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Canada

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Commission du droit d’auteur
Canada

 

Date

2013-11-29

Référence

Dossier : Retransmission 2009-2013

Régime

Retransmission de signaux éloignés de télévision et de radio

Loi sur le droit d’auteur, article 73(1)

Commissairess

L’honorable William J. Vancise

Me Claude Majeau

Me J. Nelson Landry

Tarifs des redevances à percevoir pour la retransmission de signaux éloignés de télévision et de radio pour les années 2009 à 2013

Motifs de la décision

I. INTRODUCTION

[1] Le 31 mars 2008, la Border Broadcasters Inc. (BBI), l’Agence des droits des radiodiffuseurs canadiens inc. (ADRRC), la Société collective de retransmission du Canada (SCR), l’Association du droit de retransmission canadien (ADRC), la Société de perception du droit d’auteur du Canada (SPDAC), la Société de gestion collective de publicité directe télévisuelle inc. (SCPDT), la FWS Joint Sports Claimants Inc. (FWS), la Société de perception de la ligue de baseball majeure du Canada inc. (LBM) et la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN) (les « sociétés de gestion ») ont déposé conjointement, conformément au paragraphe 71(1) de la Loi sur le droit d’auteur [1] (la « Loi »), un projet de tarif pour la retransmission de signaux éloignés de télévision pour 2009 à 2013. La SOCAN, l’ADRRC et l’ADRC ont aussi déposé un projet de tarif pour la retransmission de signaux éloignés de radio pour 2009 à 2011. Les projets de tarifs ont été publiés dans la Gazette du Canada le 28 juin 2008. Le 31 mars 2011, la SOCAN, l’ADRRC et l’ADRC ont déposé un projet de tarif pour la retransmission de signaux de radio pour 2012 et 2013. Ce projet de tarif a été publié dans la Gazette du Canada le 11 juin 2011.

[2] Bell ExpressVu, la Canadian Cable Systems Alliance Inc., Cogeco Câble inc., Eastlink, Rogers Communications inc., Shaw Communications, TELUS Communications Company et Vidéotron ltée (les « opposantes ») se sont opposées en temps opportun aux trois projets de tarifs.

[3] Les tarifs de retransmission fixent le montant des redevances payables par les retransmetteurs (p. ex. par câble ou satellite) pour la communication par télécommunication des œuvres incorporées dans les signaux éloignés hertziens de radio et de télévision qu’ils retransmettent à leurs consommateurs. Ces tarifs prévoient également la répartition des redevances entre les sociétés de gestion qui y ont droit.

[4] Le 18 juillet 2013, les parties ont informé la Commission qu’elles s’étaient entendues sur le montant des redevances pour la retransmission de signaux de radio et leur répartition entre les sociétés de gestion pertinentes et déposé une copie d’une entente de principe et un projet de tarif pour la radio conforme à cette entente. L’entente est identique, sous tous les aspects pertinents, au Tarif pour la retransmission de signaux de radio, 2004-2008. [2] Nous homologuons un tarif pour la radio qui correspond à l’entente entre les parties. Nous estimons le montant total des redevances que produira le tarif à environ 1,1 million de dollars en 2013.

[5] En ce qui concerne le tarif pour la retransmission de signaux de télévision, tant le montant des redevances que leur répartition étaient en cause.

II. CHRONOLOGIE SE RAPPORTANT AU TARIF POUR LA TÉLÉVISION

[6] Les faits se sont déroulés selon la chronologie suivante.

[7] La date des audiences en l’espèce n’a pas été fixée immédiatement parce que les parties tentaient de s’entendre sur le montant des redevances pour la télévision, comme elles l’avaient fait pour le tarif 2004-2008. [3]

[8] Le 19 décembre 2008, à la demande des sociétés de gestion, la Commission a prolongé de façon indéfinie et à titre provisoire l’application du Tarif pour la retransmission de signaux de télévision, 2004-2008, avec quelques modifications, en attendant l’homologation du tarif pour les années 2009 à 2013. [4] Le montant et la répartition des redevances sont restés identiques.

[9] Le 20 décembre 2010, les parties se sont entendues sur des augmentations de taux progressives pendant la période d’effet du tarif (l’« entente sur le montant »). Les opposantes ont accepté de payer les nouveaux taux sans attendre l’homologation d’un tarif par la Commission. Même si cette exigence ne liait pas les autres retransmetteurs, [5] presque tous s’y sont conformés.

[10] Le 11 octobre 2011, l’ADRRC et la SCR ont informé la Commission de l’entente sur le montant, sans la déposer. Elles ont aussi demandé à la Commission de fixer un calendrier des procédures en vue de traiter de la répartition des redevances. Le 15 décembre 2011, la Commission a approuvé la proposition conjointe de calendrier des sociétés de gestion, qui prévoyait le début des audiences le 13 novembre 2012.

[11] Le 22 juin 2012, la SPDAC, au nom de toutes les parties, a déposé avec son énoncé de cause l’entente sur le montant et un projet révisé de tarif pour la télévision (le « projet de tarif de 2012 ») conforme à l’entente. Au début de novembre 2012, toutes les sociétés de gestion avaient déposé leur énoncé de cause et leur preuve en prévision des audiences.

[12] Le 9 novembre 2012, quatre jours avant le début des audiences, le procureur de la SCR, au nom de toutes les sociétés de gestion, a informé la Commission qu’elles s’étaient entendues sur la répartition des redevances (l’« entente sur la répartition ») et a demandé l’ajournement de l’audience. La demande a été accueillie.

[13] Le 6 décembre 2012, l’ADRRC et la SCR ont avisé la Commission que quelques questions liées à la répartition étaient toujours en litige. Au premier chef, il fallait déterminer si les sommes (substantielles) devant être redistribuées entre les sociétés de gestion pour la période de 2009 à 2012 (les « paiements d’ajustement de la répartition » ou « paiements d’ajustement ») devraient porter intérêt. Restait par ailleurs à trancher : la possibilité d’obliger les retransmetteurs à appliquer l’entente sur la répartition à compter du 1er janvier 2013 et les modalités de cette application; l’échéancier des paiements d’ajustement; les principes d’arbitrage d’éventuels litiges au sujet des paiements d’ajustement; la possibilité que l’échéancier des paiements d’ajustement soit suspendu en cas d’arbitrage; l’harmonisation des paiements d’ajustement et de l’homologation du tarif. L’ADRRC et la SCR ont demandé à la Commission de mettre en branle un processus permettant de traiter ces questions rapidement, de manière à ce que les retransmetteurs soient tenus de commencer à payer les nouveaux taux de redevance et de répartir les redevances selon l’entente, à compter du 1er janvier 2013.

[14] Le 13 décembre 2012, la Commission a avisé les parties qu’elle ne serait pas en mesure d’homologuer un tarif final avant la fin du mois. Cependant, il serait possible d’exiger des retransmetteurs qu’ils paient les nouveaux taux de redevance et qu’ils les répartissent selon l’entente à compter du 1er janvier 2013 au moyen d’une décision provisoire, si une demande en ce sens était faite.

[15] Le 14 décembre 2012, l’ADRRC et la SCR ont déposé une demande de décision provisoire. Elles demandaient à la Commission d’approuver les taux et la répartition des redevances prévus dans l’entente sur le montant et l’entente sur la répartition, d’ordonner aux retransmetteurs de payer les redevances prévues par ces ententes à compter du 1er janvier 2013 et de lancer un processus visant à régler toutes les questions en suspens et à prendre une décision finale.

[16] La FWS a appuyé la demande. La SPDAC et l’ADRC s’y sont opposées, au motif que l’ADRRC et la SCR tentaient de modifier l’entente sur la répartition en demandant à la Commission d’en entériner un aspect (la répartition) mais pas un autre (l’intérêt sur les paiements d’ajustement). Elles ont demandé à la Commission de traiter l’entente comme un tout et de continuer à appliquer la répartition en vigueur de 2004 à 2008 jusqu’à ce que toutes les questions soient réglées.

[17] Le 21 décembre 2012, la Commission a fait droit à la demande en partie. [6] Le tarif provisoire exigeait des retransmetteurs qu’ils paient leurs redevances selon les nouveaux taux et les nouvelles modalités de répartition à compter du 1er janvier 2013. Toutes les autres questions étaient laissées en suspens, y compris celle des intérêts.

[18] Le 28 février 2013, la SPDAC, l’ADRC, la BBI et la SCPDT ont demandé à la Commission de lancer un processus devant mener à une décision définitive. Dans une ordonnance datée du 15 mars 2013, la Commission a cerné les questions à trancher avant qu’un tarif puisse être homologué comme suit : l’implication possible de la Commission dans l’arbitrage des litiges au sujet des paiements d’ajustement; la conciliation entre les échéances des paiements d’ajustement et d’éventuels litiges en la matière; les intérêts; le respect de l’entente sur le montant de la part des retransmetteurs. La Commission a informé les sociétés de gestion qu’elle n’arbitrerait aucun litige portant sur les montants, les échéances ou toute autre question se rapportant aux paiements d’ajustement. Le tarif prévoirait ces paiements (mais pas leur montant) et les échéances de paiement. Le reste relèverait d’un arbitre ou des tribunaux. La Commission a proposé un processus visant à régler la question des intérêts, auquel les sociétés de gestion se sont ensuite ralliées. Enfin, la Commission s’est informée de la mesure dans laquelle certains retransmetteurs avaient continué de payer des redevances selon le régime du Tarif provisoire pour la retransmission de signaux de télévision applicable à compter du 1er janvier 2009 au lieu de selon l’entente sur le montant : il est question de cet aspect au paragraphe [65] ci-dessous, dans le cadre des dispositions transitoires.

[19] Le dossier de l’affaire a été mis en état le 26 avril 2013, après qu’une demande de dépôt d’observations en réplique de la SPDAC eut été rejetée.

III. LES PAIEMENTS D’AJUSTEMENT DEVRAIENT-ILS PORTER INTÉRÊT?

[20] En vertu de l’entente sur la répartition, l’ADRRC, la SCR et la FWS (les « sociétés bénéficiaires ») ont droit à une plus grande part des redevances que de 2004 à 2008, tandis que la BBI, la SPDAC, l’ADRC, la SCPDT, la LBM et la SOCAN (les « sociétés prestataires ») ont droit à moins. L’entente sur la répartition s’applique à partir du 1er janvier 2009. Jusqu’au 31 décembre 2012, les retransmetteurs ont réparti les redevances (selon les montants prévus dans l’entente sur le montant) conformément au Tarif pour la retransmission de signaux de télévision, 2004-2008. À compter de cette date, les retransmetteurs ont réparti les redevances conformément à l’entente sur la répartition. Toutes les sociétés de gestion conviennent que les sociétés bénéficiaires ont droit à des paiements d’ajustement de la part des sociétés prestataires pour la période en cause. Elles s’entendent aussi sur la manière dont ces paiements devraient être répartis. Elles ne s’entendent pas sur la question de savoir si les paiements d’ajustement devraient porter intérêt.

A. Position des sociétés bénéficiaires

[21] Les sociétés bénéficiaires réclament des intérêts sur les paiements d’ajustement. Elles se fondent sur des arguments de texte pour faire valoir qu’en l’occurrence, l’absence d’une entente explicite par laquelle les sociétés de gestion régleraient la question devrait nous amener à conclure que la question peut à juste titre être tranchée par la Commission.

[22] Les sociétés bénéficiaires plaident qu’il était naturel de s’attendre à ce que la question des intérêts sur les paiements d’ajustement ne soit pas abordée avant la conclusion d’une entente sur la répartition. L’objectif de l’entente était de fixer la répartition des redevances entre les sociétés de gestion; tout le reste, y compris les intérêts, est secondaire et restait à déterminer. C’est la raison pour laquelle la question n’a pas été soulevée avant le 14 novembre 2012, au moment de négocier une entente écrite formelle.

[23] Selon les sociétés bénéficiaires, le courriel du 9 novembre 2012 informant la Commission de l’entente sur la répartition était clair. Son objectif était d’aviser la Commission qu’aucune question en suspens ne justifiait la tenue de l’audience prévue le 13 novembre 2012. Le courriel demandait aussi l’ajournement de l’audience, et non son annulation, de façon à ce qu’elle puisse être tenue à une date ultérieure [TRADUCTION] « dans l’éventualité où une question de procédure ou d’une autre nature le justifierait. » Clairement, affirment les sociétés bénéficiaires, certaines questions restaient toujours à régler.

[24] Les sociétés bénéficiaires s’appuient aussi sur le libellé du projet de tarif de 2012 pour faire valoir que des intérêts devraient s’appliquer aux paiements d’ajustement. Lorsqu’il est renoncé aux intérêts, le projet le mentionne explicitement. L’omission de la question appuie la position selon laquelle des intérêts doivent être versés.

[25] Les sociétés bénéficiaires considèrent que l’argument selon lequel les paiements d’ajustement n’ont jamais porté intérêt auparavant dans des procédures sur la retransmission n’est pas pertinent. À ces occasions, les sociétés de gestion avaient explicitement accepté de renoncer à percevoir des intérêts, et la Commission s’était expressément appuyée sur ces ententes. Aucune telle entente n’existe en l’espèce. En outre, les ajustements précédents, qui valaient de plusieurs milliers à quelques millions de dollars, concernaient des montants considérablement moins importants que les quelque 45 millions de dollars en cause dans la présente affaire.

[26] Sur le principe, les sociétés bénéficiaires soutiennent que leur position correspond à la politique générale de la Commission en matière de paiements rétroactifs. [7] Le tarif est homologué plusieurs années après son entrée en vigueur. Les sociétés de gestion ne pouvaient pas répartir des sommes qu’elles n’avaient pas perçues, et les titulaires de droits ne pouvaient pas dépenser ou investir des redevances qu’ils n’avaient pas reçues. Il s’agit de coûts d’opportunité, et la Commission a établi que pareilles pertes devaient être prises en considération.

[27] Par le passé, la Commission a toujours appliqué le taux officiel d’escompte aux paiements rétroactifs d’ajustement de redevances. Les sociétés bénéficiaires proposent un taux d’intérêt plus élevé, qu’elles désignent parfois comme le taux préférentiel publié par la Banque du Canada. [8] Dans Radio de la SRC (2011), la Commission a reconnu que le taux officiel d’escompte pourrait ne plus être approprié, car il ne représente pas les coûts d’emprunt réels des sociétés de gestion et des titulaires de droits. [9] Les sociétés bénéficiaires font valoir que le taux devrait tenir compte des coûts d’opportunité réels, soit les taux payables par les titulaires de droits sur les prêts qu’on leur consentirait. Ces taux seraient plus élevés que le taux préférentiel de toutes les banques à charte. Le taux préférentiel publié par la Banque du Canada constituerait un compromis entre le taux officiel d’escompte et les coûts d’opportunité réels assumés par les titulaires qui ont été privés de la jouissance de leurs redevances depuis 2009.

B. Position des sociétés prestataires

[28] Les sociétés prestataires plaident que les paiements d’ajustement ne devraient pas porter intérêt, pour les raisons suivantes.

[29] Premièrement, l’entente sur la répartition règle une fois pour toutes l’ensemble des questions financières d’importance. Des intérêts sur un montant totalisant environ 45 millions de dollars sur une période de quatre ans ne constituent pas une question secondaire. Le libellé du courriel du 9 novembre 2012 informant la Commission de l’entente sur la répartition ne peut qu’appuyer cet argument.

[30] Deuxièmement, ni l’entente sur le montant ni le projet de tarif de 2012 ne prévoient le versement d’intérêts sur les paiements d’ajustement. Lorsque les parties ont convenu de pareils versements, l’entente le mentionnait explicitement. Si les parties avaient voulu que des intérêts soient versés sur les paiements d’ajustement, elles l’auraient précisé.

[31] Troisièmement, aucun intérêt n’a jamais été versé sur des paiements d’ajustement dans des affaires antérieures en matière de retransmission. Rien ne justifie d’en verser maintenant.

[32] Quatrièmement, les organismes judiciaires et quasi judiciaires encouragent les ententes à l’amiable. Dans cette optique, de nouvelles dispositions qui n’avaient pas été négociées lors d’une entente ne devraient pas être imposées.

[33] Cinquièmement, le fait de taire la question ne signifie pas qu’il y ait entente implicite pour qu’elle soit tranchée ultérieurement.

[34] Sixièmement, la réflexion qu’on retrouve dans Radio de la SRC (2011) n’est pas pertinente. Elle se rapporte au versement rétroactif de redevances par les utilisateurs aux sociétés de gestion, et non à la répartition des redevances entre ces dernières.

[35] Septièmement, ni les sociétés prestataires ni leurs membres n’ont profité des redevances devant être redistribuées. Les fonds mis en réserve n’ont pas été remis aux membres. Ils ont généré peu ou pas d’intérêt. Il serait punitif d’attribuer davantage que les gains réalisés.

[36] Huitièmement, les sociétés bénéficiaires n’ont présenté aucune preuve de coûts d’opportunité. Le défaut, sans explication, de présenter des éléments de preuve dont seule une partie disposerait revient à une admission implicite que la preuve omise nuirait à la cause de la partie, ou à tout le moins ne l’appuierait pas.

[37] Subsidiairement, tout intérêt à payer devrait être fixé selon une juste application de la doctrine de l’enrichissement injustifié. L’indemnité pécuniaire pour enrichissement injustifié est limitée à la moindre des valeurs de l’enrichissement dont une partie a bénéficié ou du détriment subi par l’autre partie. La justice et l’application de la doctrine dictent que les intérêts accordés ne devraient pas excéder les intérêts réellement touchés par les sociétés prestataires sur les fonds devant être redistribués. En outre, seuls les intérêts accumulés depuis la date de l’entente sur la répartition devraient être accordés, ne serait-ce que parce que la nécessité de verser des paiements d’ajustement ne pouvait pas raisonnablement être prévue avant que la répartition définitive ait été convenue.

C. Réplique des sociétés bénéficiaires

[38] Les sociétés bénéficiaires s’opposent à la proposition selon laquelle les intérêts devraient être limités à ceux perçus par les sociétés prestataires sur les fonds réellement mis en réserve. Les intérêts dus aux sociétés bénéficiaires en raison de leur privation de la jouissance de ces sommes ne devraient pas être fonction de l’utilisation que les sociétés prestataires ont choisi d’en faire. Les sociétés bénéficiaires font aussi valoir que le calcul des intérêts seulement à partir de la date de conclusion de l’entente sur la répartition irait à l’encontre de décisions antérieures de la Commission, de décisions judiciaires et des principes sous-tendant le versement des intérêts avant jugement. Cela encouragerait de façon perverse une société de gestion susceptible de devoir effectuer un paiement rétroactif à étirer le processus de manière à prolonger la période pendant laquelle elle pourrait continuer de profiter des sommes excédentaires sans verser d’intérêts.

IV. ANALYSE

[39] Nous traitons d’abord des arguments sur lesquels nous ne nous appuyons pas, que ce soit par choix ou parce qu’ils ne sont pas pertinents.

[40] Le projet de tarif de 2012 n’est pas pertinent en l’espèce. Le projet accompagne l’entente sur le montant. Cette dernière règle les points en litige entre les sociétés de gestion et les opposantes; les questions litigieuses en suspens entre les sociétés de gestion y sont mentionnées accessoirement, sans y être résolues. Le projet de tarif de 2012 ne reflétait pas de consensus sur la répartition des redevances, et encore moins sur les modalités de cette répartition, y compris le versement d’intérêts sur d’éventuels paiements d’ajustement.

[41] Le fait que la question des intérêts n’ait pas été abordée au cours des discussions ayant mené à l’entente sur la répartition n’est pas déterminant. Le courriel du 9 novembre 2012 mentionne clairement des [TRADUCTION] « questions en suspens ». Il serait aussi raisonnable de conclure que les intérêts faisaient partie de ces questions que de conclure le contraire. Heureusement, nous pouvons trancher la question sans devoir nous prononcer sur l’état d’esprit des sociétés de gestion sur ce point.

[42] Le fait que des intérêts n’aient jamais été versés sur des paiements d’ajustement dans le cadre de procédures antérieures en retransmission n’est pas non plus déterminant. La présente procédure se distingue sous deux aspects importants. D’abord, les sociétés de gestion se sont toujours entendues par le passé pour renoncer aux intérêts. Ensuite, les montants en cause sont substantiellement plus élevés qu’ils ne l’ont jamais été. Cependant, ces différences ne suffisent pas à elles seules à justifier l’imposition d’intérêts.

[43] Les principes décrits dans Radio de la SRC (2011) au sujet de l’imposition d’intérêts ne peuvent être appliqués dans la présente affaire sans analyse plus approfondie. La décision portait sur les relations entre les sociétés de gestion et les utilisateurs de leur répertoire. La relation entre sociétés de gestion est considérablement différente. Ces différences résultent tant de la nature de la relation que de la nature des sociétés de gestion.

[44] La relation entre une société de gestion et son client est continue : un retransmetteur ne peut légalement retransmettre des signaux de télévision sans lui faire rapport tous les mois. La relation des sociétés de gestion entre elles est occasionnelle, du moins dans la mesure où elle est régie par un tarif de retransmission; en l’espèce, par exemple, on nous demande de déterminer les modalités d’un paiement d’ajustement ponctuel.

[45] Les clients des sociétés de gestion peuvent tirer un avantage commercial du report de paiements (par exemple, en utilisant l’argent pour payer d’autres dettes portant un taux d’intérêt plus élevé). La fixation d’un taux d’intérêt élevé sur les paiements de redevance tardifs en encourage le prompt règlement. À l’inverse, une société de gestion tire peu ou pas d’avantage du report d’un paiement d’ajustement dû à une autre société de gestion. Chacune entretient une relation fiduciaire avec ses membres. Chacune doit mettre de côté des réserves suffisantes pour parer aux éventualités jusqu’à l’homologation d’un tarif définitif. Chacune doit investir ces réserves prudemment, à des taux de rendement qui sont actuellement bas ou négligeables. Il est hautement douteux que la fixation d’un taux d’intérêt élevé sur les paiements tardifs puisse modifier le comportement d’une société de gestion envers une autre.

[46] Néanmoins, nous sommes d’avis que les principes décrits dans Radio de la SRC (2011) au sujet de l’imposition d’intérêts sont pertinents en l’espèce :

[131] À notre avis, il faut étendre l’utilisation des facteurs d’intérêts. Le présent tarif prend effet plus de quatre années avant qu’il soit homologué. Il augmente les redevances. Une société de gestion ne peut répartir les sommes qu’elle n’a pas perçues. Un titulaire de droits ne peut dépenser ou investir les redevances qu’il n’a pas reçues. Il s’agit de coûts d’opportunité; leur perte doit être prise en compte. […]. [10]

[47] Le principe est clair. Un retard dans la perception des redevances entraîne des coûts d’opportunité pour la société de gestion ou ses membres, tout comme un retard dans la perception de sa pleine part des redevances. Une société de gestion ne peut pas distribuer de l’argent qu’elle n’a pas reçu. Les pertes subies doivent être compensées par le versement d’intérêts. Par conséquent, des intérêts devraient être appliqués aux paiements d’ajustement.

[48] Une fois que la raison de l’imposition d’intérêts sur les paiements d’ajustement est claire, il est relativement facile de répondre aux autres arguments.

[49] D’abord, même s’il aurait été utile que les sociétés bénéficiaires déposent de meilleures preuves concernant leurs coûts d’opportunité, leur défaut de le faire n’est pas déterminant. Comme la Commission l’a déjà fait par le passé, nous pouvons reconnaître l’existence de coûts d’opportunité de façon générale, sans preuve précise se rapportant à une société de gestion particulière ou à un autre débiteur.

[50] Deuxièmement, le principe de l’enrichissement injustifié n’est pas pertinent. Une procédure en retransmission n’est pas un litige civil. Par principe, et pour des raisons qui ont été validées par la Cour d’appel fédérale, [11] la Commission impose des intérêts comme modalité du tarif. Une disposition sur les intérêts dans un tarif ne peut pas rendre compte des circonstances propres à chaque débiteur (qu’il s’agisse d’un utilisateur ou d’une société de gestion) ou créancier.

[51] Troisièmement, l’argument voulant que les intérêts ne soient pas calculés sur l’ensemble de la période n’est pas recevable. Les coûts d’opportunité des sociétés bénéficiaires ont commencé le 1er janvier 2009, sans égard à la conduite des sociétés prestataires. Par ses tarifs, la Commission exige régulièrement que les utilisateurs paient des intérêts sur des paiements rétroactifs même lorsqu’on pouvait mettre en doute au départ leur obligation de verser quelque redevance que ce soit. Sur ce point, il n’y a aucune raison de traiter les sociétés de gestion différemment.

[52] Les sociétés bénéficiaires demandent que les intérêts soient calculés au taux préférentiel publié par la Banque du Canada, qui s’est situé à 2,75 pour cent en moyenne au cours de la période pertinente. Par le passé, la Commission a appliqué le taux officiel d’escompte (1,01 pour cent en moyenne au cours de la période pertinente) aux paiements d’ajustement rétroactifs, et le taux officiel d’escompte plus un pour cent aux paiements tardifs de redevances homologuées.

[53] Les sociétés bénéficiaires se fondent sur le passage suivant de Radio de la SRC (2011) pour demander un taux plus élevé :

[133] Comme par le passé, les facteurs d’intérêts sont établis en utilisant le taux officiel d’escompte de la Banque du Canada en vigueur le dernier jour du mois précédent, l’intérêt est simple, sans pénalité additionnelle. On pourrait utiliser d’autres taux à cette même fin. Le fait que les parties ne puissent emprunter au taux officiel d’escompte pourrait suffire à conclure qu’il ne faudrait pas se servir de ce taux pour établir les facteurs d’intérêts. Cela dit, comme personne n’a demandé qu’on utilise un autre taux à cette fin, nous ne reviendrons pas sur la question pour l’instant. [12]

[54] Les sociétés bénéficiaires soutiennent que les montants en cause en l’espèce justifient une révision des pratiques antérieures de la Commission en ce qui concerne les taux d’intérêt. Nous ne sommes pas d’accord, pour les motifs suivants.

[55] Premièrement, les sociétés bénéficiaires n’ont pas expliqué le bien-fondé d’abandonner les pratiques antérieures de la Commission. Radio de la SRC (2011) énonce deux propositions distinctes. D’abord, les coûts d’opportunité doivent être compensés par le versement d’intérêts. Ensuite, un écart entre le taux que la Commission fixe en ce moment et celui que les parties paient pour emprunter de l’argent pourrait justifier une augmentation du taux. Les sociétés bénéficiaires se fondent simplement sur l’existence des coûts d’opportunité pour appuyer ces deux propositions. Elles n’ont pas expliqué quels objectifs de politique publique seraient atteints par une augmentation du taux dans la présente affaire. Comme nous l’avons mentionné précédemment au paragraphe [45], un taux d’intérêt élevé peut encourager un utilisateur à payer ses redevances rapidement, mais sera peu efficace pour accélérer la redistribution des redevances.

[56] Deuxièmement, le fait d’imposer maintenant aux sociétés prestataires des intérêts plus élevés que par le passé n’accomplirait pas grand-chose.

[57] Troisièmement, il est impossible de déterminer en l’espèce si la question des intérêts aurait dû être soulevée, par qui et à quel moment. Dans ces circonstances, l’imposition d’un taux d’intérêt plus élevé constituerait une sanction injustifiée.

[58] Les paiements d’ajustement porteront intérêts au taux officiel d’escompte de la Banque du Canada pour toute la période d’effet du tarif. Nous estimons que les paiements totaux en intérêts seront d’environ 1,3 million de dollars.

V. TAUX DE REDEVANCES ET RÉPARTITION

[59] Nous homologuons un tarif pour la télévision qui est conforme à l’entente sur le montant et à l’entente sur la répartition. Les redevances payables par les petits systèmes de retransmission et les stations de télévision à faible puissance (TVFP) et systèmes de distribution multipoint à canaux en parallèle (SDM) transmettant en clair restent identiques. Pour tous les autres systèmes, les taux augmentent, au cours de la période d’effet du tarif, de 6 ¢ à 13 ¢ par abonné par mois; les augmentations sont plus fortes pour les retransmetteurs les plus importants. Ces augmentations, bien que substantielles, sont justifiées étant donné tant l’augmentation du nombre de signaux éloignés offerts aux abonnés que celle de l’indice des prix à la consommation. [13]

[60] Nous estimons que le tarif générera des redevances totales de 110 millions de dollars pour 2013. Si les retransmetteurs étaient assujettis à l’ancien tarif homologué, ils auraient payé environ 95 millions de dollars.

VI. LIBELLÉ DU TARIF POUR LA RADIO ET LA TÉLÉVISION

A. Général

[61] Le libellé des tarifs que nous homologuons est identique, sous la plupart des aspects autres que le montant et la répartition des redevances, à celui des tarifs qu’ils remplacent. Seules les observations suivantes sont nécessaires.

[62] Les paragraphes 2(2) et 2(3) de chacun des tarifs sont supprimés. Ils étaient transitoires et ne sont plus pertinents.

[63] L’article 6 du tarif pour la télévision est supprimé, puisque des changements de réglementation l’ont rendu inutile à compter du 7 mars 2004.

[64] Les renvois à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques qui avaient été intégrés pour la première fois aux tarifs pour 2004 à 2008 sont supprimés. Ils se sont avérés inutiles.

B. Dispositions transitoires

[65] Les dispositions transitoires sont considérablement simplifiées pour quatre raisons. Premièrement, aucune n’est nécessaire dans le tarif pour la radio puisque le montant et la répartition des redevances restent les mêmes. Deuxièmement, les renseignements qui nous ont été fournis en vertu de l’ordonnance du 15 mars 2013 mentionnée au paragraphe [18] ci-dessus nous permettent de déterminer que tous les retransmetteurs sauf trois ont déjà versé les redevances additionnelles découlant de l’augmentation des taux pour la télévision, ce qui nous permet de laisser les sociétés de gestion régler la question sans instructions précises. Troisièmement, les sociétés de gestion ont déjà convenu de la manière d’effectuer les paiements d’ajustement pour la télévision pour la période se terminant le 31 décembre 2012. Quatrièmement, conformément au Tarif provisoire pour la retransmission de signaux de télévision applicable à compter du 1er janvier 2013, les retransmetteurs ont, à partir de cette date, versé les redevances pour la télévision selon la répartition que nous homologuons aujourd’hui.

[66] Les dispositions transitoires du tarif pour la télévision qui portent sur les intérêts ont été modifiées de manière à prendre en considération le fait que les sociétés de gestion ont convenu de ne pas percevoir d’intérêts sur les redevances additionnelles pour 2009 et 2010 à la condition que celles-ci aient été versées le 31 janvier 2011 au plus tard.

C. Formulaires

[67] Nous nous sommes demandé si les formulaires annexés aux tarifs sont toujours nécessaires. Les seuls renseignements qu’ils demandent sont explicitement requis dans le tarif ou implicitement nécessaires au calcul des redevances. Au fil des années, certains retransmetteurs ont mis au point leur propre méthode de déclaration des renseignements requis par le tarif, probablement pour que leur présentation corresponde à leurs systèmes internes; les sociétés de gestion ont accepté cette pratique.

[68] Les sociétés de gestion ont confirmé que les formulaires remplissent deux fonctions importantes, qu’on les utilise ou non. D’abord, ils permettent aux retransmetteurs de savoir exactement quels renseignements ils doivent fournir sans avoir à interpréter le tarif pour le découvrir. Ensuite, les formulaires servent de solution de rechange sur laquelle les sociétés de gestion ou les retransmetteurs peuvent se rabattre s’ils ne parviennent pas à s’entendre sur les renseignements qui devraient être fournis et la manière dont ils devraient l’être.

[69] Nous acceptons ces explications et continuerons de joindre les formulaires aux tarifs homologués. Les sociétés de gestion et les retransmetteurs ont le loisir de s’entendre pour adapter à leurs besoins les obligations de rapport prévues par les tarifs.

D. Échéance des paiements d’ajustement

[70] Les sociétés bénéficiaires ont proposé que les paiements d’ajustement soient versés selon l’échéancier suivant, à partir de la date d’homologation du tarif. Dans les 15 jours ouvrables suivants, la SCR communiquerait les calculs d’intérêts détaillés et le montant du paiement total dû. Au cours des 15 jours ouvrables suivants, elle répondrait aux questions des sociétés de gestion, apporterait les correctifs nécessaires et communiquerait une série de calculs définitifs. Les paiements d’ajustement seraient dus 45 jours ouvrables après l’homologation du tarif.

[71] Les sociétés bénéficiaires ont fait valoir que cet échéancier laissait amplement de temps pour la détermination, la vérification et le versement des paiements d’ajustement. La valeur du principal est connue depuis la décision provisoire du 21 décembre 2012 de la Commission, laquelle a fixé la même répartition de redevances que le présent tarif. La SCR a déjà calculé et communiqué ce montant; personne n’a remis les calculs en cause. Le calcul des intérêts sera simple. Une période de 15 jours ouvrables est plus que suffisante pour permettre à toutes les sociétés de gestion de vérifier les calculs d’intérêts.

[72] Les sociétés prestataires ont demandé une période de 90 jours. Les sommes dont il est question sont considérables. Les sociétés prestataires prétendent qu’elles ont besoin de plus de 45 jours pour les rassembler. En outre, l’entente sur le montant envisageait la possibilité que l’échéance des paiements d’ajustement tombe six mois après l’homologation du tarif.

[73] Nous convenons avec les sociétés bénéficiaires que la période de six mois envisagée dans l’entente sur le montant n’est plus pertinente. Sa prémisse était que les sociétés de gestion pourraient ne connaître la répartition des redevances (et donc, ne seraient en mesure de calculer les paiements d’ajustement) qu’une fois le tarif homologué. À l’heure actuelle, la répartition est connue depuis plusieurs mois.

[74] Nous ne savons pas dans quelle mesure les difficultés qu’invoquent les sociétés prestataires sont réelles, sérieuses ou répandues. Nous ne souhaitons pas passer plus de temps à chercher à le déterminer. Selon l’hypothèse qu’une semaine compte cinq jours ouvrables, au sens où l’entendent les sociétés bénéficiaires, l’échéancier qu’elles proposent pourrait s’étendre sur 63 jours. Dans ces circonstances, nous estimons qu’une période de 60 jours suffit amplement pour permettre aux sociétés prestataires de rassembler les fonds nécessaires. Cette période correspond aussi à un délai couramment accordé par la Commission pour le versement de redevances additionnelles visant des périodes de rapport antérieures. Nous ajoutons dix jours aux deuxième et troisième dates butoirs pour tenir compte des vacances de fin d’année.

[75] Nous rejetons la proposition des sociétés prestataires voulant que l’échéance des intérêts sur les paiements d’ajustement soit reportée à une date ultérieure, de façon à tenir compte d’éventuelles demandes de contrôle judiciaire. La date d’échéance des intérêts sera la même que celle du principal. La décision de la Commission est exécutoire même si elle est contestée. Si une demande de contrôle judiciaire est présentée, ce sera à la Cour d’appel fédérale de suspendre les paiements d’intérêts si elle le juge souhaitable.

Le secrétaire général,

Signature

Gilles McDougall



[1] L.R.C. ch. C-42.

[2] Tarif de la Commission du droit d’auteur (13 décembre 2008).

[3] Retransmission de signaux éloignés de télévision et de radio, au Canada, pour les années 2004 à 2008 (12 décembre 2008) décision de la Commission du droit d’auteur aux paras. 11 et 13. [Retransmission (2008)]

[4] Tarif provisoire pour la retransmission de signaux de télévision applicable à compter du 1er janvier 2009.

[5] Retransmission (2008), supra note 3 au para. 17.

[6] Tarif provisoire pour la retransmission de signaux éloignés de télévision à compter du 1er janvier 2013 (21 décembre 2012) décision provisoire de la Commission du droit d’auteur.

[7] Tarifs 1.C (Radio de la SRC) de la SOCAN et de Ré:Sonne, 2006-2011 (8 juillet 2011) décision de la Commission du droit d’auteur au para. 131. [Radio de la SRC (2011)]

[8] Il s’agit d’une moyenne des taux préférentiels fixés par les banques canadiennes (et non par la Banque du Canada), publiée sur le site web de la Banque du Canada sous l’appellation « taux de base des prêts aux entreprises » : http://www.banqueducanada.ca/taux/taux-dinteret/taux-dinteret-au-canada/.

[9] Radio de la SRC (2011), supra note 7 au para. 133.

[10] Radio de la SRC (2011), supra note 7.

[11] Assoc. canadienne de télévision par câble c. American College Sports Collective of Canada, Inc., [1991] 3 C.F. 626 (C.A.).

[12] Radio de la SRC (2011), supra note 7.

[13] Voir Retransmission (2008), supra note 3 au para. 21.

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