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Copyright Board
Canada

Canada Coat of Arms/Armoiries du Canada

Commission du droit d’auteur
Canada

[Traduction]

Date

2023-09-08

Référence

Tarif 22.A de la SOCAN (2014-2018), 2023 CDA 5

Commissaire

L’Honorable Luc Martineau

 

Projets de tarif examinés

Tarif 22.A de la SOCAN – Services de musique en ligne (2014)

Tarif 22.A de la SOCAN – Services de musique en ligne (2015)

Tarif 22.A de la SOCAN – Services de musique en ligne (2016)

Tarif 22.A de la SOCAN – Services de musique en ligne (2017)

Tarif 22.A de la SOCAN – Services de musique en ligne (2018)

 

Demande d’exclusion de certains actes du tarif homologué

MOTIFS DE LA DÉCISION

I. survol

[1] La SOCAN a déposé une demande (la « demande ») [1] afin d’exclure du tarif homologué certains actes énoncés dans les projets de tarif suivants : Tarif 22.A de la SOCAN – Services de musique en ligne (« SML ») pour les années 2014, 2015, 2016, 2017 et 2018 (les « projets de tarif »).

[2] La demande est approuvée. Elle répond aux critères prévus par la Loi sur le droit d’auteur[2] (la « Loi ») et ne mérite pas une attribution de dépens, comme l’avaient demandé certaines parties.

II. contexte

[3] Les actes que la SOCAN cherche à exclure des projets de tarif sont les communications d’œuvres musicales par transmission sur demande et recommandée, y compris les transmissions par un service hybride (tels que ces termes sont définis dans les projets de tarif).

[4] Les communications en ligne d’œuvres musicales dans un contenu audiovisuel (c’est-à-dire les « vidéos musicales ») ne font pas partie de la demande.

[5] La demande a été déposée après l’audience dans le cadre de l’instance des Services de musique en ligne (SOCAN : 2007-2018) (l’« instance SML »), au cours de laquelle les projets de tarif ont été examinés.

[6] Les seuls commentaires ou oppositions relativement à la demande ont été déposés par Pandora (une opposante aux projets de tarif) et SiriusXM Canada (une intervenante à l’instance SML) (« SiriusXM »). Elles ne s’opposent pas à la demande. Cependant, elles demandent que des dépens soient attribués contre la SOCAN pour la demande tardive qui a été décrite comme un abus du droit de la SOCAN de retirer une partie des projets de tarif.

[7] SiriusXM a également fait valoir que la demande a eu des répercussions sur l’évaluation d’un autre projet de tarif (à savoir le Tarif 22.B, qui porte sur la communication en ligne d’œuvres musicales par un service de radio par satellite). Ces observations ne relèvent pas de la portée de la demande et peuvent être traitées dans la décision sur l’homologation des autres Projets de tarif à l’examen.

III. questions

[8] Nous devons décider si la demande répond aux critères de la Loi et si des dépens devraient être attribués. Nous examinons trois questions :

  1. Le demandeur a-t-il donné un préavis suffisant?
  2. L’impact pour toute personne ayant versé des redevances a-t-elle été prise en compte?
  3. La Commission devrait-elle attribuer des dépens dans la présente affaire?

IV. analyse

A. Question 1 : Le demandeur a-t-il donné un préavis suffisant?

i. Conclusion

[9] L’une des conditions à la réussite d’une demande est que la SOCAN ait donné un avis public suffisant de son intention de déposer la demande[3].

[10] Nous constatons que la SOCAN a fourni un avis public suffisant.

ii. Observation

[11] Voici comment la SOCAN explique les mesures qu’elle a prises pour répondre à cette condition :

[12] Le 22 février 2023, la SOCAN a publié un« Avis d’intention de modifier les projets de tarif » (l’« Avis »), en français et en anglais, sur son site Web à www.socan.com[4] et sur le site Web de son magazine, Paroles et Musique, à www.magazinesocan.ca. Elle a également présenté cette publication sur la page d’accueil de son site Web principal.

[13] Ce même jour, la SOCAN a informé la Commission de son intention de présenter cette demande. Elle a fourni à la Commission des copies de son avis, en français et en anglais, et lui a demandé de le publier sur le site Web[5] de la Commission.

[14] Par courtoisie, la SOCAN a fait parvenir une copie de son courriel du 22 février 2023 à tous les participants actuels à l’instance SML et à toutes les personnes qui, à sa connaissance, étaient d’anciens participants à cette instance.

[15] Le 23 février 2023, la Commission a publié une copie de l’Avis sur son site Web, en français et en anglais[6].

[16] Le 27 février 2023, la SOCAN a de nouveau publié l’Avis, en français et en anglais, sur le site Web www.magazinesocan.ca pour veiller à ce que la publication du magazine continue à figurer sur la page d’accueil de son site Web principal[7].

[17] L’Avis explique la nature et l’objet de la demande dans un langage clair et simple. Il contient des hyperliens vers les projets de tarif sur le site Web de la Commission et indique que toute demande de renseignements peut être présentée à la SOCAN à l’adresse courriel fournie dans l’Avis. L’Avis indique que la SOCAN avait l’intention de présenter sa demande au cours de la semaine du 26 mars 2023.

[18] La SOCAN déclare ne pas avoir reçu de commentaire, d’opposition ou de demande de renseignements en réponse à la publication de l’Avis ou à sa diffusion par courriel.

iii. Considération

[19] Dans ses décisions antérieures sur des demandes de retrait d’un projet de tarif, la Commission a conclu que la publication d’un avis sur le site Web d’une société de gestion et sur celui de la Commission constituait un moyen adéquat de donner un avis public. De plus, selon ces décisions, une période de 30 jours ou plus était suffisante[8].

[20] Nous suivons la même approche.

[21] Nous acceptons que la SOCAN ait donné un avis public d’au moins 30 jours, de la manière dont elle le décrit. Nous notons également que la SOCAN s’est conformée à l’Avis de pratique sur le dépôt d’une demande de retrait d’un projet de tarif (« l’Avis de pratique sur le retrait »)[9] de la Commission. Elle a fourni les renseignements demandés[10] à l’appui de sa demande[11].

B. Question 2 : L’impact sur toute personne ayant versé des redevances a-t-il été pris en compte?

i. Conclusion

[22] Nous constatons que l’impact de la demande sur toutes les personnes ayant versé des redevances qui ne seraient pas exigibles si la demande était approuvée a été dûment pris en compte[12].

ii. Loi

[23] La Loi exige que la Commission soit convaincue que toute personne ayant versé des redevances relativement à la période d’application proposée qui, en raison de l’approbation de la demande, ne seront plus exigibles :

  1. soit a consenti à la demande
  2. soit a été remboursée
  3. soit a conclu une entente, au titre du paragraphe 67(3), portant sur l’acte, le répertoire ou la période d’application faisant l’objet de la demande[13].

[24] Cela garantit qu’aucun paiement n’est effectué pour des actes autorisés par des dispositions tarifaires qui ne sont pas homologuées.

iii. Observations

[25] La SOCAN définit quatre groupes d’utilisateurs :

a. Groupe 1 - Utilisateurs ayant conclu des ententes avec la SOCAN avant la demande

[26] La SOCAN soutient que le Groupe 1 n’est pas visé par la demande parce que les redevances seraient exigibles selon des ententes préexistantes même si la demande est approuvée. À l’exception de l’entente concernant un utilisateur, des copies des ententes ont déjà été déposées avant l’audience.

b. Groupe 2 - Utilisateurs ayant conclu des ententes avec la SOCAN aux fins de la demande

[27] La SOCAN a fourni la liste des utilisateurs du Groupe 2. Elle explique qu’ils disposent d’ententes qui ont le même effet que celles du Groupe 1 : elles lient les utilisateurs même si la demande est approuvée. Par conséquent, la SOCAN soutient que l’Avis de pratique sur le retrait ne s’applique pas, ce qui signifie que les ententes avec les utilisateurs du Groupe 2 n’ont pas besoin d’être déposées.

[28] Par ailleurs, la SOCAN soutient que les ententes du Groupe 2 portent sur l’acte, le répertoire ou la période d’application faisant l’objet de la demande. À ce titre, elles répondent à l’une des conditions d’approbation statutaires[14].

c. Groupe 3 - Utilisateurs ayant reçu des remboursements dans le cadre de la demande

[29] La SOCAN identifie les utilisateurs du Groupe 3 qui ont reçu un remboursement. Elle déclare avoir remboursé chaque utilisateur du Groupe 3, soit en créditant son compte de redevances SOCAN, avec effet immédiat, soit en lui envoyant un chèque à son adresse postale.

[30] La SOCAN soutient qu’un crédit est une forme sensée et pratique de remboursement, réduisant ainsi les coûts de transaction pour toutes les parties. Elle souligne qu’elle a offert à chaque utilisateur la possibilité de recevoir le remboursement directement, plutôt que sous la forme d’un crédit.

[31] La SOCAN a envoyé des avis de remboursement à chaque utilisateur du Groupe 3. Des copies de ses lettres à chaque utilisateur ont été déposées avec la demande[15].

[32] Le programme de remboursement de la SOCAN a été divisé en deux sous-groupes : les payeurs moins actifs et les payeurs actifs.

[33] Les payeurs moins actifs, qui seraient moins susceptibles d’utiliser rapidement le montant total du crédit, se sont vu offrir deux possibilités : avoir un crédit sur leur compte SOCAN pendant cinq ans et recevoir un remboursement direct sur demande, ou recevoir un remboursement de la partie inutilisée du crédit plus rapidement[16]. Un seul utilisateur de ce sous-groupe a accepté le crédit. Tous les autres ont reçu un remboursement par chèque[17].

[34] Les payeurs actifs avaient aussi la possibilité d’un crédit ou un remboursement par chèque. Ils ont tous reçu un remboursement sous forme d’un crédit porté à leur compte de redevances de la SOCAN.

[35] La SOCAN soutient que la condition de remboursement prévue par la Loi[18] est remplie en ce qui concerne les utilisateurs du Groupe 3.

d. Groupe 4 - Utilisateurs qui n’existent plus ou qui sont inactifs

[36] La SOCAN explique qu’un utilisateur a été dissous et qu’un autre n’est plus actif.

[37] L’un des utilisateurs est une société qui a été dissoute. La SOCAN a déposé des documents pour prouver la liquidation des actifs et la dissolution de la société[19].

[38] S’appuyant sur des décisions antérieures portant sur le même type de question, la SOCAN soutient que cet utilisateur ne devrait pas être pris en considération dans la décision de la Commission sur la demande.

[39] L’autre utilisateur a été acquis par un autre service de musique en ligne. Ce dernier a exploité la marque nouvellement acquise avec une licence de la SOCAN. La licence était basée sur un tarif différent de celui en question. Le service sous cette marque a été interrompu en 2020.

[40] La SOCAN estime que ces services ne sont pas pertinents à la demande.

iv. Considération

[41] Nous avons analysé les observations et examiné les diverses informations contenues dans les annexes de la demande.

[42] En ce qui concerne les ententes antérieures à la demande (ententes du Groupe 1), elles ont préséance sur tout tarif homologué (art 74 de la Loi). Les redevances sont exigibles même si la demande est approuvée. Ces redevances ne sont donc pas pertinentes à la demande[20].

[43] En ce qui concerne les ententes du Groupe 2, elles répondent à la condition énoncée dans la Loi si elles portent « sur l’acte, le répertoire ou la période d’application faisant l’objet de la demande »[21].

[44] Nous notons que les ententes du Groupe 2 sont classées comme hautement confidentielles. L’Avis de pratique sur le retrait prévoit que, dans ce cas, il n’est pas nécessaire de les déposer, mais que la société de gestion doit au moins fournir une description des actes, du répertoire et de la période visés par ces ententes.

[45] La SOCAN a dûment répondu à cette exigence dans sa demande pour les utilisateurs du Groupe 2.

[46] En ce qui concerne les utilisateurs du Groupe 3 (remboursements), la SOCAN a fourni des lettres d’accompagnement des remboursements. Cela est conforme à l’Avis de pratique sur le retrait, qui exige le dépôt de la correspondance ou d’autres déclarations des utilisateurs concernés, confirmant ou démontrant qu’ils ont reçu un remboursement des redevances de la société de gestion.

[47] La majorité des utilisateurs du Groupe 3 a reçu un chèque[22].

[48] Les autres utilisateurs du Groupe 3 ont reçu une note de crédit appliquée à leur compte SOCAN[23]. La question est de savoir si une « note de crédit » peut être considérée comme analogue à un « remboursement » en vertu de la Loi. Bien que le terme « remboursement » ne soit pas défini dans la Loi et que sa signification ne comprenne pas nécessairement un crédit, tous les utilisateurs du Groupe 3 avaient la possibilité de choisir entre un crédit et un remboursement. L’option du crédit était efficace pour ceux qui étaient identifiés comme des « titulaires de licences actives » : en raison de leur utilisation et de leurs versements historiques et continus, la SOCAN s’attendait à ce que le crédit soit entièrement utilisé rapidement par ces utilisateurs.

[49] Une lecture stricte de l’obligation de remboursement (telle qu’elle est définie au sous-alinéa 69.1(1)b)(i) de la Loi) est probablement contre-productive lorsque — comme c’est le cas — les utilisateurs ne s’opposent pas à un remboursement sous la forme d’une note de crédit. En outre, les crédits ont pris effet immédiatement et sans condition. Les utilisateurs ont reçu une copie du reçu de la facture indiquant le crédit sur leur compte. En effet, hormis les coûts de transaction, il n’y a guère de différence entre un remboursement et une note de crédit pour les utilisateurs qui paient souvent des redevances ou en paient beaucoup. Enfin, un crédit respecte l’objectif de la disposition puisque, en fait, aucune redevance n’aura été payée au titre de la partie des projets de tarif qui est retirée.

[50] En ce qui concerne les utilisateurs du Groupe 4 (c’est-à-dire les entités qui ont été dissoutes ou qui ne sont plus actives), comme la Commission l’a fait dans des situations similaires[24], nous acceptons les copies du certificat de renonciation et un rapport d’entreprise de l’État du Delaware comme preuve de la dissolution[25]. Le principe est qu’en tant qu’entités dissoutes, elles ne devraient pas être prises en compte pour les fins de la présente demande.

[51] En ce qui concerne l’utilisateur qui a été acquis par un autre utilisateur, titulaire de licence d’un tarif différent, et qui n’est plus actif, nous convenons que, d’une manière ou d’une autre, les redevances associées à cet utilisateur ne sont pas pertinentes à la présente demande[26].

[52] En conclusion, toutes les conditions législatives applicables ont été respectées.

C. Question 3 : La commission devrait-elle attribuer des dépens?

i. Conclusion

[53] Nous estimons que des dépens ne sont pas justifiés dans les circonstances entourant la présente demande.

ii. Attribution de dépens

[54] Pandora soutient que la SOCAN cherche à retirer l’essentiel de son projet de tarif seulement après avoir exigé de la Commission, de Pandora et des intervenants une audience entièrement contestée. Pandora ne s’oppose pas à la demande, mais requiert que l’ordonnance acquiesçant à la demande comprenne l’obligation pour la SOCAN de payer les dépens « gaspillés » de Pandora.

[55] Pandora ajoute les arguments suivants. Premièrement, la demande de la SOCAN est une autre tentative injustifiée d’éviter un examen éclairé du tarif qu’elle a proposé, sans égard au gaspillage de ressources que cela entraîne.

[56] Deuxièmement, la SOCAN n’offre aucune explication ou justification quant au moment de sa demande. Ses prétendues raisons ne sont compatibles qu’avec un retrait beaucoup plus précoce.

[57] Troisièmement, la SOCAN n’est toujours pas satisfaite des contestations formulées à l’encontre de son projet de tarif et cherche à le retirer afin d’annuler ces contestations.

[58] Quatrièmement, bien que la Loi donne à la SOCAN le droit de retirer en partie son projet de tarif, elle ne la protège pas des conséquences de l’exercice abusif de ce droit. Pandora soutient qu’il peut et devrait y avoir des conséquences pour la SOCAN en raison de la tardiveté injustifiée de son retrait.

[59] Pandora soutient que la Commission devrait ordonner à la SOCAN de payer des dépens à Pandora pour les centaines de milliers de dollars dépensés en rapport avec ce que la SOCAN dit maintenant être une audience inutile dans l’instance SML. Pandora soutient en outre que la Commission a la compétence expresse et implicite pour le faire dans les circonstances exceptionnelles actuelles.

[60] SiriusXM demande instamment à la Commission d’envisager l’attribution de dépens à Pandora, Apple et SiriusXM, qui ont toutes engagé des dépenses inutiles en raison de la décision de la SOCAN de soumettre la Commission et les participants à une longue audience, pour ensuite décider de retirer 22.A. SiriusXM soutient qu’en vertu de l’article 66.7 de la Loi, la Commission a pour « toutes autres questions relevant de sa compétence, les attributions d’une cour supérieure d’archives ». Les cours supérieures ont le pouvoir inhérent d’attribuer des dépens sur une base discrétionnaire lorsque l’occasion s’y prête, même si ces pouvoirs ne sont pas explicitement identifiés dans les règles de ces tribunaux.

iii. Réponse

[61] La SOCAN soutient que la demande de dépens de Pandora et SiriusXM est sans précédent et injustifiée. Elle suggère que même si la Commission a le pouvoir d’attribuer des dépens, ce n’est pas un cas approprié pour le faire.

[62] Selon la SOCAN, elle a valablement exercé son droit de demander la modification de ses projets de tarif dans les délais prescrits. Elle l’a fait rapidement après avoir satisfait aux critères applicables. Il est raisonnable qu’une société de gestion choisisse de ne plus donner suite à un projet de tarif qui, en raison de l’évolution du marché, n’aurait plus d’utilité pratique. Cela favorise l’efficacité de la société de gestion, de ses membres et de tous les intervenants en évitant, entre autres, des démarches et des efforts continus, y compris des demandes de contrôle judiciaire potentielles. La SOCAN soutient que l’ensemble du cadre législatif, qui a été modifié en 2019 pour lui permettre de conclure des ententes de licence avec les utilisateurs et de retirer des tarifs, suggère qu’une telle conduite devrait être encouragée, et non pénalisée.

[63] Selon la SOCAN, la demande d’attribution de dépens viole également l’engagement de la Commission à l’égard des principes de prévisibilité, de transparence et d’équité. Il n’y a aucune autorisation ou indication expresse dans la Loi ou ses règlements ni dans les Règles de pratique et de procédure, les avis de pratique ou la jurisprudence de la Commission, prévoyant que celle-ci ait le pouvoir d’attribuer des dépens ou qu’elle le fera. Toutes les informations disponibles — y compris les rapports commandés par le gouvernement du Canada — indiquent que la Commission n’est pas en mesure d’ordonner des dépens. Ainsi, même si la Commission est habilitée à attribuer des dépens, aucune société de gestion, aucun opposant ou intervenant ne peut s’attendre légitimement à ce que la Commission puisse attribuer des dépens entre les parties ou à ce qu’elle soit informée des facteurs qui pourraient l’amener à le faire.

[64] Quoi qu’il en soit, même si la Commission a le pouvoir général d’attribuer des dépens, la SOCAN soutient qu’elle n’a pas le pouvoir de le faire comme conséquence directe ou indirecte d’une demande en vertu de l’article 69 de la Loi, pour laquelle sa compétence se limite à examiner si les critères législatifs sont respectés.

[65] La SOCAN note également que Pandora et SiriusXM ne sont pas lésées par la demande. Les opposants et les intervenants participent à une instance tarifaire en sachant qu’en raison de l’article 69, un tarif pourrait ne pas être homologué. Selon la SOCAN, ce risque est semblable à celui que court une société de gestion, compte tenu de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Université York c Access Copyright, à savoir que si un tarif est homologué, les utilisateurs pourraient refuser d’obtenir une licence selon son libellé. Enfin, la SOCAN soutient que ni Pandora ni SiriusXM n’auraient utilisé le tarif 22.A homologué par la Commission de toute manière : Pandora n’a pas offert ses services au public canadien durant la période tarifaire et ne l’a jamais fait depuis, alors que SiriusXM serait assujettie au Tarif 22.B une fois que celui-ci aura été homologué.

iv. Considération

[66] La Loi prévoit que :

La Commission a, pour la comparution, la prestation de serment, l’assignation et l’interrogatoire des témoins, ainsi que pour la production d’éléments de preuve, l’exécution de ses décisions et toutes autres questions relevant de sa compétence, les attributions d’une cour supérieure d’archives[27].

[67] D’autres tribunaux ont également des pouvoirs qui leur sont conférés par des dispositions similaires de « cour supérieure d’archives » (« disposition CSA »). Une disposition très similaire à celle de la Commission du droit d’auteur a été interprétée par la Cour d’appel fédérale dans la référence Loi sur l’Office national de l’énergie (Can.) (« Office national de l’énergie »)[28]. Dans cette décision, la Cour d’appel fédérale a estimé que les pouvoirs de l’Office national de l’énergie, tels qu’ils sont définis dans sa disposition CSA, étaient ceux d’une cour supérieure d’archives uniquement en ce qui concerne la collecte de preuves[29]. La disposition CSA ne prévoit pas la possibilité d’attribuer des dépens en dehors des situations liées à l’obtention de preuves[30].

[68] Toutefois, comme le souligne Pandora, le rôle des dépens a évolué depuis la décision Office national de l’énergie. Les dépens ne sont plus seulement un moyen d’indemniser les gagnants, mais aussi un moyen « de sanctionner des conduites qui ont prolongé la durée, ou en ont augmenté le coût ou qui sont par ailleurs déraisonnables ou vexatoires », ou encore « un instrument destiné à favoriser l’administration efficace et ordonnée de la justice »[31].

[69] En outre, même si la disposition CSA de la Commission n’accorde pas explicitement à cette dernière le droit d’attribuer des dépens, les tribunaux reconnaissent depuis longtemps que la Commission dispose de certains pouvoirs implicites[32]. Il est également bien établi que la Commission est maîtresse de sa propre procédure[33]. Cela implique la protection de la procédure du tribunal contre les abus[34].

[70] Le pouvoir de contrôler son processus peut inclure le pouvoir d’attribuer des dépens. Dans l’affaire de R. c Fercan Developments inc.[35] (Fercan), le rôle d’une cour provinciale a été comparé à celui d’une cour supérieure. La Cour d’appel de l’Ontario a conclu :

Par conséquent, même si une cour provinciale n’a pas de compétence inhérente, elle a le pouvoir de contrôler sa propre procédure. Bien que ce pouvoir provienne d’une attribution de pouvoir implicite plutôt que d’une compétence inhérente, je ne vois pas pourquoi le pouvoir d’une cour provinciale de contrôler sa propre procédure ne devrait pas lui conférer le même pouvoir d’attribuer des dépens[36]. [Traduction]

[71] En tout état de cause, la question de savoir si la Commission a le pouvoir implicite d’attribuer des dépens n’est une question réelle que si les faits en cause le justifient. Nous soulignons que la décision d’accorder des dépens est discrétionnaire.

[72] La Commission n’attribuerait pas de dépens au sens traditionnel du terme, pour récompenser un gagnant pour une partie des frais juridiques qu’il a engagés. Dans un processus réglementaire, administré dans l’intérêt public, il n’y a ni gagnant ni perdant.

[73] Plutôt, Pandora a demandé des dépens sur la base de l’abus de procédure. Nous ne le ferions que si la demande constituait effectivement un abus de procédure ou une étape procédurale inutile. Ce n’est pas le cas.

[74] La demande indique qu’au moment de l’audience, la SOCAN avait conclu des ententes de licence avec six fournisseurs de services de musique en ligne, mais que 18 autres utilisateurs avaient fonctionné conformément à la continuation des droits selon le Tarif 22.A de la SOCAN (2008-2010) et (2011-2013) pendant la période tarifaire proposée (« les utilisateurs du tarif provisoire »).

[75] La demande décrit ensuite les faits qui se sont déroulés après l’audience. En particulier, ce n’est qu’après l’audience que la SOCAN a conclu des ententes de licence avec six des utilisateurs du tarif provisoire. La SOCAN a ensuite remboursé les autres utilisateurs du tarif provisoire et a rapidement déposé sa demande. (Parmi les 12 utilisateurs du tarif provisoire restants, l’un n’est plus actif et l’autre constitue une société dissoute. Aucune entente n’a donc pu être conclue et aucun remboursement n’a pu être effectué).

[76] La SOCAN a convenablement expliqué le moment et la raison d’être de sa demande. Il n’y a aucun fondement à la suggestion de Pandora selon laquelle la demande était de quelque façon que ce soit motivée par un mécontentement à l’égard de la présentation de la cause de la SOCAN à l’audience.

[77] Nous ne pouvons déterminer aucun élément de mauvaise foi qui justifierait l’attribution de frais à l’encontre de la SOCAN.

[78] Les dépens ne sont pas justifiés dans les circonstances.

V. DÉCISION

[79] La demande de la SOCAN est approuvée. Ainsi, les actes de communication au public par télécommunication d’œuvres musicales par transmission sur demande et recommandée, y compris de telles transmissions par un service hybride (tels que ces termes sont définis dans les projets de tarif) sont exclus du tarif homologué pour l’ensemble de la période d’application proposée.

[80] La demande de dépens présentée par Pandora et SiriusXM est rejetée.



[1] SOCAN, demande de modification du projet de tarif 22.A pour les années 2014 à 2018, 12 avril 2023. [Demande]

[2] Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, ch. C-42, art 69b) [Loi sur le droit d’auteur].

[3] Ibid art. 69.1(1)a).

[4] Voir Demande, supra note 1, annexe « D ».

[5] Ibid, annexe « E ».

[6] Ibid, annexe « F ».

[7] Ibid, annexe « G ».

[8] CSI - Services de musique en ligne (2014-2018), 2022 CDA 3 (25 mars 2022), en ligne : CDA <https://decisions.cb-cda.gc.ca/cb-cda/decisions/fr/item/520904/index.do>.

[9] Avis de pratique sur le dépôt d'une demande de retrait d'un projet de tarif (22 août 2022), AP 2022-008, en ligne : <https://cb-cda.gc.ca/sites/default/files/inline-files/AP-008%20-%20Retrait%20d%27un%20projet%20de%20tarif.pdf>.

[10] Par exemple, des captures d’écran ou d’autres copies électroniques de (ou des liens à) tout avis publié, le cas échéant, sur le site Web de la société de gestion, et toute plateforme électronique utilisée couramment par les utilisateurs concernés, comme le site Web particulier d’une entreprise ou d’une association.

[11] Voir Demande, supra note 1, annexes « D » et « G ».

[13] Ibid.

[14] Ibid, 69.1(1)b)(iii)

[15] Voir Demande, supra note 1, annexe « N ».

[16] Ibid, annexe « N ».

[17] Ibid, annexe « O ».

[18] Loi sur le droit d’auteur, supra note 2, art 69.1(1)b)(ii)

[19] Voir Demande, supra note 1, annexes « P » et « Q ».

[20] Loi sur le droit d’auteur, supra note 2, art 69.1(1)b), ne s’applique pas lorsque les redevances sont payées selon une source d’obligation différente.

[21] Ibid, art 69.1(1)b)(iii)

[22] Voir Demande, supra note 1, annexe « O »

[23] Ibid, annexe « N ».

[24] CSI SML (2014-2018), supra note 8.

[25] Voir Demande, supra note 1, annexe « Q ».

[26] Ibid.

[27] Loi sur le droit d’auteur, supra note 2.

[28] Loi sur l’Office national de l’énergie (Can.) (Abrogée), 1986 CanLII 4033 (CAF), [1986] 3 CF 275, interprétant la disposition suivante : « La Commission a, pour la comparution, la prestation de serment et l’interrogatoire des témoins, ainsi que pour la production d’éléments de preuve, l’exécution de ses décisions et toutes autres questions relevant de sa compétence, les attributions d’une cour supérieure d’archives. » (italiques ajoutés pour identifier la différence avec la disposition de la Loi).

[29] « Ces pouvoirs peuvent être qualifiés de pouvoirs de collecte de preuves. Je ne pense pas que le pouvoir d’attribuer des dépens soit ejusdem generis que de tels pouvoirs » [traduction], Office national de l’énergie, para 8.

[30] Par contraste, voir les compétences générales d’une cour supérieure d’archives dévolues à un tribunal dans Kaloti c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.), 2000 CanLII 17123 (CAF), [2000] 3 CF 390.

[31] Colombie-Britannique (ministre des Forêts) c Bande indienne Okanagan, 2003 CSC 71, para 25.

[32] Par exemple, Réseau de télévision CTV Ltée c Canada (Commission du droit d’auteur) (C.A.), 1993 CanLII 2922 (CAF), [1993] 2 CF 115 : « Je suis convaincu que la Commission dispose des pouvoirs accessoires nécessaires et inexorablement liés à l’exercice de son mandat qui est de fixer les taux pouvant être imposés par les sociétés de droits d’exécution. Cela pourrait comprendre les décisions relatives aux enjeux et aux décisions préliminaires ou collatérales dans chaque instance, conformément à ses règlements de fait ou de droit » [traduction].

[33] Par exemple, Société Radio‑Canada c SODRAC 2003 inc., 2015 CSC 57 (CanLII), [2015] 3 RCS 615, para 94 : « […] loin de moi l’idée d’imposer la procédure que la Commission doit suivre dans le cadre des instances en matière de licence dont elle est saisie, car elle jouit d’un pouvoir discrétionnaire pour établir ses propres pratiques et procédures dans chaque cas, sous réserve de ses règlements qu’elle prend et qui sont approuvés par le gouverneur en conseil : Loi sur le droit d’auteur, para 66.6(1). »

[34] Canada (Commission des droits de la personne) c Société canadienne des postes (CF), 2004 CF 81 (CanLII), [2004] 2 RCF 581 au para 15; confirmé en appel : Commission des droits de la personne c Société canadienne des postes, 2004 CAF 363 (CanLII).

[35]R. c. Fercan Developments Inc., 2016 ONCA 269 (CanLII).

[36] Ibid, para 53.

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