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Copyright Board
Canada

Canada Coat of Arms/Armoiries du Canada

Commission du droit d’auteur
Canada

 

Date

2013-08-30

Référence

Dossier : Copie privée 2012, 2013 et 2014

Régime

Copie pour usage privé

Loi sur le droit d’auteur, paragraphe 83(8)

Commissaires

L’honorable William J. Vancise

Me Claude Majeau

Me J. Nelson Landry

Tarif des redevances à percevoir par la SCPCP en 2012, 2013 et 2014 sur la vente de supports audio vierges, au Canada, pour la copie à usage privé d’enregistrements sonores ou d’œuvres musicales ou de prestations d’œuvres musicales qui les constituent

Motifs de la décision

I. INTRODUCTION

[1] Le 31 mars 2011, la Société canadienne de perception de la copie privée (SCPCP) a déposé auprès de la Commission, conformément à l’article 83 de la Loi sur le droit d’auteur [1] (la « Loi »), un projet de tarif des redevances à percevoir en 2012-2013 sur la vente de supports audio vierges, au Canada, pour la copie à usage privé d’enregistrements sonores ou d’œuvres musicales ou de prestations d’œuvres musicales qui les constituent (« copie privée »). Le projet été publié dans la Gazette du Canada le 14 mai 2011, de même qu’un avis concernant le droit de quiconque de s’y opposer par écrit jusqu’au 13 juillet 2011.

[2] La Commission a reçu des avis d’opposition de 21 sociétés et de 17 particuliers. Le 18 août 2011, elle a demandé aux opposants de confirmer leur intention de participer pleinement au processus. Quatorze ont répondu à cette requête; ceux qui ne l’ont pas fait ont été réputés s’être retirés, et leur avis d’opposition a été traité comme une lettre de commentaires.

[3] Le projet de tarif visait les CD enregistrables (CD-R, CD-RW, CD-R Audio et CD-RW, collectivement les « CD vierges ») et, pour la première fois, les cartes mémoire électroniques. Le 1er septembre 2011, la SCPCP a abandonné sa demande à l’égard de toutes les cartes mémoire à l’exception des cartes microSD.

[4] Le 18 novembre 2011, conformément à l’article 66.51 de la Loi, la SCPCP a demandé un tarif provisoire pour les CD vierges. La Commission a fait droit à la demande le 19 décembre.

[5] Le 16 janvier 2012, la SCPCP a déposé un projet de tarif des redevances à percevoir en 2014. Le projet a été publié dans la Gazette du Canada le 11 février 2012. En plus des nouveaux opposants au projet pour 2014, huit des opposants au tarif pour 2012-2013 s’y sont également opposés.

[6] Le projet de tarif pour 2014 visait uniquement les CD vierges et les cartes microSD. Sur tous les autres aspects, il était identique au projet pour 2012-2013.

[7] Le 19 avril 2012, la SCPCP a demandé que les deux tarifs soient examinés en même temps. La Commission a fait droit à la demande. L’audience a d’abord été fixée au 15 mai 2012. À la demande des opposants, la Commission l’a reportée au 9 octobre 2012.

[8] Le 3 juillet 2012, le ministre de l’Industrie a annoncé son intention de présenter un règlement excluant les cartes microSD des supports assujettis à une redevance pour la copie privée, conformément aux articles 79 et 87 de la Loi. Le 20 juillet 2012, à la demande des opposants, la Commission a divisé l’audience en deux étapes. La Commission entendrait d’abord tous les arguments concernant les CD ainsi que les arguments de la SCPCP concernant les cartes microSD. Elle entendrait ensuite, si nécessaire, les arguments des opposants concernant les cartes microSD.

[9] La première étape de l’audience a eu lieu les 9 et 10 octobre 2012. Sept opposants se sont présentés, soit le Conseil canadien du commerce de détail (CCCD), Samsung Electronics Canada Inc. (Samsung), Panasonic Canada Inc. (Panasonic) et une coalition composée de LG Electronics Canada, Inc., de Micron Technology Inc., de SanDisk Corporation et de Research in Motion Limited. Pour les raisons énoncées ci-dessous, la deuxième étape n’a pas été nécessaire.

[10] Le Règlement d’exclusion visant les cartes microSD (Loi sur le droit d’auteur) [2] (le « Règlement »), a été enregistré et est entré en vigueur le 18 octobre 2012, et a été publié dans la Gazette du Canada le 7 novembre 2012. À compter de sa date d’entrée en vigueur, il exclut les cartes microSD de la définition donnée à « support audio » à l’article 79 de la Loi. Par conséquent, les cartes microSD ne peuvent faire l’objet d’une redevance pour copie privée à partir de cette date.

[11] Le 29 novembre 2012, la Commission a demandé aux parties de répondre aux quatre questions énoncées au paragraphe 50 ci-dessous, en vue d’évaluer l’effet potentiel du Règlement sur la possibilité pour la Commission d’imposer une redevance juste sur les cartes microSD du 1er janvier au 17 octobre 2012. Le dossier de l’instance a été mis en état le 8 février 2013, lorsque les opposants ont répondu aux observations de la SCPCP sur ces questions.

A. Position des parties

[12] La SCPCP propose le maintien du taux actuel de 29 ¢ par CD vierge et l’imposition d’un taux de 50 ¢ par carte microSD d’un gigaoctet (Go) ou moins, de 1,00 $ par carte de plus d’un Go mais de moins de huit Go, et de 3,00 $ par carte de huit Go ou plus. Selon elle, tant les CD vierges que les cartes microSD constituent des supports audio et les taux proposés sont raisonnables.

[13] La coalition, Panasonic et Samsung font valoir que les cartes microSD ne constituent pas un support audio, que les taux proposés sont excessifs et que les obligations de rapport proposées sont indûment lourdes et visent des renseignements non nécessaires pour la gestion du tarif.

[14] Le CCCD a exposé des motifs d’opposition du même ordre. En outre, il conteste la constitutionnalité de la partie VIII de la Loi. Il fait aussi valoir qu’une redevance sur les CD n’est plus justifiée, au motif que les consommateurs ne s’en servent plus habituellement pour copier de la musique.

B. Analyse

i. La Partie VIII est-elle constitutionnelle?

[15] Le CCCD n’a pas prouvé avoir déposé l’avis de question constitutionnelle prévu à l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales. [3] Par conséquent, ce point n’a pas été abordé.

ii. Un CD vierge est-il un support audio?

[16] Témoignant au nom de la SCPCP, Stephen Stohn, de Stohn Hay Cafazzo Dembroski Richmond LLP, et Paul Audley, de Paul Audley and Associates, ont présenté un rapport [4] mettant à jour la méthode d’évaluation des redevances (le « modèle Stohn/Audley ») qu’ils ont initialement proposée et que la Commission a plusieurs fois utilisée pour établir la redevance à prélever sur les supports audio vierges. À la lumière des données contenues dans leur rapport, les témoins estiment qu’en 2010-2011 : a) 15 pour cent (373,5 millions) des 2,29 milliards de pistes audio copiées sur un support ou un appareil l’ont été sur des CD vierges; [5] b) les consommateurs canadiens ont acheté 33,4 millions de CD vierges, [6] dont 14,3 millions ont servi à copier de la musique; [7] c) 29 pour cent de ceux qui ont utilisé des CD l’ont fait exclusivement pour copier de la musique. [8]

[17] Les projections présentées dans la dernière version du Rapport de Santa Clara, [9] auxquelles la Commission s’est fiée par le passé pour estimer les tendances que suivent les ventes de CD vierges, semblent indiquer que ce marché continue de se contracter, comme l’avait anticipé la Commission il y a deux ans. [10] Sur la base de ces projections, le CCCD prétend que les consommateurs n’utilisent plus habituellement les CD vierges pour copier de la musique, et que ces CD ne devraient donc plus être assujettis à une redevance.

[18] Nous estimons que les projections du Rapport sont fiables pour 2011, mais non pour 2012 à 2014. La version à laquelle nous avons accès donne les ventes réelles enregistrées en 2010. Comme MM. Stohn et Audley le soulignent dans leur réplique, les projections de ventes du Rapport sont fiables pour la première année de chacune des périodes quinquennales présentées, mais exagèrent généralement le rythme du déclin des ventes dans les années subséquentes. [11]

[19] La preuve montre clairement que les CD vierges continueront de satisfaire au critère de l’« utilisation habituelle » jusqu’à la fin de la période d’application du tarif en 2014. En 2011-2012, les Canadiens ont copié 373,5 millions de pistes musicales sur 14,3 millions de CD. Ces quantités diminueront. Cependant, même si elles chutaient de 70 pour cent pendant la période d’application du tarif (c.-à-d. si en 2014 les Canadiens copiaient 112 millions de pistes musicales sur 4,3 millions de CD), les CD satisferont encore ce critère. Deux points de référence suffisent pour étayer cette conclusion.

[20] Après avoir entendu des éléments de preuve selon lesquels les Canadiens avaient copié 26,1 millions de pistes musicales sur des audiocassettes en 2006-2007, la Commission a conclu que la redevance perçue sur les audiocassettes devait être maintenue en 2008-2009. [12] La copie de 112 millions de pistes musicales sur des CD vierges en 2014 représenterait quatre fois cette quantité.

[21] Par ailleurs, dans CP VI, la Commission a souligné que la formation saisie de la première décision de copie privée avait estimé que « la vente de 1,05 million, de 2,3 millions et de 4,3 millions d’unités [servant à copier de la musique] répondait au critère de l’"utilisation habituelle" ».13 [13] Le recours à 4,3 millions de CD vierges en vue de copier de la musique en 2014 correspondrait à une telle utilisation, voire plus.

[22] Nous jugeons par conséquent qu’un CD constitue toujours un support audio tel que celui-ci est défini à l’article 79 de la Loi.

iii. Quelle devrait être la redevance sur les CD vierges?

[23] Depuis 1999, la Commission a utilisé le modèle Stohn/Audley de manière intermittente pour déterminer les redevances à percevoir. Les caractéristiques du modèle sont quelque peu différentes aujourd’hui de ce qu’elles étaient en 1999, car le modèle a été adapté pour refléter l’évolution du marché. Néanmoins, dans l’ensemble, les hypothèses sous-jacentes, la structure et la méthode restent les mêmes.

[24] Le modèle se fonde principalement sur trois ensembles de données. Le premier est la rémunération versée aux auteurs, aux maisons de disques et aux interprètes lorsqu’une œuvre musicale, un enregistrement sonore ou une prestation sont copiés. Le deuxième et le troisième sont tirés de deux sources de renseignements sur les ventes et l’utilisation des CD : le Rapport de Santa Clara [14] et un sondage de veille musicale mensuel mené par la SCPCP sur une base permanente. [15]

[25] Le modèle prévoit d’abord le calcul de l’indemnité par piste versée aux auteurs, aux interprètes et aux producteurs. À cette fin, MM. Stohn et Audley ont utilisé deux mesures de référence – l’une fondée sur les redevances versées pour un CD préenregistré (« mesure de référence des CD »), et l’autre fondée sur celles versées pour un téléchargement numérique (« mesure de référence numérique »). La mesure de référence numérique a été examinée puis rejetée dans des décisions antérieures de la Commission; les témoins soutiennent avoir répondu aux réserves que la Commission avait exprimées à son égard et que, par conséquent, il est désormais possible de l’utiliser.

[26] Aux fins de la présente affaire, il est suffisant de dire que, lorsqu’un CD préenregistré sert de référence, la première partie du modèle fait intervenir les étapes suivantes. Premièrement, on calcule l’indemnité totale versée aux auteurs, aux interprètes et aux producteurs pour la vente d’un CD préenregistré. Deuxièmement, on ajuste cette somme pour refléter le fait que tous les auteurs, interprètes et producteurs n’ont pas droit à une part de la redevance. Troisièmement, on réduit l’indemnité parce qu’une copie privée vaut moins qu’un CD préenregistré. Quatrièmement, on ajoute une prime parce que les consommateurs choisissent chacune des pistes copiées sur un CD vierge, alors qu’ils ne participent en rien au choix des pistes copiées sur un CD préenregistré. Cinquièmement, on divise la somme ainsi obtenue par le nombre moyen de pistes musicales que contient un CD préenregistré. Dans le cas de la mesure de référence numérique, les étapes ne diffèrent que très légèrement.

[27] Selon le calcul de MM. Stohn et Audley, l’indemnité par piste pour les auteurs, interprètes et producteurs est de 0,11895 $ pour les CD et de 0,0782 $ pour les copies numériques. L’écart est dû à des facteurs qu’il n’est pas pertinent d’aborder ici. Les témoins suggèrent d’utiliser la moyenne pondérée de ces deux mesures, soit 0,1030 $.

[28] Dans le modèle Stohn/Audley, d’autres ajustements sont appliqués à la mesure de référence retenue, de manière à refléter le nombre moyen de pistes copiées sur un CD vierge, le pourcentage des CD que les consommateurs utilisent réellement pour copier de la musique (y compris les pertes) et le fait que certaines copies (téléchargements autorisés, copies promotionnelles) sont déjà autorisées. En utilisant les données habituelles, le modèle donne une redevance de 75 ¢ en utilisant la mesure de référence des CD, de 49 ¢ en utilisant la mesure de référence numérique et de 65 ¢ en utilisant la mesure mixte. Ces sommes sont nettement supérieures à la redevance de 29 ¢ demandée par la SCPCP.

[29] Le modèle Stohn/Audley repose sur plusieurs hypothèses qui n’ont pas été évaluées depuis plusieurs années. Par exemple, dans le calcul de l’indemnité par piste dans la mesure de référence des CD, des ajustements sont apportés pour tenir compte des ventes de CD à bas prix; les données pertinentes n’ont pas été mises à jour depuis 2006. Aussi, les rajustements relatifs au répertoire (qui sont nécessaires parce que tous les auteurs, interprètes et producteurs n’ont pas droit à une part de la redevance) sont fondés sur des sondages menés en 2007; on ne sait pas si le répertoire admissible a beaucoup changé depuis.

[30] Le nombre de pistes copiées sur un CD vierge est une autre variable incertaine. MM. Stohn et Audley affirment que ce nombre est passé de 18 en 2010 à 26 en 2011, et qu’il est resté stable en 2012. Ils expliquent ce changement en soulignant que le nombre de pistes copiées sur des CD a augmenté, alors que le nombre de CD achetés est demeuré à peu près le même. Cette conclusion mécanistique ne fournit aucune explication à ce changement de comportement. Les raisons pour lesquelles ceux qui font des copies privées utilisent les CD vierges plus efficacement qu’auparavant restent inexpliquées.

[31] Une modification importante du nombre de pistes copiées par CD vierge soulève d’autres questions, comme il a été noté dans CP VII :

[9] Enfin, il se pourrait que certaines des données présentées en preuve soient utilisées de façon inappropriée, même si elles sont exactes. Il en est ainsi du nombre moyen de pistes copiées sur un CD vierge. La rémunération ajustée par piste, qui sert à déterminer le taux de redevance, est calculée en supposant qu’un CD préenregistré compte en moyenne 15 pistes. Si ce nombre était supérieur à 15, la rémunération ajustée par piste diminuerait en conséquence. Or, le modèle suppose que, indépendamment du nombre de pistes copiées sur un CD vierge, la rémunération ajustée par piste s’applique. En conséquence, il sera peut-être nécessaire de réexaminer cette rémunération et d’autres ajustements servant à établir le montant des redevances sur la copie privée si le marché évolue aussi rapidement que l’a sous-entendu la SCPCP. [16]

[32] En outre, si 26 pistes musicales en moyenne sont copiées sur un CD vierge, cela signifie que certains fichiers sont copiés dans un format comprimé. La compression entraîne une perte de fréquence. Un nouvel ajustement pourrait être nécessaire pour en tenir compte. En l’absence de quelque donnée que ce soit sur cette valeur, cependant, nous ne sommes pas en mesure d’évaluer l’ampleur de l’ajustement requis. [17]

[33] Le modèle Stohn/Audley pose un problème plus fondamental : son utilité dépend de la pertinence des données sur lesquelles il s’appuie pour générer les résultats. Tant que les données sont fiables et reflètent, avec un certain niveau de constance, des tendances claires, stables et mesurables, le modèle a son utilité.

[34] Lorsqu’une technologie atteint la fin de son cycle de vie, les renseignements qui peuvent être obtenus, tout particulièrement par sondage, deviennent généralement instables au point de ne plus être fiables, ce qui rendrait le modèle Stohn/Audley inutilisable. La Commission y fait allusion dans CP VII :

[7] Le marché des CD vierges se contracte très rapidement au profit de technologies de reproduction plus récentes. Le CD vierge approche de la fin de son cycle de vie technologique et sa part de marché devrait être négligeable d’ici peu. Des changements aussi rapides font en sorte que les renseignements que la SCPCP peut obtenir, notamment ceux qui proviennent de sondages, deviennent nécessairement moins fiables. Les changements annuels pouvant être observés ne correspondent pas nécessairement aux tendances, il pourrait s’agir de variations transitoires, erratiques et de courte durée. Par exemple, la hausse de la proportion de CD achetés par des particuliers s’explique par une forte diminution de l’achat de ces supports à des fins commerciales. Manifestement, il ne s’agit pas d’un changement permanent : les particuliers devraient eux aussi diminuer avec le temps la quantité de CD vierges qu’ils achètent. [18]

[35] Le dossier de l’instance confirme que le CD vierge est en déclin et aura presque assurément atteint la fin de son cycle de vie technologique à la fin de 2014. [19] Les ventes de CD en 2010-2011 représentaient le tiers, voire moins, de leur sommet historique, que ce soit en valeur ou selon le nombre d’unités. Nous ne croyons pas que le déclin sera aussi rapide que ce que prévoit le Rapport de Santa Clara pour 2012 et par la suite, mais nous ne doutons aucunement qu’il se poursuivra.

[36] La proportion de CD vierges vendus aux consommateurs était à 54 pour cent en 2006-2007, à 39 pour cent en 2008-2009, à 59 pour cent en 2009-2010 et à près de 65 pour cent en 2010-2011. Ces fluctuations sont mentionnées dans le passage de CP VII précité. Elles concordent avec la théorie du cycle de vie. Ceux qui adoptent les nouvelles technologies sont généralement désignés comme faisant partie soit des innovateurs, des utilisateurs précoces, de la majorité précoce, de la majorité tardive ou des retardataires. [20] Les innovateurs et les utilisateurs précoces qui ont été les premiers à acheter des CD vierges sont depuis longtemps passés à d’autres supports d’enregistrement. Les entreprises ont fait de même, puisqu’elles doivent s’adapter aux technologies récentes et améliorées pour rester concurrentielles. Ceux qui restent sont essentiellement des consommateurs qui continuent d’utiliser des CD vierges soit par choix (retardataires), soit par nécessité (p. ex. propriétaire d’un véhicule dont le système de son permet la lecture de CD mais non d’un iPod). Comme ce noyau de consommateurs résiste au passage à une nouvelle technologie pendant que les entreprises y sont forcées, la proportion des CD qui sont achetés par des particuliers augmente.

[37] Le nombre de CD achetés par des consommateurs continue de baisser, mais le nombre de CD achetés pour être utilisés en entreprise ou à des fins commerciales baisse encore plus rapidement. Cela se traduit par une augmentation du pourcentage des CD qui sont achetés par des particuliers. Cette tendance se poursuivra sans doute jusqu’à ce que le marché total devienne négligeable, auquel moment les consommateurs individuels cesseront de toute façon d’utiliser habituellement les CD pour copier de la musique.

[38] À mesure que le nombre de Canadiens utilisant des CD vierges pour copier de la musique diminue, les données nécessaires à l’application du modèle deviendront moins stables, moins fiables et plus difficiles à collecter.

[39] L’application du modèle Stohn/Audley à une technologie en fin de cycle de vie soulève aussi une question d’équité et de bon sens. Dans ce modèle, une augmentation de la proportion des CD vierges achetés par des particuliers, toutes choses étant égales par ailleurs, se traduit par une augmentation de la redevance. Pour certains, cela est normal dans un régime où le total des redevances est réparti également entre toutes les unités vierges d’un type donné de support. Ils pourraient même affirmer que ce résultat est à la fois prévisible et souhaitable : le fardeau de l’activité pour laquelle la redevance est perçue incombe de plus en plus à ceux qui pratiquent cette activité.

[40] Pourtant, ce résultat en apparence logique paraît pervers et pourrait être injuste. Les CD vierges sont des marchandises à bas prix procurant une faible marge bénéficiaire. L’augmentation de la redevance unitaire se traduit probablement par une augmentation de leur prix. Il semble absurde d’augmenter le prix d’une marchandise qui est en fin de cycle de vie, ou presque, par la voie d’un facteur externe comme une redevance imposée par un organisme gouvernemental.

[41] Les CD approchant la fin de leur cycle de vie, nous estimons que l’utilité du modèle Stohn/Audley est révolue. Nous ne nous y fierons donc plus.

[42] Aucun opposant n’a proposé de taux précis pour la redevance sur les CD. Le CCCD a fait référence à un rapport [21] documentant les redevances imposées sur les CD vierges, d’autres supports d’enregistrement et les appareils d’enregistrement dans 26 pays, y compris le Canada. Les redevances en numéraire ont été converties en euros; celles établies à un pourcentage d’un taux de base (prix à l’importation, valeur, etc.) ont été laissées telles quelles. Les taux en euros variaient de 1 à 34 cents; ils n’étaient supérieurs aux taux canadiens que dans quatre cas. Le CCCD souhaite que nous nous fondions sur cette information pour conclure que la redevance de 29 ¢ est trop élevée.

[43] La Commission poursuivra sa pratique consistant à faire preuve de prudence à l’égard des taux étrangers. [22] L’exemple qui suit fournit une explication. Nous ne savons pas comment ces taux ont été fixés. Nous savons que quatre seulement sont plus élevés que les taux canadiens. Nous savons aussi que les taux varient d’un facteur pouvant atteindre 34 pour 1. Nous ne savons pas si les taux les plus bas ont été influencés par des caractéristiques des marchés ou d’autres considérations (politiques) qui n’existent pas au Canada. Ainsi, l’imposition de redevances sur des supports (p. ex. les DVD) qui n’y sont pas assujettis au Canada, ou sur des appareils, qui ne sont jamais visés par le régime canadien, pourrait faire en sorte que le fardeau global du régime soit réparti plus largement. À défaut d’avoir beaucoup plus de renseignements, il serait imprudent de tenir compte de ces taux pour fixer une redevance.

[44] Comme nous avons rejeté les propositions des deux parties, il ne nous reste que le taux que propose la SCPCP dans son projet de tarif. Celle-ci a proposé une redevance de 29 ¢, comme elle l’a fait chaque fois depuis 2010. Dans CP VI et CP VII, la Commission a estimé que 29 ¢ constituait une redevance raisonnable et même, que toute autre redevance raisonnable serait probablement plus élevée. Si notre analyse de fin de cycle est exacte, alors une redevance raisonnable pourrait être encore plus élevée, sous réserve de nos commentaires formulés au paragraphe 40 quant au caractère potentiellement injuste d’une augmentation du prix d’une marchandise qui est en fin de cycle de vie, ou presque, par la voie d’une redevance imposée par un organisme gouvernemental.

[45] La redevance actuelle fait partie des réalités du marché. Son maintien permet à la fois d’indemniser les titulaires de droits jusqu’à ce qu’une telle indemnisation ne soit plus applicable et d’éviter certains des effets pervers que pourrait avoir un calcul trop rigide fondé sur la consommation réelle sur le prix d’une marchandise en fin de cycle.

[46] En conséquence, nous homologuons une redevance de 29 ¢ par CD vierge.

iv. Obligations de rapport

[47] Les opposants n’ont présenté aucun élément de preuve ni argument nous poussant à conclure que les obligations de rapport actuelles sont indûment lourdes; elles restent donc inchangées.

v. Une carte microSD est-elle un support audio?

[48] En 2003, la Commission a refusé d’homologuer une redevance pour la copie privée sur les cartes mémoire amovibles parce que la preuve ne permettait pas de conclure que toutes ces cartes, en vrac, étaient des « supports audio ». [23] La question ne se soulève pas en l’espèce. La SCPCP a restreint son projet de tarif aux cartes microSD et a produit une preuve étayant l’argument selon lequel ces cartes sont un « support audio ». À la lumière du dossier actuel et sans égard à la preuve qu’auraient pu présenter les opposants à la deuxième étape des présentes, nous serions d’avis qu’une carte microSD constitue un support audio aux termes de l’article 79 de la Loi.

[49] Par conséquent, sauf circonstances exceptionnelles, et toujours sous réserve de la preuve qu’auraient pu présenter les opposants à la deuxième étape des présentes, la SCPCP aurait le droit de percevoir une redevance sur les cartes microSD du 1er janvier au 17 octobre 2012. Nous nous penchons ci-dessous sur l’existence de telles circonstances exceptionnelles en l’espèce.

C. Positions des parties sur les questions soulevées dans l’avis de la Commission du 29 novembre 2012

[50] Peu après l’entrée en vigueur du Règlement, les parties ont été invitées à répondre à quatre questions, selon l’hypothèse que les cartes microSD se qualifiaient comme support audio et que toute redevance applicable serait perçue rétroactivement à compter du 1er janvier 2012 :

  1. serait-il intrinsèquement injuste d’établir un tarif, sachant que l’expérience passée a prouvé que la perception rétroactive est difficile ou impossible dans le régime de copie privée?

  2. la mise en place d’une structure comptable et de rapport pour une période de moins de dix mois entraînerait-elle des coûts démesurés compte tenu des redevances proposées ou potentielles?

  3. les coûts associés à un examen de la question de savoir si les cartes microSD sont des supports audio seraient-ils démesurés compte tenu des redevances proposées ou potentielles?

  4. serait-il intrinsèquement injuste d’établir un tarif pour tout autre motif?

[51] Les opposants ont répondu aux questions par l’affirmative, et la SCPCP, par la négative.

[52] Le CCCD seul soutient que la Commission ne peut homologuer un tarif pour les cartes microSD une fois le Règlement entré en vigueur. Il affirme que l’annonce ministérielle et le résumé de l’étude d’impact de la réglementation sont clairs : par l’adoption du Règlement, le gouvernement souhaite éviter que la Commission tranche la question de savoir si une carte microSD constitue un support audio ou non. Selon le CCCD, cela est non seulement pratique, mais juste : aucun droit n’est dévolu à la SCPCP avant que la Commission homologue un tarif conformément à la loi.

[53] Tous les opposants soutiennent que, dans les circonstances, l’imposition d’une redevance sur les cartes microSD serait impossible à appliquer concrètement, disproportionnellement coûteuse et intrinsèquement injuste. Parmi les nombreux arguments présentés à l’appui de cette affirmation, ceux qui suivent sont pertinents.

[54] Premièrement, l’expérience passée montre que la perception rétroactive de redevances sur la copie privée est difficile, voire impossible. La SCPCP elle-même a reconnu combien il est difficile de percevoir rétroactivement une nouvelle redevance d’un montant indéfini sur un article vendu en masse et par un nombre incalculable de canaux. [24]

[55] Deuxièmement, le coût de la mise en place des structures de rapport nécessaires pour tenir compte de la redevance, pour une période de moins de dix mois, serait disproportionné par rapport à toute somme que pourrait représenter la redevance proposée ou potentielle. Rien n’obligeait les importateurs ou les distributeurs à prévoir une réserve, à garder des dossiers ou à anticiper de quelque autre manière le résultat d’une décision de la Commission. Il est peu probable qu’ils l’aient fait. Une lettre envoyée par la SCPCP vers la fin de 2011 suggérant que ces mesures soient prises n’a aucun effet juridique. La mise en place rétroactive de systèmes de suivi des ventes passées est probablement encore plus difficile et coûteuse que la mise en place de structures de rapport en prévision de ventes à venir. Aucune pareille structure ne produirait de renseignements exacts ou pertinents. Les systèmes de rapport seraient entièrement nouveaux, exigeraient un investissement en temps et des dépenses considérables et ne pourraient être amortis que sur une longue période de tarification.

[56] Troisièmement, les frais juridiques, les frais d’experts et les autres coûts et décaissements qui seraient occasionnés si la Commission passait à la deuxième étape des présentes seraient aussi disproportionnés par rapport aux redevances proposées ou potentielles et, par conséquent, intrinsèquement injustes. La deuxième étape exigerait de déterminer si une carte microSD constitue un support audio et, dans l’affirmative, le taux de redevance qui s’applique. Chaque décision appellerait une preuve, des analyses et des observations détaillées. L’évaluation de l’usage habituel exigerait de déterminer qui utilise des cartes microSD, à quelles fins et dans quelle mesure. Des données quantitatives devraient être commandées, collectées, présentées, analysées et vérifiées. Les coûts se situeraient dans les centaines de milliers de dollars.

[57] Quatrièmement, il ne serait ni justifié ni raisonnable d’exiger que les opposants assument les dépenses liées à la deuxième étape simplement parce que la SCPCP a consacré des ressources à sa préparation pour la première étape.

[58] La réponse de la SCPCP aux arguments pertinents des opposants peut se résumer comme suit.

[59] Premièrement, il est insensé de prétendre que la Commission n’a plus compétence pour homologuer un tarif pour la période précédant l’adoption du Règlement une fois ce dernier entré en vigueur. L’effet rétroactif d’un tarif ne saurait être tributaire de mesures prises par un agent qui est une tierce partie par rapport au décideur. En outre, la chronologie des événements montre que le gouvernement, loin de souhaiter empêcher la Commission d’homologuer un tarif pour la période se terminant le 17 octobre 2012, a choisi de statuer sur les situations futures uniquement et s’est délibérément abstenu d’intervenir quant à la période précédant l’entrée en vigueur du Règlement.

[60] Deuxièmement, le paragraphe 83(7) de la Loi prévoit que la discrétion dont dispose la Commission pour l’imposition ou non d’un tarif ne s’applique qu’après l’examen du projet de tarif. Le refus d’examiner un tarif est différent de la décision de ne pas en homologuer après l’avoir examiné. La Commission manquerait à ses obligations si elle concluait que les inconvénients posés aux opposants ont préséance sur le droit dévolu aux titulaires avant l’entrée en vigueur du Règlement.

[61] Troisièmement, les questions de la Commission, en insistant sur les inconvénients posés aux opposants, passent à côté de la question essentielle : les titulaires de droits devraient-ils être privés du droit de recevoir une rémunération pour les copies musicales faites sur des cartes microSD alors que le Règlement n’était pas en vigueur? Les titulaires ont un droit, fondamental même s’il est dorénavant limité dans le temps, de percevoir des redevances jusqu’au 17 octobre 2012 si les cartes microSD constituaient des supports audio. La Commission a le devoir de déterminer si c’était le cas et, le cas échéant, de fixer le taux de redevance. L’existence ou non d’inconvénients ou de coûts pour les opposants n’est pas pertinente. La Commission applique couramment son processus d’enquête complet pour homologuer des tarifs générant des redevances beaucoup moins importantes. L’iniquité réelle consisterait à permettre le retrait sans compensation d’un droit que les titulaires ont commencé à exercer, en déposant un projet de tarif, sans que soit entendue leur cause.

[62] L’iniquité qui découlerait du déni du droit des titulaires à percevoir des redevances sur les cartes microSD avant l’entrée en vigueur du Règlement serait exacerbée si pareil déni se fondait sur les inconvénients et coûts potentiels pour les opposants, sachant que la SCPCP a consacré des sommes considérables à la préparation de sa cause. La SCPCP a investi des sommes substantielles, tenant pour acquis que le projet de tarif pour les cartes microSD serait examiné et qu’une redevance pourrait être établie. Il serait injuste que la Commission s’abstienne ne serait-ce que d’entendre les arguments déjà préparés par la SCPCP et évite aux opposants d’avoir à consacrer des ressources comparables pour présenter leur propre preuve et leurs propres arguments.

[63] Quatrièmement, rien n’étaye les affirmations selon lesquelles les coûts pour les opposants seraient disproportionnés. Les questions de la Commission n’ont donné lieu qu’à des réponses subjectives qui ne fournissent pas d’information utile qui permettrait à la Commission de conclure quoi que ce soit, ne serait-ce qu’au sujet des questions mêmes qu’elle a posées. Aucune donnée précise, aucune quantification des coûts que représenteraient la poursuite de l’audience ou l’application du régime aux cartes microSD n’a été présentée, seulement des conclusions subjectives et des affirmations intéressées.

[64] Quoi qu’il en soit, on ne saurait croire que les coûts que devraient assumer les opposants, qui seraient partagés entre un grand nombre de grandes entreprises, seraient excessifs dans l’absolu ou représenteraient plus qu’une fraction des sommes que la SCPCP peut raisonnablement espérer percevoir si elle a gain de cause : sur la base des taux proposés par la SCPCP, une somme de plus de 8 millions de dollars serait perçue pour la période se terminant le 17 octobre 2012.

[65] En outre, on peut difficilement croire que les structures comptables et de rapport nécessaires à l’application du tarif proposé ne sont pas déjà en place. Les obligations de rapport sont minimes et non complexes. Elles ne visent que des renseignements dont les opposants devraient déjà disposer.

[66] Cinquièmement, les situations antérieures dans lesquelles la SCPCP a accepté de ne pas percevoir de redevances diffèrent de la présente. On ne peut en conclure qu’il est impossible de percevoir rétroactivement des redevances dans le régime de copie privée.

[67] Les questions que soulève la nature rétroactive du tarif doivent être considérées en tenant compte des éléments suivants. Le projet de tarif a été déposé le 31 mars 2011. La date d’audience initiale a été fixée au 15 mai 2012. Devant l’insistance des opposants, la date a été reportée au 9 octobre 2012. La Commission a accepté ce report, le 13 septembre 2011, [TRADUCTION] « avec beaucoup de réticence », et elle a souligné que le calendrier proposé par la SCPCP était [TRADUCTION] « réaliste, pour autant que les opposants s’abstiennent de temporiser » et a [TRADUCTION] « fortement encouragé les opposants à s’assurer que l’information nécessaire au calcul d’une éventuelle redevance sur les cartes de mémoire soit collectée à compter du 1er janvier 2012 ». Le 18 novembre 2011, la SCPCP a annoncé son intention ferme de percevoir rétroactivement les redevances; elle a par la suite avisé toutes les sociétés déclarantes actuelles et passées. Un avis approprié a été donné et, par conséquent, la rétroactivité ne devrait pas poser de problème.

[68] De toute manière, il appartient à la SCPCP seule de renoncer au droit de perception rétroactive de la redevance, et la SCPCP n’est pas liée par ses gestes passés.

[69] En réplique, les opposants ont répété leurs arguments de départ en tous points sauf un. Ils ont fait valoir que l’interprétation que fait la SCPCP de la chronologie des événements (selon laquelle le gouvernement n’avait pas l’intention de rendre le Règlement rétroactif) est erronée. L’intention déclarée du gouvernement était qu’aucune redevance ne soit imposée.

D. Analyse

[70] Nous ne sommes pas d’accord avec le CCCD sur la question de compétence, pour les raisons présentées par la SCPCP. La Commission reste saisie de l’espèce en ce qui concerne les cartes microSD pour la période du 1er janvier au 17 octobre 2012. Il nous appartient donc de trancher maintenant la question.

[71] La question de savoir si le droit de percevoir une redevance est dévolu seulement une fois le tarif homologué n’est pas pertinente. Là n’est pas ce qui nous intéresse. Ce qui importe en l’espèce est le droit de la SCPCP de demander à la Commission de décider si elle a droit ou non à un tarif. Ce droit a été dévolu lorsque la SCPCP a déposé en temps opportun un projet de tarif.

[72] Conformément au paragraphe 83(8) de la Loi, la Commission doit, au terme de son examen d’un projet de tarif pour la copie privée, établir les redevances et leurs modalités, modifier le projet de tarif en conséquence et certifier le projet de tarif pour en faire le tarif homologué. Le paragraphe 83(9) prévoit aussi que pour l’exercice de cette attribution dans le régime de copie privée, la Commission « doit s’assurer que les redevances sont justes et équitables ».

[73] Dans la présente, l’examen des cartes microSD soulève des questions uniques. Ces questions ne découlent pas du contenu du projet de tarif, mais d’un événement particulier qui n’est attribuable ni à la Commission ni à l’une des parties, mais à un agent qui ne prend pas part au processus, soit l’autorité ayant adopté le Règlement. En l’occurrence, nous considérons le Règlement non comme un instrument juridique, mais comme un fait ou un événement. Cet événement particulier exacerbe l’importance relative et les répercussions réelles tant du processus que devrait suivre la Commission avant de pouvoir homologuer un tarif que des mesures nécessaires à la mise en œuvre dudit tarif.

[74] En 2008, la Commission a refusé d’homologuer un tarif pour certaines activités en raison d’un manque de données, malgré l’existence d’un droit à compensation découlant des activités en question. [25] La Cour d’appel fédérale a confirmé cette décision. [26] Ces deux décisions étaient fondées en grande partie sur l’absence totale d’éléments de preuve, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[75] Malgré tout, SOCAN c. Bell fournit des directives utiles en l’espèce :

Il n’est pas contesté que, lorsqu’elle examine une demande d’homologation d’un projet de tarif, la Commission a l’obligation d’approuver et d’homologuer un tarif équitable et raisonnable. Cela fait partie de son obligation de soupeser les intérêts opposés des titulaires du droit d’auteur, des fournisseurs de services et du public […] [27]

[76] La Cour d’appel fédérale a fait cette déclaration dans un contexte où la Loi ne précise pas que la Commission doit agir de façon juste. En l’espèce, la Loi prévoit expressément que la Commission « doit s’assurer que les redevances sont justes et équitables ». Par conséquent, il est aussi sinon plus important que nous évitions d’établir des redevances qui ne seraient pas justes et équitables. Nous interprétons la déclaration de la Cour comme une indication que si nous jugeons qu’il est possible d’homologuer un tarif juste et équitable pour certains supports et impossible de le faire pour d’autres, nous devrions le faire dans le premier cas et refuser de le faire dans le second, même si le support se qualifie par ailleurs comme support audio dans le second cas.

[77] En vue de déterminer s’il est possible d’homologuer un tarif juste et équitable pour les cartes microSD, nous jugeons que ce qui suit est pertinent.

[78] Premièrement, les cartes microSD ne sont pas assujetties à une redevance de copie privée, et elles ne l’ont jamais été. Depuis le 18 octobre 2012, elles ne peuvent l’être.

[79] Deuxièmement, toute redevance que nous pourrions homologuer ne s’appliquera que du 1er janvier au 17 octobre 2012.

[80] Troisièmement, les coûts supplémentaires que devraient assumer les opposants et la SCPCP pour créer la preuve additionnelle nécessaire à trancher la question de savoir si les cartes microSD constituent un support audio et, le cas échéant, à établir la redevance appropriée s’élèveraient à des centaines de milliers de dollars, voire plus. On peut déterminer si les cartes microSD sont habituellement utilisées pour copier de la musique en se fondant sur des principes bien établis. [28] Malgré tout, il faudrait déterminer qui utilise ces cartes mémoire, à quelles fins et dans quelle mesure. L’expérience montre qu’il est complexe et coûteux de commander, de collecter, de présenter, d’analyser et de vérifier les données nécessaires à trancher ce type de question.

[81] Ces coûts ne seraient pas réduits du fait que la période pendant laquelle la redevance s’appliquerait serait à la fois courte et déterminée. De plus, comme nous n’avons pas le pouvoir d’accorder des dépens, chacune des parties devrait assumer ses dépenses, peu importe la mesure dans laquelle elle obtient ou non gain de cause.

[82] Le fait que la SCPCP a déjà consacré temps et argent à la préparation et à la présentation de ses arguments jusqu’à présent ne saurait justifier que nous imposions aux opposants de faire de même si nous concluons que le tarif serait inévitablement injuste et inéquitable.

[83] Quatrièmement, les redevances générées seraient selon toute probabilité relativement modestes et sans aucun doute inférieures à celles proposées par la SCPCP. Les taux proposés par la SCPCP reposent sur le modèle Stohn/Audley qui détermine les taux de redevances comme le produit d’un prix par piste et du nombre de pistes copiées sur un support vierge. Le prix par piste est le même pour les cartes microSD et les CD vierges : on ne peut s’attendre à ce qu’il soit plus élevé pour les premières que pour les seconds. Toutefois, à cause de son utilisation du nombre de pistes copiées, le modèle a tendance à générer des taux de redevances élevés pour les cartes microSD. Comme nous avons décidé d’abandonner ce modèle en ce qui concerne les CD vierges, nous ne l’utiliserions pas non plus pour fixer les redevances perçues sur les cartes microSD. En conséquence, il est fort probable que la somme à répartir serait inférieure aux coûts associés à la perception et à la distribution de la redevance.

[84] Cinquièmement, le temps, les efforts et l’argent engloutis dans la création de systèmes de rapport, la production de rapports, la vérification et toute autre activité qui pourrait être nécessaire pour se conformer au tarif et en vérifier le respect seraient aussi irrécupérables. Normalement, ces coûts seraient simplement le prix à payer pour faire des affaires et pourraient être amortis au fil du temps. Or le Règlement exclut cette possibilité.

[85] La gestion des coûts et des inconvénients causés par la création de mécanismes et de structures comptable et de rapport est une réalité inhérente à tout tarif. Cependant, en l’espèce, cette réalité est exacerbée par de nombreux facteurs. Il s’agit d’un premier tarif. La période sur laquelle pourraient être amortis les coûts afférents est à la fois très courte et déjà révolue. Il est très difficile de justifier de pareils inconvénients lorsque le tarif est de courte durée, possiblement relativement modeste et entièrement rétroactif.

[86] Les parties privées sont libres d’entreprendre des démarches judiciaires, même lorsque cela va à l’encontre de toute logique économique. Or une demande présentée à la Commission ne constitue pas une cause d’action civile. Nous devons soupeser des intérêts concurrents, dont certains ne sont pas représentés. En tant qu’organisme de réglementation économique, nous devons tenir compte de considérations économiques. Toute « friction » que pourrait entraîner la perception rétroactive de redevances est un élément pertinent dans la décision visant à établir s’il est même possible d’homologuer un tarif juste et équitable. Un nouveau tarif (ou une augmentation de taux) peut être appliqué progressivement pour le rendre plus acceptable. Un tarif entièrement rétroactif ne peut pas être appliqué progressivement.

[87] Nous convenons avec la SCPCP que la décision de ne pas prélever de redevances rétroactives devrait relever de la SCPCP une fois qu’un tarif est homologué. Cela n’influence en rien ce que nous pouvons ou devons faire si nous estimons que tout tarif que nous pourrions homologuer serait injuste et inéquitable. En l’espèce, le tarif serait de courte durée et entièrement rétroactif. Non seulement les difficultés et les perturbations qui en résulteraient auraient une importance inégalée dans l’histoire du marché de la copie privée, mais elles seraient d’un autre ordre et d’une autre nature.

[88] Nous ne sommes pas d’accord pour dire que l’arrêt du processus à l’étape actuelle serait inéquitable envers la SCPCP. La SCPCP a déposé l’ensemble de sa preuve principale à l’égard de la phase I. En l’absence de preuve ou d’arguments contraires, rien de ce que pourrait ajouter la SCPCP ne servirait l’exigence d’équité.

[89] L’ensemble des circonstances de l’espèce rend impossible toute tentative d’homologation d’un tarif juste et équitable pour les cartes microSD. La détermination, la mise en œuvre et l’application d’un éventuel tarif seront presque inévitablement largement futiles, assurément injustes et substantiellement perturbatrices. Il s’agit d’une situation exceptionnelle se prêtant à l’exercice judicieux du pouvoir discrétionnaire dont nous disposons pour refuser d’homologuer un tarif, non pas en raison d’un manque de données, mais parce que tout tarif que nous pourrions homologuer serait, dans ces circonstances très particulières, manifestement injuste et inéquitable.

[90] Pour les raisons ci-dessus, nous concluons que nous ne pouvons homologuer une redevance sur les cartes microSD tout en nous assurant que le tarif est juste et équitable, comme l’exige la Loi. Pour cette raison, nous n’homologuerons pas un tarif pour les cartes microSD. En conséquence, il est inutile de passer à la deuxième étape.

[91] Nous souhaitons ajouter les observations suivantes.

[92] Il pourrait être avancé qu’en l’espèce, la SCPCP a fait preuve d’une grande diligence, et que c’est loin d’être le cas des opposants. Cet argument n’est pas pertinent. Le seul facteur temporel crucial en l’espèce est la date à laquelle le Règlement est entré en vigueur.

[93] Certains arguments soulevés par les opposants n’ont pas été examinés, car il n’était pas nécessaire de le faire, dont :

  • la question de savoir si les fabricants et les importateurs avaient pu établir des réserves;

  • la question de savoir si le fardeau du régime de copie privée devrait incomber aux importateurs et aux fabricants ou aux consommateurs;

  • l’effet potentiellement négatif d’un tarif rétroactif sur le marché concurrentiel de la technologie en question au Canada;

  • la confusion possible que l’homologation d’une redevance rétroactive de courte durée pourrait causer chez les consommateurs;

  • la pertinence du principe dit de la neutralité technologique aux fins de la détermination d’une redevance visant un support largement utilisé à d’autres fins que la copie de musique.

[94] D’autres arguments ou points soulevés par les opposants n’ont pas été abordés parce qu’ils n’étaient pas pertinents, y compris :

  • la question de savoir si le Règlement aurait pu être rétroactif ou si le Parlement aurait pu modifier la Loi de manière à veiller à ce que le régime de copie privée ne soit jamais appliqué aux cartes microSD;

  • la probabilité que la Cour d’appel fédérale annule un tarif homologué par la Commission;

  • l’affirmation du gouvernement selon laquelle il « ne peut permettre » un tarif pour les cartes microSD ou selon laquelle l’homologation d’un tarif irait à l’encontre de l’esprit du Règlement;

  • l’adoption du Règlement en tant qu’affirmation de la part du gouvernement que toute redevance sur les cartes microSD serait considérée comme injuste;

  • certains extraits du Rapport sur les plans et les priorités et du Rapport ministériel sur le rendement de la Commission.

E. Répartition de la redevances entre les ayants droit

[95] L’article 84 de la Loi nous impose d’établir la quote-part de redevances revenant aux auteurs, artistes-interprètes et producteurs. On ne nous a pas demandé de modifier cette répartition et nous ne connaissons aucune raison de le faire. En conséquence, les auteurs ont droit à 58,2 pour cent des redevances, les artistes-interprètes, à 23,8 pour cent, et les producteurs, à 18 pour cent.

F. Homologation de tarifs annuels distincts

[96] Le 25 juin 2013, la Commission prenait, en vertu de l’alinéa 83(13)b) de la Loi, le Règlement fixant les périodes pendant lesquelles les auteurs, artistes-interprètes et producteurs admissibles non représentés par une société de gestion peuvent réclamer une rémunération pour la copie à usage privé. [29] Comme le prescrit cet alinéa, la période durant laquelle le titulaire admissible non représenté par une société de gestion peut réclamer une part des redevances de copie privée commence à la date de cessation d’effet d’un tarif. Pour des motifs énoncés dans le résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR) qui accompagne le Règlement, [30] la SCPCP est d’avis que cette exigence complique inutilement la répartition des redevances perçues en vertu d’un tarif pluriannuel. Pour éviter ces complications, et comme la Commission l’avait indiqué dans le REIR, nous homologuons des tarifs distincts, mais identiques à tous égards sauf la période d’effet, pour 2012, 2013 et 2014.

Le secrétaire général,

Signature

Gilles McDougall



[1] L.R.C., ch. C-42.

[2] DORS/2012-226.

[3] L.R.C., ch. F-7.

[4] Pièce CPCC-4.

[5] Pièce CPCC-4 au para. 127. Dans le tableau 4.10 de l’annexe D, on estime le nombre total de pistes copiées à 1 811 600 000. Pour les raisons décrites dans la note de bas de page no 3 du tableau, il s’agit d’une sous-estimation du nombre réel de pistes copiées.

[6] Pièce CPCC-4 au para. 116.

[7] Pièce CPCC-4 au para. 128.

[8] Pièce CPCC-4, annexe D, tableau 5.2.

[9] Pièce RCC-2A, Santa Clara Consulting Group, Flexible Media Industry for Data Recording, Canadian Market (2011), tableau 16. [Rapport de Santa Clara]

[10] Tarif pour la copie privée, 2011 (17 décembre 2010) décision de la Commission du droit d’auteur au para. 7, cité plus loin. [CP VII]

[11] Pièce CPCC-4 aux paras. 10 à 12.

[12] Tarif pour la copie privée, 2008-2009 (5 décembre 2008) décision de la Commission du droit d’auteur au para. 20. [CP V] Voir aussi Tarif pour la copie privée, 2010 (2 novembre 2010) décision de la Commission du droit d’auteur au para. 72. [CP VI]

Dans CP VI, informée du fait que les Canadiens copieraient huit millions de pistes sur des audiocassettes, la Commission a conclu que les cassettes n’étaient plus utilisées habituellement pour copier de la musique, et donc, ne pouvaient plus être assujetties à une redevance : CP VI aux paras. 72 à 74.

[13] CP VI au para. 61.

[14] Supra note 9.

[15] L’annexe D de la pièce CPCC-4 contient les données disponibles les plus récentes tirées de ce sondage en date de l’audience.

[16] Supra note 10.

[17] La compression a été évoquée, mais pas abordée, dans CP V au para. 38.

[18] CP VII au para. 7.

[19] Nous n’abordons pas la question de savoir si un support qui atteint la fin de son cycle de vie technologique cesse aussi d’être utilisé habituellement pour copier de la musique.

[20] Everett M. Rogers (2003) Diffusion of Innovations, cinquième édition, New York, Free Press. Les retardataires sont, par construction, les 16 pour cent qui sont les derniers à adopter un produit. Les taux hétérogènes d’abandon de la technologie n’ont pas été modélisés très souvent dans la littérature sur les cycles de vie; cependant, l’abandon de la technologie peut être considéré comme l’adoption de la prochaine technologie (vraisemblablement supérieure). Dans un contexte d’homogénéité, Cox (1967) décrit la phase du déclin comme débutant lorsque le revenu total représente moins de 20 pour cent du revenu maximal : William E. Cox, Jr. (1967) Product Life Cycles as Marketing Models, Journal of Business, vol. 40, no 4 aux pp. 375-384.

[21] Pièce RCC-5A, International Survey of Private Copying Law and Practice (2011) à la p. 5.

[22] Tarif no 24 de la SOCAN (Sonneries), 2003-2005 (18 août 2006) décision de la Commission du droit d’auteur au para. 86.

[23] Tarif pour la copie privée, 2003-2004 (12 décembre 2003) décision de la Commission du droit d’auteur à la p. 44.

[24] Voir CP V au para. 41. Voir aussi la lettre de la SCPCP datée du 30 août 2007, dans laquelle elle informe la Commission de sa décision de renoncer à percevoir des redevances rétroactives sur les enregistreurs audionumériques.

[25] Tarifs 22.B à 22.G de la SOCAN (Internet Autres utilisations de musique) 1996-2006 (24 octobre 2008) décision de la Commission du droit d’auteur aux paras. 108 à 117.

[26] SOCAN c. Bell Canada, 2010 CAF 139 aux paras. 19 à 30. [SOCAN c. Bell]

[27] Ibid. au para. 25.

[28] Contrairement à ce qu’ont prétendu certains opposants : AVS Technology Inc. c. CMRRA, 2000 7 CPR (4th) 68 (CAF) aux paras. 5 à 9.

[29] DORS/2013-143, Gazette du Canada Partie II, Vol. 147, no 15 à la p. 1998.

[30] Ibid. aux pp. 2000-2001.

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