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Copyright Board
Canada

Canada Coat of Arms/Armoiries du Canada

Commission du droit d’auteur
Canada

 

Date

2014-07-25

Référence

Dossier : Exécution publique d’œuvres musicales

Régime

Gestion collective du droit d’exécution et du droit de communication

Loi sur le droit d’auteur, alinéa 68(3)

Commissaires

L’honorable William J. Vancise

Me Claude Majeau

Me J. Nelson Landry

Projet(s) de tarif examiné(s)

Tariff 4 (Concerts) 2009-2014

tarif des redevances à percevoir par la socan pour l’exécution en public ou la communication au public par télécommunication, au canada, d’œuvres musicales ou dramatico-musicales

Motifs de la décision

I. INTRODUCTION

[1] Les présents motifs portent sur les cinq catégories de licence du tarif 4 (Concerts) de la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN), soit la licence pour concerts individuels de musique populaire (4.A.1), la licence annuelle pour concerts de musique populaire (4.A.2), la licence pour concerts individuels de musique classique (4.B.1) et la licence annuelle pour les diffuseurs de concerts de musique classique (4.B.3) pour les années 2009 à 2014, ainsi que la licence annuelle pour les orchestres (4.B.2) pour les années 2013 et 2014.

[2] En mars 2008, 2009, 2010, 2011 et 2012 et en avril 2013, la SOCAN déposait, conformément à l’article 67.1 de la Loi sur le droit d’auteur, [1] des projets de tarifs des redevances à percevoir pour l’exécution d’œuvres musicales lors d’un concert pour les années 2009 à 2014. Les projets de tarifs ont été publiés dans la Gazette du Canada. À chaque occasion, les utilisateurs éventuels et leurs représentants ont été informés de leur droit de s’y opposer.

A. Les tarifs 4.A.1, 4.A.2, 4.B.1 et 4.B.3 pour les années 2009 à 2014

[3] L’Association nationale des radios étudiantes et communautaires (ANREC) et le Festival international de jazz d’Ottawa (FJO) se sont respectivement opposés au tarif 4 et au tarif 4.A de la SOCAN pour l’année 2009. Le Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques d’hiver de 2010 à Vancouver (COVAN) s’est opposé au tarif 4 pour 2010.

[4] L’Aréna des Canadiens de Montréal inc. s’est opposé au tarif 4.A.1 pour l’année 2012 tandis que le Sony Centre et la Corporation of Massey Hall and Roy Thomson Hall (Sony Centre) se sont opposés aux tarifs 4.A.1, 4.A.2, 4.B.1 et 4.B.3 pour la même année. Live Nation Canada Inc., Live Nation Touring (Canada) Inc. et Live Nation Ontario Centre L.P (Live Nation) et Maple Leaf Sports and Entertainment Ltd. (MLSE) se sont également opposés aux tarifs 4.A.1 et 4.B.1 pour l’année 2012. En raison de leur opposition tardive aux tarifs 4.A.1 et 4.B.1, Hamilton Entertainment and Convention Facilities Inc. (HECFI) n’ont pu être considérés comme opposant en règle.

[5] Les projets de tarifs 4.A.1, 4.A.2, 4.B.1 et 4.B.3 pour 2011 et 2013 n’ont pas fait l’objet d’oppositions.

[6] En date du 15 juillet 2011, l’ANREC, le FJO et le COVAN avaient tous retiré leurs oppositions aux tarifs applicables aux concerts pour 2009 et 2010, ne laissant aucun opposant à ces tarifs. Les tarifs 4.A.1, 4.A.2, 4.B.1 et 4.B.3 pour 2009 à 2011 étaient donc prêts pour examen par la Commission.

[7] Toutefois, le 17 août 2011, à la suite d’une vérification de la SOCAN des concerts organisés par Live Nation en 2009 et en 2010, Live Nation a demandé l’autorisation d’intervenir à l’égard du tarif 4 pour les années de 2009 à 2011. En désaccord avec les résultats de la vérification concluant que certaines déductions aux recettes brutes au guichet aient été incorrectes, Live Nation a demandé à la Commission de définir le terme « recettes brutes au guichet des concerts payants à l’exclusion des taxes de vente et d’amusement » (« recettes brutes ») à compter de l’année 2009 pour clarifier l’assiette tarifaire adéquate. La SOCAN s’est opposée à cette requête.

[8] Le 30 septembre 2011, la Commission a décidé d’accepter la demande d’intervention de Live Nation afin de pouvoir régler le différend entre les parties quant à la signification de « recettes brutes ».

[9] Étant donné la nature différente des changements proposés au tarif pour l’année 2012 dont il est fait état plus loin, la Commission a conclu qu’il valait mieux traiter les deux instances tarifaires de façon séparée, limiter l’examen du tarif pour les années 2009 à 2011 à la définition des « recettes brutes » et procéder par écrit.

[10] En octobre 2011, MLSE, l’Aréna des Canadiens et Sony Centre ont chacune demandé l’autorisation d’intervenir dans le projet de tarif 4 de la SOCAN pour les années 2009 à 2011. Elles ont obtenu le statut d’intervenant avec plein droit de participer à la question de la définition du terme de « recettes brutes ».

[11] Entre le 26 janvier 2012 et le 20 juin 2012, Live Nation Touring (Canada) Inc., Live Nation Ontario Concert L.P., Sony Centre et l’Aréna des Canadiens de Montréal inc. se sont retirés soit en tant qu’opposant au tarif de 2012, soit en tant qu’intervenant à l’égard des années 2009 à 2011. Les seuls intervenants restant étaient Live Nation Canada Inc. et MLSE.

[12] Le 10 janvier 2012, à la demande de la SOCAN, la Commission établissait un processus indépendant à l’égard du tarif de 2012, menant à une audience prévue le 12 mars 2013. Les questions soulevées par les parties à l’égard du tarif pour cette année étaient plus nombreuses et de nature différente que celles soulevées à l’égard des tarifs 2009 à 2011, et nécessitaient un processus indépendant.

[13] Toutefois, le 11 avril 2012, après avoir examiné les documents soumis par les parties dans le cadre de l’affaire 2009-2011, la Commission a conclu qu’il fallait fusionner cette affaire avec celle de l’année 2012. Les questions liées à l’assiette tarifaire étaient trop complexes pour se limiter à la seule définition de « recettes brutes ». Traiter de toutes les questions à l’égard des tarifs applicables aux concerts pour les années 2009 à 2012 lors d’une même procédure était plus efficace.

[14] Le 15 février 2013, à la demande des parties qui ont informé la Commission qu’une entente de principe était intervenue, l’audience prévue pour le 12 mars 2013 a été ajournée sine die.

[15] Le 5 juin 2013, la SOCAN informait la Commission d’une entente conclue avec Live Nation et MLSE. Dans le cadre de cette entente, les parties ont demandé que les projets de tarifs 4.A.1, 4.A.2, 4.B.1 et 4.B.3 pour les années 2009 à 2011 soient homologués tels que déposés par la SOCAN. Elles ont également proposé un libellé pour ces mêmes tarifs pour les années 2012 et 2013.

[16] Le 26 août 2013, le Comité d’organisation de Toronto pour les Jeux panaméricains et parapanaméricains de 2015 s’opposait au tarif 4 de la SOCAN pour l’année 2014 en raison des redevances à payer jugées excessives et déraisonnables. Le Comité a toutefois retiré son opposition en février 2014, ne laissant aucune opposition au projet de tarif pour l’année 2014.

B. Le tarif 4.B.2 pour les années 2013 et 2014

[17] Le tarif 4.B.2 pour les années 2008 à 2012 a été homologué le 20 mars 2008. [2] Il n’a fait l’objet d’aucune opposition pour les années 2013 et 2014. Le 14 septembre 2012, la SOCAN déposait une entente avec Orchestres Canada portant sur les années 2013 et 2014. Par la même occasion, la SOCAN et Orchestres Canada demandaient à la Commission d’homologuer le tarif 4.B.2 conformément à l’entente.

II. TARIFS 4.A, 4.B.1 ET 4.B.3 (2009-2014)

A. Les parties et leurs positions

i. SOCAN

[18] Pour les années 2009 à 2011, la SOCAN a proposé le statu quo par rapport au dernier tarif homologué applicable aux concerts pour l’année 2008, [3] soit :

  • Tarifs 4.A.1 et 4.A.2 : 3 pour cent des « recettes brutes », ou des cachets versés aux chanteurs, musiciens, danseurs, chefs d’orchestre et autres interprètes dans le cas de concerts gratuits pour la licence pour les concerts individuels et annuelle pour les concerts de musique populaire;
  • Tarif 4.B.1 : 1,56 pour cent des « recettes brutes », ou des cachets versés aux chanteurs, musiciens, danseurs, chefs d’orchestre et autres interprètes dans le cas de concerts gratuits pour la licence pour les concerts individuels de musique classique;
  • Tarif 4.B.3 : 0,96 pour cent des « recettes brutes », des revenus d’abonnement et des frais d’adhésion pour l’ensemble des concerts excluant les taxes de vente et d’amusement pour la licence annuelle pour les diffuseurs de concerts de musique classique.

[19] Les redevances minimales de 35 $ et 60 $ sont aussi identiques à celles de la dernière année du dernier tarif homologué, qui comportait une hausse graduelle des redevances minimales pour les années 2003 à 2008. [4]

[20] Les taux et assiettes tarifaires sont inchangés dans les projets de tarifs pour les années 2012 et 2013. La SOCAN a toutefois proposé trois types de modifications. Premièrement, elle a proposé de modifier certaines dispositions administratives pour faciliter la distribution des redevances aux membres. Selon ces dispositions, le titulaire d’une licence par concert doit, dans les 15 jours suivant le concert, a) verser les redevances payables, b) faire rapport des « recettes brutes » ou des cachets versés aux interprètes des concerts gratuits, c) fournir les coordonnées des promoteurs de concerts ou des propriétaires de l’établissement où s’est déroulé le concert, d) fournir le nom des interprètes, et e) fournir une liste des œuvres musicales exécutées durant le concert. La pratique courante prévoit plutôt que le paiement des redevances et le rapport des recettes brutes se fassent dans une période de 30 jours. De plus, la demande d’obtenir les informations visées par c), d) et e) est nouvelle.

[21] Deuxièmement, la SOCAN a proposé plusieurs modifications au libellé du tarif pour le rendre plus clair, soit :

  • Spécifier que le tarif s’applique également à l’exécution d’œuvres musicales en synchro ou mimée;

  • Préciser que le tarif s’applique aussi aux exécutions par des interprètes en personne dans des « théâtres »;

  • Remplacer, dans la version anglaise, l’expression « live performances by musicians, singers, or both, and other entertainers » par « by means of performers in person at a concert »;

  • Remplacer l’expression « autres artistes-interprètes » par « autres interprètes »;

  • Remplacer le terme « taxes de vente et d’amusement » par « toute taxe applicable ».

[22] Troisièmement, pour les années 2012 et 2013, la SOCAN a proposé d’élargir l’étendue du tarif en spécifiant que celui-ci s’applique à la communication au public par télécommunication d’un concert ou d’un enregistrement audiovisuel d’un concert et d’y appliquer les mêmes taux et redevance minimale que pour l’exécution en personne d’un concert, soit 3 pour cent des « recettes brutes », sous réserve d’une redevance minimale de 35 $. Dans son énoncé de cause du 12 octobre 2012, la SOCAN a retiré cette proposition, car ce type de transmission semble très rare et surtout présent dans les événements de musique classique.

[23] Les projets de tarifs 4.A.1, 4.A.2, 4.B.1 et 4.B.3 de la SOCAN pour l’année 2014 sont identiques aux tarifs proposés par les parties dans l’entente du 5 juin 2013.

ii. Les intervenants/opposants aux projets de tarifs pour 2009 à 2012 : Live Nation et MLSE

[24] Live Nation est un important promoteur de concerts de musique au Canada. Ensemble, Live Nation et Live Nation Ontario font la promotion et produisent environ 85 pour cent des concerts de musique ayant lieu dans les grands sites de concerts au Canada. De plus, Live Nation possède et exploite le Molson Canadian Amphitheatre à Toronto, loue et exploite le Commodore Ballroom à Vancouver et a conclu une entente avec le Rogers Arena, aussi à Vancouver, en vertu de laquelle elle peut y produire et promouvoir des concerts de musique.

[25] MLSE possède et exploite le Air Canada Centre (ACC) à Toronto, un des principaux sites de concerts à l’échelle mondiale, et le loue à des tiers pour la tenue d’événements sportifs et de divertissement, y compris à des promoteurs de concerts pour l’exécution en public d’œuvres musicales. MLSE y produit aussi des concerts. Elle peut donc être propriétaire de sites de concerts dans certaines occasions et promoteur de concerts dans d’autres.

[26] Live Nation et MLSE ont déposé des dossiers de preuve distincts à l’égard du tarif de 2009 à 2011 et un dossier de preuve commun pour le tarif de 2012.

[27] Pour les tarifs de 2009 à 2011, Live Nation a d’abord souligné que la présente affaire permettrait de clarifier si l’assiette tarifaire du tarif devait être constituée des recettes brutes du promoteur de concerts, de celles du service de billetterie, de celles du propriétaire/exploitant de la salle de concert ou de celles des artistes-interprètes. Elle a ensuite proposé d’utiliser le cachet payé aux artistes-interprètes provenant de la vente des billets comme assiette tarifaire puisqu’il s’agit, selon elle, d’une mesure plus exacte de la valeur de l’exécution d’œuvres musicales lors du concert.

[28] Dans l’éventualité où l’assiette tarifaire demeurerait inchangée, Live Nation a demandé que le terme de recettes brutes soit défini dans le tarif homologué et que le promoteur de concerts puisse déduire des recettes brutes les frais d’établissement, les frais de billetterie, les frais de fan-club, les frais de bienfaisance, les frais de téléchargements d’enregistrements sonores, les frais de stationnement, les frais pour les billets de forfait, [5] les frais associés aux billets VIP et de première catégorie et les revenus de commandite provenant des annonceurs.

[29] MLSE a appuyé ces prétentions soutenues par Live Nation.

[30] Pour le tarif de 2012, Live Nation et MLSE se sont opposées à l’inclusion de la musique enregistrée lors d’une exécution synchro ou mimée.

[31] En ce qui a trait aux dispositions administratives proposées par la SOCAN, Live Nation et MLSE sont d’avis que la Commission ne devrait pas homologuer un tarif qui impose des conditions qui ne peuvent pas être respectées. Elles ont demandé que la pratique actuelle de faire rapport et de verser des redevances dans les 30 jours suivant un concert demeure en place. Elles ont aussi soutenu que l’obligation de fournir la liste des œuvres musicales exécutées lors d’un concert ne devrait pas être incluse dans les dispositions administratives du tarif. La liste des œuvres musicales ne fait pas partie de la négociation du contrat entre le promoteur de concerts et l’interprète et/ou son représentant. Elle ne fait pas plus partie des ententes de location de salles de spectacles conclues entre les promoteurs et les propriétaires d’établissement. À l’occasion, une liste des œuvres musicales est fournie aux promoteurs ou aux propriétaires de lieux de concerts, mais rien n’empêche les interprètes de changer les œuvres exécutées avant ou durant le concert en fonction de l’humeur de la foule. Les promoteurs et les propriétaires d’établissement n’ont pas l’habileté et l’expertise nécessaires pour identifier les œuvres exécutées lors d’un concert.

B. Preuve

i. Live Nation

[32] M. Paul Corcoran, vice-président exécutif, lieux de concerts à Live Nation Canada Inc. et Live Nation Ontario Concerts L.P., a décrit les principaux acteurs et les pratiques courantes de l’industrie des concerts, incluant les différents frais qui peuvent être compris dans le prix des billets : frais d’établissement, de fan-club, de bienfaisance, de téléchargement d’enregistrements sonores, de stationnement, pour un billet de forfait et pour un billet VIP ou de première catégorie. À son avis, ces frais ne sont pas reliés à l’exécution des œuvres musicales d’un concert. [6]

[33] M. Tom Worrall, alors chef des opérations et vice-président principal chez Ticketmaster Canada LP (Ticketmaster), a décrit les pratiques d’affaires et les frais qui peuvent être inclus dans le prix des billets vendus par Ticketmaster : les frais de traitement de la commande, les frais de la salle, les frais de service, de livraison, d’enchère, etc. [7] Il a également expliqué que ces frais ne sont pas inhabituels dans l’industrie des services de billetterie. [8]

[34] Live Nation a aussi soutenu que l’utilisation du cachet payé aux artistes-interprètes provenant de la vente des billets mènerait à une plus grande cohérence interne du tarif 4.A.1 et à l’harmonisation horizontale des tarifs 3.A (Cabarets, cafés, clubs, etc. – Exécution en personne) et 4 (Concerts) de la SOCAN.

[35] M. Robert Karl Adams, chef des opérations du territoire nord des concerts de l’Amérique du Nord, Live Nation Worldwide Inc., a expliqué les droits de licence pour les concerts de musique aux États-Unis. [9]

ii. MLSE

[36] Mme Patti-Anne Tarlton, alors vice-présidente du groupe de spectacles à MLSE, a décrit le rôle des promoteurs de concert, de Ticketmaster et de MLSE lors de la location du ACC comme lieu de concert ainsi que le processus du paiement des redevances pour l’exécution en public de la musique s’y découlant. À son avis, les frais d’établissement inclus dans le prix des billets sont communs dans l’industrie des concerts et sont reliés au lieu de concert plutôt qu’aux œuvres musicales. Elle a aussi mentionné que les redevances pour l’exécution de la musique lors d’un concert sont plus élevées au Canada qu’aux États-Unis, ce qui pourrait favoriser la sélection de lieux de concert américains le long de la frontière canado-américaine. [10]

iii. Live Nation et MLSE (conjointement)

a. Définition du terme « recettes brutes »

[37] Dans leur réplique conjointe à la SOCAN, Live Nation et MLSE se sont dites en désaccord avec la prétention de la SOCAN selon laquelle il faut faire une distinction entre les frais obligatoires et les frais optionnels inclus dans le prix des billets. Elles ont plutôt soutenu que le rôle de l’assiette tarifaire est de permettre que les redevances reflètent le mieux possible la valeur de l’exécution publique d’œuvres musicales lors d’un concert.

[38] Live Nation et MLSE ont déposé de la preuve supplémentaire après que les deux instances aient été fusionnées. La preuve supplémentaire déposée offre une description des endroits, assujettis au tarif 3.A ou au tarif 4.A, où des spectacles en personne se déroulent. Un total de 21 lieux de spectacles est décrit par M. Paul Corcoran dans son deuxième témoignage par écrit. M. Martin Brandsma, stagiaire en droit chez Osler, Hoskin & Harcourt LLP, a décrit son expérience en tant qu’amateur de concerts dans trois établissements d’Ottawa servant de la boisson (c.-à-d. des bars et des clubs). [11]

[39] En réplique à l’argument de la SOCAN selon lequel des différences existent entre l’utilisation de la musique lors d’un concert et lors d’une prestation musicale assujettie au tarif 3.A, M. Paul Corcoran a partagé les résultats de son examen des salles de spectacles où Live Nation a produit des concerts en 2012 [12] et a conclu qu’il n’était pas possible de différencier les événements assujettis au tarif 3.A de la SOCAN de ceux assujettis au tarif 4 de la SOCAN.

[40] Tout comme M. Corcoran, Mme Tarlton a remis en question l’affirmation de la SOCAN selon laquelle des différences existent entre les tarifs 3.A et 4 de la SOCAN.

b. Exécution en synchro ou mimée et dispositions administratives

[41] Live Nation et MLSE ont soutenu que la proposition de la SOCAN d’inclure l’exécution de la musique en synchro ou mimée devrait être modifiée puisqu’elle ajoute davantage d’incohérence entre les tarifs de la SOCAN. Le taux du tarif 3.B de la SOCAN (Musique enregistrée accompagnant un spectacle) est 2 pour cent de la compensation pour divertissement versée durant l’année par la licence. Live Nation et MLSE sont d’avis que l’utilisation de la musique enregistrée lors d’un concert est très similaire à l’utilisation de la musique enregistrée assujettie au tarif 3.B et que la différence entre les deux taux n’est pas justifiée. D’ailleurs, Live Nation et MLSE ont fait valoir qu’aucune preuve de la SOCAN ne justifie un taux de 3 pour cent des recettes brutes au guichet pour l’utilisation de la musique enregistrée lors d’un concert.

[42] M. Corcoran a expliqué que les transactions financières entre le promoteur et les interprètes se font généralement à la fin du concert tandis que les transactions entre le promoteur et le lieu de concert se font souvent dans les 7 à 10 jours ouvrables suivant le concert. À son avis, ce délai fait en sorte qu’il est très difficile de verser les redevances à la SOCAN en 15 jours et moins, surtout pour les plus petits promoteurs de concert qui n’ont pas accès aux mêmes ressources que les plus grands. Il a également affirmé qu’il n’est pas toujours possible pour Live Nation, en tant que promoteur ou qu’exploitant de lieux de concerts, d’obtenir une liste des œuvres musicales. [13]

[43] Mme Tarlton a également expliqué que les listes des œuvres musicales exécutées lors d’un concert ne sont pas remises à MLSE et que MLSE n’a pas l’expertise nécessaire pour identifier toutes les œuvres exécutées lors des concerts produits au ACC. [14]

iv. SOCAN

a. Définition du terme « recettes brutes »

[44] Mme Diane Petrucci, chef de service, vérification opérationnelle à la SOCAN, a expliqué les circonstances et les conclusions de la vérification de Live Nation par la SOCAN. Elle a soutenu qu’il y a des incohérences parmi les concerts vérifiés et que les différentes divisions de Live Nation ne font pas toutes les mêmes déductions aux recettes brutes. [15]

[45] La SOCAN a soutenu, en réponse aux énoncés de cause de Live Nation et MLSE, que la meilleure mesure de la valeur de la musique de concert est le montant que les amateurs de concert sont prêts à payer pour assister à un concert. S’il est défini dans le tarif homologué, le terme de « recettes brutes » devrait inclure tous les montants que les amateurs de concerts doivent obligatoirement payer pour un billet.

[46] En ce qui concerne l’harmonisation horizontale entre le tarif 3.A et le tarif 4, la SOCAN a expliqué qu’il est tout à fait approprié d’utiliser des assiettes tarifaires différentes pour les deux tarifs puisque la nature des événements assujettis à chaque tarif n’est pas la même. Notamment, le type d’établissements où se déroulent les prestations musicales (bars, clubs, restaurants contre lieux de concerts), l’échelle des événements, le rôle de la musique, le type d’interprètes et les prix d’entrée diffèrent grandement pour les deux tarifs.

[47] La preuve de la SOCAN repose en partie sur un compte rendu des taux, assiettes tarifaires et dispositions administratives en place dans différents tarifs de concert dans d’autres pays et d’une description générale de l’industrie des licences d’œuvres musicales et des pratiques courantes dans les pays industrialisés (Guide sur la gestion collective du droit d’auteur, de Paula Schepens). [16] Selon la SOCAN, il est incorrect de seulement examiner les pratiques tarifaires américaines à l’égard de l’exécution de la musique en personne.

[48] M. Mark Faassen, stagiaire en droit chez Gowlings, a réalisé des recherches Internet portant sur les tournées internationales de Prince, de Lady Gaga et de Bon Jovi et sur les prix des billets de différents concerts ayant lieu au ACC. [17]

b. Exécution en synchro ou mimée et dispositions administratives

[49] M. Jamie Leacock, chef de service, concerts, service des licences à la SOCAN, a expliqué la pratique courante dans l’industrie de demander aux titulaires de licence pour concerts individuels de faire rapport des « recettes brutes » et de payer les redevances dans les 30 jours suivant un concert. La SOCAN a également des ententes avec certains grands promoteurs, comme Live Nation, en vertu desquelles ils peuvent fournir leur paiement et leur rapport chaque trimestre. [18] Il a aussi soutenu que la remise de la liste des œuvres musicales au moment du paiement des redevances faciliterait l’identification des œuvres musicales, et par le fait même, la distribution des redevances par la SOCAN.

[50] La SOCAN a également fourni un tableau comparatif des différentes obligations de paiements et de listes des œuvres musicales exécutées de certaines sociétés collectives de plusieurs autres pays. [19]

C. Cette affaire peut-elle procéder sur la base d’une entente?

[51] L’entente entre Live Nation, MLSE et la SOCAN comporte deux propositions : homologuer le tarif 4 pour les années 2009 à 2011 tel que déposé par la SOCAN et homologuer le tarif 4 proposé par les parties en date de juin 2013 pour 2012 et 2013. Les parties ont abandonné la question de la clarification de la définition de « recettes brutes » dans le tarif pour 2009 à 2011.

[52] Le tarif proposé par les parties pour 2012 et 2013 reprend tous les changements à l’égard du libellé du tarif mentionnés au paragraphe 21. Il reprend aussi une version moins restrictive des dispositions administratives. Selon le texte proposé à la suite de l’entente, le titulaire d’une licence pour concerts individuels a l’obligation de verser les redevances, faire rapport des recettes brutes et fournir les coordonnées des promoteurs ou des propriétaires de la salle de concert dans un délai de 30 jours suivant le concert plutôt que dans un délai de 15 jours tel que proposé par la SOCAN dans ses projets de tarifs de 2012 et de 2013. Le nom des interprètes et la liste des œuvres musicales exécutées durant le concert ne sont fournis que s’ils sont disponibles.

[53] Le titulaire d’une licence annuelle a aussi une période de 30 jours suivant le concert pour fournir les coordonnées du promoteur et du propriétaire de la salle de concert. Le nom des interprètes et la liste des œuvres musicales du concert ne sont aussi fournis que s’ils sont disponibles. Les modalités de paiement des redevances pour une licence annuelle demeurent les mêmes que celles du dernier tarif homologué en 2008. Les redevances doivent être versées au plus tard le 31 janvier de l’année pour laquelle la licence est délivrée et elles sont estimées en fonction des recettes brutes ou des cachets de l’année précédente.

[54] Tel que mentionné dans la décision de la Commission du 25 mai 2012 portant sur le tarif 5 de Ré:Sonne, [20] avant d’homologuer un tarif reflétant une entente, il est préférable d’examiner : a) si les parties à l’entente peuvent s’exprimer au nom de tous les utilisateurs, b) si les prétentions mises de l’avant par d’anciennes parties ont été prises en compte. L’utilisateur qui ne s’oppose pas dans les délais prévus n’est pas un opposant en règle. Toutefois, le tarif constitue une norme prospective d’application : la Commission impose des obligations aux utilisateurs absents. Il faut donc tenir compte des intérêts de ceux qui ne sont pas devant nous et qui seront affectés par notre décision.

i. Les parties peuvent-elles s’exprimer au nom de tous les utilisateurs?

[55] Tel que mentionné précédemment aux paragraphes 24 et 25, Live Nation et MLSE sont des joueurs importants dans l’industrie des concerts au Canada et n’expriment pas nécessairement le point de vue de plus petits utilisateurs. Toutefois, le caractère équitable de ce qu’ils proposent est un élément clé de décision. Le dossier tel que constitué nous permet de conclure que les points de l’entente sont justes et équitables, représentent les intérêts de tous les utilisateurs et n’affectent pas les pratiques courantes de l’industrie.

[56] Premièrement, l’entente entre la SOCAN, Live Nation et MLSE touchent uniquement les modalités d’application du tarif. Les taux proposés et les assiettes tarifaires demeurent les mêmes que ceux homologués pour l’année 2008. Aucune des dispositions de l’entente n’influence donc le montant en redevances à verser à la SOCAN par les promoteurs de concerts ou les exploitants de salles de concert.

[57] Deuxièmement, la pratique informelle de la SOCAN à l’égard d’une licence pour concerts individuels prévoit que le paiement des redevances se fasse dans les 30 jours suivant le concert. Cela correspond à la période proposée dans l’entente et au double de la période convenue dans les projets de tarifs de 2012 et de 2013.

[58] Troisièmement, tel qu’expliqué par M. Paul Corcoran, la transaction financière entre le promoteur et l’exploitant d’un lieu de concert peut prendre jusqu’à 7 à 10 jours ouvrables suivant le concert, ce qui rendrait très difficile de respecter le délai de 15 jours pour le versement des redevances et le rapport des recettes brutes. [21] Rien dans la preuve des parties ne semble indiquer qu’un délai de 30 jours serait problématique.

[59] Quatrièmement, M. Corcoran et Mme Tarlton ont tous deux mentionné qu’il n’est pas toujours possible pour Live Nation et MLSE de fournir une liste des œuvres musicales exécutées lors d’un concert. [22] La disposition administrative selon laquelle le nom des interprètes et le titre des œuvres exécutées ne sont fournis que s’ils sont disponibles offre une solution à cette difficulté.

[60] Cinquièmement, les modalités proposées sont moins restrictives que celles des projets de tarifs de 2012 et de 2013 de la SOCAN. Puisque les obligations de paiements proposées dans l’entente correspondent à la pratique courante de l’industrie et que la remise de la liste des œuvres musicales n’est plus obligatoire, nous ne croyons pas que les dispositions proposées soient défavorables aux autres utilisateurs qui ne se sont pas opposés aux tarifs.

ii. Les prétentions des parties sont-elles prises en compte dans l’entente?

[61] L’examen du dossier de la présente affaire nous porte à croire que les prétentions pertinentes d’anciennes parties et des tiers utilisateurs ont toutes été abordées. Trois parties autres que Live Nation et MLSE se sont opposées au projet de tarif de 2012 de la SOCAN : l’Aréna des Canadiens de Montréal inc., Sony Centre et HECFI. L’Aréna des Canadiens de Montréal inc. et Sony Centre ont retiré leur opposition tandis que HECFI s’est vu refuser le statut d’opposant en raison de son application tardive. Elles se sont toutes opposées aux dispositions administratives trop lourdes et restrictives.

[62] Les oppositions à l’égard des dispositions administratives ont été traitées dans l’entente de juin 2013. La période pour le paiement des redevances et l’obligation de faire rapport est passée de 15 à 30 jours et les listes des noms des interprètes et des œuvres exécutées lors du concert ne doivent être fournies à la SOCAN que si elles sont disponibles.

[63] L’Aréna des Canadiens de Montréal inc. et Sony Centre s’opposaient également à l’étendue de la portée du tarif. La SOCAN a retiré sa proposition d’inclure l’exécution en public d’un enregistrement audiovisuel d’un concert dans la liste des événements assujettis au tarif 4. De plus, le recours à la musique en synchro ou à l’exécution mimée par les interprètes est courant dans l’industrie des concerts de musique populaire. À notre avis, le recours à la musique en synchro ou à l’exécution mimée par les interprètes a toujours fait partie du tarif 4 de façon implicite.

[64] Sony Centre soutenait également que les taux des tarifs étaient trop élevés. Le Comité d’organisation de Toronto pour les Jeux panaméricains et parapanaméricains de 2015 s’est opposé aux projets de tarifs pour l’année 2014 pour cette même raison. Il nous semble que le fait que les taux du tarif soient demeurés inchangés depuis 2002 amoindrit la portée des commentaires de Sony Centre et du Comité d’organisation de Toronto à l’égard des taux trop élevés.

III. TARIF 4.B.2 (2013 ET 2014)

[65] L’organisme Orchestres Canada représente les intérêts de plus de 193 orchestres professionnels, communautaires, de jeunes et de formation à travers le Canada. Nous n’avons pas d’information sur l’ensemble de l’industrie canadienne des orchestres. Nous croyons néanmoins qu’Orchestres Canada représente les intérêts d’une grande variété d’orchestres, petits et grands, et provenant de toutes les régions canadiennes. Nous concluons donc qu’il s’agit d’un organisme assez représentatif du milieu des concerts symphoniques puisqu’il défend les intérêts de petits et grands orchestres. D’ailleurs, lors de la dernière homologation de ce tarif en 2008, le tarif qui était proposé faisait également l’objet d’une entente avec Orchestres Canada.

[66] Le tarif que les parties demandent à la Commission d’homologuer pour les années 2013 et 2014 est identique au tarif que la Commission a homologué pour les années 2008 à 2012, sauf pour les taux de redevance par concert. Comme l’indique le tableau suivant, les taux du tarif 4.B.2 prévus dans l’entente entre la SOCAN et Orchestres Canada pour les années 2013 et 2014 sont légèrement plus élevés que ceux de 2012 et continuent de s’accroître légèrement d’année en année, mais à un rythme maintenant moindre que pour les années 2008 à 2012.

ANNUAL FEE, PER CONCERT, UNDER TARIFF 4.B.2 /

TAUX DE REDEVANCE ANNUELLE, PAR CONCERT, DU TARIF 4.B.2

 

 

 

Certified /

Homologués

 

 

 

Proposed in Agreement /

Proposés dans l’entente

Orchestra’s Annual Budget / annuel de l’orchestre

2008

2009

2010

2011

2012

 

2013

2014

 

$0 - $100,000

$62

$64

$66

$68

$70

 

$71

$72

 

$100,001 - $500,000

$102

$105

$108

$111

$114

 

$115

$116

 

$500,001 - $1,000,000

$165

$170

$175

$180

$185

 

$187

$189

 

$1,000,001 - $2,000,000

$206

$212

$218

$225

$232

 

$234

$236

 

$2,000,001 - $5,000,000

$343

$353

$364

$375

$386

 

$390

$394

 

$5,000,001 - $10,000,000

$377

$388

$400

$412

$424

 

$428

$432

 

+ $10,000,000

$411

$423

$436

$449

$462

 

$467

$472

 

IV. TARIFS HOMOLOGUÉS

[67] Étant donné ce qui précède, nous croyons que cette affaire peut procéder sur la base des ententes entre les parties. Nous homologuons donc les tarifs 4.A.1, 4.A.2, 4.B.1 et 4.B.3 pour les années 2009 à 2013 conformément à l’entente convenue entre la SOCAN, Live Nation et MLSE. Nous homologuons ces mêmes tarifs pour 2014 tels que déposés par la SOCAN puisqu’ils sont essentiellement identiques à ceux qui ont fait l’objet d’une entente pour 2009 à 2013, et que leur seul opposant s’est retiré.

[68] Nous homologuons également le tarif 4.B.2 pour les années 2013 et 2014 conformément à l’entente intervenue entre la SOCAN et Orchestres Canada.

Le secrétaire général,

Signature

Gilles McDougall



[1] L.R.C. 1985, ch. C-42.

[2] Tarifs variés de la SOCAN 1998-2012 (20 mars 2008), décision de la Commission du droit d’auteur au para. 42.

[3] Supra note 2 aux paras. 7-35.

[4] Les redevances minimales pour les licences pour concerts individuels de musique populaire (4.A.1), les licences pour concerts individuels de musique classique (4.B.1) et les licences annuelles pour les concerts de musique classique (4.B.3) ont été homologuées à 20 $ en 2003-2005, à 25 $ en 2006, à 30 $ en 2007 et à 35 $ en 2008. Les redevances minimales pour les licences annuelles pour les concerts de musique populaire (4.A.2) sont passées de 20 $ en 2003-2005, à 40 $ en 2006, à 50 $ en 2007 et à 60 $ en 2008.

[5] Un billet de forfait est un billet qui peut inclure le prix de la nourriture, des breuvages et de la marchandise telle que des casquettes ou des t-shirts promotionnels. En anglais, le terme « loaded ticket » est utilisé.

[6] Pièce Live Nation-2.

[7] Ticketmaster agit à titre d’agent de vente de billets pour les lieux de concert, les promoteurs, les artistes et les équipes sportives voulant vendre au public des billets pour des concerts de musique, des événements sportifs, des représentations théâtrales et autres événements de divertissement. Il s’agit aussi de l’unique et exclusif service de billetterie utilisé par MLSE pour la vente de billets depuis 1998.

[8] Pièce Live Nation-3.

[9] Pièce Live Nation-4.

[10] Pièce MLSE-2.

[11] Pièce Live Nation/MLSE-3.

[12] Une partie de la recherche a été effectuée par M. Martin Brandsma et est décrite dans la pièce Live Nation/MLSE-12.

[13] Pièce Live Nation/MLSE-6.

[14] Pièce Live Nation/MLSE-7.

[15] Pièce SOCAN-21.

[16] Pièces SOCAN-5 et SOCAN-14.

[17] Pièce SOCAN-4.

[18] Pièce SOCAN-10, para. 6.

[19] Pièce SOCAN-9.

[20] Tarif 5.A-G de Ré:Sonne (Utilisation de musique pour accompagner des événements en direct) 2008-2012 (25 mai 2012), décision de la Commission du droit d’auteur, à la p. 3.

[21] Pièce Live Nation/MLSE-6.

[22] Pièces Live Nation/MLSE-6 et Live Nation/MLSE-7.

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