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Copyright Board
Canada

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Commission du droit d’auteur
Canada

 

Date

2012-12-21

Référence

Dossiers : Exécution publique d’œuvres musicales; Exécution publique d’enregistrements sonores; Reproduction d’œuvres musicales; Reproduction d’enregistrements sonores; Reproduction de prestations d’artistes-interprètes

Régime

Gestion collective du droit d’exécution et du droit de communication

Gestion collective relative aux droits visés aux articles 3, 15, 18 et 21

Loi sur le droit d’auteur, article 66.51

Commissaires

M. le juge William J. Vancise

Me Claude Majeau

Me J. Nelson Landry

Projet(s) de tarif examiné(s)

SOCAN (2008-2010), RÉ:SONNE (2008-2011), CSI (2008-2012), AVLA/SOPROQ (2008-2011), ARTISTI (2009-2011)

tarif des redevances à percevoir par la socan, ré:sonne, csi, avla/soproq et artisti à l’égard des stations de radio commerciales

Motifs de la décision

I. INTRODUCTION

[1] Le 22 janvier 2011, la Commission homologuait le Tarif pour la radio commerciale (SOCAN : 2008-2010; Ré:Sonne : 2008-2011; CSI : 2008-2012; AVLA/SOPROQ : 2008-2011; ArtistI : 2009-2011). En ce qui concerne la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN) et Ré:Sonne Société de Gestion de la Musique (Ré:Sonne), le tarif vise la communication d’œuvres musicales et d’enregistrements sonores de ces œuvres et des prestations incorporées à ces enregistrements. En ce qui concerne CMRRA/SODRAC inc. (CSI), AVLA Audio-Video Licensing Agency (AVLA) et la Société de gestion collective des droits des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes du Québec (SOPROQ) (conjointement AVLA/SOPROQ) ainsi qu’ArtistI, le tarif permet la reproduction de ces mêmes œuvres, enregistrements et prestations. Les stations de radio commerciales continuent de verser des redevances en vertu du tarif. À tous égards sauf un, ces redevances sont provisoires, par l’effet du paragraphe 68.2(3) et de l’article 70.18 de la Loi sur le droit d’auteur [1] (la « Loi »). Les redevances sont définitives à l’égard de CSI, pour qui le tarif prend fin le 31 décembre 2012.

[2] Le 7 novembre 2012, certaines dispositions de la Loi sur la modernisation du droit d’auteur [2] sont entrées en vigueur. Le lendemain, l’Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR) demandait à la Commission de rendre :

une décision provisoire réduisant de 90 pour cent, à compter du 7 novembre 2012, les redevances que la radio commerciale verse à CSI, à AVLA/SOPROQ et à ArtistI, pour valoir jusqu’à ce que la Commission tranche sur la demande au fond;

une déclaration selon laquelle, à compter de cette même date, il n’existe plus de fondement juridique pour un tarif visant la reproduction d’un enregistrement sonore ou d’une prestation ou œuvre fixée au moyen d’un enregistrement sonore par les stations de radio commerciales;

une décision annulant le tarif CSI à compter de cette même date.

[3] La requête se fonde sur les nouveaux articles 29.24 et 30.71 de la Loi, sur l’article 30.9 tel que modifié et sur l’arrêt SOCAN c. Bell Canada. [3] Essentiellement, l’ACR soutient que leur effet combiné fait en sorte que les stations ne font plus de reproductions protégées par le droit d’auteur, puisque : l’écoute et la création de copies d’évaluation est une utilisation équitable à des fins de recherche visée à l’article 29 de la Loi; le processus de programmation des stations, depuis l’assemblage de contenu jusqu’à la communication des émissions, constitue un seul et même processus technologique visé à l’article 30.71 de la Loi; les copies de sauvegarde sont permises à l’article 29.24 de la Loi; et toutes les stations se conforment à l’article 30.9 de la Loi. L’ACR soutient par ailleurs que CSI a confirmé chacune de ces prétentions, dans le cadre des efforts de lobbyisme qu’elle a déployés durant l’examen du projet de loi C-11.

[4] L’ACR propose de disposer de sa demande en deux temps. Le provisoire serait tranché rapidement, sur la base de preuve et de prétentions écrites ainsi que de faits constatés par la Commission dans des affaires précédentes. Le permanent ferait l’objet d’un processus plus long, comportant des audiences; cela dit, l’ACR ne parle pas d’en traiter dans le cadre de l’examen de l’ensemble des autres questions visant les tarifs pour la radio commerciale.

[5] La présente décision est rendue uniquement sur la base des faits allégués par l’ACR (pour autant qu’ils ne soient pas manifestement non fondés) et de faits constatés par la Commission dans des affaires précédentes. Personne d’autre n’a été appelé à faire valoir son point de vue.

[6] Nous concluons que la demande au fond devra être tranchée même si, telle que formulée, elle est insoutenable. Nous concluons qu’il est préférable d’en traiter en même temps que l’ensemble des questions soulevées par les projets de tarifs pour la radio commerciale. Nous rendons provisoire, à partir du 7 novembre 2012, le tarif pour autant qu’il concerne CSI. À tous autres égards, nous rejetons la demande de décision provisoire. Le reste des présents motifs sert à étayer ces conclusions.

II. ANALYSE

[7] La façon plutôt novatrice de présenter la demande faisant l’objet des présents motifs et l’originalité des conclusions qu’elle recherche exigent que nous en commentions d’abord le fond, afin de mieux encadrer notre raisonnement.

[8] Premièrement, il est faux de prétendre que les règles invoquées par l’ACR privent de fondement juridique tout tarif visant la reproduction d’un enregistrement sonore ou d’une prestation ou œuvre fixée au moyen d’un enregistrement sonore par les stations de radio commerciales. À cet égard, la demande est insoutenable à sa face même. En supposant que toute les stations puissent invoquer en ce moment toutes les dispositions sur lesquelles la demande se fonde, il leur serait impossible de prouver maintenant qu’elles s’y conformeront à l’avenir. En admettant même, pour l’instant, que ces « droits des utilisateurs » méritent tous une interprétation libérale, il revient néanmoins à chaque station d’établir si elle peut s’en prévaloir et ce, à l’égard de chaque utilisation par ailleurs protégée. Or, certaines pourraient ne pas pouvoir établir qu’elles respectent toutes les conditions d’application de toutes les exceptions pour l’ensemble des reproductions qu’elles effectuent. Deux exemples suffiront, à titre d’illustration.

[9] À première vue, il semblerait qu’une station ne puisse se prévaloir des articles 29.24 et 30.9 de la Loi si la copie d’origine est contrefaite. Une maison de disque a besoin de la permission du titulaire des droits sur une œuvre musicale avant de l’endisquer. Règle générale, on obtient cette permission avant d’endisquer pour un premier enregistrement. Par contre, lorsqu’il s’agit de réenregistrer une œuvre déjà endisquée, il arrive souvent qu’une maison de disque ne demande cette permission qu’après avoir lancé le nouvel enregistrement; parfois, la licence n’est jamais octroyée. La copie de l’œuvre que la maison de disque fournit à la station de radio est donc contrefaite. Dans quelle mesure cela empêcherait-il la station qui copie le nouvel enregistrement de se prévaloir de l’exception? Dans le même registre, la Commission a constaté que la copie que livre un service de distribution de musique numérique (SDMN) est sans doute autorisée pour ce qui est de l’enregistrement sonore, mais ne l’est pas pour ce qui est de l’œuvre musicale : Tarif pour la radio commerciale (SOCAN : 2008-2010; Ré:Sonne : 2008-2011; CSI : 2008-2012; AVLA/SOPROQ : 2008-2011; ArtistI : 2009-2011). [4] Une station peut-elle se prévaloir de l’article 30.9 de la Loi si tel est le cas?

[10] Par ailleurs, l’ACR soutient que Bell est directement applicable aux copies d’évaluation et de sélection des stations. Il existe des similitudes entre l’écoute d’un extrait en vue de décider d’un achat et celle d’une œuvre complète visant à décider de la diffuser ou non. Il existe aussi d’importantes différences, auxquelles la Cour suprême a elle-même fait allusion, par exemple, reproduction entière vs courts extraits, qualité identique vs inférieure, et transmission en continu vs téléchargement. [5] Une preuve supplémentaire importante sera sans doute nécessaire : ce qui est équitable ou non est avant tout une affaire de contexte.

[11] Il faudra certes trancher la question de l’impact des règles invoquées par l’ACR sur l’ampleur (et partant, la valeur) des activités de reproduction protégées auxquelles les stations pourraient se livrer. Il pourrait en résulter l’homologation de redevances réduites ou d’un tarif à volets permettant à une station de payer plus ou moins (ou rien) selon son degré de conformité aux conditions que prévoient ces règles. Recentrée de cette façon, toutefois, la question semble ne plus appeler la réponse catégorique que l’ACR recherche. L’abolition pure et simple des tarifs, si tant est qu’elle soit possible ou même souhaitable, pourrait entraîner des conséquences néfastes pour les stations qui ne seraient pas en mesure de légitimer toutes les copies qu’elles font en se fondant sur les prétentions de l’ACR.

[12] Deuxièmement, il est préférable de trancher la demande au fond en même temps que l’ensemble des projets de tarifs visant la radio commerciale, et non dans le cadre d’un processus visant uniquement à disposer des prétentions de l’ACR. Le morcellement de l’examen des questions de fond soulevées par une même affaire devrait être l’exception. Le traitement isolé, à titre préliminaire, d’une question se justifie, par exemple, si elle peut être commodément isolée, si la preuve requise pour en disposer ne recoupe pas le reste de la preuve au fond, et si le fait de la trancher en premier peut permettre l’économie d’autres débats. En l’espèce, tel n’est pas le cas. Trancher la demande nécessite une preuve importante qui relève de l’essence même du débat, soit l’ampleur (et partant, la valeur) des activités de reproduction protégées auxquelles se livrent les stations.

[13] Troisièmement, l’argumentation de l’ACR ne peut justifier une réduction de redevances pour l’ensemble de l’industrie que si toutes les stations opèrent de la même façon. Or, bien au-delà de ce que la Commission sait déjà à cet égard, le libellé de la demande confirme que tel n’est pas le cas. Il y est dit que la copie d’évaluation est parfois de qualité moindre que le CD et parfois pas [para. 27], que c’est parfois la copie SDMN qui sert à l’évaluation et parfois non [para. 28b], ou encore que le directeur des programmes n’est pas toujours en mesure de procéder à l’évaluation à partir du fichier SDMN ou du CD [para. 28d]. Vu l’apparente absence de pratiques uniformes, il faudra procéder soit par échantillonnage, soit par recensement pour en établir les variations. Il s’agit encore une fois de preuve relevant davantage de l’examen au fond.

[14] Quatrièmement, l’ACR a toujours insisté pour qu’on morcelle le moins possible les procédures qui la concernent.

[15] Reste la demande de modification du tarif en ce qui concerne CSI pour la période du 7 novembre au 31 décembre 2012. Elle devra faire l’objet d’un examen, puisqu’un changement législatif peut justifier de modifier une décision : Décision provisoire (a. 66.52 de la Loi sur le droit d’auteur) sur la demande de modification du tarif sur la retransmission de signaux de télévision, 1992-1994. [6] Par ailleurs, comme les questions que soulève la demande continuent de se poser après le 31 décembre, il est plus pratique d’entendre les deux affaires en même temps. C’est ce qu’avait fait la Commission quand la journée de programmation a acquis le statut d’œuvre de compilation : Retransmission de signaux éloignés de radio et de télévision pour les années 1995, 1996 et 1997 et Modification du tarif de 1994. [7] La meilleure façon de traiter de la demande est de rendre provisoire le tarif homologué en janvier 2011 en ce qui concerne CSI à partir du 7 novembre 2012, comme la Commission l’avait fait dans Retransmission (provisoire) 1994. [8] Point n’est besoin d’entendre CSI avant de procéder : elle ne subit aucun préjudice du fait de la prise de cette mesure.

[16] La demande de décision provisoire est rejetée à tous autres égards, pour les motifs suivants.

[17] Premièrement, les problèmes de preuve et les questions juridiques auxquels nous avons fait allusion à l’égard de la demande au fond se soulèvent tout autant à l’égard de la demande de décision provisoire. Nous ne voyons pas comment l’examen du provisoire pourrait procéder plus rapidement que le fond, ou sur la base d’une preuve moins importante. Il est plus commode et plus équitable de laisser les parties dans leur état actuel et de traiter de l’ensemble de ces questions lors de l’examen de la demande au fond, pour autant qu’on y procède sans délai.

[18] Deuxièmement, le point de vue que CSI a pu exprimer devant un comité parlementaire n’est pas une preuve suffisante pour étayer les prétentions de l’ACR. L’argumentaire d’une personne peut énoncer ce qu’elle pense; il ne constitue pas un fondement d’interprétation législative.

[19] Troisièmement, la balance des inconvénients, si tant est qu’elle soit pertinente en l’espèce, favorise les sociétés de gestion collective. Il est davantage probable qu’une station ferme ses portes qu’une société de gestion disparaisse. Une station pourra aisément déduire d’éventuels paiements en trop des redevances futures; cela pourrait se faire en assez peu de temps. Et, si ces paiements sont importants, la Commission peut facilement ordonner dans le tarif que les sociétés de gestion les remettent immédiatement. L’inverse n’est pas nécessairement possible.

III. DISPOSITIF

[20] La demande de modification, à compter du 7 novembre 2012, du Tarif pour la radio commerciale (SOCAN : 2008-2010; Ré:Sonne : 2008-2011; CSI : 2008-2012; AVLA/SOPROQ : 2008-2011; ArtistI : 2009-2011) pour autant qu’elle vise CSI, sera examinée en même temps que le tarif CSI pour 2013. La Commission rend provisoire, à compter du 7 novembre 2012, le tarif pour autant qu’il vise CSI. À tous autres égards, la demande de décision provisoire déposée par l’ACR le 8 novembre 2012 est rejetée.

Le secrétaire général,

Signature

Gilles McDougall



[1] L.R.C., ch. C-42.

[2] L.C. 2012, ch. 20. (Auparavant projet de loi C-11)

[3] 2012 CSC 36. [Bell]

[4] (9 juillet 2010) décision de la Commission du droit d’auteur au para. 151.

[5] Bell, supra note 3 aux paras. 35, 36, 47, 48.

[6] (29 février 1994) décision de la Commission du droit d’auteur. [Retransmission (provisoire) 1994]

[7] (28 juin 1996) décision de la Commission du droit d’auteur.

[8] Supra note 6.

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