Contenu de la décision

Copyright Board
Canada

Canada Coat of Arms/Armoiries du Canada

Commission du droit d’auteur
Canada

 

Date

2012-12-20

Date

2013-04-26

Référence

Dossier : Reproduction d’œuvres musicales

Régime

Gestion collective relative aux droits visés aux articles 3, 15, 18 et 21

Loi sur le droit d’auteur, article 66.51

Commissaires

L’honorable William J. Vancise

Me Claude Majeau

Me J. Nelson Landry

Projet(s) de tarif examiné(s)

Tarif no 5 de la SODRAC

tarif des redevances à percevoir par la sodrac pour la reproduction, au canada, d’œuvres musicales incorporées à des œuvres cinématographiques en vue de la distribution de copies de ces œuvres cinématographiques pour usage privé ou en salle pour les années 2009 à 2012

Motifs de la décision

I. INTRODUCTION

[1] Le 2 novembre 2012, la Commission homologuait le Tarif no 5 de la SODRAC (reproduction d’œuvres musicales dans des œuvres cinématographiques pour usage privé ou en salle), 2009-2012. [1]

[2] Le 3 décembre 2012, l’Association canadienne des distributeurs et exportateurs de films (ACDEF) demandait à la Commission de modifier le tarif en question. L’ACDEF alléguait que la Commission, ayant affirmé vouloir homologuer le tarif proposé par l’ACDEF, avait homologué un tarif différent. L’ACDEF recherchait la correction de cette erreur. Quoique formulée de façon plus élaborée, la démarche se résume à deux demandes. Premièrement, la suspension du tarif pour 2009-2012 et la prorogation, à titre de tarif provisoire, du Tarif de la SODRAC pour la reproduction d’œuvres musicales dans des vidéocopies, 2004-2008. Deuxièmement, quant au fond, l’homologation d’un tarif 2009-2012 qui reflète la proposition de l’ACDEF.

[3] La SODRAC s’est opposée à la demande. Elle a soutenu que la décision du 2 novembre ne démontrait aucunement que la Commission avait eu l’intention de retenir la proposition de l’ACDEF. Elle ajoutait que, de toute manière, la Commission n’avait pas le pouvoir, implicite ou exprès, de modifier le tarif.

[4] Le 20 décembre 2012, la Commission suspendait l’application du tarif pour 2009-2012 et faisait droit à la demande de décision provisoire, motifs à suivre. Ce qui suit constitue les motifs de la décision.

II. ANALYSE

[5] Tous s’entendent pour dire que, dans certaines circonstances, la Commission a compétence intrinsèque pour corriger l’erreur que comporte une décision par ailleurs finale. Encore faut-il qu’il y ait erreur et que l’erreur en soit une que la Commission peut corriger.

A. La décision de la Commission est-elle entachée d’une erreur?

[6] L’ACDEF soutient qu’il y a erreur. La SODRAC répond ne pas le savoir. Nous concluons que la Commission a bel et bien commis une erreur.

[7] La décision du 2 novembre ne laisse aucun doute. La Commission entendait prendre à son compte ce qu’elle percevait être la proposition de l’ACDEF :

[176] […] Au bout du compte, nous acceptons la proposition des distributeurs pour deux raisons […].

[8] La décision ne laisse aucun doute non plus sur ce que la Commission croyait être cette proposition :

[166] Subsidiairement, l’ACDEF a proposé que le tarif soit structuré comme l’entente de 2002 de la SRC, à deux différences importantes près. Le tarif n’établirait pas de distinction entre la musique de premier plan et la musique de fond, et les taux augmenteraient, au lieu de diminuer, avec la quantité de musique utilisée : 0,65 ¢ la minute pour les quinze premières minutes, 1,25 ¢ pour les quinze minutes suivantes, et 2,0 ¢ par la suite. Les redevances seraient plafonnées à 1,2 pour cent des revenus de distribution. [...]

[9] L’entente de 2002 de la SRC prévoit un taux en cents par minute, par copie. La Commission énonce que l’ACDEF recherche un tarif structuré comme cette entente. La description que la Commission fait de la proposition de l’ACDEF suppose un taux en cents par minute, par copie. Le tarif homologué est un taux en cents par minute, par copie. Ce que la Commission percevait être la proposition de l’ACDEF ne fait donc aucun doute.

[10] Or, la proposition de l’ACDEF, qu’on retrouve dans la pièce CAF-6, prévoit clairement non pas un taux en cents par minute, par copie, mais un taux en cents par copie à trois paliers, selon la quantité de musique utilisée :

[TRADUCTION] 6. Le distributeur verse à la SODRAC les redevances suivantes pour chaque copie […] :

Utilisation du répertoire par copie (excluant l’utilisation promotionnelle)

Redevances en cents par copie

1 à 15 minutes

0,65

15 à 30 minutes

1,25

Plus de 30 minutes

2,0

Malgré les taux ci-indiqués, la redevance maximale payable à l’égard d’une œuvre cinématographique est de 1,2 % des recettes perçues par le distributeur pour la vente des copies ci-indiquées.

[11] Les plaidoiries finales de l’ACDEF sont également conformes à cette proposition :

[TRADUCTION] […] je tiens d’abord à souligner que le tarif de l’ACDEF au paragraphe 91 est un tarif par copie, donc pour chaque DVD. Autrement dit, ce sont des cents par copie. Si vous allez plus loin à 93 sur la page suivante, ce que propose la SODRAC, c’est un tarif par minute, par copie. [2]

[…]

Nous avons cherché à mettre de l’avant une proposition avec un éventail de taux simple, où il serait facile pour quelqu’un de voir combien de musique il y a et qui ne soulèverait pas de débat à savoir si c’est deux minutes ou trois, ou ce genre de chose; ce serait beaucoup plus simple. [3]

[12] Le paragraphe 91 du sommaire écrit des plaidoiries finales de l’ACDEF [4] reprend le tableau précité.

[13] La Commission a clairement mal interprété la proposition de l’ACDEF. La différence entre cette proposition et l’interprétation qu’en fait la Commission peut paraître subtile; elle n’en est pas moins importante. L’ACDEF recherchait un taux de 2 cents par copie de DVD contenant plus de 30 minutes de musique SODRAC; l’interprétation qu’en fait la Commission entraîne des redevances quinze fois plus élevées ou même davantage.

[14] Par ailleurs, et contrairement à ce que la SODRAC semble soutenir, il n’est pas nécessaire de savoir (ou de pouvoir déduire) la conclusion à laquelle la Commission serait parvenue si sa prémisse (ce que l’ACDEF demande) avait été correcte. Il y a erreur dès lors que la conclusion se fonde sur une prémisse fausse. Nous reviendrons sur ce point plus loin.

B. La Commission a-t-elle le pouvoir de corriger l’erreur commise?

[15] Pour corriger l’erreur commise, la Commission doit en avoir le pouvoir. Nous concluons en l’espèce qu’elle a ce pouvoir, pour deux motifs. Premièrement, l’erreur est manifeste, et la Commission a le pouvoir de corriger une erreur de ce type. Deuxièmement, l’erreur a entraîné l’homologation d’un tarif ultra petita, en violation de l’équité procédurale.

i. Erreur manifeste

[16] L’erreur de la Commission n’est pas une simple erreur d’écriture. Elle n’est pas non plus manifeste à la lecture de la seule décision; cependant, elle l’est à la lecture du dossier, tel que nous venons de le démontrer. Reste à établir si la Commission peut corriger une erreur de ce type.

[17] Règle générale, le principe de finalité exige que les décisions émanant d’organismes comme la Commission ne puissent être rouvertes, sauf exception.

[18] L’ACDEF invoque l’arrêt Chandler c. Alberta Association of Architects [5] pour prétendre que le principe de finalité devait être appliqué de manière plus souple à l’égard des tribunaux administratifs. Cette souplesse commanderait que la Commission puisse rouvrir sa décision afin de corriger l’erreur commise. La SODRAC prétend au contraire que l’arrêt Chandler n’est pas pertinent. La Commission n’a pas le pouvoir de corriger l’erreur, si tant est qu’elle existe. Au soutien de cette prétention, la SODRAC invoque l’arrêt Munger c. Cité de Jonquière. [6]

[19] Dans l’affaire Chandler, la Commission de révision des pratiques de l’Association des architectes de l’Alberta avait émis des ordonnances qui avaient été jugées ultra vires de ses pouvoirs et, par conséquent, annulées. La Commission avait alors indiqué son intention de poursuivre l’audience initiale afin de décider s’il y aurait lieu de rédiger un nouveau rapport, conformément à ses pouvoirs. La Cour du Banc de la Reine a interdit la poursuite de l’affaire, au motif que la Commission s’était acquittée de sa fonction et était donc functus officio. La Cour d’appel a conclu au contraire que la Commission, ayant omis de statuer sur la question dont elle était saisie, n’avait pas épuisé sa compétence. La Cour suprême a maintenu la décision de la Cour d’appel.

[20] Le juge Sopinka retrace l’historique du principe de functus officio à l’égard des décisions de justice. Ce principe ne s’applique pas lorsqu’il y a lapsus en rédigeant la décision ou qu’il y a une erreur dans l’expression de l’intention manifeste de la cour. Le juge Sopinka précise que les décisions établissant le principe visent avant tout les décisions pouvant faire l’objet d’un appel. Par conséquent, l’application de ce principe :

[…] doit être plus souple et moins formaliste dans le cas de décisions rendues par des tribunaux administratifs qui ne peuvent faire l’objet d’un appel que sur une question de droit. Il est possible que des procédures administratives doivent être rouvertes, dans l’intérêt de la justice, afin d’offrir un redressement qu’il aurait par ailleurs été possible d’obtenir par voie d’appel. [7]

[21] Dans l’affaire Munger, un tribunal d’arbitrage avait rendu une décision arbitrale imposant à une ville et à ses employés une convention collective. La ville avait demandé que la décision soit modifiée au motif que le tribunal aurait commis une erreur d’écriture. Le tribunal a fait droit à la demande. La Cour du Banc de la Reine a cassé cette décision, au motif que le tribunal n’avait pas le pouvoir de modifier sa décision.

[22] La Cour a invoqué deux décisions antérieures du même ressort : Fortin c. Talbot [8] et Jacques c. Paré. [9] Dans la première affaire, un juge de la Cour supérieure avait corrigé une décision dans laquelle un collègue avait omis de statuer sur les dépens. L’intention du juge ayant entendu l’affaire étant manifeste quant à cette question, la Cour du Banc du Roi a conclu que le second juge avait eu raison de corriger le jugement en ajoutant la mention « avec dépens » à la décision originale : il était impératif qu’il soit permis à un tribunal de corriger « ces erreurs que l’on commet par simple inadvertance, oubli, distraction, ou inattention, et qui d’ailleurs sont manifestes. » [10]

[23] L’arrêt Jacques confirme le principe qui se dégage de l’arrêt Fortin. Dans cette affaire, un juge de la Cour supérieure avait confondu dans ses conclusions le défendeur avec le demandeur. Sur requête d’une partie, le juge avait corrigé l’erreur au motif que le jugement ne rendait pas sa pensée. Dans le cadre d’une action directe entamée par l’autre partie, un second juge avait conclu par la suite qu’en raison du principe de la chose jugée, le premier juge n’avait pas compétence pour faire cette correction. La Cour du Banc du Roi, invoquant l’arrêt Fortin, a infirmé le second jugement et confirmé qu’un tribunal a compétence pour corriger une erreur commise par inadvertance lorsqu’il est manifeste que la décision ne rend pas l’opinion ou la pensée du décideur. [11] Loin de porter atteinte à l’autorité de la chose jugée, cela s’imposait dans l’intérêt de la justice. [12]

[24] Dans l’arrêt Munger, la Cour a conclu que la décision arbitrale ne comportait pas d’erreur susceptible d’être corrigée en vertu des principes établis dans les arrêts Fortin et Jacques. L’erreur, si tant est qu’elle existât, découlait du fait que le tribunal d’arbitrage n’avait pas envisagé toutes les conséquences qui découleraient de sa décision. Ce type d’erreur ne pouvait être corrigé.

[25] Tout comme l’ACDEF, nous sommes convaincus que l’analyse du pouvoir inhérent dont disposent les tribunaux administratifs en général (et la Commission en particulier) pour corriger l’erreur que comporte une décision finale passe nécessairement par l’arrêt Chandler. Tout comme la SODRAC, nous sommes convaincus que les arrêts Fortin, Jacques et Munger proposent un cadre analytique à l’aune duquel peut être interprété ce pouvoir. Ce cadre repose sur une conception pragmatique du rôle de ces tribunaux, suivant lequel la bonne administration de la justice administrative doit prévaloir sur l’application littérale du principe de finalité. Ce cadre est compatible avec l’arrêt Chandler, qui exige encore plus de souplesse lorsque l’erreur est commise par une autorité dont les décisions ne sont pas susceptibles d’appel.

[26] Les décisions attaquées dans les arrêts Fortin et Jacques interprétaient une disposition du Code de procédure civile de l’époque, prévoyant que « le juge peut, en tout temps, à la demande d’une des parties, corriger les erreurs cléricales entachant un jugement. » Qui plus est, ces affaires concernaient des arrêts de justice plutôt que des décisions de tribunaux administratifs. Cela n’en diminue pas la pertinence. D’une part, l’arrêt Munger mettait en cause une décision arbitrale, à laquelle la disposition invoquée dans les affaires Fortin et Jacques ne s’appliquait pas. [13] Bien plus, si, comme nous le pensons, l’erreur commise relève du cadre défini dans les arrêts Munger, Fortin et Jacques, il s’agit nécessairement d’une erreur que la Commission a le pouvoir intrinsèque de corriger, dans la mesure où l’arrêt Chandler exige une application encore plus souple du principe de finalité aux tarifs qu’homologue la Commission.

[27] La Commission a commis une erreur. Elle a cru s’inspirer d’une structure tarifaire alors qu’elle en a homologué une autre. La décision n’est pas susceptible d’appel. L’erreur est de celles que les arrêts Munger, Fortin et Jacques permettent de corriger. L’inadvertance ou la distraction en est la source. Elle est par ailleurs manifeste : à l’évidence, la Commission croyait que l’ACDEF recherchait tout autre chose que ce que l’ACDEF demandait. Il s’ensuit que la Commission a le pouvoir de rouvrir sa décision et de corriger son erreur. Cette conclusion pragmatique s’impose d’autant plus que la Cour d’appel fédérale, saisie d’une demande de révision judiciaire, n’aurait d’autre choix que d’y faire droit. Attendre que cela se produise entraînerait une utilisation sous-optimale du temps et des ressources de ce ressort.

[28] Reste à établir comment l’erreur peut être corrigée. L’ACDEF soutient que la Commission a retenu de manière non ambiguë la proposition de l’ACDEF, bien qu’elle ait homologué une tout autre structure tarifaire. L’ACDEF en conclut que la Commission doit modifier le tarif de façon à refléter la structure proposée par l’ACDEF. La SODRAC soutient au contraire que l’intention finale de la Commission n’étant pas manifeste à la lecture de la décision, elle ne peut rouvrir sa décision.

[29] Les prétentions de l’une et l’autre partie ne tiennent pas. La confusion que les parties semblent entretenir entre l’intention manifeste et l’erreur manifeste en est peut-être la cause. L’application même stricte du principe de finalité permet la correction de l’erreur dans l’expression de l’intention manifeste du décideur. Mais ce n’est pas de cela dont il est question en l’espèce. La Commission a commis une erreur manifeste au sens de l’arrêt Munger, fondée sur la prémisse que l’ACDEF proposait ceci alors qu’elle proposait cela. Vu les arrêts Fortin, Jacques, Munger et Chandler, cela suffit à rouvrir l’affaire, et ce, même si l’intention de la Commission − la structure tarifaire qu’elle aurait homologuée si elle avait bien saisi la position de l’ACDEF − n’est pas manifeste. La Commission doit rouvrir le dossier et rendre une nouvelle décision.

ii. Ultra petita

[30] L’ACDEF soutient que le tarif homologué impose pour certains usages des redevances plus élevées que ce que la SODRAC avait demandé dans son projet de tarif original. Il en résulterait que la Commission a outrepassé ses compétences et doit pouvoir rouvrir la décision. La SODRAC, en revanche, prétend que la Commission n’est pas tenue de retenir la position intégrale de l’une ou l’autre partie, qu’elle peut modifier les redevances et leurs modalités afférentes en fonction de ce qu’elle estime être nécessaire.

[31] La Commission n’est pas tenue de se limiter aux propositions des parties; elle peut même adjuger ultra petita. Cela dit, là n’est pas la question. Ce qu’il faut établir, c’est si le tarif homologué octroie à la SODRAC davantage que ce qu’elle avait demandé et, si tel est le cas, si les parties ont eu l’occasion de faire valoir leurs moyens par rapport à la structure tarifaire retenue.

[32] On démontre aisément que la redevance payable en vertu du tarif homologué finit toujours par dépasser ce qui aurait été payable en vertu des propositions de la SODRAC.

[33] La Commission a homologué les redevances suivantes : 0,65 ¢ la minute pour les quinze premières minutes, 1,25 ¢ pour les quinze minutes suivantes, et 2,0 ¢ par la suite. [14]

[34] Le projet de tarif de la SODRAC publié dans la Gazette du Canada proposait des redevances de 1,2 pour cent des revenus de distribution. [15]

[35] À la fin des audiences, la SODRAC a proposé les redevances suivantes : pour la musique de premier plan, 1,92 ¢ par minute pour les quinze premières minutes, 1,18 ¢ pour les quinze minutes suivantes et 0,71 ¢ par la suite; pour la musique de fond, 0,78 ¢ par minute pour les quinze premières minutes, 0,47 ¢ pour les quinze minutes suivantes et 0,28 ¢ par la suite. [16]

[36] Le nombre de minutes à partir duquel la redevance payable en vertu du tarif homologué dépasse ce qui aurait été payable en vertu des propositions de la SODRAC se fait comme suit :

Number of minutes / Nombre de minutes

Royalty payable based on the certified tariff / Redevance payable en vertu du tarif homologué

Royalty payable under SODRAC’s proposals / Redevance payable en vertu des propositions de la SODRAC

28 minutes

($0.0065 × 15) + ($0.0125 × 13) = $0.26

Proposed tariff / tarif proposé

 

1.2% of/de $22 [17] = $0.26

18 minutes

($0.0065 × 15) + ($0.0125 × 3) = $0.135

Alternative proposal (background music) / Proposition alternative (musique de fond)

 

($0.0078 × 15) + ($0.0047 × 3) = $0.1311

44 minutes

($0.0065 × 15) + ($0.0125 × 15) + ($0.02 × 14) = $0.565

Alternative proposal (feature music) / Proposition alternative (musique de premier plan)

 

($0.0192 × 15) + ($0.0118 × 15) +

($0.0071 × 14) = $0.5644

[37] Les points de dépassement se situent donc à 28, 18 et 44 minutes respectivement, si on examine la question du point de vue des œuvres cinématographiques individuelles.

[38] Certains pourraient soutenir qu’un dépassement pour certaines œuvres individuelles importe peu si dans son ensemble, le tarif homologué ne génère pas davantage de redevances que les propositions de la SODRAC. L’argument ne saurait tenir que si l’industrie de la distribution était relativement homogène. Or, la preuve entendue nous porte à croire le contraire : par exemple, un film québécois est beaucoup plus susceptible d’utiliser de la musique de la SODRAC qu’un film hollywoodien. Par conséquent, certains distributeurs feraient les frais des dépassements plus que d’autres.

[39] Par ailleurs, si l’on se fonde sur la preuve versée au dossier, les films dont la SODRAC détient les feuilles de minutage contiennent en moyenne 28 minutes de musique. [18] Par conséquent, dans deux des trois hypothèses analysées ci-haut, le point de dépassement est inférieur ou égal à la quantité de musique moyenne selon les feuilles de minutage. Cela nous convainc de la grande probabilité que le tarif homologué entraîne dans son ensemble le versement de redevances dépassant ce que la SODRAC avait demandé.

[40] Ce qui précède nous amène à conclure qu’il y a bien, en l’espèce, ultra petita tant au niveau individuel que dans l’ensemble.

[41] La Cour d’appel fédérale a décidé que la Commission peut homologuer un tarif supérieur à celui que propose une société de gestion, sans égard au principe de l’ultra petita, pour autant que l’équité procédurale soit respectée. [19] En l’espèce, la structure tarifaire que la Commission a retenue est inédite. Elle entraîne de nombreuses situations où le montant des redevances dépasse ce que la SODRAC proposait. Comme les parties n’ont pas eu l’occasion de faire valoir leurs moyens à l’égard de la structure tarifaire retenue, il y a eu manquement à l’équité procédurale. Ce manquement rend nulle l’homologation du tarif 5 de la SODRAC. Il ne fait aucun doute que la Commission peut réexaminer une affaire lorsque la décision qui prétend en disposer est entachée d’une nullité par suite d’un tel manquement. [20]

a. Autres prétentions

[42] Compte tenu de ce qui précède, il n’est pas nécessaire de trancher les autres prétentions des parties, y compris : si l’erreur commise constitue une évolution importante des circonstances au sens de l’article 66.52 de la Loi sur le droit d’auteur; si la décision du 2 novembre est nulle parce que non fondée sur la preuve au dossier; si la décision du 2 novembre traite suffisamment de l’ensemble des questions soulevées par le dossier.

b. Le contenu de la décision provisoire

[43] Une fois prise la décision de rouvrir l’affaire, la nature de la décision provisoire à rendre s’imposait, pour les motifs invoqués par l’ACDEF.

[44] La décision provisoire sert à se prémunir contre les effets néfastes des délais entre la mise en branle d’un processus et la prise d’une décision finale. Sans décision provisoire, le tarif pour 2009-2012 aurait commencé à faire sentir ses effets le 1er janvier 2013. Il aurait imposé une structure tarifaire, des taux et des obligations de rapport inédits, exigeant la mise en place d’une infrastructure administrative importante qui deviendrait inutile si la décision finale, une fois l’affaire rouverte, s’avérait nettement différente. Il était préférable de maintenir le statu quo, et de remettre en place, toujours à titre provisoire, le tarif pour 2004-2008 qui, par l’effet de l’article 70.18 de la Loi, avait déjà été prorogé comme mesure provisoire jusqu’à la décision du 2 novembre.

c. Conclusion

[45] L’application du tarif pour 2009-2012 a été suspendue. La Commission a fait droit à la demande de tarif provisoire. Le dossier a été rouvert et une nouvelle décision sera rendue. En temps et lieu, la Commission fera savoir aux parties si elle entend procéder à partir du dossier tel que constitué ou si l’affaire exige que les parties déposent auprès de la Commission une preuve ou des prétentions additionnelles.

Le secrétaire général,

Signature

Gilles McDougall



[1] Tarif 5 de la SODRAC (Reproduction d’œuvres musicales dans des œuvres cinématographiques pour usage privé ou en salle), 2009-2012 (2 novembre 2012) Décision de la Commission du droit d’auteur. [SODRAC 5 (2012)]

[2] Transcriptions (SODRAC c. SRC et SODRAC c. Astral) volume 13 aux pp. 2860:24-2861:5.

[3] Ibid. aux pp. 2862:22-2863:3.

[4] DEF-69, au para. 91. Pièce déposée conjointement par Astral et SRC/CBC.

[5] [1989] 2 R.C.S. 848. [Chandler]

[6] [1962] B.R. 381 (Qué.). [Munger]

[7] Chandler, supra note 5 à la p. 862.

[8] (1931), 51 B.R. 124 (Qué.). [Fortin]

[9] (1939), 66 B.R. 542 (Qué.). [Jacques]

[10] Fortin, supra note 8 à la p. 126.

[11] Jacques, supra note 9 à la p. 546.

[12] Ibid. à la p. 545.

[13] [TRADUCTION] « L’article en question ne s’applique pas directement en l’espèce, mais nous pouvons, à mon avis, appliquer le même principe » : Munger, supra note 6 à la p. 386. La Cour suprême a maintenu la décision dans son ensemble, tout en reprenant à son compte le passage précité : La Cité de Jonquière c. Munger, et al, [1964] R.C.S. 45 à la p. 48.

[14] SODRAC 5 (2012), supra note 1 au para. 176.

[15] Ibid. au para. 163.

[16] Ibid.

[17] Prix moyen de gros d’un DVD : transcriptions (SODRAC 5, 2009-2012), volume 2 à la p. 261.

[18] À l’exception des films comportant plus de 60 minutes, qui sont habituellement traités séparément.

[19] Société canadienne de perception de la copie privée c. Canadian Storage Media Alliance, [2005] 2 C.F. 654 (C.A.)

[20] Voir entre autres Chandler, supra note 5 au para. 81.

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