signature

Claude Majeau

Tableau 1

Volume de l’exception relative à l’utilisation équitable

 

Catégories de photocopies

Volume

Total cumulatif

  1. Copies uniques faites pour l’usage du copiste et copies uniques ou multiples faites pour un tiers à sa demande1

623 585

 

  1. uniquement aux fins d’étude privée et/ou de recherche

 

 

  1. Copies uniques faites pour l’usage du copiste et copies uniques ou multiples faites pour un tiers à sa demande1

204 285

827 870

  1. uniquement aux fins de critique et/ou de compte rendu, ou

 

 

  1. uniquement aux fins de critique et/ou de compte rendu ET d’étude privée et/ou de recherche

 

 

  1. Copies uniques faites pour l’usage du copiste et copies uniques ou multiples faites pour un tiers à sa demande1

821 909

1 649 779

  1. aux fins d’étude privée et/ou de recherche et/ou de critique et/ou de compte rendu

 

 

  1. avec au moins une autre fin que celles donnant ouverture à l’exception relative à l’utilisation équitable

 

 

  1. Copies multiples faites pour l’usage du copiste et copies uniques ou multiples faites pour un tiers sans sa demande

16 861 583

18 511 362

  1. aux fins d’étude privée et/ou de recherche et/ou de critique et/ou de compte rendu

 

 

  1. avec au moins une autre fin que celles donnant ouverture à l’exception relative à l’utilisation équitable

 

 

  1. uniquement aux fins d’étude privée et/ou de recherche et/ou de critique et/ou de compte rendu

 

 

1 Sans instruction de lire.

Tableau 2

Volume de pages photocopiées donnant droit à rémunération

Nombre total de pages photocopiées

10 330 149 254

Moins les pages photocopiées de documents non publiés ou inconnus

7 248 137 928

Pages photocopiées de documents publiés

3 082 011 326

Moins les pages photocopiées :

 

  • de documents consommables ou reproductibles

2 811 980 636

  • bénéficiant de l’exception relative à l’utilisation équitable

1 649 779

  • de documents du domaine public ou de la liste d’exclusion

1 215 623

Moins les pages photocopiées :

 

  • incluant du matériel du domaine public (0,1 pour cent du sous-total)

267 165

  • de documents non identifiés non assujetties à redevance

39 541 032

Plus les pages photocopiées de documents inconnus assujetties à redevance

11 940 924

Moins les pages photocopiées par les ministères et commissions scolaires

299 677

Plus les pages photocopiées :

 

  • d’examens du ministère

6 995 451

  • pour l’enseignement à distance

253 921

Moins les pages photocopiées d’œuvres de titulaires non affiliés n’ayant pas encaissé leur chèque de redevances (0,1 pour cent du sous-total)

246 248

Volume de pages photocopiées donnant droit à rémunération

246 001 462

Sous-total

267 165 288

Sous-total

246 247 710

Tableau 3

Valeur d’une page photocopiée

 

Livres

Journaux

Magazines

prix moyen de vente au détail, par page

16,29 ¢

2,80 ¢

2,70 ¢

Moins l’escompte sur les livres pour les écoles (10,26 %)

1,67 ¢

-

-

prix de vente ajusté

14,62 ¢

2,80 ¢

2,70 ¢

Moins la part des dépenses qui ne correspond pas à un apport créatif1

7,54 ¢

1,83 ¢

1,97 ¢

Valeur de l’apport créatif

7,08 ¢

0,97 ¢

0,73 ¢

Plus la valeur ajoutée par la sélection des segments d’œuvres (30 %)

2,12 ¢

0,29 ¢

0,22 ¢

Valeur d’une page photocopiée

9,20 ¢

1,26 ¢

0,95 ¢

1 Calculée en utilisant les proportions obtenues au paragraphe 163.

Table 4

Taux final

 

Livres

Journaux

Magazines

Total

Valeur d’une page photocopiée

9,20 ¢

1,26 ¢

0,95 ¢

 

Volume de pages photocopiées donnant droit à rémunération

212 545 263

17 466 104

15 990 095

 

Valeur des pages photocopiées donnant droit à rémunération

19 554 164 $

220 073 $

151 906 $

19 926 143 $

Élèves équivalent temps plein

 

 

 

3 859 715

Taux final

 

 

 

5,16 $

 



[1] L’ETP est utilisé pour déterminer une charge de cours complète, puisqu’un élève à temps partiel génère un nombre inférieur de photocopies.

[2] Des ajustements fondés sur l’inflation ont fait en sorte qu’au moment des audiences, la redevance provisoire s’établissait à environ 2,45 $.

[3] CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2004] 1 R.C.S. 339 au para. 48 [CCH].

[4] Ibid. au para. 55.

[5] Pièce Access-8 à la p. 2; pièce Access-5 aux para. 84-85; Transcription aux pp. 1036-37; pièce Access-7B à la p.3.

[6] CCH, supra note 3 au para. 68.

[7] Ibid. au para. 70.

[8] Ces facteurs sont énumérés au paragraphe 110 des présents motifs.

[9] CCH, supra note 3 au para 48.

[10] Ibid. au para 53.

[11] Ibid. au para 63.

[12] Ibid. au para. 64.

[13] La politique d’accès permet la photocopie pour utilisation lors d’une instance judiciaire ou d’une audience devant un organisme gouvernemental. Fait étrange, la Cour suprême postule que permettre les copies à ces fins non énumérées « étaye davantage la thèse de l’utilisation équitable » : Ibid. au para. 71.

[14] Ibid. aux para. 68, 71.

[15] Sillitoe et al v. McGraw-Hill Book Company (U.K.) Ltd., [1983] F.S.R. 545 à la p. 559 (Ch. Div.) [Sillitoe].

[16] Il se peut donc qu’il faille réévaluer la pertinence ou la portée de certains arrêts rendus avant CCH.

[17] Television New Zealand v. Newsmonitor Services Ltd., 1993 NZLR LEXIS 725 aux pp. 49-50 (N.Z. H.C.); De Garis v. Neville Jeffress Pidler Pty Ltd. (1990), 18 I.P.R. 292 à la p. 298 (F.C. Aust.). Voir aussi Hager v. ECW Press Ltd. (1998), 85 C.P.R. (3e) 289 aux para. 53-54 (C.F. 1er inst.) [Hager].

[18] SOCAN – Tarif 22.A (Internet – Services de musique en ligne) pour les années 1996 à 2006 (18 octobre 2007) Décision de la Commission du droit d’auteur au para. 109.

[19] University of London Press v. University Tutorial Press, [1916] 2 Ch. 601 (Ch.D.).

[20] Boudreau v. Lin (1997), 150 D.L.R. (4e) 324 à la p. 335 (Div. gén. Ont.).

[21] CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2002] 4 C.F. 213 au para. 129 (C.A.).

[22] CCH, supra note 3 au para. 64.

[23] Hager, supra note 17 au para. 55; J.S. McKeown, Fox on Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, 4e éd., Toronto, Thomson Canada Limited, 2003 aux pp. 23-11; Robic-Léger, Canadian Copyright Act, annotated, Toronto, Thomson Carswell, 2005 à la p. 29-2.

[24] CCH, supra note 3 au para. 66.

[25] C’est ce qui découle nécessairement de la référence au para. 55 de l’arrêt Sillitoe, supra note 15.

[26] CCH, supra note 3 au para. 68.

[27] Ibid.

[28] Ibid. au para. 69.

[29] À cet égard, nous tenons pour acquis que la proposition voulant que la possibilité d’obtenir une licence ne soit pas pertinente pour décider du caractère équitable de l’utilisation se limite bien à l’obtention d’une licence, et ne concerne pas l’acquisition de copies.

[30] CCH, supra note 3 au para. 71.

[31] Ibid. au para. 72.

[32] Voir la preuve citée dans la note 5, supra.

[33] Supra note 21 au para. 132.

[34] CCH, supra note 3 au para. 48.

[35] Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, [2004] 2 R.C.S. 427 au para. 97; Robertson c. Thomson Corp., [2006] 2 R.C.S. 363 au para. 94.

[36] Puisque le volume de pages photocopiées analysées par Access est de 255 009 334 sur un volume total de 270 030 690, les résultats fournis par Access ont été ajustés à la hausse de 5,89 pour cent pour tenir compte des pages photocopiées non analysées (15 021 356).

[37] SCGDV – Tarif 1.A (Radio commerciale) pour les années 1998 à 2002 (13 août 1999) Décision de la Commission du droit d’auteur [SCGDV 1.A].

[38] Voir entre autres, G.H.L. Fridman, The Law of Agency, 7e éd., Butterworths, 1996 aux pp. 59, 84, 106.

[39] La Nouvelle-Écosse, le Manitoba, la Saskatchewan et l’Alberta. Les autres provinces ne sont pas responsables du matériel fourni aux élèves pour l’enseignement à distance.

[40] SCGDE – Tarif des droits éducatifs, 1999 - 2002 (25 octobre 2002) Décision de la Commission du droit d’auteur aux pp. 5-6.

[41] Ibid. à la p. 6.

[42] Pièce Access-23.

[43] En utilisant les dépenses de production et d’imprimerie nettes des dépenses de prépresse.

[44] Certains tarifs de la SOCAN pour l’année 1991 (31 juillet 1991) Décision de la Commission du droit d’auteur.

[45] Ces dépenses proviennent de la pièce Access-12.

[46] Voir par ex. Services sonores payants pour les années 2003 à 2006 (25 février 2005) Décision de la Commission du droit d’auteur et Services de radio par satellite (8 avril 2009) Décision de la Commission du droit d’auteur.

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