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[CB-CDA 2018-060]

 

DÉCISION DE LA COMMISSION

 

Instance : Services de musique en ligne [SOCAN : 2007-2018; Ré : Sonne : 2013-2018; CSI : 2014-2018; Artisti : 2016-2018]

 

Le 27 mars 2018

 

I. Introduction

[1] Le 28 février 2018, dans l’avis 2018-31, la Commission a ordonné aux parties de présenter, conjointement ou séparément, une proposition d’ordonnance de confidentialité pour cette procédure.

[2] Trois propositions d’ordonnance de confidentialité séparées ont été reçues. L’une a été présentée par Pandora, l’Association canadienne des radiodiffuseurs, Stingray, APPLE, Sirius XM Canada et les Réseaux (Bell Canada, la Société Radio-Canada, Association canadienne du logiciel de divertissement, Rogers Communications Canada Inc., Spotify AB et TELUS Communications Inc.; et les opposants Google Inc., Shaw Communications Inc., Vidéotron s.e.n.c. et YouTube LLC, qui se sont maintenant désistés), une autre par Ré:Sonne (soutenues par la SOCAN, CSI, Music Canada et l’ADISQ) et une troisième par Artisti.

[3] La différence entre les ordonnances de confidentialité proposées réside principalement dans la façon dont certains renseignements devraient être divulgués et à qui ils devraient l’être.

[4] De façon générale, les opposants soutiennent que, bien que les renseignements confidentiels donnés à une autre partie peuvent être consultés par l’avocat interne de cette partie, les renseignements hautement confidentiels peuvent uniquement être vus par l’avocat externe de la partie qui les reçoit.

[5] Ré:Sonne propose quant à elle ne faire aucune distinction importante entre les renseignements confidentiels et les renseignements hautement confidentiels (elle propose en fait la même définition pour ces deux termes) de sorte que l’avocat interne puisse consulter ces deux catégories de renseignements. Seuls les renseignements désignés en tant qu’ententes commercialement sensibles pourraient être consultés par l’avocat externe de la partie qui les reçoit.

[6] Artisti appuie la proposition de Ré:Sonne, mais elle ajouterait deux autres catégories de renseignements. La première est liée au fait qu’elle et l’ADISQ sont parties à des procédures judiciaires en cours. Selon Artisti, tout renseignement divulgué sous réserve d’une ordonnance de confidentialité rendue dans le cadre de ces procédures ne doit pas être divulgué selon des modalités plus permissives que celles prévues dans cette même ordonnance. Elle vise ainsi à éviter que se produise une situation où un avocat pourrait accéder à des renseignements auxquels il n’a pas accès aux termes de l’ordonnance de confidentialité prononcée dans ces autres procédures. La deuxième catégorie servirait à limiter la divulgation à un avocat externe de renseignements personnels de nature délicate (comme l’adhésion à une société de gestion collective).

II. Principes généraux

[7] La Commission rappelle aux parties que les renseignements devraient être désignés comme confidentiels ou hautement confidentiels dans des cas exceptionnels seulement. Par défaut, tous les renseignements doivent être rendus publics. L’expérience de la Commission a montré que les avocats des parties surclassifient fréquemment les renseignements. Lorsque la Commission le leur demande, les représentants d’une partie sont souvent incapables de justifier adéquatement la désignation des renseignements comme confidentiels ou hautement confidentiels.

[8] Cette surclassification des renseignements, en plus d’éroder le principe de transparence judiciaire et de faire entrave à l’accès par le public, nuit également à la capacité de la Commission d’utiliser librement ces renseignements dans ses motifs de décision publics. Par conséquent, la Commission s’attend à ce que les avocats de tous les participants qui désignent des renseignements comme confidentiels ou hautement confidentiels le fassent avec circonspection et diligence.

[9] Quoi qu’il en soit, la partie qui conteste la désignation particulière des renseignements par la partie qui les fournit ou qui demande une dérogation à l’ordonnance de confidentialité peut en tout temps demander à la Commission de lui donner des directives, comme il est énoncé au paragraphe 20 de l’ordonnance ci-jointe.

III. Analyse

[10] En fin de compte, il n’existe aucune solution parfaite aux questions que soulèvent les parties ou à la façon d’établir une ordonnance de confidentialité en général. La Commission comprend que chacune des approches à l’égard de la divulgation (moins ou plus restrictive) peut causer un certain préjudice à l’une ou l’autre des parties.

[11] Nous prenons donc en considération la prépondérance du préjudice (l’ampleur et la probabilité de réalisation) afin de déterminer la façon de structurer l’ordonnance de confidentialité.

[12] Ré:Sonne, Artisti et les opposants ont tous fait valoir qu’ils subiront un préjudice si leur ordonnance proposée n’est pas adoptée.

[13] Ré : Sonne soutient que le fait de ne pas permettre à l’avocat interne de voir des renseignements hautement confidentiels empêcherait effectivement ce dernier d’exercer utilement son rôle de second avocat dans la présente instance, nuirait à la capacité de l’avocat interne de consulter l’avocat externe et de lui donner des directives de manière entièrement éclairée, en plus d’imposer des frais juridiques inutiles et considérables. Artisti appuie l’observation formulée par Ré:Sonne et soutient que la question des frais juridiques est particulièrement inquiétante pour elle, vu sa taille relativement petite.

[14] L’inquiétude soulevée par les opposants sur la consultation de renseignements hautement confidentiels ne vise pas seulement l’avocat interne des sociétés de gestion collective, mais aussi d’autres concurrents opposants. Ils soutiennent que le destinataire de renseignements hautement confidentiels, même habité des plus louables intentions de ne pas laisser ces renseignements teinter ses négociations, pourrait être influencé par ceux-ci, même involontairement.

La prépondérance du préjudice

[15] Dans la plupart des cas, l’avocat externe peut donner à son client des renseignements suffisants qui lui permettront de faire des choix éclairés sans porter préjudice aux intérêts de toute la partie qui les fournit. Dans certains cas, on peut le faire en regroupant des renseignements de nature délicate ou en obtenant une version confidentielle des mêmes renseignements (p. ex., une description qualitative de chiffres hautement confidentiels), peut‑être avec l’aide la Commission. L’approche proposée par les opposants limite donc dans une certaine mesure la capacité de l’avocat d’agir en tant que second avocat; toutefois, nous sommes d’avis qu’elle ne le fait pas d’une manière insurmontable.

[16] Qui plus est, le terme renseignements hautement confidentiels proposé par les opposants s’entend de documents ou de renseignements dont le fournisseur croit raisonnablement que leur nature est si délicate que leur divulgation à un avocat interne porterait vraisemblablement préjudice à celui qui les fournit ou à la personne qui a fourni les documents ou les renseignements au fournisseur. Il est très raisonnable de croire que certains renseignements divulgués conformément au processus relatif aux demandes de renseignements sont de cette nature. Il est quelque peu tautologique d’affirmer que le fait d’exiger aux fournisseurs de divulguer de tels renseignements à un avocat interne constituerait, selon la définition même du terme, un risque de préjudice grave.

[17] Il est peu probable que la proposition de Ré:Sonne, qui limiterait la protection aux ententes commercialement sensibles, comme elle le définit, soit suffisamment générale pour saisir les divers types de renseignements hautement confidentiels qui pourraient devoir être fournis dans le cadre du processus relatif aux demandes de renseignements.

[18] De même, la proposition d’Artisti d’ajouter les renseignements personnels de nature délicate au type de renseignements que seul un avocat externe pourrait voir est une tentative de régler cette question : il est possible que la notion d’ententes commercialement sensibles ne comprenne pas les renseignements dont la divulgation à d’autres personnes que l’avocat externe serait très préjudiciable.

[19] Nous concluons que l’ajout de désignations supplémentaires relatives aux renseignements protégés ne règle pas adéquatement la question et qu’il pourrait même compliquer l’instance. La définition des renseignements hautement confidentiels est suffisamment souple pour saisir ces deux catégories de renseignements, le cas échéant, et sa portée est autolimitative puisqu’elle prévoit le préjudice qu’entraîne une divulgation inappropriée.

[20] Ré:Sonne soutient que si une partie croit que certains documents ou renseignements précis, outre les ententes commercialement sensibles, ne peuvent être divulgués à l’avocat interne de l’une des parties sans causer un préjudice grave, le paragraphe 20 de l’ordonnance proposée prévoit un processus auquel les parties pourront recourir pour tenter de régler ces questions; en cas d’échec, elles pourraient demander à la Commission de leur donner des directives supplémentaires. En outre, le fournisseur pourrait s’opposer à la divulgation à des personnes précises, conformément au paragraphe 9. Par conséquent, il ne faut pas rendre une ordonnance générale qui interdit à tous les avocats internes d’accéder à l’ensemble des renseignements hautement confidentiels. Le principe général ne devrait pas être de refuser l’accès à un avocat interne à moins de pouvoir démontrer que l’accès devrait être accordé, mais plutôt l’inverse.

[21] Il nous semble, vu la quantité écrasante de renseignements demandés dans le cadre des demandes de renseignements liées à cette instance particulière, qu’il serait impossible d’exiger au fournisseur de déterminer la nature confidentielle de chacun des documents divulgués. Le nombre possible de documents et d’autres formes de renseignement sur lesquels la Commission devrait probablement se prononcer serait considérable. Il s’agirait donc d’une mauvaise utilisation du temps et des ressources des parties et de la Commission.

[22] Enfin, une ordonnance de confidentialité a récemment été rendue dans la procédure Services audiovisuels en ligne – Musique (2007-2018) [la « procédure SAL »]. Bon nombre de parties à la procédure en l’espèce, y compris les opposants et les sociétés de gestion, sont également parties à la procédure SAL. On s’attend à ce que certaines questions d’ordre économique et juridique soient de nature similaire dans ces deux procédures, ce qui donnera probablement lieu à la divulgation du même type de renseignements. Une ordonnance compatible avec l’ordonnance de confidentialité rendue dans la procédure SAL réduit le risque de divulgation inappropriée involontaire de renseignements, et pèse en faveur de l’utilisation de la distinction faite entre les renseignements confidentiels et les renseignements hautement confidentiels utilisés dans cette procédure.

[23] Nous tenons à souligner que les opposants soutiennent que la Commission devrait adopter l’ordonnance de confidentialité rendue dans la procédure SAL dans la présente procédure également, au motif qu’il s’agit simplement de maintenir le statu quo. Toutefois, comme Ré:Sonne le fait valoir, la Commission a adopté différentes dispositions par le passé, puisqu’il s’agit souvent d’une fonction prévue par une entente ou des observations formulées par les parties à une instance précise. Ainsi, même s’il est souhaitable de garder un certain niveau d’uniformité avec les diverses instances de la Commission, il ne s’agit pas d’un facteur déterminant.

[24] Les opposants soutiennent que le fait que les sociétés de gestion ont choisi de faire jouer un rôle plus actif à leur avocat interne dans le règlement de ces procédures, selon la structure de leurs équipes juridiques, ne devrait pas être un facteur susceptible de porter un préjudice commercial grave aux opposants.

[25] Nous ne sommes pas entièrement d’accord avec l’affirmation des opposants selon laquelle le fait de faire jouer un rôle plus actif à un avocat interne dans les procédures devant la Commission est toujours un « choix » utile. Même si le recours aux services d’un avocat externe peut être une question de moindre importance pour les plus grandes entités, la Commission est sensible à la situation des plus petites entités qui souhaitent participer à ses procédures et à leurs réalités économiques. La décision de réserver l’accès à certains renseignements à l’avocat externe peut s’avérer beaucoup plus dispendieuse, voire trop dispendieuse pour certaines parties.

[26] Malheureusement, il n’y a aucun moyen de concilier parfaitement la protection de certains renseignements d’entreprise au besoin qu’ont les parties de donner des directives aux avocats. La Commission tente de répondre aux besoins des plus petites entités de diverses façons, par exemple, en recourant aux procédures simplifiées; il ne lui est toutefois pas toujours possible de le faire.

[27] En fin de compte, nous concluons que la prépondérance du préjudice favorise la consultation des renseignements hautement confidentiels par l’avocat externe seulement, sous réserve de toute dérogation que consent la Commission. En adoptant cette approche, la Commission compte sur la diligence et la bonne foi des parties afin de classer les renseignements qu’elles fournissent aux autres.

Renseignements divulgués ou obtenus dans d’autres procédures

[28] Artisti indique qu’on lui a demandé de témoigner et de fournir des renseignements dans le cadre de procédures entre l’ADISQ et l’Union des artistes. Des ordonnances de confidentialité ont été prononcées dans ces procédures ou sont sur le point de l’être.

[29] Artisti soutient que tout renseignement divulgué sous réserve d’une ordonnance de confidentialité rendue dans le cadre de ces procédures ne doit pas être divulgué selon des modalités plus permissives que celles prévues dans cette ordonnance de confidentialité.

Artisti s’explique ainsi :

Cela ne s’appliquerait que si les termes de l’ordonnance de confidentialité rendue dans l’autre dossier sont plus restrictifs que ce qui prévaudrait en vertu de l’ordonnance applicable devant la Commission. Par exemple, si un document particulier peut uniquement être divulgué aux avocats externes de la partie récipiendaire dans un autre dossier, le même traitement devrait prévaloir dans le présent dossier.

[30] Nous comprenons la préoccupation d’Artisti; toutefois, la proposition ne semble pas pratique. La Commission devrait obtenir toutes les ordonnances de confidentialité pertinentes et être prête à interpréter les ordonnances rendues par un autre organe. On ignore si l’évaluation menée en vue de déterminer laquelle des ordonnances est la plus restrictive serait en fait un exercice futile.

[31] Qui plus est, il est possible que la disposition proposée semble aussi exiger de prendre en considération plusieurs ordonnances de confidentialité déjà rendues par la Commission, car de nombreuses parties à la présente procédure sont également parties à d’autres procédures devant la Commission.

[32] En dernier lieu, nous estimons que l’adoption du contenu de l’ordonnance de confidentialité issue de la procédure SAL devrait apaiser la plupart, voire la totalité des inquiétudes d’Artisti par la nature de la définition flexible donnée aux renseignements hautement confidentiels. Si l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que la divulgation de renseignements particuliers à un avocat interne cause préjudice au fournisseur, il est adéquat de désigner ces renseignements comme des renseignements hautement confidentiels et, par conséquent, de réserver l’accès à l’avocat externe.

Incidence sur la participation

[33] Enfin, même si la Commission se réjouit d’une participation élargie et l’encourage, nous n’avons pas pris en considération, pour arriver à notre décision, la possibilité de retrait de la présente procédure soulevée par certains des opposants.

IV. Conclusion

  • [1] Compte tenu de ce qui précède, la Commission rend par les présentes l’ordonnance ci-jointe, laquelle porte sur les renseignements pouvant être traités en tant que renseignements confidentiels.

 

 

Gilles McDougall

Secrétaire général

 

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